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10/02/2021 | FRANCE | N°18-24348

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 10 février 2021, 18-24348


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

DB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 10 février 2021

Rejet

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 139 F-D

Pourvoi n° N 18-24.348

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 10 FÉVRIER 2021

1°/ M. U... V...,

2°/ Mme Y... V...,


domiciliés tous deux [...],

ont formé le pourvoi n° N 18-24.348 contre l'arrêt rendu le 10 septembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, 10e chamb...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

DB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 10 février 2021

Rejet

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 139 F-D

Pourvoi n° N 18-24.348

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 10 FÉVRIER 2021

1°/ M. U... V...,

2°/ Mme Y... V...,

domiciliés tous deux [...],

ont formé le pourvoi n° N 18-24.348 contre l'arrêt rendu le 10 septembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, 10e chambre), dans le litige les opposant au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, domicilié [...] , défendeur à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme de Cabarrus, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de M. et Mme V..., de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, et l'avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 décembre 2020 où étaient présentes Mme Mouillard, président, Mme de Cabarrus, conseiller référendaire rapporteur, Mme Darbois, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 septembre 2018), M. et Mme V... se sont acquittés, au titre de l'année 2012, de la contribution exceptionnelle sur la fortune (CEF) instituée par l'article 4 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012. Contestant la conformité de cette contribution aux dispositions de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en raison de son caractère rétroactif et de l'absence de tout dispositif de plafonnement, ils en ont demandé le remboursement. Après rejet de leur réclamation, ils ont assigné l'administration fiscale pour demander l'annulation de cette décision et la restitution de l'impôt acquitté.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

2. M. et Mme V... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors « que la non-contrariété de la loi instituant l'impôt aux principes constitutionnels est sans portée au regard de la Convention européenne des droits de l'homme et du citoyen ; que la Cour européenne des droits de l'homme qui retient une approche concrète de la conventionnalité d'une disposition législative, décide qu'ont le caractère de "biens" au sens de l'article 1P1 les seules créances « en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une "espérance légitime" d'obtenir la jouissance effective d'un droit de propriété », c'est-à-dire lorsque l'intérêt patrimonial dispose d'une base suffisante en droit interne ; que l'article 1er de la première loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011 qui a modifié le tarif de l'ISF à compter de la date à laquelle il est dû au titre de l'année 2012 constitue une base suffisante en droit interne pour le contribuable assujetti à cette imposition pour disposer d'une espérance légitime de ne pas supporter une seconde taxation sur son patrimoine ; que la CEF, instituée par l'article 4 de la deuxième loi de finances rectificative pour 2012 pour annuler les effets de l'allégement de l'ISF décidé en 2011, est une extension de l'ISF existant, correspondant au différentiel entre l'ISF calculé avec le nouveau barème et l'ISF 2012 calculé avec l'ancien barème à six tranches en vigueur jusqu'en 2011 ; qu'il est constant que le fait générateur de l'imposition comprend un élément substantiel constitué par le patrimoine du contribuable existant au 1er janvier 2012, et un élément temporel, qui est la date d'entrée en vigueur de l'article 4 de la deuxième loi de finances rectificative pour 2012 ; que si l'application immédiate des règles d'assiette fixées par une loi entrant en vigueur juste avant la fin de la période d'imposition ne peut passer pour rétroactive, faute que l'élément temporel du fait générateur soit intervenu, il n'en demeure pas moins que les opérations constitutives de l'élément substantiel de ce même fait générateur ont été, quant à elles, réalisées avant cette entrée en vigueur de sorte que la rétroactivité de fait est caractérisée ; que l'atteinte à une espérance légitime des contribuables de ne pas supporter à deux reprises au titre de la même année une imposition sur le patrimoine n'est pas justifiée par le redressement des finances publiques, la Cour européenne des droits de l'homme jugeant avec constance que la préservation des intérêts financiers de l'Etat ne constitue pas, par elle-même, un objectif d'intérêt général ; qu'en se bornant à reproduire les motifs de la décision n° 2012-654 DC rendue par le Conseil constitutionnel le 9 août 2012 pour dénier tout caractère rétroactif à l'imposition litigieuse, la cour d'appel a violé l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

3. L'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'interdit pas, en tant que telle, l'application rétroactive d'une loi fiscale.

4. La loi n° 2012-958 du 16 août 2012, qui instaure la CEF, est intervenue au cours de l'exercice au titre duquel cet impôt est dû. Si une telle mesure est, au sens de la Convention, rétroactive en ce que la CEF due au titre de l'année 2012 est établie en fonction de la valeur des biens et droits détenus au 1er janvier 2012, ce qui s'analyse, en droit interne, comme une mesure rétrospective dès lors que le fait générateur de l'imposition est la situation du contribuable à la date de l'entrée en vigueur de la loi de finances rectificative, elle ne présente toutefois aucun caractère exceptionnel du point de vue du droit fiscal.

5. En outre, l'acquittement de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) dû au titre de l'année 2012, par des contribuables auxquels l'allégement, issu de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011, de cet impôt, a été accordé sans contrepartie, n'a pu faire naître aucune attente légitime quant au fait qu'aucun supplément d'imposition sur le patrimoine ne serait décidé par le législateur pour cette même année.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

Et sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

7. M. et Mme V... font le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que le droit de propriété, garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après 1P1) inclut le libre usage des biens, la Cour européenne des droits de l'homme qui a précisé que toute réglementation de l'usage des biens doit obéir à un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, interdit que le contribuable supporte "une charge spéciale et exorbitante" et prohibe les "ruptures en l'espèce du juste équilibre devant régner entre la sauvegarde du droit de propriété et les exigences de l'intérêt général", et juge contraire à l'article 1P1 toutes les obligations financières résultant de la levée d'impôt et de cotisations qui font peser un fardeau excessif sur la personne concernée ou portent atteinte substantiellement à sa situation financière ; qu'il en est ainsi lorsque l'imposition incriminée aboutit à une véritable confiscation en ce qu'elle contraint le contribuable à céder une partie de son capital pour acquitter l'imposition, ou qu'il s'avère que ladite imposition devient supérieure aux revenus disponibles annuels de celui-ci ; qu'il appartient au juge national, saisi d'un moyen tiré de l'inconventionnalité d'une disposition législative au regard d'une stipulation de la convention européenne des droits de l'homme, d'apprécier in concreto, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, l'atteinte portée au droit garanti invoqué ; qu'en l'espèce, les exposants avaient démontré, sans être contredit, que le rapport entre les montants de l'ISF 2012 et de la CEF 2012 et leurs revenus nets, d'un montant de 51 579 euros, avait été de 605 %, la confiscation au sens de l'article 1P1 étant établie, l'imposition absorbant l'intégralité des revenus disponibles et les ayant contraints à aliéner une partie de leur patrimoine pour s'acquitter de leur dette fiscale ; qu'en se référant au patrimoine imposable des époux V... pour conclure à l'absence de caractère confiscatoire de l'imposition litigieuse, cependant que le caractère confiscatoire d'une imposition s'apprécie au regard des seuls revenus disponibles ou de l'aliénation forcée d'une partie du patrimoine, y compris lorsque l'imposition incriminée est relative au patrimoine, la cour d'appel a violé l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que le droit de propriété, garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après 1P1) inclut le libre usage des biens, la Cour européenne des droits de l'homme qui a précisé que toute réglementation de l'usage des biens doit obéir à un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, interdisant que le contribuable supporte "une charge spéciale et exorbitante" et prohibe les "ruptures en l'espèce du juste équilibre devant régner entre la sauvegarde du droit de propriété et les exigences de l'intérêt général", et juge contraire à l'article 1P1 toutes les obligations financières résultant de la levée d'impôt et de cotisations qui font peser un fardeau excessif sur la personne concernée ou portent atteinte substantiellement à sa situation financière ; qu'il en est ainsi lorsque l'imposition incriminée aboutit à une véritable confiscation en ce qu'elle contraint le contribuable à céder une partie de son capital pour acquitter l'imposition ou qu'il s'avère que ladite imposition devient supérieure aux revenus disponibles annuels de celui-ci ; qu'il appartient au juge national, saisi d'un moyen tiré de l'inconventionnalité d'une disposition législative au regard d'une stipulation de la convention européenne des droits de l'homme, d'apprécier in concreto, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, l'atteinte portée au droit garanti invoqué ; qu'en l'espèce, les exposants avaient démontré, sans être contredit, que le rapport entre les montants de l'ISF 2012 et de la CEF 2012 et leurs revenus nets, d'un montant de 51 579 euros, avait été de 605 %, que la confiscation au sens de l'article 1P1 était donc établie, l'imposition absorbant l'intégralité des revenus disponibles et les ayant contraints à aliéner une partie de leur patrimoine pour s'acquitter de leur dette fiscale si bien qu'en jugeant que l'appauvrissement allégué n'est pas justifié, les contribuables ne justifiant pas en outre avoir dû vendre des actifs immobiliers pour s'acquitter des dites impositions, cependant que l'imposition litigieuse avait absorbé l'intégralité de leurs revenus disponibles, la cour d'appel qui s'est prononcée par un motif inopérant a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

8. Le seul fait que le montant de la contribution exceptionnelle dépasse le montant des revenus du contribuable pour l'année considérée ou oblige le contribuable à aliéner une partie de son patrimoine ne suffit pas à établir le caractère confiscatoire de cet impôt. Le moyen, qui postule le contraire, manque en droit.

9. Après avoir constaté que la CEF s'était élevée, pour M. et Mme V..., à la somme de 233 499 euros après imputation de l'ISF d'un montant de 119 705 euros, l'arrêt retient que si M. et Mme V... ont perçu des revenus d'un montant de 51 579 euros, selon leur déclaration de 2011, ils détenaient au 1er janvier 2012, un patrimoine d'une valeur nette de 23 941 065 euros, de sorte que la CEF n'a représenté que 0,97 % de sa valeur. Il ajoute qu'ils ne déclarent aucun revenu issu de leur important patrimoine et qu'ils ont donc choisi de ne pas tirer de fruits de leurs immeubles, droits sociaux et valeurs mobilières et liquidités bancaires. Il constate enfin qu'ils ne démontrent pas l'appauvrissement qu'ils allèguent et ne justifient pas avoir dû vendre des actifs pour s'acquitter de leurs impositions. En l'état de ces motifs, dont il résulte que le paiement de la CEF n'a pas constitué, pour M. et Mme V..., une charge excessive au regard de leur situation patrimoniale, la cour d'appel, qui a légalement justifié sa décision, a pu écarter le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. et Mme V... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme V... et les condamne à payer au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix février deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat aux Conseils, pour M. U... V..., Mme Y... V....

LE POURVOI REPROCHE A L'ARRÊT ATTAQUÉ D'AVOIR confirmé le jugement du 13 décembre 2016 par lequel le tribunal de grande instance de Paris a débouté les exposants de toutes leurs demandes notamment celle tendant à l'annulation de l'imposition mise à leur charge au titre de la contribution exceptionnelle sur la fortune et par conséquent, à ce que soit ordonné le remboursement à leur profit de la somme de 233.499 euros indûment mise à leur charge ;

AUX MOTIFS QUE la CEF s'inscrit dans le droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur des lois qui assurent le paiement de l'impôt dès lors que ses principes de fonctionnement et modalités de calcul sont précisés par une loi conforme à la constitution Elle est exigible au titre de la seule année 2012 et le montant brut de cet impôt est établi après déduction de l'ISF. Le droit à restitution acquis en application des articles 1 er et 16490 A du code général des impôts au titre des impositions afférentes aux revenus réalisés en 2010, en s'imputant sur I 'ISF dû au titre de l'année 2012 pour les contribuables redevables de cet impôt, produit ses effets sur la cotisation d'ISF due en 2012. Les époux V... ont ainsi bénéficié d'une réduction de leur ISF 2012 d'un montant de 119 705 euros. Le plafonnement par rapport aux revenus ne s'impose pas à un impôt qui a pour assiette le patrimoine indépendamment du niveau des revenus. Les époux V... ont déclaré au titre de l'ISF 2012 un patrimoine imposable de 23 941 065 euros sur laquelle s'imputait, pour donner ce montant, le montant de leur impôt sur la fortune avant réduction, de 119 705 euros, lui-même réglé par restitution de la créance due au titre du bouclier fiscal et se sont acquittés au titre de la CEF de la somme de 233 499 euros soit 0,97 % de leur patrimoine imposable ainsi que le relève l'administration fiscale. Concernant le caractère confiscatoire allégué, force est de constater que le patrimoine imposable des époux V... d'un montant de 23 941 065 euros en 2012 a porté sur un montant de 233 499 euros en 2013. L'appauvrissement allégué n'est pas justifié, les contribuables ne justifiant pas en outre avoir dû vendre des actifs immobiliers pour s'acquitter des dites impositions ; La CEF constitue une imposition autonome pour la seule année 2012 et ne remet pas en cause les engagements prévus pour l'ISF au titre de l'année 2012 par la loi de finances rectificative pour 2011. Concernant le grief relatif au caractère rétroactif de la CEF, la valeur de l'assiette d'imposition est celle au 1er janvier 2012, le fait générateur de l'imposition est la situation du contribuable à la date d'entrée en vigueur de la loi de finances rectificative du 16 août 2012. Les contribuables ayant quitté le territoire national entre le 1er janvier et le 4 juillet 2012, date de la présentation du projet de loi de finances rectificative, seront imposés non en raison de leur patrimoine mondial mais de leur patrimoine situé en France. Par ce mécanisme, le législateur a expressément prévu un régime de calcul de l'assiette de la contribution exceptionnelle différent du régime de calcul de l'assiette de l'ISF 2012. La CEF ne présente pas un caractère confiscatoire et excessif contraire au principe d'égalité devant les charges publiques définie aux articles 6 et 13 de la déclaration des droits de l'homme de 1789, ne comporte pas violation de l'article 1 er du premier protocole additionnel à la CEDH (article IPI) et n'enfreint pas l'article 17 de la charte sur les droits fondamentaux de l'Union Européenne; que n'étant pas rétroactive, elle ne heurte l'article 1er du protocole additionnel à la CEDH (article IPI); Le jugement déféré doit donc être confirmé en toutes ses dispositions. Les époux V... seront condamnés aux dépens d'appel et déboutés de leur demande d'indemnité de procédure.

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE A titre liminaire, il convient de rappeler que, souhaitant revenir sur l'allègement de l'impôt de solidarité sur la fortune accordé par la loi du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011, le législateur a mis à la charge des personnes redevables de l'impôt de solidarité sur la fortune au titre de l'année 2012 une contribution exceptionnelle sur la fortune, calculée sur la base d'un barème progressif inspiré de celui qui était appliqué pour le calcul de l'impôt de solidarité sur la fortune dû au titre de 2011. Ainsi les redevables de l'impôt de solidarité sur la fortune qui ont acquitté, généralement en juin 2012, l'impôt sur la fortune allégé par la loi du 29 juillet 2011, ont dû régler au plus tard le 15 novembre 2012 cette cotisation, sur laquelle l'impôt de solidarité sur la fortune déjà payé s'imputait. Ceci dit, l'article premier du protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. « Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ». Il est entendu que l'imposition fiscale constitue en principe une ingérence dans le droit garanti par le premier alinéa de l'article premier du protocole précité mais qu'elle se justifie conformément au deuxième alinéa de cet article, qui prévoit expressément une exception pour ce qui est du paiement des impôts ou d'autres contributions. Par ailleurs, le second alinéa de l'article premier du protocole précité doit se lire à la lumière du principe consacré par la première phrase de l'article en sorte qu'une mesure d'ingérence doit ménager un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu. Par conséquent, l'obligation financière née du prélèvement d'impôts ou de contributions peut léser la garantie consacrée par cette disposition si elle impose à la personne ou à l'entité en cause une charge excessive ou porte fondamentalement atteinte à leur situation financière. Encore, il appartient en premier lieu aux autorités nationales de décider du type d'impôts ou de contributions qu'il convient de lever, les décisions en ce domaine impliquant normalement une appréciation des problèmes politiques, économiques et sociaux que la Convention laisse à la compétence du législateur, si bien que celui-ci dispose en la matière d'un large pouvoir d'appréciation. Ici, il y a lieu de relever que l'article 4 de la loi du 16 août 2012 instaure une taxe distincte, laquelle ne se confond pas avec l'impôt de solidarité sur la fortune, contrairement à ce qu'indiquent les consorts V..., puisqu'il ne s'agit pas pour le législateur de procéder à une nouvelle liquidation de l'impôt sur la base du tarif applicable en 2011, et ce d'autant qu'elle n'était assortie d'aucun plafonnement, au contraire de l'impôt dû au titre de l'année 2011. Ensuite, en tout état de cause, l'application rétroactive d'une loi fiscale ne constitue pas en soi une violation de l'article premier du protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, n'étant pas interdite en tant que telle par cette disposition, et il suffit que la loi ménage un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et la sauvegarde des droits fondamentaux des contribuables. Au surplus, la loi de finances votée à la fin de chaque année civile définit notamment les règles en matière d'impôt sur le revenu, applicables aux revenus perçus au cours de l'année écoulée, si bien que l'imposition litigieuse ne présente à cet égard aucun caractère exceptionnel au regard du droit fiscal, la loi étant intervenue au cours de l'année considérée. Par ailleurs, est inopérant l'argument tiré de l'inconstitutionnalité d'un tiers impôt, à savoir la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, dont les consorts V... se prévalent, puisque le juge judiciaire n'est pas habile à exercer un tel contrôle de la norme. Dès lors, c'est vainement qu'ils concluent à la remise en cause d'une situation acquise, créatrice de droits à leur avantage. Ensuite, chronologiquement, il doit être rappelé que jusqu'à l'impôt de solidarité sur la fortune dû au titre de l'année 2011, un mécanisme de plafonnement spécifique était appliqué afin que le montant cumulé de l'impôt de solidarité sur la fortune et des impôts dus en France, à l'exclusion de la taxe foncière et de la taxe d'habitation, et à l'étranger, au titre des revenus et produits de l'année précédente, ne pût excéder 85 % des revenus perçus au titre de cette même année par le redevable de l'impôt. A compter de l'impôt de solidarité sur la fortune dû au titre de l'année 2012, la réforme de la fiscalité du patrimoine instituée par la loi du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011 a notamment eu pour principal objet de simplifier le tarif de l'impôt de solidarité sur la fortune en instituant deux tranches d'imposition et un taux marginal d'imposition réduit, à savoir 0,50 % au lieu de 1,8 %, si bien que, compte tenu de l'abaissement du taux marginal d'imposition opéré, le législateur n'a pas conservé le mécanisme de plafonnement de l'impôt de solidarité sur la fortune. En revanche, l'instauration de la contribution exceptionnelle sur la fortune par la loi du 16 août 2012 n'a pas été accompagnée d'une mesure de rétablissement d'un mécanisme de plafonnement de l'impôt. Encore, l'exposé des motifs de la loi du 16 août 2012 précise que la contribution exceptionnelle sur la fortune a eu pour objet de réduire le déficit public pour 2012 en faisant participer les contribuables les plus aisés de façon à répartir équitablement la charge fiscale supplémentaire. Dès lors, cette réduction caractérise les exigences de l'intérêt général de la communauté, au sens de la Convention, exigences que les demandeurs n'allèguent pas être déraisonnables. Au surplus, la contribution critiquée a eu un caractère exceptionnel et n'a pas été maintenue au-delà de l'année 2012. Au reste, les consorts V... ont été en mesure de déduire de la contribution exceptionnelle sur la fortune, le montant brut de l'impôt de solidarité sur la fortune dû au titre de l'année 2012, soit 1 19.705 euros, réglés par imputation de la créance du bouclier fiscal de 2011, si bien qu'ils devaient s'acquitter en réalité de 233.499 euros, au titre de leur imposition sur le capital de l'année 2012. Encore, s'ils excipent de leur avis d'imposition sur les revenus perçus en 2011, d'où il résulte qu'ils ont déclaré percevoir des salaires nets de 51.579 euros, cet avis ne saurait suffire à estimer que leur revenus disponibles auraient été absorbés en totalité par la contribution exceptionnelle sur la fortune, de 233.499 euros, puisque, comme le remarque l'administration fiscale, ils déclarent les salaires d'un emploi à domicile de 30.501 euros pour cette année, dont, à défaut d'autres revenus, ils ne pourraient assurer le règlement, pas plus qu'ils ne pourraient pourvoir à l'entretien de leur patrimoine, constitué, selon leur déclaration, de 7 immeubles dont plusieurs, de grande surface, au centre de Paris, un domaine de 4.000 mètres carrés à [...], leur résidence principale parisienne tenant en un appartement grand de 370 mètres carrés, si bien qu'ils ne s'expliquent pas sur la réalité de leur situation financière courante. A fortiori, il est remarquable qu'ils ne déclarent aucun revenu issu de leur patrimoine, quand ils détiennent un tel parc immobilier, outre des droits sociaux et valeurs mobilières pour 5.830.990 euros, et des liquidités bancaires de 100.000 euros. Or, leurs éventuels choix de gestion, à ne tirer aucun fruit d'un important patrimoine, diversifié, et qui est par sa nature propre fructifère, ne relèvent pas d'impératifs protégés par le protocole invoqué, si bien que cet aspect ne peut être pris en compte pour déterminer si l'imposition a constitué une charge pour eux excessive. Qui plus est, ils ne démontrent par aucune pièce versée aux débats avoir dans les faits cédé une partie de ce patrimoine, puisqu'ils se bornent à déduire de leur avis d'imposition sur l'impôt sur le revenu de 2011 la nécessité d'une telle vente, quand il est évident que ces seuls revenus déclarés sont sans rapport avec leur train de vie, et qu'ils ne s'expliquent jamais sur la teneur de cette cession. Ainsi, faute pour les consorts V... d'une part de faire la preuve que la contribution exceptionnelle sur la fortune aurait eu pour effet de porter la somme des impôts acquittés en 2012 à un niveau excédant celui de leurs revenus de l'année 2011, puisqu'ils ne s'expliquent pas sur leur montant réel, d'autre part de justifier in concreto de l'obligation de céder une partie de leur patrimoine pour acquitter leurs charges fiscales, ils ne peuvent être suivis dans leur demande, qui doit être rejetée. Vu l'issue du litige, les consorts V... seront condamnés aux dépens. Il suit de cela qu'ils seront déboutés de leurs prétentions fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

ALORS D'UNE PART QUE le droit de propriété, garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après 1P1) inclut le libre usage des biens, la Cour européenne des droits de l'homme qui a précisé que toute réglementation de l'usage des biens doit obéir à un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, interdit que le contribuable supporte « une charge spéciale et exorbitante » et prohibe les « ruptures en l'espèce du juste équilibre devant régner entre la sauvegarde du droit de propriété et les exigences de l'intérêt général », et juge contraire à l'article 1P1 toutes les obligations financières résultant de la levée d'impôt et de cotisations qui font peser un fardeau excessif sur la personne concernée ou portent atteinte substantiellement à sa situation financière ; qu'il en est ainsi lorsque l'imposition incriminée aboutit à une véritable confiscation en ce qu'elle contraint le contribuable à céder une partie de son capital pour acquitter l'imposition, ou qu'il s'avère que ladite imposition devient supérieure aux revenus disponibles annuels de celui-ci ; qu'il appartient au juge national, saisi d'un moyen tiré de l'inconventionnalité d'une disposition législative au regard d'une stipulation de la convention européenne des droits de l'homme, d'apprécier in concreto, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, l'atteinte portée au droit garanti invoqué ; qu'en l'espèce, les exposants avaient démontré, sans être contredit, que le rapport entre les montants d'impôt de solidarité sur la fortune 2012 et de contribution exceptionnelle sur la fortune 2012 et leurs revenus nets, d'un montant de 51.579 euros, avait été de 605 %, la confiscation au sens de l'article 1P1 étant établie, l'imposition absorbant l'intégralité des revenus disponibles et les ayant contraints à aliéner une partie de leur patrimoine pour s'acquitter de leur dette fiscale ;
qu'en se référant au patrimoine imposable des époux V... pour conclure à l'absence de caractère confiscatoire de l'imposition litigieuse, cependant que le caractère confiscatoire d'une imposition s'apprécie au regard des seuls revenus disponibles ou de l'aliénation forcée d'une partie du patrimoine, y compris lorsque l'imposition incriminée est relative au patrimoine, la cour d'appel a violé l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

ALORS D'AUTRE PART QUE le droit de propriété, garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après 1P1) inclut le libre usage des biens, la Cour européenne des droits de l'homme qui a précisé que toute réglementation de l'usage des biens doit obéir à un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, interdisant que le contribuable supporte « une charge spéciale et exorbitante » et prohibe les « ruptures en l'espèce du juste équilibre devant régner entre la sauvegarde du droit de propriété et les exigences de l'intérêt général », et juge contraire à l'article 1P1 toutes les obligations financières résultant de la levée d'impôt et de cotisations qui font peser un fardeau excessif sur la personne concernée ou portent atteinte substantiellement à sa situation financière ; qu'il en est ainsi lorsque l'imposition incriminée aboutit à une véritable confiscation en ce qu'elle contraint le contribuable à céder une partie de son capital pour acquitter l'imposition ou qu'il s'avère que ladite imposition devient supérieure aux revenus disponibles annuels de celui-ci ; qu'il appartient au juge national, saisi d'un moyen tiré de l'inconventionnalité d'une disposition législative au regard d'une stipulation de la convention européenne des droits de l'homme, d'apprécier in concreto, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, l'atteinte portée au droit garanti invoqué ; qu'en l'espèce, les exposants avaient démontré, sans être contredit, que le rapport entre les montants d'impôt de solidarité sur la fortune 2012 et de contribution exceptionnelle sur la fortune 2012 et leurs revenus nets, d'un montant de 51.579 euros, avait été de 605 %, que la confiscation au sens de l'article 1P1 était donc établie, l'imposition absorbant l'intégralité des revenus disponibles et les ayant contraints à aliéner une partie de leur patrimoine pour s'acquitter de leur dette fiscale si bien qu'en jugeant que l'appauvrissement allégué n'est pas justifié, les contribuables ne justifiant pas en outre avoir dû vendre des actifs immobiliers pour s'acquitter des dites impositions, cependant que l'imposition litigieuse avait absorbé l'intégralité de leurs revenus disponibles, la cour d'appel qui s'est prononcée par un motif inopérant a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

ALORS ENFIN QUE la non-contrariété de la loi instituant l'impôt aux principes constitutionnels est sans portée au regard de la Convention européenne des droits de l'homme et du citoyen ; que la Cour européenne des droits de l'homme qui retient une approche concrète de la conventionnalité d'une disposition législative, décide qu'ont le caractère de « biens » au sens de l'article 1P1 les seules créances « en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une "espérance légitime"
d'obtenir la jouissance effective d'un droit de propriété », c'est-à-dire lorsque l'intérêt patrimonial dispose d'une base suffisante en droit interne ; que l'article 1er de la première loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011 qui a modifié le tarif de l'ISF à compter de la date à laquelle il est dû au titre de l'année 2012 constitue une base suffisante en droit interne pour le contribuable assujetti à cette imposition pour disposer d'une espérance légitime de ne pas supporter une seconde taxation sur son patrimoine ; que la contribution exceptionnelle sur la fortune, instituée par l'article 4 de la deuxième loi de finances rectificative pour 2012 pour annuler les effets de l'allégement de l'ISF décidé en 2011, est une extension de l'ISF existant, correspondant au différentiel entre l'ISF calculé avec le nouveau barème et l'ISF 2012 calculé avec l'ancien barème à six tranches en vigueur jusqu'en 2011 ; qu'il est constant que le fait générateur de l'imposition comprend un élément substantiel constitué par le patrimoine du contribuable existant au 1er janvier 2012, et un élément temporel, qui est la date d'entrée en vigueur de l'article 4 de la deuxième loi de finances rectificative pour 2012 ; que si l'application immédiate des règles d'assiette fixées par une loi entrant en vigueur juste avant la fin de la période d'imposition ne peut passer pour rétroactive, faute que l'élément temporel du fait générateur soit intervenu, il n'en demeure pas moins que les opérations constitutives de l'élément substantiel de ce même fait générateur ont été, quant à elles, réalisées avant cette entrée en vigueur de sorte que la rétroactivité de fait est caractérisée ; que l'atteinte à une espérance légitime des contribuables de ne pas supporter à deux reprises au titre de la même année une imposition sur le patrimoine n'est pas justifiée par le redressement des finances publiques, la Cour européenne des droits de l'homme jugeant avec constance que la préservation des intérêts financiers de l'Etat ne constitue pas, par ellemême, un objectif d'intérêt général ; qu'en se bornant à reproduire les motifs de la décision n° 2012-654 DC rendue par le Conseil constitutionnel le 9 août 2012 pour dénier tout caractère rétroactif à l'imposition litigieuse, la cour d'appel a violé l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 18-24348
Date de la décision : 10/02/2021
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 10 septembre 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 10 fév. 2021, pourvoi n°18-24348


Composition du Tribunal
Président : Mme Mouillard (président)
Avocat(s) : SCP Bouzidi et Bouhanna, SCP Foussard et Froger

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2021:18.24348
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