LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 14 janvier 2021
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 34 F-D
Pourvoi n° V 19-25.831
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 JANVIER 2021
M. O... F..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° V 19-25.831 contre l'arrêt rendu le 30 septembre 2019 par la cour d'appel d'Agen (chambre civile), dans le litige l'opposant à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de l'Anjou et du Maine, société coopérative à capital variable, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Maunand, conseiller, les observations de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de M. F..., de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de l'Anjou et du Maine, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 25 novembre 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Maunand, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 30 septembre 2019), un tribunal de commerce a, le 5 mai 2017, condamné M. F... au paiement d'une certaine somme à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de l'Anjou et du Maine (le Crédit agricole) avec intérêts au taux contractuel à compter du 16 février 2016 jusqu'au parfait paiement, au titre du solde du prêt du 8 juillet 2014, en sa qualité de caution solidaire de la société Destock Distribution.
2. Le 2 juin 2017, le jugement lui a été signifié selon les formes de l'article 659 du code de procédure civile.
3. Le 23 octobre 2017, un commandement de saisie-vente a été signifié à la personne de M. F... puis le 2 novembre 2017, le Crédit agricole a fait pratiquer une saisie-attribution dénoncée le 9 novembre 2017.
4. M. F... a assigné le Crédit agricole devant un juge de l'exécution qui, par jugement du 9 avril 2018, a annulé la signification du jugement en date du 2 juin 2017, a prononcé la caducité du jugement opposant le Crédit Agricole à M. F... et ordonné la mainlevée de la saisie-attribution.
5. Le 23 avril 2018, le Crédit agricole a interjeté appel de ce jugement.
6. Suivant ordonnance du 2 mai 2018, l'affaire a été fixée à bref délai conformément aux dispositions des articles 905, 905-1 et 905-2 du code de procédure civile.
7. Par ordonnance du 25 février 2019, les conclusions déposées par M. F..., intimé, ont été déclarées irrecevables à raison de leur tardiveté.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. M. F... fait grief à l'arrêt de dire la signification du jugement du 2 juin 2017 régulière et en conséquence, de dire n'y avoir lieu à nullité des procédures inhérentes à la signification du jugement alors « que l'intimé qui ne conclut pas est réputé s'être approprié les motifs du jugement déféré ; qu'il appartient à la cour d'appel qui décide d'infirmer ce jugement d'en réfuter les motifs ; qu'en retenant, pour infirmer le jugement du 9 avril 2018, que les mentions portées sur l'acte de signification par l'huissier chargé de signifier à M. F... le jugement réputé contradictoire du tribunal de commerce de Quimper du 5 mai 2017 étaient suffisantes dès lors qu'il avait vérifié la réalité de l'adresse du destinataire, pris le soin de s'assurer que personne ne pouvait recevoir l'acte sur place lors de son passage et disait, enfin, avoir pris attache avec les différentes autorités susceptibles de lui transmettre une information fiable, sans toutefois réfuter les motifs du jugement réputés adoptés par M. F..., desquels il résultait que l'huissier pouvait obtenir la nouvelle adresse de ce dernier auprès de son mandant, la caisse régionale de Crédit Agricole mutuel de l'Anjou et du Maine, qui connaissait son débiteur de longue date, l'avait toujours localisé, notamment 4 mois et 21 jours après le procès-verbal de recherches infructueuses, quand il s'est agi de lui faire signifier le commandement de payer du 23 octobre 2017, la cour d'appel a violé les articles 455 et 954 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 954, dernier alinéa, du code de procédure civile :
9. Il résulte de ce texte que l'intimé, dont les conclusions sont déclarées irrecevables, est réputé ne pas avoir conclu et s'être approprié les motifs du jugement.
10. Pour dire la signification du jugement du 2 juin 2017 régulière et n'y avoir lieu à nullité des procédures inhérentes à la signification du jugement, la cour d'appel relève que les mentions portées sur l'acte d'huissier font foi. Elle ajoute qu'il se comprend des motifs du jugement déféré que l'huissier aurait dû persévérer pour parvenir à une signification à personne ou personne habilitée, sauf que, dès lors que l'huissier a vérifié la réalité de l'adresse, pris le soin de s'assurer que personne ne peut recevoir l'acte sur place lors de son passage, dit avoir pris attache avec les différentes autorités susceptibles de lui transmettre une information fiable, il ne lui appartient pas de mener des investigations d'enquêtes en effectuant des recherches sur l'annuaire électronique au-delà du département de la Martinique, pas plus que de persévérer afin de rencontrer le préposé des postes. Elle précise que si l'huissier instrumentaire peut toujours recueillir des informations via l'environnement professionnel, le jugement déféré ne comporte aucune indication permettant de connaître l'activité de M. F.... Elle estime que, par suite, les mentions portées sur l'acte de signification sont jugées suffisantes pour assurer l'efficacité de l'acte.
11. En statuant ainsi, alors que les conclusions de l'intimé avaient été déclarées irrecevables, la cour d'appel, qui devait examiner la pertinence des motifs du jugement relatifs à la consultation par l'huissier de justice de son mandant, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de l'Anjou et du Maine aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de l'Anjou et du Maine et la condamne à payer à M. F... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du quatorze janvier deux mille vingt et un et signé par lui et Mme Maunand, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat aux Conseils, pour M. F...
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que la signification du jugement du 2 juin 2017 était régulière et d'avoir, en conséquence, dit n'y avoir lieu à ordonner la nullité des procédures inhérentes à la signification de ce jugement ;
AUX MOTIFS QUE sur la régularité de l'acte de signification du 2 juin 2017 ;
que le Crédit Agricole soutient que l'huissier instrumentaire a effectué toutes les diligences nécessaires à l'égard de M. F... dans le respect des dispositions de l'article 659 du code de procédure civile ; qu'à cet égard, l'article 659 du code de procédure civile dispose que : « Lorsque la personne à qui l'acte doit être signifié n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l'huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte. Le même jour ou, au plus tard, le premier jour ouvrable suivant, à peine de nullité, l'huissier de justice envoie au destinataire, à la dernière adresse connue, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, une copie du procès-verbal, à laquelle est jointe une copie de l'acte objet de la signification. Le jour même, l'huissier de justice avise le destinataire, par lettre simple, de l'accomplissement de cette formalité » ; que le jugement du tribunal de commerce de Quimper en date du 5 mai 2017 a été signifié le 2 juin 2017 par le ministère de Maître E... R..., huissier à Fort-de-France (972), dans les formes de l'article 659 du code de procédure civile ; que selon mentions portées sur l'acte de signification l'adresse de M. F... est conforme à celle portée sur le jugement : [...], les autres mentions sont libellées comme suit : « - certifie m'être transporté, ce jour, à l'adresse ci-dessus déclarée comme étant la dernière adresse connue du débiteur, avoir constaté qu'à ce jour, aucune personne répond à l'identification du destinataire à l'acte, n'y a son domicile ou sa résidence. Etant sur place, la personne rencontrée m'a déclaré être le nouveau locataire, que M. F... O... ne réside plus à cette adresse, et que son nouveau domicile lui est inconnu, sans autres précisions. Recherches vaines auprès du voisinage et le préposé des postes n'a pu être joint afin de me prêter son concours. Les services de la mairie, du commissariat et de la gendarmerie n'ont pu me fournir aucune indication quant à l'adresse actuelle du susnommé. Aucune inscription sur l'annuaire téléphonique en département » ; que l'huissier de poursuivre « les diligences ainsi effectuées n'ayant pas permis de retrouver le destinataire de l'huissier de justice soussigné constate que celui-ci n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus et a dressé le présent procès-verbal conformément aux dispositions de l'article 658 du code de procédure civile » ; que conformément aux dispositions de l'alinéa 4 de l'article 659 du code de procédure civile, Maître R... justifie d'avoir envoyé le courrier recommandé, lequel lui a été retourné avec la mention « Présenté, avisé le 9 juin 2017 », « pli avisé et non réclamé » ; que selon les termes du jugement déféré, on apprend que M. F... a pu déménager à plusieurs reprises pour raisons professionnelles et notamment courant 2017 où il a rejoint le Lot pour y prendre un poste de directeur de supermarché à Souillac où il est désormais établi ; que si M. F... prétend, selon les mentions portées au jugement déféré qu'il a pu faire diverses démarches pour faire suivre son courrier, force est de constater qu'il n'a pu le démontrer devant le premier juge, que les mentions du courrier recommandé envoyé par l'huissier, qui lui est revenu, ne contient aucun élément utile pour identifier sa nouvelle adresse ; que le jugement déféré n'indique pas non plus la date à laquelle il a déménagé de la résidence Casabelle ; que les mentions portées sur l'acte d'huissier font foi, il se comprend des motifs du jugement déféré à la cour que l'huissier aurait dû persévérer pour parvenir à une signification à personne ou personne habilitée, sauf que, dès lors que l'huissier a vérifié la réalité de l'adresse, pris le soin de s'assurer que personne ne peut recevoir l'acte sur place lors de son passage, dit avoir pris attache avec les différentes autorités susceptibles de lui transmettre une information fiable, il ne lui appartient pas de mener des investigations d'enquêtes en effectuant des recherches sur l'annuaire électronique au-delà du département de la Martinique, pas plus que de persévérer afin de rencontrer le préposé des postes, que si l'huissier instrumentaire peut toujours recueillir des informations via l'environnement professionnel, le jugement déféré ne comporte aucune indication de connaître l'activité de M. F... ; que par suite, les mentions portées sur l'acte de signification sont jugées suffisantes pour assurer l'efficacité de l'acte ; qu'en conséquence, le jugement déféré est infirmé ; qu'enfin, M. F... n'ayant pas contesté la régularité formelle de l'acte d'exécution dont il a fait l'objet, ce dernier doit être jugé régulier ;
1°) ALORS QUE l'intimé qui ne conclut pas est réputé s'être approprié les motifs du jugement déféré ; qu'il appartient à la cour d'appel qui décide d'infirmer ce jugement d'en réfuter les motifs ; qu'en retenant, pour infirmer le jugement du 9 avril 2018, que les mentions portées sur l'acte de signification par l'huissier chargé de signifier à M. F... le jugement réputé contradictoire du tribunal de commerce de Quimper du 5 mai 2017 étaient suffisantes dès lors qu'il avait vérifié la réalité de l'adresse du destinataire, pris le soin de s'assurer que personne ne pouvait recevoir l'acte sur place lors de son passage et disait, enfin, avoir pris attache avec les différentes autorités susceptibles de lui transmettre une information fiable, sans toutefois réfuter les motifs du jugement réputés adoptés par M. F... (jugement, p. 4 dernier §, p. 5 § 1 à 5), desquels il résultait que l'huissier pouvait obtenir la nouvelle adresse de ce dernier auprès de son mandant, la caisse régionale de Crédit Agricole mutuel de l'Anjou et du Maine, qui connaissait son débiteur de longue date, l'avait toujours localisé, notamment 4 mois et 21 jours après le procès-verbal de recherches infructueuses, quand il s'est agi de lui faire signifier le commandement de payer du 23 octobre 2017, la cour d'appel a violé les articles 455 et 954 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE l'intimé qui ne conclut pas est réputé s'être approprié les motifs du jugement déféré ; qu'il appartient à la cour d'appel qui décide d'infirmer ce jugement d'en réfuter les motifs ; qu'en retenant, pour infirmer le jugement, que les mentions portées sur l'acte de signification étaient suffisantes dès lors que l'huissier avait vérifié la réalité de l'adresse du destinataire, pris le soin de s'assurer que personne ne pouvait recevoir l'acte sur place et disait, enfin, avoir pris attache avec les différentes autorités susceptibles de lui transmettre une information fiable, sans toutefois réfuter les motifs du jugement réputés adoptés par M. F... (jugement, p. 5 § 6 et 7), aux termes desquels l'huissier pouvait obtenir la nouvelle adresse de ce dernier auprès de l'avocat de son mandant, en mesure de prendre contact avec son confrère représentant les intérêts de Mme F..., également partie à la procédure mais encore et surtout ex-épouse du signifié avec lequel elle avait eu trois enfants, ce qui laissait supposer par principe qu'elle connaissait la nouvelle adresse personnelle de son ex-mari, la cour d'appel appel a violé les articles 455 et 954 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE l'huissier de justice chargé de signifier un acte, en l'absence de domicile, de résidence ou de lieu de travail connus, doit procéder à des diligences suffisantes pour rechercher le destinataire de l'acte avant de dresser un procès-verbal de recherches infructueuses ; que la circonstance que le destinataire de l'acte n'ait pas fait suivre son courrier ne dispense pas l'huissier de justifier de ses diligences ; que, pour juger régulier l'acte de signification du jugement, la cour d'appel a retenu que M. F... ne démontrait pas avoir accompli les démarches de transfert de courrier ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser les diligences suffisantes de l'huissier, la cour d'appel a violé l'article 659 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QUE la signification d'un acte par l'établissement d'un procès-verbal de recherches infructueuses ne peut être jugée régulière lorsque l'huissier s'est abstenu d'effectuer les recherches élémentaires imposées par le bon sens pour retrouver le destinataire de l'acte en s'adressant, au besoin en s'y déplaçant, aux services de la poste, et en consultant tout type d'annuaires téléphoniques susceptibles de le renseigner ; qu'en jugeant qu'il n'appartenait pas à l'huissier de mener des investigations en effectuant des recherches sur l'annulaire électronique au-delà de la Martinique, pas plus que de persévérer afin de rencontrer le préposé des postes, tandis que ces vérifications élémentaires s'imposaient, la cour d'appel a violé l'article 659 du code de procédure civile.