LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 14 janvier 2021
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 46 F-D
Pourvoi n° H 19-12.042
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 JANVIER 2021
1°/ M. L... M...,
2°/ Mme B... T..., épouse M...,
domiciliés tous deux [...],
ont formé le pourvoi n° H 19-12.042 contre l'arrêt rendu le 12 décembre 2018 par la cour d'appel d'Orléans (chambre des urgences), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Fedrigo, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,
2°/ à la banque Caisse régionale de Crédit mutuel du Centre, dont le siège est [...] ,
3°/ à la société Assurances du Crédit mutuel, société anonyme, dont le siège est [...] ,
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Renard, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boullez, avocat de M. et Mme M..., de la SCP Gaschignard, avocat de la société Assurances du Crédit mutuel, de Me Le Prado, avocat de la banque Caisse régionale de Crédit mutuel du Centre, de la SCP Zribi et Texier, avocat de la société Fedrigo, après débats en l'audience publique du 17 novembre 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Renard, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 12 décembre 2018), M. et Mme M... ont, à la suite d'un incendie survenu dans leur habitation, confié des travaux à la société Fedrigo entreprise générale de bâtiment (la société Fedrigo).
2. La société Fedrigo a obtenu une ordonnance portant injonction à M. et Mme M... de payer une certaine somme au titre d'un solde impayé des travaux.
3. M. et Mme M... ont formé opposition à l'ordonnance et ont appelé en intervention forcée la Caisse de Crédit mutuel de Saint-Jean de la Ruelle (la Caisse de Crédit mutuel), auprès de laquelle ils avaient contracté un prêt pour financer l'acquisition de leur bien, et la société Assurances du Crédit mutuel IARD (la société ACM), assureur de leur bien.
Examen des moyens
Sur le second moyen
Énoncé du moyen
4. M. et Mme M... font grief à l'arrêt d'écarter leurs demandes indemnitaires, ainsi que celle tendant à la remise de l'attestation Consuel, et de les condamner à payer à la société Fedrigo une certaine somme, alors :
« 1°/ qu'il incombe à l'entrepreneur qui réclame le paiement du prix de ses prestations d'établir le montant de sa créance, et à cet effet de fournir au juge les éléments permettant de fixer ce montant et qu'il appartient au juge d'apprécier celui-ci en fonction de la qualité du travail fourni ; qu'en décidant que M. et Mme M... demeurent redevables d'une facture impayée sans vérifier qu'une telle somme était justifiée par les travaux réalisés par la société Fedrigo, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1315 dans leur rédaction applicable en l'espèce ;
2°/ que la réception ne couvre que le vice ou le défaut de conformité apparent qui n'a pas fait l'objet de réserves ; que M. et Mme M... ont soutenu qu'ils avaient signé le procès-verbal de réception des travaux, sans qu'ils aient été en mesure de vérifier leur achèvement, ni de s'assurer que l'installation électrique fonctionnait, à défaut d'avoir reçu de la société Fedrigo de l'attestation de conformité Consuel permettant le raccordement au réseau ; qu'en se déterminant ainsi sur la seule considération d'une réception sans réserve sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si M. et Mme M... étaient à même d'apprécier les défauts de l'installation électrique dans leur ampleur, leur cause et leur conséquence, en dépit de l'absence de raccordement de l'installation au réseau, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce ;
3°/ que M. et Mme M... ont fait constater le défaut de fonctionnement de l'installation électrique dans les deux ans qui ont suivi l'établissement du procès-verbal de réception, ce qui ressort du rapport d'expertise, le constat de décembre 2016 et celui du 10 février 2017 établissant les dysfonctionnements de l'installation électrique ; qu'en énonçant qu'aucune contestation relative à des malfaçons n'a été élevée dans le délai de deux ans, qu'aucune malfaçon n'a été évoquée avant le cours de la présente procédure, et que M. et Mme M... n'établissent aucunement qu'une défaillance serait intervenue après le 25 février 2015, et qu'ils auraient été privés d'électricité pendant un temps aussi long, la cour d'appel qui ne s'est pas expliqué sur les différentes pièces visées par les conclusions de M. et Mme M..., a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. La cour d'appel, à qui M. et Mme M... n'avaient pas demandé d'apprécier le montant réclamé en fonction de la qualité du travail fourni, a examiné les devis, les factures et les règlements effectués pour déterminer le solde restant dû au titre des travaux exécutés.
6. Procédant à la recherche prétendument omise, elle a, par une appréciation souveraine de la force probante des éléments de preuve qui lui étaient soumis et sans être tenue de s'expliquer sur ceux qu'elle décidait d'écarter, relevé que l'intervention de la société Fedrigo n'avait eu lieu que sur le premier étage de l'immeuble et retenu qu'aucune contestation relative à des malfaçons n'avait été élevée dans le délai de deux ans suivant l'établissement du procès-verbal de réception sans réserve du 25 février 2015, qu'aucune malfaçon n'avait été évoquée avant l'introduction de l'instance, et que M. et Mme M... n'établissaient pas qu'une défaillance serait intervenue après le 25 février 2015 les privant d'électricité pendant une longue période.
7. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.
Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Énoncé du moyen
8. M. et Mme M... font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables leurs demandes comme étant présentées pour la première fois en cause d'appel, alors « qu'il ressort des conclusions présentées pour M. et Mme M... en première instance qu'ils avaient déjà saisi le tribunal des demandes que la juridiction a déclarées irrecevables comme nouvelles ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de première instance, en violation de l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
9. La société ACM conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est nouveau.
10. Cependant, le moyen, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, est de pur droit.
11. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
12. Pour déclarer irrecevables les demandes de rétablissement d'une électricité conforme sous astreinte, d'expertise et d'indemnisation, l'arrêt retient que ces demandes constituent des demandes nouvelles, irrecevables en application de l'article 564 du code de procédure civile.
13. En statuant ainsi, alors que M. et Mme M... avaient déjà saisi le tribunal des demandes d'expertise et d'indemnisation et que la demande de rétablissement d'une électricité conforme sous astreinte était un complément à la demande de remise sous astreinte de « l'attestation Consuel », la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis des conclusions, a violé le principe susvisé.
Demandes de mise hors de cause
14. Il y a lieu de mettre hors de cause la Caisse de Crédit mutuel, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
15. En revanche, il convient de rejeter la demande de mise hors de cause de la société ACM.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare M. et Mme M... irrecevables en leurs demandes nouvelles, l'arrêt rendu le 12 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;
Met hors de cause la Caisse régionale de Crédit mutuel du Centre ;
Rejette la demande de mise hors de cause de la société Assurances du Crédit mutuel ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;
Condamne la société Fedrigo aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Fedrigo à payer à M. et Mme M... la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze janvier deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Boullez, avocat aux Conseils, pour M. et Mme M....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR déclaré irrecevables les demandes formées par M. et Mme M... comme étant présentées pour la première fois en cause d'appel ;
AUX MOTIFS QUE la demande de L... M... et B... T... épouse M... tendant à voir condamner la société Fedrigo Entreprise générale de Bâtiment à rétablir l'électricité conforme sous astreinte, et la demande d'expertise, ainsi que la demande d'indemnisation relative aux défaillances électriques alléguées et à un dommage qui aurait été causé à leur fille mineure, constituent des demandes nouvelles, irrecevables en application de l'article 564 du code de procédure civile ;
1. ALORS QUE les demandes reconventionnelles sont recevables pour la première fois en cause d'appel ; qu'il s'ensuit qu'en l'état de l'opposition formée par M. et Mme M... à l'ordonnance portant injonction de payer, M. et Mme M... étaient recevables à former une demande reconventionnelle pour la première fois en cause d'appel ; qu'en déclarant irrecevables les demandes formées par M. et Mme M... comme étant présentées pour la première fois en cause d'appel, la cour d'appel a violé les articles 567 et 1417 du code de procédure civile ;
2. ALORS QU'il ressort des conclusions présentées pour M. et Mme M... en première instance qu'ils avaient déjà saisi le tribunal des demandes que la juridiction a déclarées irrecevables comme nouvelles ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de première instance, en violation de l'article 4 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR écarté les demandes indemnitaires de M. et Mme M... ainsi que celle tendant à la remise de l'attestation Consuel et D'AVOIR condamné M. et Mme M... à payer à la société Fedrigo Entreprise générale de Bâtiment la somme de 7.549,10 € outre intérêts au taux légal à compter du 21 avril 2015, et ordonnait capitalisation de ces intérêts ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE des mesures conservatoires ont été prises afin de sécuriser les lieux, pour un prix total de 1438,37 € TTC, qui a été réglé ; qu'ensuite, un premier devis a été établi le 20 février 2014 entre L... M... et B... T... épouse M... et la société Fedrigo Entreprise générale de Bâtiment pour un montant de 64 256,50 € TTC, sur lequel ont été payés un acompte de 19 276,95 € le 23 juillet 2014 et la somme de 6375,82 € le 15 décembre 2014 (situation n° 1 – pièce 8) ; que la situation n° 2 a fait l'objet d'une facture de 25 598,14 € (pièce 10) sur laquelle ont été payées la somme de 8948,57 € le 9 avril 2015 et la somme de 9448,56 € le 15 avril 2015 ; qu'aucun autre paiement n'est établi de la part de L... M... et B... T... épouse M... pour cette facturation, de sorte que ces derniers demeurent redevables à ce titre d'un montant de 3201,81 €; que la situation n° 3, facturée pour 15 768,3 2015, a été payée à hauteur de 12 657 € 50, le 30 janvier 2015, soit un solde dû de 3 110,89 €, aucun élément tangible démontrant autre paiement fait à ce titre ; que la facture n° 2015-095-B, pour 1236,40 €, n'a pas été non plus payée par L... M... et B... T... épouse M... ; que c'est donc bien la somme totale de 7549,90 € qui reste due, L... M... et B... T... épouse M... ne rapportant pas la preuve d'autre paiement comme les y contraignent les dispositions de l'article 1315 du code civil alors en vigueur, ainsi que le soutient la société Fedrigo Entreprise générale de Bâtiment au titre du premier devis ; que les travaux complémentaires, objet du deuxième devis du 11 décembre 2014, ont été intégralement payés ; qu'il échet ainsi d'infirmer le jugement querellé en ce qu'il a débouté la société Fedrigo Entreprise générale de Bâtiment de sa demande de paiement, et de lui allouer la somme qu'elle réclame ;
ET QUE le procès-verbal de réception sans réserve a été établi le 25 février 2015 ; qu'aucune contestation relative à des malfaçons n'a été élevée dans le délai de deux ans, alors qu'il est évident qu'il n'en aurait pas été ainsi si l'installation électrique avait été déficiente au point de priver d'électricité les occupants de l'immeuble ; qu'aucune malfaçon n'a été évoquée avant le cours de la présente procédure, de sorte que c'est à bon droit que le premier juge a prononcé comme il l'a fait sur la conformité des travaux ; que les demandes de L... M... et B... T... épouse M... relativement au rétablissement de l'électricité et à la remise en état de l'installation ne résistent pas à l'examen, puisqu'ils n'établissent aucunement qu'une défaillance serait intervenue après le 25 février 2015, et qu'ils auraient été privés d'électricité pendant un temps aussi long ;
1. ALORS QU'il incombe à l'entrepreneur qui réclame le paiement du prix de ses prestations d'établir le montant de sa créance, et à cet effet de fournir au juge les éléments permettant de fixer ce montant et qu'il appartient au juge d'apprécier celui-ci en fonction de la qualité du travail fourni ; qu'en décidant que M. et Mme M... demeurent redevables d'une facture impayée sans vérifier qu'une telle somme était justifiée par les travaux réalisés par la société FEDRIGO, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1315 dans leur rédaction applicable en l'espèce ;
2. ALORS QUE la réception ne couvre que le vice ou le défaut de conformité apparent qui n'a pas fait l'objet de réserves ; que M. et Mme M... ont soutenu qu'ils avaient signé le procès-verbal de réception des travaux, sans qu'ils aient été en mesure de vérifier leur achèvement, ni de s'assurer que l'installation électrique fonctionnait, à défaut d'avoir reçu de la société Fedrigo de l'attestation de conformité Consuel permettant le raccordement au réseau ; qu'en se déterminant ainsi sur la seule considération d'une réception sans réserve sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si M. et Mme M... étaient à même d'apprécier les défauts de l'installation électrique dans leur ampleur, leur cause et leur conséquence, en dépit de l'absence de raccordement de l'installation au réseau, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce ;
3. ALORS QUE M. et Mme M... ont fait constater le défaut de fonctionnement de l'installation électrique dans les deux ans qui ont suivi l'établissement du procès-verbal de réception, ce qui ressort du rapport d'expertise, le constat de décembre 2016 et celui du 10 février 2017 établissant les dysfonctionnements de l'installation électrique ; qu'en énonçant qu'aucune contestation relative à des malfaçons n'a été élevée dans le délai de deux ans, qu'aucune malfaçon n'a été évoquée avant le cours de la présente procédure, et que M. et Mme M... n'établissent aucunement qu'une défaillance serait intervenue après le 25 février 2015, et qu'ils auraient été privés d'électricité pendant un temps aussi long, la cour d'appel qui ne s'est pas expliqué sur les différentes pièces visées par les conclusions de M. et Mme M..., a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.