LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 4 mars 2021
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 182 F-D
Pourvoi n° X 18-21.344
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 4 MARS 2021
La société Le Pré du Berger, société civile immobilière, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° X 18-21.344 contre l'arrêt rendu le 29 mai 2018 par la cour d'appel de Chambéry (chambre civile, 1re section), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société P3C, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , prise en la personne de son administrateur provisoire M. W... E..., domicilié [...] ,
2°/ à la société L'Auxiliaire, dont le siège est [...] ,
3°/ à la société Areas dommages, dont le siège est [...] ,
4°/ à la société compagnie d'assurance MMA IARD, dont le siège est [...] ,
5°/ à la société Ossabois, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,
6°/ à la société SMABTP, dont le siège est [...] ,
7°/ à M. Y... S... , domicilié [...] ,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Georget, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société Le Pré du Berger, de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de la société Areas dommages, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société compagnie d'assurance MMA IARD, de la SCP Didier et Pinet, avocat de la société Ossabois, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société P3C, de M. E..., ès qualité et de la société L'Auxiliaire, après débats en l'audience publique du 12 janvier 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Georget, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 29 mai 2018), la société civile immobilière le Pré du Berger (la SCI) a entrepris la construction d'une résidence de tourisme en vue de sa vente en l'état futur d'achèvement.
2. Le gel dans les canalisations a privé les chalets d'alimentation en eau potable.
3. Après expertise, la SCI a assigné, sur le fondement de l'article 1792 du code civil, la société Ossabois, chargée des lots charpente, couverture, ossature bois, menuiseries extérieures, vitrerie et menuiseries intérieures, en indemnisation. Cette société a assigné en garantie son assureur, la SMABTP, ainsi que tous les autres intervenants et leurs assureurs.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La SCI fait grief à l'arrêt de déclarer ses demandes irrecevables, alors :
« 1°/ que si, en principe, l'action en garantie décennale se transmet aux acquéreurs avec la propriété de l'immeuble, le maître de l'ouvrage ne perd pas la faculté de l'exercer dès lors qu'elle présente pour lui un intérêt direct et certain ; que tel est notamment le cas lorsque la responsabilité du maître de l'ouvrage est recherchée au titre des désordres relevant de l'action en garantie décennale ; qu'en énonçant que le maître de l'ouvrage n'établissait pas l'intérêt qu'il avait à agir à l'encontre des constructeurs, cependant que ce dernier démontrait avoir été mis en demeure par l'exploitant de la résidence de remédier aux désordres, la cour d'appel a violé l'article 1792 du code civil, ensemble l'article 31 du code de procédure civile ;
2°/ que si, en principe, l'action en garantie décennale se transmet aux acquéreurs avec la propriété de l'immeuble, le maître de l'ouvrage ne perd pas la faculté de l'exercer dès lors qu'elle présente pour lui un intérêt direct et certain et qu'il peut donc invoquer un préjudice personnel ; que tel est le cas lorsque le maître de l'ouvrage a avancé des fonds pour déterminer précisément l'origine des désordres relevant de la garantie décennale ; qu'en affirmant qu'il n'est pas établi par le maître de l'ouvrage qu'il aurait subi personnellement un préjudice quelconque du fait des désordres, à l'exception des frais de procédure qu'il a lui-même engagés, sans rechercher, comme elle y était pourtant expressément invitée par le maître de l'ouvrage dans ses conclusions d'appel, si ce dernier n'avait pas avancé les frais des sondages effectués durant les opérations d'expertise à hauteur de 6 435 euros, dépense qui n'était, au demeurant, contestée par aucune des parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. D'une part, la cour d'appel a retenu que, si la SCI, qui ne contestait pas ne plus être propriétaire de l'ouvrage, avait été sollicitée par l'exploitant de la résidence pour remédier aux désordres, celle-ci ne justifiait cependant d'aucun engagement pris à l'égard du syndicat des copropriétaires ou des copropriétaires concernés de réaliser les travaux nécessaires, ni d'avoir payé aucune somme au titre des désordres subis, ni d'avoir engagé elle-même des travaux pour y remédier.
6. Elle a relevé qu'aucun mandat n'avait été donné par les actuels propriétaires de l'ouvrage ou par le syndicat des copropriétaires pour agir en justice en leur nom et que la SCI ne prétendait pas avoir été poursuivie par le syndicat des copropriétaires, les copropriétaires ou l'exploitant de la résidence du fait de ces désordres.
7. Elle en a exactement déduit que les demandes de la SCI contre les constructeurs et leurs assureurs étaient irrecevables.
8. D'autre part, en retenant qu'il n'était pas établi par la SCI qu'elle aurait subi personnellement un préjudice quelconque du fait des désordres, à l'exception des frais de procédure qu'elle avait elle-même engagés, la cour d'appel a procédé à la recherche prétendument omise.
9. La cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la SCI Pré du Berger aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre mars deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat aux Conseils, pour la société Le Pré du Berger
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Chambéry le 14 avril 2016 en toutes ses dispositions et d'avoir déclaré la Sci Le Pré du Berger irrecevable en ses demandes.
AUX MOTIFS QUE « en application de l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
L'article 32 du même code dispose qu'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.
En application de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
En l'espèce, l'ensemble des locateurs d'ouvrage et des assureurs recherchés par la Sci Le Pré du Berger soulèvent, comme ils l'avaient fait en première instance, l'irrecevabilité de l'action intentée par la Sci Le Pré du Berger au motif que celle-ci, qui a vendu l'intégralité des chalets construits, l'ensemble étant désormais soumis au régime de la copropriété, ne justifie ni de sa qualité ni de son intérêt pour agir en l'absence de syndicat des copropriétaires pour les désordres affectant les parties communes, des copropriétaires concernés par les désordres dans les parties privatives, et de l'exploitant de la résidence pour le préjudice commercial.
Si l'action en garantie décennale, fondée sur les dispositions de l'article 1792 du code civil, se transmet en principe avec la propriété de l'immeuble aux acquéreurs, le maître de l'ouvrage ne perd pas la faculté de l'exercer quand elle présente pour lui un intérêt direct et certain.
Il appartient donc au maître de l'ouvrage qui a cédé la propriété de celui-ci et qui entend néanmoins engager la responsabilité des constructeurs sur le fondement des garanties légales, de rapporter la preuve de l'intérêt pour lui de cette action.
La Sci Le Pré du Berger ne conteste pas ne plus être propriétaire de l'ouvrage achevé en 2008, l'ensemble immobilier étant d'ailleurs constitué en syndicat des copropriétaires.
Or, force est de constater que s'il est exact que la Sci Le Pré du Berger a été sollicitée par l'exploitant de la résidence pour remédier aux désordres affectant la distribution d'eau potable des chalets, elle ne justifie cependant d'aucun engagement qu'elle aurait pris à l'égard du syndicat des copropriétaires ou des copropriétaires concernés de réaliser les travaux nécessaires, ni d'avoir payé aucune somme aux propriétaires ou à l'exploitant au titre des désordres subis, ni d'avoir engagé elle-même des travaux pour y remédier.
En effet, la lecture des courriers produits aux débats (pièces n° 11 à 13 et n° 17 de la Sci Le Pré du Berger) échangés entre la Sci Le Pré du Berger, l'exploitant de la résidence et certains constructeurs révèle que le maître de l'ouvrage a certes entrepris des démarches auprès des constructeurs, ne serait-ce d'ailleurs que par l'engagement de la procédure de référé-expertise, mais ne s'est jamais engagé à l'égard des acquéreurs ou du syndicat des copropriétaires à prendre en charge la procédure au fond, ni le coût des travaux. Il n'est justifié d'aucun mandat donné par les actuels propriétaires de l'ouvrage ou du syndicat des copropriétaires pour agir en justice en leur nom.
Il n'est pas non plus établi par la Sci Le Pré du Berger qu'elle aurait subi personnellement un préjudice quelconque du fait des désordres, à l'exception des frais de procédure qu'elle a elle-même engagés. En effet, elle ne prétend pas avoir été poursuivie par le syndicat des copropriétaires, les propriétaires ou l'exploitant de la résidence du fait des désordres, ni leur avoir versé la moindre somme en dédommagement des désordres.
En conséquence, faute pour la Sci Le Pré du Berger d'établir l'intérêt qu'elle a à agir à l'encontre des constructeurs, son action ne peut qu'être déclarée irrecevable et le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions » ;
ALORS, D'UNE PART, QUE si, en principe, l'action en garantie décennale se transmet aux acquéreurs avec la propriété de l'immeuble, le maître de l'ouvrage ne perd pas la faculté de l'exercer dès lors qu'elle présente pour lui un intérêt direct et certain ; que tel est notamment le cas lorsque la responsabilité du maître de l'ouvrage est recherchée au titre des désordres relevant de l'action en garantie décennale ; qu'en énonçant que le maître de l'ouvrage n'établissait pas l'intérêt qu'il avait à agir à l'encontre des constructeurs, cependant que ce dernier démontrait avoir été mis en demeure par l'exploitant de la résidence de remédier aux désordres, la cour d'appel a violé l'article 1792 du code civil, ensemble l'article 31 du code de procédure civile ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE si, en principe, l'action en garantie décennale se transmet aux acquéreurs avec la propriété de l'immeuble, le maître de l'ouvrage ne perd pas la faculté de l'exercer dès lors qu'elle présente pour lui un intérêt direct et certain et qu'il peut donc invoquer un préjudice personnel ; que tel est le cas lorsque le maître de l'ouvrage a avancé des fonds pour déterminer précisément l'origine des désordres relevant de la garantie décennale ; qu'en affirmant qu'il n'est pas établi par le maître de l'ouvrage qu'il aurait subi personnellement un préjudice quelconque du fait des désordres, à l'exception des frais de procédure qu'il a lui-même engagés, sans rechercher, comme elle y était pourtant expressément invitée par le maître de l'ouvrage dans ses conclusions d'appel (p. 13, deux derniers paragraphes), si ce dernier n'avait pas avancé les frais des sondages effectués durant les opérations d'expertise à hauteur de 6.435 euros, dépense qui n'était, au demeurant, contestée par aucune des parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du code civil.