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17/03/2021 | FRANCE | N°19-26071

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 17 mars 2021, 19-26071


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 17 mars 2021

Rejet

Mme BATUT, président

Arrêt n° 226 F-D

Pourvoi n° F 19-26.071

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 17 MARS 2021

M. I... N... , domicilié [...] ), a formé le pourvoi n° F 19-26.071 contre

l'arrêt rendu le 4 juillet 2019 par la cour d'appel de Bordeaux (3e chambre civile), dans le litige l'opposant à Mme X... L... , épouse N... , d...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 17 mars 2021

Rejet

Mme BATUT, président

Arrêt n° 226 F-D

Pourvoi n° F 19-26.071

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 17 MARS 2021

M. I... N... , domicilié [...] ), a formé le pourvoi n° F 19-26.071 contre l'arrêt rendu le 4 juillet 2019 par la cour d'appel de Bordeaux (3e chambre civile), dans le litige l'opposant à Mme X... L... , épouse N... , domiciliée [...] , défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Antoine, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. N... , de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de Mme L... , et l'avis de M. Sassoust, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 janvier 2021 où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Antoine, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 4 juillet 2019), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 12 juillet 2017, pourvoi n° 16-18.821), M. N... et Mme L... , tous deux de nationalité française et libanaise, se sont mariés le [...] , à Tripoli (Liban).

2. Le 22 mai 2013, Mme L... a saisi le juge français d'une requête en divorce. M. K... lui a opposé l'autorité attachée à la décision du 10 avril 2012 du tribunal islamique sunnite de Tripoli, confirmant la déclaration définitive de divorce qu'il avait souscrite, hors tribunal, le 7 avril précédent.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. M. K... fait grief à l'arrêt de dire inopposable le jugement du tribunal de Tripoli du 10 avril 2012, alors :

« 1°/ que le prononcé d'un jugement de divorce libanais pour abandon par l'épouse de sa famille, ne peut être assimilé à un acte de répudiation unilatérale et discrétionnaire du mari ; qu'en décidant que le jugement de divorce du tribunal religieux de Tripoli du 10 avril 2012 était contraire à l'ordre international public français, car il se bornait à confirmer une décision précédente du 7 avril 2012, qui caractérisait une répudiation unilatérale de l'épouse par l'époux, quand la décision du 10 avril 2012 constituait au contraire un véritable jugement de divorce, motivé par l'abandon, par Mme L... , de son mari et de ses enfants, la cour d'appel a violé les articles 3 du code civil, 5 du protocole du 22 novembre 1984, n° 7, additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les règles gouvernant l'appréciation de l'ordre international public français ;

2°/ que l'existence d'une déclaration de divorce par l'un des époux, préalable au prononcé du divorce par le tribunal religieux de Tripoli, n'enlève rien au fait que le divorce pour abandon de sa famille par l'épouse est prononcé par le tribunal lui-même ; qu'en analysant la déclaration de divorce faite par M. N... , le 7 avril 2012, qui constituait seulement une première étape de la procédure de divorce, comme un acte de répudiation unilatérale prononcé sans respect du contradictoire et du principe d'égalité homme-femme, la cour d'appel a violé les articles 3 du code civil, 5 du protocole du 22 novembre 1984, n° 7, additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les règles gouvernant l'appréciation de l'ordre international public français ;

3°/ que le défaut de comparution de l'épouse défenderesse à une procédure de divorce étrangère ne caractérise pas une méconnaissance du respect du contradictoire et des droits de la défense qui justifierait que ce jugement ne soit pas opposable, dès lors que l'époux a accompli les diligences nécessaires pour que l'épouse puisse faire valoir ses moyens ; qu'en retenant que le jugement de divorce du 10 avril 2012, ratifiant la décision du 7 avril précédent, avait été rendu à Tripoli, en méconnaissance du principe du contradictoire et des droits de la défense de Mme L... , dès lors qu'il n'était pas établi qu'elle avait été avisée de la procédure, quand M. N... avait déposé une requête en divorce mentionnant l'adresse de son épouse, afin que le greffe avertisse la défenderesse, avait fait procéder à la notification de sa déclaration de divorce par voie de publication et d'affichage et avait adressé un courrier recommandé d'avertissement à l'épouse en France qui avait refusé de le retirer, de sorte que l'absence de comparution de l'épouse ne pouvait lui être opposée, la cour d'appel a violé les articles 3 du code civil et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les règles gouvernant l'appréciation de l'ordre international public français. »

4°/ que seule l'absence de toute motivation est de nature à rendre un jugement étranger contraire à l'ordre public international français ; qu'en jugeant que le jugement du 10 avril 2012 rendu par le tribunal religieux de Tripoli était contraire à l'ordre international public français, car il avait été prononcé « sur le fondement de textes légaux non précisés », quand le jugement était motivé par la faute de l'épouse, soit l'abandon brutal de sa famille par Mme L... , ce qui constituait une motivation suffisante, la cour d'appel a violé les articles 3 du code civil et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les règles gouvernant l'appréciation de l'ordre international public français.

Réponse de la Cour

4. Selon l'article 509 du code de procédure civile, l'efficacité des jugements étrangers concernant l'état des personnes est reconnue en France, sous réserve du contrôle de leur régularité internationale. Il en résulte que pour donner effet à un jugement étranger, le juge français doit, en l'absence de convention internationale, s'assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l'ordre public international de fond et de procédure ainsi que l'absence de fraude.

5. L'arrêt relève que M. N... ne démontre pas que Mme L... a été régulièrement avisée de la procédure de divorce engagée à son encontre devant la juridiction étrangère et que la notification par voie de publication et d'affichage de la décision de divorce est indifférente, s'agissant du non-respect du principe de la contradiction lors de la première phase de la procédure. Il en déduit que le jugement de divorce libanais est inopposable à l'épouse.

6. De ces constatations et appréciations souveraines, faisant ressortir que l'épouse n'avait pas été mise en mesure de faire valoir utilement ses droits devant le juge libanais, la cour d'appel a pu déduire que la décision prononçant le divorce avait été rendue en violation de l'ordre public international de procédure et ne pouvait produire effet en France.

7. Il s'ensuit que le moyen, inopérant en ses deux premières et quatrième branches, qui critiquent des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. N... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mars deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour M. N... .

Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR dit inopposable le jugement de divorce du tribunal de Tripoli du 7 avril 2012 confirmé par jugement du tribunal de Tripoli du 10 avril 2012 ;

AUX MOTIFS QUE « En vertu de l'article 8 du règlement (UE) 259/2010 du 20 décembre 2010, à défaut de choix par les parties, le divorce est soumis à la loi de l'Etat de la nationalité des époux au moment de la saisine de la juridiction et à défaut de la juridiction saisie. Les deux parties étaient de nationalité française au moment de la saisine de la juridiction. La loi française s'applique. Le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Toulouse a constaté l'existence d'un divorce étranger rendu par le tribunal de Tripoli du 7 avril 2012. M. N... a déposé une requête devant le tribunal religieux de Tripoli lequel a confirmé le divorce, après avoir mentionné un divorce définitif hors tribunal du 7 avril 2012. Mme L... soulève l'inopposabilité de ce divorce au regard de l'ordre public international français, c'est à dire aux principes essentiels du droit français. Mme L... fait valoir que le divorce a été prononcé dans le cadre d'une démarche unilatérale du mari hors de tout débat contradictoire et s'analyse en une répudiation, que M. N... avait déclaré divorcer de son épouse il la répudiait - hors enceinte judiciaire. Elle ajoute que le procureur de la République a rejeté la demande de M. N... de vérification d'opposabilité et publication en France du jugement de divorce, M. N... n'ayant pas intenté d'action contestant cette décision. M. K... répond que le prononcé du divorce le 7 avril 2012 n'est que la première étape du processus de divorce en droit libanais qui prévoit que le demandeur prononce verbalement une expression spécifique faisant état de sa volonté de voir dissoute la relation conjugale, que cette intention a été portée devant le greffier et les témoins le 7 avril 2012, qu'il a ensuite présenté une demande en justice sollicitant la ratification de ce divorce par le tribunal qui devait s'assurer de l'authenticité des faits pour ratifier le divorce, qu'il n'y a pas eu de répudiation puisque la décision de divorce, et non de répudiation, a été motivée alors que Mme L... avait été en mesure de se défendre devant le tribunal libanais de sorte que le principe du contradictoire a été respecté. Il résulte des déclarations de M. N... lui-même et des pièces produites que le jugement du tribunal de Tripoli en date du 12 avril 2012 indique que M. N... a divorcé de sa femme hors du tribunal par un divorce définitif en date du 7 avril précédent (qui n'est pas produit) dont il a demandé la confirmation, que ce divorce définitif du 7 avril 2012 a été prononcé suite à la déclaration de l'époux qui divorçait de sa femme ; que si la requête déposée par M. N... sollicitait d'avertir l'épouse qu'il sollicitait un jugement de séparation et de faire supporter à celle-ci toutes les conséquences, la preuve n'est pas rapportée que cet avertissement a eu lieu. Ainsi, aux termes de sa décision en date du 10 avril 2012, le tribunal de Tripoli a confirmé une décision de divorce définitive prise sans respect du principe du contradictoire en visant " les articles légaux "non précisés. Que, dans sa requête du 8 janvier 2012, M. N... ait mentionné les motifs de sa demande en divorce et qu'elle ait été portée devant le greffier et des témoins - ce qui n'est pas établi - n'a pas d'effet sur le non-respect du principe du contradictoire. La notification par voie de publication et par affichage de la décision du 7 avril 2012 est sans effet sur le non-respect antérieur du principe du contradictoire et confirme d'ailleurs que le divorce était acquis à cette date. Aucun élément du dossier n'établit le respect du principe de l'égalité homme-femme. La décision de divorce a été prononcée en violation du principe du contradictoire sur le fondement de textes légaux non précisés et dès lors en contradiction avec l'ordre public international français. Le jugement du 7 avril 2012 prononçant le divorce définitif, confirmé par le jugement du tribunal de Tripoli du 10 avril 2012 est donc inopposable à la juridiction française » ;

1°) ALORS QUE le prononcé d'un jugement de divorce libanais pour abandon par l'épouse de sa famille, ne peut être assimilé à un acte de répudiation unilatérale et discrétionnaire du mari ; qu'en décidant que le jugement de divorce du tribunal religieux de Tripoli du 10 avril 2012 était contraire à l'ordre international public français, car il se bornait à confirmer une décision précédente du 7 avril 2012, qui caractérisait une répudiation unilatérale de l'épouse par l'époux, quand la décision du 10 avril 2012 constituait au contraire un véritable jugement de divorce, motivé par l'abandon, par Mme L... , de son mari et de ses enfants, la cour d'appel a violé les articles 3 du code civil, 5 du protocole du 22 novembre 1984, n° VII, additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les règles gouvernant l'appréciation de l'ordre international public français ;

2°) ALORS QUE l'existence d'une déclaration de divorce par l'un des époux, préalable au prononcé du divorce par le tribunal religieux de Tripoli, n'enlève rien au fait que le divorce pour abandon de sa famille par l'épouse est prononcé par le tribunal lui-même ; qu'en analysant la déclaration de divorce faite par M. N... , le 7 avril 2012, qui constituait seulement une première étape de la procédure de divorce, comme un acte de répudiation unilatérale prononcé sans respect du contradictoire et du principe d'égalité homme-femme, la cour d'appel a violé les articles 3 du code civil, 5 du protocole du 22 novembre 1984, n° VII, additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les règles gouvernant l'appréciation de l'ordre international public français ;

3°) ALORS QUE le défaut de comparution de l'épouse défenderesse à une procédure de divorce étrangère ne caractérise pas une méconnaissance du respect du contradictoire et des droits de la défense qui justifierait que ce jugement ne soit pas opposable, dès lors que l'époux a accompli les diligences nécessaires pour que l'épouse puisse faire valoir ses moyens ; qu'en retenant que le jugement de divorce du 10 avril 2012, ratifiant la décision du 7 avril précédent, avait été rendu à Tripoli, en méconnaissance du principe du contradictoire et des droits de la défense de Mme L... , dès lors qu'il n'était pas établi qu'elle avait été avisée de la procédure, quand M. N... avait déposé une requête en divorce mentionnant l'adresse de son épouse, afin que le greffe avertisse la défenderesse, avait fait procéder à la notification de sa déclaration de divorce par voie de publication et d'affichage et avait adressé un courrier recommandé d'avertissement à l'épouse en France qui avait refusé de le retirer, de sorte que l'absence de comparution de l'épouse ne pouvait lui être opposée, la cour d'appel a violé les articles 3 du code civil et 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les règles gouvernant l'appréciation de l'ordre international public français ;

4°) ALORS QUE seule l'absence de toute motivation est de nature à rendre un jugement étranger contraire à l'ordre public international français ; qu'en jugeant que le jugement du 10 avril 2012 rendu par le tribunal religieux de Tripoli était contraire à l'ordre international public français, car il avait été prononcé « sur le fondement de textes légaux non précisés », quand le jugement était motivé par la faute de l'épouse, soit l'abandon brutal de sa famille par Mme L... , ce qui constituait une motivation suffisante, la cour d'appel a violé les articles 3 du code civil et 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les règles gouvernant l'appréciation de l'ordre international public français.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 19-26071
Date de la décision : 17/03/2021
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Bordeaux, 04 juillet 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 17 mar. 2021, pourvoi n°19-26071


Composition du Tribunal
Président : Mme Batut (président)
Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Le Bret-Desaché

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2021:19.26071
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