LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 16 décembre 2020
Rejet
Mme BATUT, président
Arrêt n° 811 F-D
Pourvoi n° X 19-19.370
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 16 DÉCEMBRE 2020
Mme Y... M..., domiciliée [...] , a formé le pourvoi n° X 19-19.370 contre l'arrêt rendu le 11 octobre 2018 par la cour d'appel de Bordeaux (chambre des tutelles des majeurs), dans le litige l'opposant :
1°/ à l'Association des oeuvres girondines de protection de l'enfance (AOGPE), dont le siège est [...] , prise en qualité d'administrateur ad hoc de V... F...,
2°/ au procureur général près la cour d'appel de Bordeaux, domicilié [...] ,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Le Cotty, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Briard, avocat de Mme M..., et l'avis de Mme Caron-Déglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 novembre 2020 où étaient présents Mme Batut, président, Mme Le Cotty, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller faisant fonction de doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 11 octobre 2018), V... F... est née le [...] de Mme M... et de W... F.... Celui-ci est décédé le 18 juin 2014 et, par requête du 6 juillet 2017, le département de la Gironde a saisi le juge des tutelles des mineurs, sur le fondement de l'article 383 du code civil, afin qu'il désigne un administrateur ad hoc pour représenter la mineure dans les opérations de liquidation de la succession de son père.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
3. Mme M... fait grief à l'arrêt de désigner l'AOGPE en qualité d'administrateur ad hoc de V... aux fins de la représenter dans l'intégralité des opérations et procédures afférentes à la liquidation de la succession de son père W... F..., alors :
« 1°/ que le juge des tutelles ne peut procéder à la nomination d'un administrateur ad hoc que lorsque les intérêts de l'administrateur légal sont en opposition avec ceux du mineur ; qu'après avoir relevé que Mme M... ne se trouvait pas, stricto sensu, en opposition d'intérêt avec sa fille V..., l'arrêt a néanmoins désigné l'AOGPE en qualité d'administrateur ad hoc de la mineure aux fins de la représenter dans le cadre de la liquidation de la succession de son père ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 383 du code civil ;
2°/ subsidiairement, que le juge des tutelles ne peut procéder à la nomination d'un administrateur ad hoc que lorsque les intérêts de l'administrateur légal sont en opposition avec ceux du mineur ; que pour désigner l'AOGPE en qualité d'administrateur ad hoc de la mineure aux fins de la représenter dans le cadre de la liquidation de la succession de son père, l'arrêt retient que la mère a une faible tension artérielle, se trouve souvent fatiguée et ne peut faire plusieurs choses à la fois, qu'elle a d'autres procédures en cours et ne s'était pas estimée en capacité de venir soutenir son appel à l'audience du 22 mars 2018 après avoir sollicité et obtenu le renvoi, qu'elle a tardé à fournir l'acte de décès du père de l'enfant que lui réclamait le juge des tutelles, qu'elle explique connaître des difficultés dans la réception de son courrier, qu'elle n'a pas répondu à l'AOGPE qui l'avait contactée pour l'associer aux démarches relatives à la liquidation de la succession et que le notaire assistant a pu parler précédemment, en ce qui concerne ses silences, d'une obstruction ayant ralenti le règlement de la succession, de sorte qu'il apparaît impossible à la mère, pour des raisons de santé, de s'occuper de plusieurs affaires à la fois, d'autant qu'elle a entrepris une qualification professionnelle intéressante mais ardue ; qu'en se prononçant ainsi par des motifs, tirés des difficultés rencontrées dans l'exercice de l'administration légale appartenant à la mère, qui sont impropres à caractériser une oppositions entre les intérêts de celle-ci et ceux de sa fille mineure, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 383 du code civil. »
Réponse de la Cour
4. Aux termes de l'article 383, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015, lorsque les intérêts de l'administrateur légal unique ou, selon le cas, des deux administrateurs légaux sont en opposition avec ceux du mineur, ces derniers demandent la nomination d'un administrateur ad hoc par le juge des tutelles ; à défaut de diligence des administrateurs légaux, le juge peut procéder à cette nomination à la demande du ministère public, du mineur lui-même ou d'office.
5. L'arrêt relève que, si Mme M... n'est pas en opposition d'intérêts avec sa fille dans le règlement de la succession elle-même en ce que, n'étant pas le conjoint survivant de W... F..., elle ne peut prétendre à aucun droit dans sa succession, celle-ci a toutefois manifesté, devant l'assistante sociale, son intention d'utiliser les fonds de la succession revenant à sa fille pour régler des dettes personnelles et faire l'acquisition d'un véhicule. Il énonce qu'elle a retardé le règlement de la succession en interjetant appel du jugement de divorce avec W... F... deux ans après son prononcé, alors que ce dernier était remarié, qu'elle n'a transmis l'acte de décès de celui-ci au juge des tutelles que trois ans après le décès, en dépit des réclamations du magistrat, et qu'elle n'a pas répondu à l'initiative de l'AOGPE du 15 décembre 2017 tendant à l'associer aux démarches relatives à la liquidation de la succession. Il ajoute que, selon le notaire, Mme M... est responsable d'une « obstruction qui a considérablement ralenti » le règlement de la succession.
6. Ayant ainsi fait ressortir que, par son comportement, la mère avait perturbé le règlement de la succession dans un intérêt contraire à celui de sa fille, la cour d'appel, qui en souverainement déduit l'existence d'un conflit d'intérêts entre elles, a légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme M... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize décembre deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SARL Cabinet Briard, avocat aux Conseils, pour Mme M...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir désigné l'AOGPE en qualité d'administrateur ad hoc de Mlle V... F..., née le [...] , aux fins de représenter cette mineure dans l'intégralité des opérations et procédures afférentes à la liquidation de la succession de son père W... F..., décédé le 18 juin 2014, et spécialement signer tous les actes y afférents, d'une part, et de procéder à tous les contacts nécessaires, notamment auprès du pôle « Solidarité vie sociale » du conseil départemental de la Gironde, et d'avoir dit que l'administrateur ad hoc devra déposer un rapport suite à l'exécution de sa mission et en adresser une copie au représentant légal, rendre compte au juge des tutelles de toute difficulté dans l'accomplissement de sa mission et transmettre sa note de frais lesquels seront pris en charge par la mineure ;
Aux motifs que « Mme Y... M... a conclu au fond de façon subsidiaire ; que l'AOGPE et le ministère public étaient présents à l'audience ; qu' en l'espèce, le juge des tutelles a été saisi par une requête du 6 juillet 2017 du conseil départemental de la Gironde ; que la convocation de Mme Y... M... ne constitue donc pas l'acte introductif d'instance et la Cour s'estime compétente pour statuer sur le fond, après avoir entendu les arguments de chacune des parties ; que la requête du conseil départemental de la Gironde était intitulée "demande de nomination d'un administrateur ad hoc en faveur de la mineure V... F..." ; que le service social expliquait que Mme Y... M... était connue depuis 2009 date à laquelle [elle] s'était séparée de M. F..., son époux et père de V..., dans un contexte de violences conjugales ; qu'originaire de Côte d'Ivoire, elle était arrivée en France avant son mariage à la fin des années 1990 avec sa fille aînée née en [...] ; que de 2009 à 2015 Mme Y... M... et ses enfants avaient connu une longue période d'errance et de précarité et une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert avait fonctionné jusqu'au 30 décembre 2015 au bénéfice de V... ; que relogée on 2015, elle n'avait pas réglé ses loyers au motif que l'appartement serait bruyant et se trouvait au moment de la requête susceptible d'être expulsée ; qu' elle aurait déclaré à l'assistante sociale que sa fille allait hériter des sommes importantes et qu'elle allait utiliser cet argent pour payer sa dette de loyers, acheter une voiture et régler d'autres dettes ; qu' elle se refusait à écrire au juge des tutelles, présentait une pensée chaotique, sans lien directeur et sans logique, qu' elle se focalisait sur ses procédures passées et ne semblait pas en capacité d'agir dans l'intérêt exclusif de sa fille ; que l'assistante sociale estimait nécessaire la nomination d'un administrateur ad hoc pour représenter V... dans le règlement de la succession de son père ; que ce règlement est actuellement ralenti car le résultat d'une autre procédure judiciaire en cours doit être attendu ; qu'en effet, Mme Y... M... soutient que le jugement prononçant le divorce d'avec M. F... ne lui a pas été signifié régulièrement ; qu'elle en a interjeté appel deux ans après le divorce et le sort de cet appel est actuellement pendant devant la Cour de cassation alors que M. F... s'était remarié ; que devant la Cour, Mme Y... M... fait valoir qu'elle n'accepte pas la motivation du juge des tutelles selon laquelle il existerait, suivant les termes de l'article 383 du Code Civil, une opposition d'intérêt entre elle et son enfant ; qu' il est exact que M. F... laissant un conjoint survivant, qui n'est pas l'appelante, et deux enfants dont V..., Mme Y... M... ne se trouve pas, stricto sensu, en opposition d'intérêt avec sa fille puisqu'elle ne peut prétendre à aucun droit dans le règlement de la succession de son ex-mari ; que cependant l'appelante, comme elle le dit elle-même dans son courrier à la Cour du 3 mars 2018, a une faible tension artérielle, se trouve souvent fatiguée et "ne peut faire plusieurs choses à la fois" ; qu'elle a d'autres procédures en cours, dont celle évoquée ci-dessus et une procédure engagée contre son bailleur pour des nuisances dans son appartement et ne s'était pas estimée, par exemple, en capacité de venir soutenir son appel à l'audience de la Cour du 22 mars 2018, procédure pour laquelle elle avait sollicité et obtenu le renvoi ; qu'alors que l'acte de décès de M. F..., décès survenu le 18 juin 2014, lui a été réclamé par le juge des tutelles à plusieurs reprises, elle ne l'a fourni que le 6 novembre 2017 ; que Mme Y... M..., dans un courrier du 16 octobre 2017, explique aussi recevoir difficilement ses lettres, elle indique que parfois elles arrivent déchirées, elle fait état d'une adresse en boîte postale ([...] ) qui pourtant n'est pas celle qu'elle indique à la Cour ; que contactée par l'AOGPE le 15 décembre 2017 (au bâtiment B) afin d'être associée aux démarches relatives à la liquidation de la succession, elle n'a pas répondu ; que précédemment, le notaire assistant, Maître K..., a pu parler, en ce qui concerne ses silences, d'une "obstruction qui a considérablement ralenti" le règlement de la succession ; que la Cour relève que les observations des divers intervenants, assistante sociale, notaire, AOGPE, concordent avec les appréciations que Mme Y... M... porte sur elle-même, soit qu'il lui est impossible, pour des raisons de santé, de s'occuper de plusieurs affaires à la fois d'autant qu'elle a entrepris une qualification professionnelle intéressante et difficile ; que dès lors, la désignation d'un administrateur ad hoc exclusivement chargé de régler la succession de M. F... est fondée et la Cour désignera à cette fin l'AOGPE » (arrêt, pages 4 et 5) ;
1° Alors que le juge des tutelles ne peut procéder à la nomination d'un administrateur ad hoc que lorsque les intérêts de l'administrateur légal sont en opposition avec ceux du mineur ; qu'après avoir relevé que Mme M...-F... ne se trouvait pas, stricto sensu, en opposition d'intérêt avec sa fille V..., l'arrêt a néanmoins désigné l'AOGPE en qualité d'administrateur ad hoc de la mineure aux fins de la représenter dans le cadre de la liquidation de la succession de son père ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 383 du code civil ;
2° Alors, subsidiairement, que le juge des tutelles ne peut procéder à la nomination d'un administrateur ad hoc que lorsque les intérêts de l'administrateur légal sont en opposition avec ceux du mineur ; que pour désigner l'AOGPE en qualité d'administrateur ad hoc de la mineure aux fins de la représenter dans le cadre de la liquidation de la succession de son père, l'arrêt retient que la mère a une faible tension artérielle, se trouve souvent fatiguée et ne peut faire plusieurs choses à la fois, qu'elle a d'autres procédures en cours et ne s'était pas estimée en capacité de venir soutenir son appel à l'audience du 22 mars 2018 après avoir sollicité et obtenu le renvoi, qu'elle a tardé à fournir l'acte de décès du père de l'enfant que lui réclamait le juge des tutelles, qu'elle explique connaître des difficultés dans la réception de son courrier, qu'elle n'a pas répondu à l'AOGPE qui l'avait contactée pour l'associer aux démarches relatives à la liquidation de la succession et que le notaire assistant a pu parler précédemment, en ce qui concerne ses silences, d'une obstruction ayant ralenti le règlement de la succession, de sorte qu'il apparaît impossible à la mère, pour des raisons de santé, de s'occuper de plusieurs affaires à la fois, d'autant qu'elle a entrepris une qualification professionnelle intéressante mais ardue ; qu'en se prononçant ainsi par des motifs, tirés des difficultés rencontrées dans l'exercice de l'administration légale appartenant à la mère, qui sont impropres à caractériser une oppositions entre les intérêts de celle-ci et ceux de sa fille mineure, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 383 du code civil ;
3° Alors, subsidiairement, que lorsqu'en application des dispositions de l'article 383 du code civil, la juridiction procède à la désignation d'un administrateur ad hoc et que dans l'intérêt de l'enfant, il est impossible de choisir celui-ci au sein de la famille ou parmi les proches du mineur, la juridiction peut désigner l'administrateur ad hoc parmi les personnes figurant sur la liste prévue à l'article R. 53 du code de procédure pénale ; que l'arrêt a désigné l'AOGPE en qualité d'administrateur ad hoc de la mineure aux fins de la représenter dans le cadre de la liquidation de la succession de son père, bien que Mme M...-F... ait signalé que V... avait une demi-soeur, désormais majeure, née d'un autre père le 28 mai 1996 ; qu'en se prononçant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas établi que l'intérêt de l'enfant s'opposait à ce que ce membre de la famille de la mineure puisse être choisi comme administrateur ad hoc, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1210-1 du code de procédure civile.