LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 3 février 2021
Rejet
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 104 F-P
Pourvoi n° M 19-20.004
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 3 FÉVRIER 2021
La société [...] , société civile professionnelle, dont le siège est [...] , en la personne de M. G... S..., agissant en qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société Lorraine DA à l'enseigne Vital'Dis, a formé le pourvoi n° M 19-20.004 contre l'arrêt rendu le 23 mai 2019 par la cour d'appel de Metz (chambre commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. D... W...,
2°/ à Mme P... U..., épouse W...,
domiciliés tous deux [...],
3°/ au procureur général près la cour d'appel de Metz, domicilié en son parquet général, Palais de justice, 3 rue Haute Pierre, BP 41045, 57036 Metz cedex,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Riffaud, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société [...] , ès qualités, de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de M. et Mme W..., et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 décembre 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, M. Riffaud, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 23 mai 2019), le 4 janvier 2012, la société Lorraine DA a été mise en liquidation judiciaire, la société [...] étant désignée en qualité de liquidateur. Ce dernier a assigné M. et Mme W..., qui se sont succédé dans les fonctions de président de la société, en responsabilité pour insuffisance d'actif.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses cinq premières branches, et le second moyen, ci-après annexés
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Et sur le premier moyen, pris en sa sixième branche
Enoncé du moyen
3. Le liquidateur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à ce que M. et Mme W... supportent l'insuffisance d'actif de la société Lorraine DA, alors « que l'omission de déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal ne peut constituer une simple négligence du dirigeant qu'à la condition que celui-ci ait pu ignorer la cessation des paiements ; qu'en considérant que la simple négligence du dirigeant ne pouvait être écartée après avoir relevé que le résultat de l'exercice de société sur les quinze derniers mois était déficitaire de 122 350 euros, qu'avait été établi un dossier prévisionnel de développement afin de résoudre les difficultés financières de la société, ce qui démontre la volonté du gérant de chercher une solution, et qu'il a ensuite été procédé à la vente de 80 % du fonds de commerce et que 60 000 euros ont été versés afin d'augmenter le capital social, aux fins d'apurer la situation financière de la société, alors que ces circonstances démontraient au contraire la connaissance de la situation de cessation de paiements par le dirigeant, la cour d'appel a violé les articles L. 640-4 et L. 651-2 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016. »
Réponse de la Cour
4. L'article L. 651-2 du code de commerce, qui permet, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, à un tribunal, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, de décider que le montant en sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion, écarte cette faculté en cas de simple négligence du dirigeant dans la gestion de la société, sans réduire l'existence d'une simple négligence à l'hypothèse dans laquelle le dirigeant a pu ignorer les circonstances ou la situation ayant entouré sa commission.
5. Le moyen, qui postule que l'omission de la déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal ne peut constituer une simple négligence du dirigeant qu'à la condition que celui-ci ait pu ignorer cet état, n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société [...] , en sa qualité de liquidateur de la société Lorraine DA, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trois février deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la société [...] , ès qualités.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt infirmatif attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a rejeté la demande de la SCP [...], mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la SAS LORRAINE DA visant à ce que Monsieur W... et Madame U... supportent l'insuffisance d'actif de la société ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « l'article L 640-4 du code de commerce dispose que l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les 45 jours qui suivent la cessation des paiements, s'il n'a pas dans ce délai sollicité l'ouverture d'une procédure de conciliation ; qu'en l'espèce la cessation des paiements a été fixée au 5 juillet 2010 par le jugement du tribunal de grande instance de Metz du 4 janvier 2012 et Mme W... représentant la SAS Lorraine DA n'a sollicité l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire que par requête enregistrée au greffe le 22 décembre 2011 alors que, selon le bilan arrêté au 31 décembre 2010, le résultat de l'exercice de la SAS Lorraine DA sur les 15 derniers mois était déficitaire de 122.350 euros ; que le dernier bilan établi le 31 mars 2011 démontre que la situation s'était légèrement améliorée puisque le résultat de l'exercice était positif de 929 euros ; qu'il avait été établi le 23 mars 2011 un dossier prévisionnel de développement afin de résoudre les difficultés financières de la SAS Lorraine DA ce qui démontre la volonté du gérant de chercher une solution ; qu'il a ensuite été procédé à la vente d'une partie du fonds de commerce de la SAS Lorraine DA ; que 60.000 euros ont été versés afin d'augmenter le capital social ; que des démarches étaient donc entreprises pour apurer la situation financière de la société ; qu'il n'est ainsi pas démontré que la déclaration tardive a aggravé la situation financière de l'entreprise, ni que Mme W... a eu une intention frauduleuse en ne déposant la requête qu'en décembre 2011 et qu'il ne s'agissait pas d'une simple négligence ; qu'aucune faute ne sera donc retenue à ce titre » ;
ALORS QUE, premièrement, l'omission de déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal, susceptible de constituer une faute de gestion, s'apprécie au regard de la seule date de la cessation des paiements fixée dans le jugement d'ouverture ou dans un jugement de report ; qu'en faisant état en l'espèce de ce que, selon une situation établie le 31 mars 2011, la situation s'était légèrement améliorée, le résultat étant positif, ou encore que le 23 mars 2011, un dossier prévisionnel de développement avait été établi révélant la volonté du gérant de chercher une solution, ou bien encore qu'il avait été procédé à la vente d'une partie du fonds de commerce, une somme ayant été versée afin d'augmenter le capital social attestant de la volonté des dirigeants d'apurer la situation, quand ils ne devaient raisonner qu'au regard de la date du 5 juillet 2010, date de cessation des paiements telle que fixée par le jugement d'ouverture, les juges du fond ont violé l'article L. 651-2 du Code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 ;
ALORS QUE, deuxièmement, et en tout cas, seul l'état de cessation des paiements, révélé par l'impossibilité de faire face au passif exigible au moyen de l'actif disponible, déclenche l'obligation pour le dirigeant de déposer une déclaration de cessation des paiements ; qu'en s'abstenant en tout état de cause d'évoquer l'état de cessation des paiements tel qu'il vient d'être défini pour la période postérieure au 5 juillet 2010, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de l'article L. 651-2 du Code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 ;
ALORS QUE, troisièmement, et en tout état de cause, la condamnation du dirigeant pour faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif n'est pas conditionnée à son intention frauduleuse ; qu'en écartant la faute de Madame W... au titre de la déclaration tardive de l'état de cessation des paiements au motif de son absence d'intention frauduleuse, l'arrêt a violé les articles L. 640-4 et L. 651-2 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 ;
ALORS QUE, quatrièmement, s'il a été constaté qu'au cours du premier trimestre 2011, la société était légèrement bénéficiaire (929 euros), les juges du fond devaient rechercher si, hormis cette brève période, la situation financière n'avait pas été aggravée par l'absence de déclaration de cessation des paiements ; que faute de se prononcer sur ce point, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles L. 640-4 et L. 651-2 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 ;
ALORS QUE, cinquièmement, la charge de la preuve de la circonstance exonératoire incombe à celui qui entend s'en prévaloir ; qu'en faisant peser sur la SCP [...] la charge de la preuve de ce que la déclaration tardive de l'état de cessation des paiements ne constituait pas une simple négligence de Madame W..., la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du Code civil, ensemble l'article L. 651-2 du Code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 ;
ET ALORS QUE, sixièmement, l'omission de déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal ne peut constituer une simple négligence du dirigeant qu'à la condition que celui-ci ait pu ignorer la cessation des paiements ; qu'en considérant que la simple négligence du dirigeant ne pouvait être écartée après avoir relevé que le résultat de l'exercice de société sur les 15 derniers mois était déficitaire de 122.350 euros, qu'avait été établi un dossier prévisionnel de développement afin de résoudre les difficultés financières de la société, ce qui démontre la volonté du gérant de chercher une solution, et qu'il a ensuite été procédé à la vente de 80% du fonds de commerce et que 60.000 euros ont été versés afin d'augmenter le capital social, aux fins d'apurer la situation financière de la société, alors que ces circonstances démontraient au contraire la connaissance de la situation de cessation de paiements par le dirigeant, la cour d'appel a violé les articles L. 640-4 et L. 651-2 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt infirmatif attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a rejeté la demande de la SCP [...], mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la SAS LORRAINE DA visant à ce que Monsieur W... et Madame U... supportent l'insuffisance d'actif de la société ;
AUX MOTIFS QU' « il est constant que les capitaux propres étaient négatifs de 22.350 euros alors que le capital social avait été fixé selon les statuts à la somme de 100.000 euros ; qu'il convient de relever cependant qu'une somme de 60.000 euros a été incorporée au capital en mai ou juin 2011 ; que le bilan établi en mars 2011 montrait que l'activité était redevenue légèrement bénéficiaire ; qu'il résulte des motifs exposés précédemment qu'il était recherché des solutions pour relancer l'activité de la société ou à défaut pour procéder à une cession amiable du fonds de commerce afin d'apurer la situation financière ; que d'ailleurs les accords de confidentialité produits démontrent que des pourparlers avaient été engagés avec de potentiels acquéreurs, étant observé que le tribunal de grande instance a été saisi dès que Mme W... a su, fin novembre 2011, que ce projet ne se réaliserait pas ; qu'enfin il n'est pas établi que M. et Mme W... ont volontairement minimisé le montant du passif lors du dépôt de leur requête en ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire et qu'ils avaient eu connaissance de l'existence d'autres dettes, notamment fiscales ; qu'il n'est donc pas démontré d'une part que M. puis Mme W... ont volontairement poursuivi l'activité de la SAS Lorraine DA alors qu'ils savaient qu'elle était déficitaire et irrémédiablement compromise, et, d'autre part, que cela a contribué à l'insuffisance d'actif, étant observé que le fonds de commerce a été vendu pour un montant supérieur à celui auquel il avait été acheté (320.000 euros au lieu de 270.100 euros) » ;
ALORS QUE, premièrement, après avoir constaté que les capitaux propres étaient négatifs de 22.350 euros, quand le capital social avait été fixé à 100.000 euros, les juges du fond ne pouvaient se borner à énoncer qu'une somme de 60.000 euros avait été incorporée au capital en mai ou juin 2011 sans rechercher, comme il leur était demandé, si nonobstant cette augmentation de capital, les capitaux propres n'étaient pas inférieurs à la moitié du capital social (conclusions du 22 octobre 2018, p. 5, § 8) ; que l'arrêt souffre d'un défaut de base légale au regard de l'article L. 651-2 du Code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 ;
ALORS QUE, deuxièmement, s'il a été constaté qu'au cours du premier trimestre 2011, la société était légèrement bénéficiaire (929 euros), les juges du fond devaient rechercher si, passé cette brève période et comme précédemment, l'entreprise n'était pas déficitaire ; que faute de se prononcer sur ce point, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 ;
ALORS QUE, troisièmement, le caractère volontaire ou non de la poursuite d'activité, ni son incidence, ne peuvent être retenus comme conférant une base légale à l'arrêt attaqué sans qu'au préalable, il ait été statué correctement sur le fait matériel de la poursuite d'activité déficitaire ; qu'à cet égard, l'arrêt encourt la cassation pour violation de l'article L. 652-1 dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016.