La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/03/2021 | FRANCE | N°19-10237

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 17 mars 2021, 19-10237


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CH.B

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 17 mars 2021

Cassation

M. CATHALA, président

Arrêt n° 341 FS-D

Pourvoi n° V 19-10.237

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 17 MARS 2021

La société Keyria, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est

[...] , a formé le pourvoi n° V 19-10.237 contre l'arrêt rendu le 7 novembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 10), dans le litig...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CH.B

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 17 mars 2021

Cassation

M. CATHALA, président

Arrêt n° 341 FS-D

Pourvoi n° V 19-10.237

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 17 MARS 2021

La société Keyria, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° V 19-10.237 contre l'arrêt rendu le 7 novembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 10), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. G... Y...,

2°/ à M. P... V...,

domiciliés tous deux [...] et pris en leur qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Keyria,

3°/ à la société MJA, société d'exercice libéral à forme anonyme, dont le siège est [...] , prise en la personne de Mme N... H..., en qualité de mandataire judiciaire de la société Keyria,

4°/ à Mme T... S..., domiciliée [...] ,

5°/ à la société Legris Industries SE (Lise), dont le siège est [...] (Belgique), société de droit belge, et en tant que de besoin, prise en son établissement en France, [...] ,

6°/ à la société Legris Industries FE (Life), dont le siège est [...] (Belgique), société de droit belge,

7°/ à l'AGS CGEA [...], dont le siège est [...] ,

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Mariette, conseiller, les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat de la société Keyria, de Me Haas, avocat de Mme S..., et l'avis de Mme Laulom, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 janvier 2021 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Leprieur, conseiller doyen, Mme Mariette, conseiller rapporteur, M. Pietton, Mme Le Lay, M. Barincou, conseillers, Mme Duvallet, M. Le Corre, Mmes Prache, Marguerite, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Keyria du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre MM. Y... et V..., pris en leur qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Keyria, la société MJA, prise en la personne de Mme H... en sa qualité de mandataire judiciaire de la société Keyria et l'AGS CGEA [...].

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 novembre 2018), au 1er janvier 2009, le groupe Legris était organisé en trois divisions industrielles, dont la division Keyria regroupant trente et une sociétés ayant pour activité la conception et l'installation d'usines et des équipements de production de matériaux de construction. La société Keyria, elle-même détenue par la société Legris industrie par l'intermédiaire des sociétés Legris Industries Partner 1 et Legris Industries FE, était la société holding de la division Keyria et avait pour activité l'accomplissement de prestations de services au profit de l'ensemble des sociétés de la division dans différents domaines (comptabilité, fiscalité, communication...).

3. Par jugement du 28 octobre 2009, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de sauvegarde au bénéfice de la société Keyria, puis, par jugement du 9 juin 2010 a arrêté le plan de sauvegarde de la société. Dans le même temps, la plupart des filiales françaises de la division Keyria ont fait l'objet de liquidations judiciaires.

4. Mme S..., qui était salariée de la société Keyria depuis le 19 mai 2008, a été licenciée pour motif économique le 30 avril 2010 et a saisi la juridiction prud'homale afin de voir constater que le motif économique invoqué résultait d'une faute et à tout le moins d'une légèreté blâmable de son employeur et a demandé la condamnation de la société Keyria à des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen, pris en ses troisième et sixième branches

Enoncé du moyen

6. La société fait grief à l'arrêt de dire sans cause réelle et sérieuse le licenciement de la salariée et de la condamner à lui payer une somme à titre de dommages-intérêts à ce titre, ainsi qu'au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors :

« 3°/ que, à supposer qu'une faute simple suffise à justifier d'interdire à l'employeur de se prévaloir de ses difficultés économiques pour licencier, la faute de gestion de l'employeur doit, à tout le moins, être appréciée en confrontant le choix de gestion discuté pris dans toutes ses dimensions aux actes qui auraient été ceux d'un acteur raisonnable placé dans le même contexte ; qu'au cas présent, la société Keyria attirait l'attention de la cour d'appel, dans ses conclusions, d'un côté, sur la circonstance qu'elle s'était montrée particulièrement réactive lorsqu'est survenu, à la fin de l'année 2008, le brusque retournement de cycle lié à la crise déclenchée le 15 septembre 2008 avec la faillite de Lehman Brothers, en faisant redescendre dans ses filiales les dividendes dont la remontée était discutée, en sollicitant du président du tribunal de commerce la désignation d'un mandataire ad hoc, lequel a conçu deux plans successifs de rétablissement, en se plaçant sous l'égide du CIRI, en faisant verser 12,5 millions d'euros par la société faîtière du groupe Legris Industries, en favorisant les plans de reprise dans le cadre des procédures de redressement judiciaire ouvertes pour toutes les entités françaises du groupe à l'exception de Keyria (placée sous sauvegarde), d'un autre côté, sur la circonstance que n'aurait pas agi différemment une autre société placée dans la même situation, avec des responsabilités de holding animatrice d'un sous-groupe venant d'être acquis pour moitié par apport de fonds propres de la faîtière, pour moitié par endettement, ayant ses propres obligations et ses causes propres, par rapport à ses filiales, de défaillance ; qu'en s'autorisant à juger les choix de gestion de la société Keyria (la supposée ''remontée de dividendes'') sans jamais intégrer à son analyse les éléments de contexte, ni confronter ce choix au référentiel pertinent (le ''bon gestionnaire'' placé dans la même situation), la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable en la cause ;

6°/ qu'il en va d'autant plus ainsi que la cause de paralysie du licenciement pour motif économique liée à la circonstance que l'employeur aurait fait preuve d'une légèreté blâmable implique d'apprécier, par exception, les choix de gestion de l'employeur, au plus près de la réalité, ce qui nécessite une attention toute particulière aux faits de la cause ainsi qu'aux explications dudit employeur ; qu'en ne procédant qu'à une analyse superficielle de la situation de l'espèce, par copier coller de précédentes décisions de justice, sans chiffrer la ''remontée'' litigieuse ni vérifier si l'argent ''remonté'' n'était pas, en réalité, ''redescendu'', la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa version applicable en la cause ;

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1233-3 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

7. Si la faute de l'employeur à l'origine des difficultés économiques de l'entreprise est de nature à priver de cause réelle et sérieuse les licenciements consécutifs à ces difficultés, l'erreur éventuellement commise dans l'appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion ne caractérise pas à elle seule une telle faute.

8. Pour condamner la société Keyria à verser à la salariée une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt relève que, par courriel du 14 avril 2008, le directeur financier de la société Keyria a demandé aux entités de la division Keyria d'inclure dans les résolutions à venir de leurs assemblées et conseils d'administration, des propositions de distribution de dividendes de plusieurs millions d'euros afin de procéder au remboursement des crédits vendeurs et dettes senior de Keyria et, que, si les différents rapports des administrateurs, mandataires et liquidateurs judiciaires versés au dossier expliquent les difficultés des sociétés de la division Keyria par la crise de 2008, force est de constater que les remontées de dividendes des filiales vers la société mère ont fortement diminué les fonds propres de ces sociétés, réduit considérablement leur capacité d'autofinancement et fragilisé ces entreprises exerçant dans un domaine dont l'activité par nature est soumise à des cycles. Il en conclut que ces remontées importantes de dividendes opérées par l'actionnaire ont ainsi provoqué les difficultés financières des filiales et par voie de conséquence celles de la société Keyria dont l'activité était exclusivement orientée vers les filiales et qu'ainsi les difficultés économiques invoquées à l'appui du licenciement résultaient d'agissements fautifs de l'employeur allant au-delà des seules erreurs de gestion.

9. En se déterminant ainsi, sans rechercher le caractère disproportionné et anormal des remontées de dividendes effectuée par l'employeur au regard de la situation économique et financière des filiales et partant la faute à l'origine des difficultés économiques, la cour d'appel a privé de base légale sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne Mme S... et les sociétés Legris industrie Se et Legris Industries FE aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme S... ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mars deux mille vingt et un.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils, pour la société Keyria.

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement entrepris et, statuant à nouveau, d'avoir dit que le licenciement de Madame S... est sans cause réelle et sérieuse, puis d'avoir, en conséquence, condamné la société Keyria à payer à Madame S... les sommes de 20.000€ à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que de 2.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Aux motifs que « par courrier du 14 avril 2008, Monsieur A..., directeur financier de la société Keyria, a demandé aux entités de la division Keyria d'inclure dans les résolutions à venir de leurs assemblées et conseils d'administration, les propositions de distribution de dividendes suivantes :
« Céric SA : 3.142K€, - Céric Auto : 3.020K€, - Fimec : 8.965K€, - Adler : 1.610K€, Pèlerin : 1.700K€, - Tecauma : 2.459K€, - Hallumeca : 800K€, - Keller : 7.656K€, - Novoceric : 1.150K€, - Céric Australie : 2.145K€, - Equipceramic : 5.741K€ (
) Dans un deuxième temps, il sera procédé (
) au paiement d'acompte sur dividendes en juillet 2008, a priori : - Céric : 26.481K€, - Keyria GmbH : 7.200K€ » ; qu'il était précisé : « Les distributions sont destinées à « alimenter » Keyria afin de procéder au remboursement des crédits vendeurs et dettes senior de Keyria » ; que les filiales françaises dont la situation financière permettait de faire face à une prochaine crise cyclique, ont toutes, en un peu plus de deux ans, déposé une déclaration de cessation des paiements ; que si les différents rapports des administrateurs, mandataires et liquidateurs judiciaires versés aux dossiers expliquent les difficultés des sociétés de la division Keyria par la crise de 2008, force est de constater que les remontées de dividendes des filiales vers la société mère ont fortement diminué les fonds propres de ces sociétés, réduit considérablement leur capacité d'autofinancement et fragilisé ces entreprises exerçant dans un domaine dont l'activité par nature est soumise à des cycles ainsi que ces rapports l'indiquent ; que ces remontées importantes de dividendes opérées par l'actionnaire ont ainsi provoqué leurs difficultés financières et par voie de conséquence celles de la société Keyria dont l'activité était exclusivement orientée vers les filiales ; qu'il s'ensuit que les difficultés économiques invoquées à l'appui du licenciement résultaient d'agissements fautifs de l'employeur allant au-delà des seules erreurs de gestion ; que le licenciement est donc sans cause réelle et sérieuse » (arrêt p. 4 et 5) ;

1° Alors que, en l'état actuel du droit, le juge du licenciement économique collectif opéré hors procédure collective est amené à apprécier au cas par cas la circonstance que, éventuellement, les difficultés économiques causes du licenciement du salarié considéré sont elles-mêmes liées à une faute de gestion de l'employeur, paralysant le droit, pour ledit employeur, d'invoquer lesdites difficultés économiques ; que le juge du licenciement économique appelé à statuer sur cette question ne peut se borner à reprendre la motivation d'un précédent arrêt d'appel, concernant un autre salarié de la même société licencié dans le cadre de la même procédure de licenciement collectif, cet arrêt aurait-il donné lieu à un arrêt de rejet de la part de la Cour de cassation ; qu'au cas présent, pour retenir l'existence d'une faute de la société Keyria à l'origine des difficultés économiques visées pour justifier le licenciement économique de Madame S..., la cour d'appel a énoncé une motivation qui ne constitue que la copie d'un précédent arrêt de cour d'appel, concernant un autre salarié, mâtiné de phrases empruntées à l'arrêt de rejet rendu par la Cour de cassation, en réponse au pourvoi qui avait été formé contre l'arrêt ainsi recopié ; qu'en statuant ainsi, sans énoncer de motivation propre, la cour d'appel a méconnu son office, en violation de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable en la cause ;

2° Alors que le juge est tenu, en toutes circonstances, de motiver sa décision ; qu'il ne peut se borner, en réponse à une argumentation spécifique, à recopier des décisions de justice antérieures, seraient-elles rendues dans un litige connexe ; qu'au cas présent, la société Keyria avait appelé l'attention de la cour d'appel sur la circonstance qu'il lui était demandé de porter une appréciation propre sur les données de l'espèce, et de répondre à des moyens d'appel qui étaient nés de la lecture du précédent arrêt de cour d'appel défavorable à Keyria, ayant donné lieu au rejet du pourvoi de Keyria (conclusions p. 2, 8, 15 et 18) ; qu'en se bornant à recopier les deux précédentes décisions dont Keyria rappelait précisément qu'elles n'étaient dotées d'aucune autorité de chose jugée à l'égard du litige l'opposant à Madame S..., la cour d'appel, qui n'a répondu à aucun des moyens de l'exposante, a violé les articles 455 du code de procédure civile, ensemble l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3° Alors qu'il en va d'autant plus ainsi que si la Cour de cassation est invitée à exercer un contrôle poussé de la faute de l'employeur de nature à paralyser le droit, pour lui, d'invoquer des difficultés économiques justifiant un licenciement collectif, il est constant que, dans l'arrêt de la Chambre sociale à laquelle emprunte l'arrêt attaqué, la Haute juridiction n'avait exercé qu'un contrôle léger, abandonnant au pouvoir souverain des juges du fond de larges pans du travail d'appréciation de l'existence d'une faute de gestion ; de sorte qu'au cas présent, la société Keyria avait insisté sur la circonstance que la cour d'appel devait procéder à une appréciation propre, sans voir dans l'arrêt de la Chambre sociale une quelconque « validation »
du raisonnement et des appréciations portées dans le précédent contentieux (v. conclusions p. 15 à 18 et 22 à 26) ; qu'en se bornant, dans ce contexte précisément décrit, à reprendre la motivation du précédent arrêt, combinée avec une phrase de l'arrêt de rejet par lequel la Cour de cassation exprimait justement qu'elle n'avait procédé qu'à un contrôle distancié des données de la cause, la cour d'appel a commis un excès de pouvoir négatif, en violation des articles 455 du code de procédure civile, ensemble l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4° Alors qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel, qui a conféré une autorité de chose jugée à un précédent arrêt de la cour d'appel de Paris, erronément considéré comme « validé » par un arrêt de la Cour de cassation, pourtant rendu dans un autre litige, a violé, par fausse application, l'article 1351 du code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement entrepris et, statuant à nouveau, d'avoir dit que le licenciement de Madame S... est sans cause réelle et sérieuse, puis d'avoir, en conséquence, condamné la société Keyria à payer à Madame S... les sommes de 20.000€ à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que de 2.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Aux motifs que « par courrier du 14 avril 2008, Monsieur A..., directeur financier de la société Keyria, a demandé aux entités de la division Keyria d'inclure dans les résolutions à venir de leurs assemblées et conseils d'administration, les propositions de distribution de dividendes suivantes :
« Céric SA : 3.142K€, - Céric Auto : 3.020K€, - Fimec : 8.965K€, - Adler : 1.610K€, Pèlerin : 1.700K€, - Tecauma : 2.459K€, - Hallumeca : 800K€, - Keller : 7.656K€, - Novoceric : 1.150K€, - Céric Australie : 2.145K€, - Equipceramic : 5.741K€ (
) Dans un deuxième temps, il sera procédé (
) au paiement d'acompte sur dividendes en juillet 2008, a priori : - Céric : 26.481K€, - Keyria GmbH : 7.200K€ » ; qu'il était précisé : « Les distributions sont destinées à « alimenter » Keyria afin de procéder au remboursement des crédits vendeurs et dettes senior de Keyria » ; que les filiales françaises dont la situation financière permettait de faire face à une prochaine crise cyclique, ont toutes, en un peu plus de deux ans, déposé une déclaration de cessation des paiements ; que si les différents rapports des administrateurs, mandataires et liquidateurs judiciaires versés aux dossiers expliquent les difficultés des sociétés de la division Keyria par la crise de 2008, force est de constater que les remontées de dividendes des filiales vers la société mère ont fortement diminué les fonds propres de ces sociétés, réduit considérablement leur capacité d'autofinancement et fragilisé ces entreprises exerçant dans un domaine dont l'activité par nature est soumise à des cycles ainsi que ces rapports l'indiquent ; que ces remontées importantes de dividendes opérées par l'actionnaire ont ainsi provoqué leurs difficultés financières et par voie de conséquence celle de la société Keyria dont l'activité était exclusivement orientée vers les filiales ; qu'il s'ensuit que les difficultés économiques invoquées à l'appui du licenciement résultaient d'agissements fautifs de l'employeur allant au-delà des seules erreurs de gestion ; que le licenciement est donc sans cause réelle et sérieuse » (arrêt p. 4 et 5) ;

1° Alors que, lorsque les difficultés économiques de l'entreprise employeur ne sont pas contestées, celle-ci doit pouvoir procéder efficacement, donc sans disqualification en licenciement sans cause réelle et sérieuse, à un licenciement collectif pour ce motif ; qu'il n'en va différemment qu'en cas de fraude ; qu'au cas présent, la cour d'appel a remis en cause le caractère réel et sérieux du licenciement collectif ayant concerné Madame S... au motif que les difficultés économiques de la société Keyria, difficultés non contestées, auraient été provoquées par une faute de gestion de l'employeur ; qu'en jugeant ainsi dépourvu de cause réelle et sérieuse un licenciement fondé sur des difficultés économiques avérées, sans caractériser de fraude de l'employeur au droit du licenciement collectif, la cour d'appel, qui a privé d'efficacité un licenciement prévu par la loi, a violé l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable en la cause, ensemble le principe de l'employeur seul juge, le tout lu à la lumière de la directive n° 98/59/CE du Conseil du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux licenciements collectifs ;

2° Alors subsidiairement que, à supposer que le licenciement pour motif économique puisse être disqualifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse y compris en l'absence de fraude, il convient, à tout le moins, de limiter ce mécanisme de paralysie du licenciement collectif au cas de la faute de gestion caractérisée, la faute simple, sans établissement du moindre élément intentionnel à la charge de l'employeur, ne suffisant pas ; qu'au cas présent, la cour d'appel a retenu que « les difficultés économiques invoquées à l'appui du licenciement résultaient d'agissements fautifs de l'employeur allant au-delà des seules erreurs de gestion » (arrêt p. 5, al. 6), sans jamais caractériser d'élément intentionnel imputable à l'employeur, donc de faute qualifiée ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel, qui n'a établi qu'une faute simple, a violé l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable en la cause, ensemble le principe de l'employeur seul juge ;

3° Alors plus subsidiairement que, à supposer qu'une faute simple suffise à justifier d'interdire à l'employeur de se prévaloir de ses difficultés économiques pour licencier, la faute de gestion de l'employeur doit, à tout le moins, être appréciée en confrontant le choix de gestion discuté pris dans toutes ses dimensions aux actes qui auraient été ceux d'un acteur raisonnable placé dans le même contexte ; qu'au cas présent, la société Keyria attirait l'attention de la cour d'appel, dans ses conclusions, d'un côté (p. 12 et suiv.), sur la circonstance qu'elle s'était montrée particulièrement réactive lorsqu'est survenu, à la fin de l'année 2008, le brusque retournement de cycle lié à la crise déclenchée le 15 septembre 2008 avec la faillite de Lehman Brothers, en faisant redescendre dans ses filiales les dividendes dont la remontée était discutée, en sollicitant du président du tribunal de commerce la désignation d'un mandataire ad hoc, lequel a conçu deux plans successifs de rétablissement, en se plaçant sous l'égide du CIRI, en faisant verser 12,5 millions d'euros par la société faîtière du groupe Legris Industries, en favorisant les plans de reprise dans le cadre des procédures de redressement judiciaire ouvertes pour toutes les entités françaises du groupe à l'exception de Keyria (placée sous sauvegarde), d'un autre côté (p. 16 et suiv.), sur la circonstance que n'aurait pas agi différemment une autre société placée dans la même situation, avec des responsabilités de holding animatrice d'un sous groupe venant d'être acquis pour moitié par apport de fonds propres de la faîtière, pour moitié par endettement, ayant ses propres obligations et ses causes propres, par rapport à ses filiales, de défaillance ; qu'en s'autorisant à juger les choix de gestion de la société Keyria (la supposée « remontée de dividendes ») sans jamais intégrer à son analyse les éléments de contexte, ni confronter ce choix au référentiel pertinent (le « bon gestionnaire » placé dans la même situation), la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable en la cause ;

4° Alors de la même façon que lorsque le juge apprécie l'existence d'une faute de gestion de nature à interdire à l'employeur considéré comme responsable de ses propres difficultés de procéder à un licenciement pour motif économique, il doit, au regard du caractère exceptionnel de la démarche le conduisant à apprécier des choix de gestion, s'attacher à retracer nettement le comportement argué de faute ; qu'au cas présent, la cour d'appel a jugé, pour le qualifier de fautif, le choix de gestion imputé à la société Keyria ayant consisté à opérer des « remontées de dividendes des filiales vers la société mère » sans jamais chiffrer lesdites remontées, en laissant entendre que les remontées réalisées auraient correspondu aux remontées uniquement évoquées à titre de simple projet dans le courriel du 14 avril 2008, cependant que la société Keyria soulignait dans ses conclusions (p. 20-21, p. 25-26) que les dividendes effectivement payés avaient été de montants bien inférieurs aux prévisions et que ces montants bien moindres, s'ils n'avaient pas été « remontés », n'auraient rien changé à la situation économique des filiales ; qu'en qualifiant de fautive la décision de procéder à des remontées non chiffrées précisément, la cour d'appel, qui ne s'est pas mis en mesure de procéder au jugement de gestion auquel elle prétendait, a violé l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa version applicable en la cause;

5° Alors que, dans ses conclusions d'appel, la société Keyria soulignait, dans le même esprit, que les dividendes prétendument « remontés », quels qu'en soient les montants, n'avaient de toute façon pas été reversés à la société faîtière du groupe Legris Industries mais, étant restés en centrale de trésorerie, avaient servi, quand les difficultés sont survenues, à aider les filiales à faire face à leurs engagements (conclusions p. 21) ; qu'en ne répondant pas à cette articulation essentielle de l'argumentation de l'exposante, dès lors qu'il s'agissait de qualifier de fautif, ou non, le choix de gestion ayant consisté, prétendument, à « remonter » des dividendes en réalité demeurés à la disposition des filiales, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa version applicable en la cause ;

6° Alors qu'il en va d'autant plus ainsi que la cause de paralysie du licenciement pour motif économique liée à la circonstance que l'employeur aurait fait preuve d'une légèreté blâmable implique d'apprécier, par exception, les choix de gestion de l'employeur, au plus près de la réalité, ce qui nécessite une attention toute particulière aux faits de la cause ainsi qu'aux explications dudit employeur ; qu'en ne procédant qu'à une analyse superficielle de la situation de l'espèce, par copier-coller de précédentes décisions de justice, sans chiffrer la « remontée » litigieuse ni vérifier si l'argent « remonté » n'était pas, en réalité, « redescendu », la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa version applicable en la cause ;

7° Alors que ne commet pas, à l'occasion d'un acte de gestion donné, de faute de gestion de nature à lui interdire d'invoquer les difficultés économiques en résultant l'employeur qui réalise une opération autorisée par le droit spécial des sociétés afférent à l'acte de gestion en cause, conforme à l'intérêt social et dépourvue de caractère excessif au regard de la norme ; qu'au cas présent, la société Keyria soulignait dans ses conclusions d'appel (p. 25-26) que la « remontée de dividendes » lui ayant été imputée à faute était parfaitement régulière au regard du droit pertinent, qu'elle avait été validée par le commissaire aux comptes, qu'elle ne tombait pas sous le coup de l'infraction pénale de versement de dividendes fictifs, qu'elle n'avait d'ailleurs été poursuivie à aucun titre, et qu'elle était, dans les chiffres, inférieure de plus de moitié à ce qui était permis ; qu'en retenant que cette « remontée de dividendes » aurait constitué une faute de nature à interdire à la société Keyria de se prévaloir des difficultés économiques en étant, prétendument, résulté, et non une simple « erreur de gestion », la cour d'appel, qui n'a eu aucun égard pour la circonstance qu'il ne s'agissait même pas là d'un manquement au droit spécial des sociétés, donc pas même d'une « faute de gestion », a violé l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa version applicable en la cause, l'article L. 232-12 du code de commerce, ensemble le principe selon lequel le droit spécial déroge au droit général ;

8° Alors par ailleurs que la faute de l'employeur ne lui interdit de se prévaloir de ses difficultés économiques pour procéder à un licenciement collectif que si ladite faute explique, en soi et directement, lesdites difficultés ; qu'au cas présent, la cour d'appel a utilisé un élément (la « remontée de dividendes ») envisagé, un temps, par certains des organes des procédures collective à titre de « faute de gestion », au sens de l'action en comblement de l'insuffisance d'actif (art. L. 651-2 du code de commerce), action qui fonctionne suivant la théorie de l'équivalence des conditions et non de la causalité adéquate ; que la cour d'appel n'a pas établi que cette supposée « remontée », à la supposer avérée, serait, en soi, la cause immédiate des procédures collectives des filiales et des difficultés économiques de Keyria ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas établi le lien de causalité requis, a violé l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa version applicable en la cause, ensemble l'article 1382 ancien, devenu 1240 nouveau, du code civil ;

9° Alors, subsidiairement par rapport à la branche précédente, que, à supposer qu'une faute de gestion ayant simplement « contribué », avec d'autres, aux difficultés de l'entreprise, suffise à interdire à l'employeur de se prévaloir desdites difficultés économiques, le mécanisme en cause ne relèverait plus de la responsabilité civile mais revêtirait le caractère d'un mécanisme de sanction dont le déclenchement est fonction du comportement de la personne suspectée, indépendamment de ses conséquences préjudiciables exactes ; qu'en mettant en oeuvre pareil mécanisme, sans d'ailleurs caractériser de façon circonstanciée le comportement sanctionné, la cour d'appel, qui a fait abstraction de la circonstance que seul un schéma de responsabilité pouvait expliquer de faire pièce à l'efficacité d'une modalité de licenciement prévue par la loi, a violé l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa version applicable en la cause, lu à la lumière de la directive n° 98/59/CE du 20 juillet 1998 ;

10° Alors enfin que l'exigence d'accès au juge requiert que celui-ci ne réduise pas arbitrairement un dossier volumineux à une seule pièce, pourtant un simple projet, jugée de façon univoque être défavorable à la partie à laquelle ledit juge donne tort ; qu'au cas présent, il est constant que le dossier soumis à la cour d'appel contenait de nombreuses pièces, documents, rapports, certificats émanant de commissaires aux comptes ou d'experts-comptables ; qu'en réduisant le litige à un email du 14 avril 2008 énonçant un simple projet de versement de dividendes potentiel, au demeurant non mis en oeuvre, la cour d'appel, qui a méconnu l'ampleur du litige et des éléments soumis à son examen, n'a pas entendu les parties, et singulièrement la société Keyria, en violation des articles 455 du code de procédure civile et 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19-10237
Date de la décision : 17/03/2021
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 07 novembre 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 17 mar. 2021, pourvoi n°19-10237


Composition du Tribunal
Président : M. Cathala (président)
Avocat(s) : Me Haas, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2021:19.10237
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award