La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/11/2020 | FRANCE | N°19-23243;19-23379

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 3, 26 novembre 2020, 19-23243 et suivant


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 26 novembre 2020

Cassation

M. CHAUVIN, président

Arrêt n° 892 F-D

Pourvois n°
H 19-23.243
E 19-23.379 JONCTION

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 NOVEMBRE 2020

La société Carrare, société à

responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,

a formé le pourvoi n° H 19-23.243 contre un arrêt rendu le 4 juillet 2019 par la cour d'appel de Paris...

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 26 novembre 2020

Cassation

M. CHAUVIN, président

Arrêt n° 892 F-D

Pourvois n°
H 19-23.243
E 19-23.379 JONCTION

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 NOVEMBRE 2020

La société Carrare, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,

a formé le pourvoi n° H 19-23.243 contre un arrêt rendu le 4 juillet 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 9), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Bouygues bâtiment international, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,

2°/ à la société Christophe Ancel, société civile professionnelle, dont le siège est [...] , prise en qualité de mandataire liquidateur de la société Etudes et préfabrication industrielle (EPI),

défenderesses à la cassation.

La société Christophe Ancel, société civile professionnelle, ès qualités, a formé le pourvoi n° E 19-23.379 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Bouygues bâtiment international, société par actions simplifiée,

2°/ à la société Carrare, société à responsabilité limitée,

défenderesses à la cassation.

Sur le pourvoi n° H 19-23.243 :

La société Carrare, demanderesse au pourvoi, invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Sur le pourvoi E 19-23.379 :

La société Bouygues a formé un pourvoi incident dirigé contre le même arrêt.

La SCP Ancel, ès qualités, demanderesse au pourvoi principal, invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l"appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Nivôse, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société Carrare, de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de la SCP Christophe Ancel, ès qualités, de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société Bouygues bâtiment international, après débats en l'audience publique du 13 octobre 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Nivôse, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° H 19-23.243 et E 19-23.379 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 juillet 2019), la société Etudes et préfabrication industrielle (la société EPI), détenue à hauteur de 99 % par la société Bouygues bâtiment, devenue la société Bouygues bâtiment international (la société Bouygues), a exercé une activité de préfabrication industrielle d'éléments en béton dans des locaux faisant l'objet de deux contrats de crédit-bail immobilier conclus avec la société Financière Gaillon, devenue société CMCIC Lease, et de contrats de crédit-bail mobilier conclus avec les sociétés Bail équipement et Sofinabail.

3. La société Bouygues a cédé la société EPI à la société Dal industries pour le prix d'un euro.

4. Parallèlement les parties ont signé un accord cadre de sous-traitance par lequel la société Bouygues s'est engagée à confier ou à faire confier par l'une des sociétés du groupe au bénéfice d'une ou des sociétés du groupe Dal un chiffre d'affaires moyen de 12 195 921 euros par an.

5. En 2002, la société EPI a été transformée en société anonyme.

6. La société CMCIC Lease a refusé de décharger la société Bouygues de ses obligations envers elle au titre des crédits-baux immobiliers.

7. La société Bouygues a cédé à la société Dal industries la totalité des actions de la société EPI.

8. Par acte du 2 mai 2002, la société EPI a acquis les biens immobiliers, objets des contrats de crédit-bail.

9. Par acte du même jour, la société EPI a vendu un bien situé à [...] à la société Carrare, filiale de la société Dal industries, et, le même jour, les deux sociétés ont conclu un bail commercial portant sur l'immeuble.

10. La société EPI a été mise en liquidation judiciaire.

11. La société Bouygues a assigné la société Carrare, le liquidateur ad hoc de la société EPI, et le liquidateur de la société EPI en nullité de la vente et du bail commercial conclus le 2 mai 2002 entre la société Carrare et la société EPI et en réintégration dans le patrimoine de la société EPI de l'immeuble situé à [...] .

Examen des moyens

Sur le moyen unique du pourvoi n° 19-23.243, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

12. La société Carrare fait grief à l'arrêt de constater que la vente de l'immeuble de [...] par la société EPI à la société Carrare le 2 mai 2002 et la conclusion, le même jour, d'un bail commercial entre les mêmes parties, ont été réalisées en fraude des droits des créanciers de la société EPI et, en conséquence, de déclarer inopposable à la procédure de liquidation judiciaire ouverte du chef de la société EPI, la vente intervenue le 2 mai 2002 entre celle-ci et la société Carrare portant sur cet immeuble, ainsi que le bail commercial conclu le même jour entre la société Carrare et la société EPI et de condamner la société Carrare à rembourser au liquidateur de la société EPI le montant des loyers versés par la société EPI à la société Carrare, alors « qu'un acte d'appauvrissement ne peut être attaqué par l'action paulienne que s'il a entraîné l'insolvabilité du débiteur ; que l'insolvabilité doit être établie tant à la date de l'acte suspect qu'à celle à laquelle l'action paulienne est exercée ; qu'en affirmant qu'il n'était « pas nécessaire que le société EPI ait été insolvable au moment des actes contestés », la cour d'appel a violé l'article 1167 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1167 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

13. Selon ce texte, les créanciers peuvent, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits.

14. Pour admettre l'existence d'un fraude paulienne, l'arrêt retient que, contrairement à ce que soutient la société Carrare, il n'est pas nécessaire que la société EPI ait été insolvable au moment des actes contestés, le seul constat de l'appauvrissement de celle-ci étant suffisant pour caractériser l'élément matériel de la fraude paulienne.

15. En statuant ainsi, alors qu'un acte d'appauvrissement ne peut être attaqué par l'action paulienne que s'il a entraîné l'insolvabilité, au moins apparente, du débiteur, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen unique du pourvoi n° 19-23.243 ni sur le pourvoi n° 19-23.379, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 juillet 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;

Condamne la société Bouygues et la SCP Christophe Ancel, prise en sa qualité de liquidateur de la société EPI, aux dépens des pourvois ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six novembre deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyen produit au pourvoi n° H 19-23.243 par la SCP Alain Bénabent, la SCP Delamarre et Jehannin, avocat aux Conseils, pour la société Carrare,

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement rendu le 18 décembre 2017 par le Tribunal de commerce de Melun en ce qu'il a constaté que la vente de l'ensemble immobilier de [...] par la SA Etudes et Préfabrication Industrielle (EPI) à la SARL Carrare le 2 mai 2002 et la conclusion, le même jour, d'un bail commercial entre les mêmes parties, ont été réalisées en fraude des droits des créanciers de la SA Etudes et Préfabrication Industrielle (EPI) et en ce qu'il a, en conséquence, déclaré inopposable à la procédure de liquidation judiciaire ouverte du chef de la société Etudes et Préfabrication Industrielle (EPI), la vente intervenue le 2 mai 2002 entre cette dernière et la SARL Carrare portant sur un ensemble immobilier situé à [...] , cadastré [...] d'une contenance de 2 ha 48 ca 41 a et [...] d'une contenance de 44 ha et 80 ca, ainsi que le bail commercial conclu le 2 mai 2002 entre la SARL Carrare et la SA Etudes et Préfabrication Industrielle (EPI) et condamné la société Carrare à rembourser à la SCP Coudray-Ancel ès-qualités de liquidateur de la SA Etudes et Préfabrication Industrielle (EPI) le montant des loyers versés par la SA Etudes et Préfabrication Industrielle (EPI) à la société Carrare ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE «la fraude paulienne résulte de la réunion de deux éléments, un élément objectif qui est un acte d'appauvrissement du débiteur, ayant pour effet de créer ou d'aggraver son insolvabilité, ou un acte ayant pour effet de porter atteinte au droit de gage général du débiteur ou au droit personnel du créancier qui grève un bien du débiteur, et un élément subjectif qui est l'intention de nuire du débiteur ou la conscience du débiteur de nuire au créancier ; que le créancier doit apporter la preuve des éléments constituant la fraude et que celle-ci existait au jour de l'acte contesté ; qu'il peut invoquer des éléments postérieurs à l'acte frauduleux pour démontrer la fraude ; que le créancier doit également démontrer que le co-contractant du débiteur a agi de façon frauduleuse, le cas échéant, en ce qu'il avait conscience du préjudice subi par le créancier ;

a) Sur l'élément objectif :

que la société Bouygues souhaitait vendre la société EPI avec laquelle elle était tenue solidairement au titre des crédits-bails en cours ; qu'en effet la société EPI étant une société en nom collectif, la société Bouygues était tenue, en application de l'article L. 221-1 du code de commerce , de répondre indéfiniment et solidairement des dettes sociales de sa filiale ; qu'il ressort des expertises qu'au 31 décembre 2001 la société EPI présentait un dernier résultat déficitaire de 1.858.000 euros et des capitaux propres négatifs de 791.000 euros ; qu'elle ne pouvait seule racheter les crédits-bails et l'opération de débouchage négociée après le 10 décembre 2001 ne lui faisait supporter aucune charge et lui permettait de poursuivre son activité, maintenir les emplois et conserver son ensemble immobilier ; que le protocole initial du 10 décembre 2001 prévoyait la poursuite des contrats de crédits-bails par la société EPI, avec substitution de la société Dal industries dans les droits et obligations de la société Bouygues, en tant que garant de la bonne exécution des contrats ; que compte-tenu du refus d'agrément opposé par les banques crédit-bailleurs, les parties ont convenu d'un schéma alternatif, ce qui était prévu dans le protocole (page 6) : "les parties pourront également se concerter afin d'identifier un schéma juridique alternatif et ce dans des conditions économiques identiques à celles qui auraient prévalu si l'accord des banques avait été obtenu" ; que la société Bouygues et la société Dal industries ont alors convenu du rachat par la société EPI des crédits-bails en cours aux conditions rappelées ci-dessus (article 1.1.5.a de l'acte de cession) ;

qu'aux termes du contrat du 21 mars 2002 le rachat des crédits-bails est intégralement financé par la société Dal industries à hauteur de 3.130.130 euros et par la société Bouygues à hauteur de 1.200.000 euros directement auprès des crédit-bailleurs, de façon à permettre à la société EPI de devenir propriétaire de l'immeuble sans avoir à supporter le coût du débouclage ; que le financement de la charge du débouclage par la société Dal industries avait pour contrepartie l'acquisition de 100% du capital de la société EPI, qui devenait propriétaire de l'immeuble constituant son outils de production ; que contrairement à ce que soutient la société Carrare, la société Bouygues, dès lors qu'elle était déchargée de ses obligations envers les crédits-bailleurs, n'avait aucun intérêt à ce que le bien immobilier soit vendu et quitte le patrimoine de la société EPI, contraignant celle-ci, dont c'était l'outil de production, à conclure un bail et à continuer à exposer des charges, sous forme de loyer cette fois et non plus sous forme de redevances envers les crédits-bailleurs ; que la société Bouygues était toujours créancière de la société EPI et avait intérêt à ce que ses charges diminuent, ce qui était réalisé à l'issue de la cession du 21 mars 2002 ; que la vente de l'immeuble à la société Carrare et la conclusion d'un bail avec la société EPI, qui était une conséquence inéluctable de la vente, la société EPI exerçant son activité dans l'immeuble, ont aggravé la situation financière de la société EPI, alors que l'opération de débouclage avait été décidée pour que ses charges diminuent et qu'elle puisse poursuivre son activité ; que la société Dal industries n'a contribué au débouclage des crédits-bails qu'à hauteur de 304.898,03 euros (montant du dépôt de garantie versé par la société Dal industries à la signature du protocole du 10 décembre 2001) au lieu des 3.130.130 euros qu'elle s'était engagée à verser directement au crédit-bailleur ; que le solde du financement du débouclage a été assuré par :

- la société Bouygues à hauteur de 1.143.000 euros, par abandon partiel de créance,
- la société EPI à hauteur de 685.232 euros, empruntés auprès de deux établissements bancaires ;
- la société Carrare à hauteur de 2.140.000 euros empruntés pour acquérir le bien immobilier racheté à la société EPI ;

que M. O... a conclu dans son rapport du 15 mai 2010 : "il apparaît ainsi que l'engagement a été souscrit par la société Dal industries mais qu'il a été satisfait pour la plus large part par la société Carrare, que le financement par la société Carrare a été de courte durée puisqu'il a été remboursé le même jour par la société EPI, en contrepartie de la remise des actifs immobiliers au prix de 2.140.000 euros, que la société EPI, contrairement à ce qui avait été prévu dans l'acte du 21 mars 2002, n'a été propriétaire des actifs considéré qu'un court instant, que le financement ne s'est pas inscrit dans la durée et n'a donc pas eu pour effet de renforcer la structure financière de la société EPI, qu'enfin la société EPI a dû participer elle-même au financement de ses actifs immobiliers en souscrivant à un emprunt bancaire et qu'on peut donc se demander si les conditions prévues lors du changement d'actionnariat en ce qui concerne le financement de ces actifs immobiliers, ont été scrupuleusement respectées" ; que la société EPI, qui ne devait rien débourser et devait devenir propriétaire du bien immobilier, s'est donc endettée et n'a été propriétaire du bien immobilier que pendant une très brève période, qui ne lui a pas permis d'en tirer avantage ; qu'en outre, elle a été contrainte par la suite de payer un loyer élevé à la société Carrare ; que sur l'incidence de l'opération de débouclage dans le bilan de la société EPI, M. O... note que les parties à l'expertise sont d'accord pour constater que le débouclage s'est traduit par une perte de 1.636.839,52 euros ; qu'il estime que la société EPI n'aurait pas dû supporter cette charge car elle résulte d'une décision de son nouvel actionnaire la société Dal industries ; qu'il relève que l'opération de débouclage s'est traduite en définitive pour la société EPI par une charge supplémentaire de 664.131 euros, hors coût du débouclage et des droits d'enregistrements payés par la société Bouygues, et en tenant compte de l'économie de loyer ; qu'il est ainsi établi que l'opération de revente de l'immeuble par la société EPI à la société Carrare et la conclusion le même jour d'un bail commercial entre les deux sociétés a eu pour effet un appauvrissement de la société EPI qui a supporté une partie du coût de débouclage des crédits-bails, a perdu la propriété de son immeuble et s'est engagée à payer un loyer élevé, tous actes qui ont contribué à fragiliser davantage sa situation financière, au détriment de ses créanciers ; que contrairement à ce que soutient la société Carrare il n'est pas nécessaire que la société EPI ait été insolvable au moment des actes contestés ; que le seul constat de l'appauvrissement de celle-ci suffit à caractériser l'élément matériel de la fraude paulienne ;

b) Sur l'élément subjectif

que plusieurs éléments établissent que la société Dal industries, la société EPI, sous le contrôle de celle-ci, et la société Carrare ont agi sciemment à l'insu de la société Bouygues à l'occasion de la vente et de la location de l'immeuble ; qu'il ressort d'un courrier du 12 décembre 2002 de la société Dal industries à la société Bouygues que la société Dal industries, quand elle a racheté la société EPI, n'ignorait pas que la situation de celle-ci n'était pas florissante puisqu'elle invoque un déficit chronique depuis une dizaine d'années, ce qui a d'ailleurs justifié la conclusion avec la société Bouygues d'un contrat-cadre destiné à assurer à la société Dal industries la garantie d'une activité pendant plusieurs années après la cession ; que les offres de rachat de la société EPI par la société Strudal et la société Dal industries des 17 octobre 2000 et 24 juillet 2001 montrent également que les dirigeants des sociétés du groupe [...] connaissaient la situation fragile de la société EPI ; que compte-tenu de la différence importante entre le montant des sommes payées au titre de la levée d'option des crédits-bails et le montant du prix de vente de l'immeuble, la société EPI et la société Carrare ne pouvaient qu'avoir conscience qu'elles agissaient au détriment des créanciers de la société EPI ; que l'immeuble a été vendu au prix de 2.140.000 euros alors qu'une somme de 4.273.438 euros venait d'être versée pour son acquisition ; qu'il doit également être relevé que le même immeuble a été ultérieurement mis en vente par la société Carrare au prix de 4.000.000 euros ; que quant au montant du loyer fixé le 2 mai 2002, dans son projet de rapport d'expertise du 14 mai 2009, M. G..., expert judiciaire, indique que le montant du loyer est supérieur à la valeur locative, calculée sur la base de la valeur vénale de l'immeuble estimée par M. A..., expert mandaté par la société Dal industries ; que le président du groupe [...], dans un courrier du 17 octobre 2000 estimait quant à lui à cette époque que le montant annuel du loyer de l'immeuble ne pourrait être supérieur à 152.450 euros ; qu'or, le bail a été conclu pour un loyer annuel de 365.760 euros, donc excessif par rapport aux estimations, et les dirigeants de la société EPI et de la société Carrare ne pouvaient qu'être conscients des conditions trop onéreuses de la location ; que sont versés à la procédure trois procès-verbaux de délibération du conseil d'administration de la société EPI datés du 22 avril 2002 (2) et du 2 mai 2002 ; que les procès-verbaux datés du 22 avril 2002 mentionnent que le conseil d'administration a statué sur l'acquisition de l'immeuble, sa revente à la société Carrare et la prise à bail par la société EPI ; que dans un des exemplaires des procès-verbaux datés du 22 avril 2002, signé par les administrateurs et portant mention qu'il a été annexé à l'acte d'acquisition du 2 mai 2002, il a également été décidé la souscription de deux prêts de 343.000 euros chacun pour l'acquisition de divers biens mobiliers, matériels et outillages ; que quant à l'autre exemplaire il ne porte pas trace d'une telle décision ; que la résolution indique que l'objet des prêts a été l'acquisition de divers biens mobiliers, matériels et outillages alors que le montant d'un prêt (Société générale) a été affecté à l'acquisition du bien immobilier par la société Carrare, ainsi qu'il ressort des expertises, ce qui n'a pas été contesté par la société Dal industries, et que le second prêt (Banque Fortis) a servi à rembourser une avance consentie par la société Dal industries pour l'acquisition de l'immeuble ; que le procès-verbal daté du 2 mai 2002 porte, quant à lui, sur l'autorisation donnée à M. K..., président de la société, de signer l'acte notarié d'acquisition de l'immeuble par la société EPI en exécution de la levée d'option des crédits-bails ; que le registre de présence au conseil, signé par les administrateurs, ne mentionne que la réunion du 2 mai 2002 et pas celle du 22 avril 2002, et le registre des délibérations ne porte pas trace des procès-verbaux datés du 22 avril 2002, de telle sorte qu'il existe une incertitude sur la régularité des deux procès-verbaux portant cette date ; qu'enfin, les différentes opérations autorisées par le conseil d'administration de la société EPI relèvent des conventions réglementées mais n'ont pas donné lieu à un rapport spécial du commissaire aux comptes comme l'exige l'article L.225-40 du code de commerce ; que les anomalies affectant la procédure d'autorisation par le conseil d'administration de la société EPI des conventions litigieuses, qui ne sont ni expliquées ni justifiée par la société Carrare, rendent suspectes les conditions dans lesquelles ces conventions ont été passées et révèlent le manque de transparence des dirigeants des deux sociétés dépendantes du groupe [...] ; que la société Carrare affirme que la société Bouygues a été informée de l'opération de revente de l'immeuble du 2 mai 2002 ; qu'elle produit deux attestations de Maître S... des 10 décembre 2009 et 17 mai 2010 qui exposent que le 2 mai 2002 ont été signés les actes de cession CMCIC LEASEEPI et EPI-Carrare dans l'étude de Maître C..., en présence, s'agissant de la seconde vente, des représentants de la société Bouygues ; que leur présence, dans des conditions indéterminées, dans leur participation, ne démontre pas qu'ils avaient été tenus informés, avant la signature de l'acte, des opérations de revente et de location de l'immeuble, qui ont eu lieu le même jour que la première vente ; que Maître S... indique dans son attestation du 17 mars 2010 que les représentants de la société Bouygues attendaient la signature de la seconde vente pour vérifier que celle-ci était totalement dégagée du contrat de crédit-bail ; qu'aucune pièce ne vient étayer cette déclaration qui relève de sa propre appréciation, faite plusieurs années après le 2 mai 2002 et alors que dans une attestation du 25 février 2010 M. Q..., représentant de la société Bouygues affirme quant à lui qu'il a bien assisté à la levée d'option anticipée mais qu'il n'a ni participé ni assisté à la revente de l'usine le même jour ; que la société Carrare invoque également des échanges de courrier entre les notaires des parties en mars et avril 2002 ; que dans un courrier du 15 mars 2002, la société Bouygues récapitule pour la société Dal industries les conditions de la cession de la société EPI à la suite des échanges entre les parties mais n'invoque pas la revente et la mise en location de l'immeuble ; que si le courrier fait état de la substitution de la société Bouygues dans les droits de la société EPI au titre des crédits-bails, c'est seulement dans le cas où la levée d'option n'aurait pas lieu, et cette prise de garantie a été effectivement actée le 21 mars 2002, mais il n'en ressort pas que la société Bouygues était d'accord pour que la société EPI revende l'immeuble après la levée de l'option qui la rendait propriétaire, comme le soutient la société Carrare ; que dans les courriers des 22 avril et 2 mai 2002 Maître S... demande à Maître C... de lui fournir des renseignements destinés à compléter le contrat de vente EPI – Carrare puis lui adresse, le jour même de la signature de tous les actes, un procès-verbal de la délibération du conseil d'administration de la société EPI du 22 avril 2002 ; qu'il n'en ressort pas, les courriers étant échangés entre notaires et Maître C... n'étant mandatée par la société EPI que pour l'établissement de l'acte de cession CMIC Lease-EPI, que la société Bouygues savait qu'allait être signée une seconde cession EPI – Carrare ; que dans un courrier du 19 avril 2002, la société Bouygues informe Maître S... que c'est la société EPI qui lèvera l'option des crédits-bails et qu'elle apportera à la société EPI la somme de 2.852.232 euros pour payer la banque ; qu'il n'y est pas question de la seconde cession et il n'en ressort pas non plus que la société Bouygues avait alors connaissance du projet de revente de l'immeuble à la société Carrare ; que s'agissant de la procédure pénale pour abus de biens sociaux qui a été clôturée par un non-lieu, ce non-lieu ne démontre pas l'absence d'élément intentionnel de la fraude paulienne comme il est soutenu ; d'une part l'élément intentionnel de l'infraction d'abus de biens sociaux, caractérisé notamment par l'usage des biens de la société à des fins personnelles, est différent de l'élément subjectif caractérisant la fraude paulienne qui résulte de la simple conscience que le débiteur et son cocontractant ont du préjudice causé au créancier par l'acte litigieux ; que d'autre part, le réquisitoire du ministère public du 21 janvier 2013, cité par la société Carrare indique : "
alors même qu'il est constant que ces opérations ont dans un premier temps été réalisées au su de la partie civile, dans un contexte où la société EPI connaissait des difficultés financières importantes qui devaient la conduire à envisager une restructuration ou une cessation d'activité ; qu'il convient de souligner en outre que les différentes opérations de vente, d'emprunt et de paiement des loyers
", fait une distinction entre les deux séries d'opérations et ne tient pas pour acquis la connaissance par la société Bouygues de la revente de l'immeuble et de la location avant le 2 mai 2002 ;
qu'enfin, ni l'ordonnance de non-lieu du 7 mai 2013 ni l'arrêt confirmatif de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris du 24 novembre 2014 ne mentionnent que la société Bouygues aurait été informée des actes contestées ; qu'il est donc établi que les actes litigieux ont été réalisés à l'insu de la société Bouygues et alors que celle-ci ne les auraient pas acceptés car ils étaient contraires aux intérêts de la société EPI, en situation de fragilité, et à ses propres intérêts en tant que créancières de celle-ci ; que les conditions de la fraude paulienne sont réunies et c'est à juste titre que le tribunal de commerce a déclaré l'action de la société Bouygues et de la SCP Ancel bien fondée » (cf. arrêt p. 9, dernier § à p. 14, §6) ;

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « selon l'acte de cession d'action du 21 mars 2002 "l'acquéreur, c'est-à-dire la société Dal industries, s'engage à contribuer au financement de l'ensemble de ces acquisitions à hauteur de 3.130.130 euros au jour de la réalisation des promesses et directement par versement auprès du CIC, le solde du financement, estimé à 1.200.000 euros étant à apporter par le demandeur, la SA Bouygues Bâtiment International par tous moyens" ; que la SA Etudes et Préfabrication Industrielle "EPI" n'apparaît pas dans le débouclage prévu "compte tenu de sa situation financière précaire" ; qu'au final le Groupe [...] a fait acquérir par la SA Etudes et Préfabrication Industrielle "EPI" l'ensemble immobilier en procédant à la levée d'option anticipée du contrat de crédit-bail pour un montant de 4.273.438,51 euros et fait revendre le même ensemble concomitamment à la SARL Carrare (du groupe [...]) pour le prix de 2.140.000 euros ; que la SARL Carrare a apporté dans le remboursement du crédit-bail une somme de 2.140.000 euros qui n'a aucunement profité à la SA Etudes et Préfabrication Industrielle "EPI" puisqu'elle a été portée au compte du crédit-bailleur à la place de la société Dal industries ; que la SARL Carrare a conclu un bail commercial avec la SA Etudes et Préfabrication Industrielle "EPI" pour un montant de 365.760 euros et fait verser un dépôt de garantie de 91.440 euros ; que ces opérations ont donné lieu à de multiples analyses d'experts qui ont conclu que les opérations se sont traduites par une perte de l'ordre de 1.600.000 euros pour la SA Etudes et Préfabrication Industrielle "EPI" alors qu'elle ne devait supporter aucune charge complémentaire ; qu'elle a en outre dû supporter des emprunts pour 685.232 euros et les intérêts y afférant ; que la SARL Carrare a en outre bénéficié des redevances de crédit-bail payées par la SA Etudes et Préfabrication industrielle "EPI" antérieurement à l'acte du 2 mai 2002, ce qui aurait pour le moins justifié une absence de loyer pendant quelques années, au vu de plus de sa situation précaire ; que nonobstant le loyer qui a été mise à sa charge de 365.760 euros a été apprécié comme totalement excessif puisqu'il aurait dû se situer autour de 250.000 euros ; que le site a été mise en vente pour un prix de 4.000.000 euros, ce que le Tribunal de commerce de Melun ne pourra que rapprocher du chiffre de la cession faite par la SARL Carrare pour un prix de 2.140.000 euros ; que la société Dal industries soutenait que la déconfiture de la SA Etudes et Préfabrication Industrielle "EPI" serait dû au non-respect des obligations commerciales de la SA Bouygues Bâtiment International ; que la Cour d'appel de Paris a jugé dans un arrêt du 29 juin 2016 "que les appelantes ne rapportent pas la preuve que la procédure collective de la société EPI est imputable à la SA Bouygues Bâtiment International ; que les différentes pièces du débat établissent que la société Dal industries a, peu après la signature de l'accord de cession le 21 mars 2002, formulé divers reproches auprès de la SA Bouygues Bâtiment International concernant les difficultés financières de la société EPI, que la modestie du prix de cession et la réalisation d'un audit juste avant la signature de l'acte de cession qui lui donnait connaissance des comptes de la société EPI lui interdisaient de faire en toute bonne foi ; quelle a, quatre mois après la signature menacé de déposer le bilan de la société EPI alors qu'il apparaît, selon les pièces que versent les parties aux débats, que les difficultés relevaient non pas d'un défaut d'activité imputable à la SA Bouygues Bâtiment International, étant observé que la société EPI avait 50% de ses clients extérieurs à la SA Bouygues Bâtiment International en 2001, mais des choix de Dal dans la gestion de cette société, par exemple la répartition au détriment d'EPI des chiffres d'affaires résultant en 2002 de l'activité "Charpente" (EPI = 1/7 et Strudal = 6/7), aggravée par la revente de son bien immobilier de Limoges-Fourches à la société Carrare comme le relève l'ordonnance de nonlieu au juge d'instruction en date du 7 mai 2013 citant Mr O..." ; qu'il apparaît que, loin de remplir ses obligations de la cession de parts, la société Dal industries n'a pas non plus rempli ses obligations commerciales et que le dépôt de bilan annoncé quatre mois après la cession ne peut que caractériser les éléments constitutifs d'une fraude paulienne, d'autant que la résiliation du bail pour non-paiement des loyers a eu lieu la veille de la liquidation judiciaire alors que la SA Etudes et Préfabrication Industrielle "EPI" était filiale du groupe et que les loyers auraient tout à fait pu être payés ; que la résiliation du bail apparaît de nature à déposséder la SA Etudes et Préfabrication Industrielle "EPI" d'un actif de droit au bail que le liquidateur n'aurait pas manqué de négocier en faveur des créanciers ; que tous ces éléments cumulatifs démontrent une faute commise au préjudice d'EPI et au bénéfice de la SARL Carrare ; que le Tribunal de commerce de Melun considérera cette faute comme délibérée et volontaire compte tenu des qualités professionnelles et financières du groupe [...] ; que l'article 1341-2 du Code civil dispose que "le créancier peut aussi agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposable à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits, à charge d'établir, s'il s'agit d'un acte onéreux, que le tiers contractant avait connaissance de la fraude" ; que telle est la situation dans le cas d'espèce ; qu'en conséquence, le Tribunal constatera que la vente de l'ensemble immobilier de [...] par la SA Etudes et Préfabrication Industrielle "EPI" à la SARL Carrare le 2 mai 2002 et la conclusion, le même jour, d'un bail commercial entre les mêmes parties, ont été réalisées en fraude des droits des créanciers de la SA Etudes et Préfabrication Industrielle "EPI" » (cf. jugement p. 14, §11 à p. 16, §8)

1°/ ALORS QU'un acte ne peut être attaqué par l'action paulienne que s'il a entraîné un appauvrissement du débiteur ; que lorsque cet acte s'inscrit dans une opération globale, l'appauvrissement du débiteur doit s'apprécier par référence à sa situation patrimoniale telle qu'elle existait antérieurement à l'opération globale ; qu'en l'espèce, les actes de vente et de bail litigieux conclus le 2 mai 2002 s'inscrivaient dans une opération globale, intervenue le même jour, tendant au « débouclage » des crédits-baux immobiliers auxquels les sociétés EPI et Bouygues Bâtiment étaient solidairement tenus ; que pour retenir l'existence d'un acte d'appauvrissement de la société EPI, la cour d'appel a affirmé que «l'opération de revente de l'immeuble par la société EPI à la société Carrare et la conclusion le même jour d'un bail commercial entre les deux sociétés a eu pour effet un appauvrissement de la société EPI qui a supporté une partie du coût de débouclage des crédits-bails, a perdu la propriété de son immeuble et s'est engagée à payer un loyer élevé, tous actes ayant contribué à fragiliser davantage sa situation financière au détriment de ses créanciers » (cf. arrêt p. 11, §7) ; qu'en se déterminant ainsi, par référence au seul impact, sur la situation patrimoniale du débiteur, du transfert de propriété au profit de la société Carrare résultant de la vente de l'ensemble immobilier, du coût des loyers dus par la société EPI en application du bail et de la fraction du coût du débouclage supporté par cette dernière, quand il lui appartenait de tenir compte de l'impact sur la situation patrimoniale du débiteur de l'opération globale de « débouclage », laquelle avait abouti à une décharge totale de la société débitrice de l'encours restant dû au titres des crédits-baux immobiliers, la cour d'appel a violé l'article 1167 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause ;

2°/ ALORS QU'un acte d'appauvrissement ne peut être attaqué par l'action paulienne que s'il a entraîné l'insolvabilité du débiteur ; que l'insolvabilité doit être établie tant à la date de l'acte suspect qu'à celle à laquelle l'action paulienne est exercée ; qu'en affirmant qu'il n'était « pas nécessaire que le société EPI ait été insolvable au moment des actes contestés », la cour d'appel a violé l'article 1167 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause ;

3°/ ALORS QUE lorsque l'acte attaqué par le biais de l'action paulienne est un acte à titre onéreux, le créancier doit établir la complicité frauduleuse du tiers ; que celle-ci ne peut résulter que de la connaissance par le tiers de l'état d'insolvabilité du débiteur principal au moment de la conclusion de l'acte attaqué ; que pour retenir l'existence d'une telle complicité, la cour d'appel s'est fondée d'une part, sur « la différence importante entre le montant des sommes payées au titre de la levée d'option des crédits-bails et le montant du prix de vente de l'immeuble » (cf. arrêt p. 12, §3) et d'autre part, sur le montant du loyer annuel dû par la société EPI, qualifié d'« excessif » (cf. arrêt p. 12, §6) ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la conscience, par la société Carrare, de l'état d'insolvabilité de la société EPI à la date des actes litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale, au regard de l'article 1167 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause.
Moyens produits au pourvoi principal n° E 19-23.379 par la SCP Delamarre et Jehannin, avocat aux Conseils, pour la société Christophe Ancel, ès qualités,

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d'avoir débouté la SCP Ancel, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société EPI, de sa demande de remboursement par la société Carrare des indemnités d'occupation versées par la société EPI ;

AUX MOTIFS QUE : « s'agissant des indemnités d'occupation, elles ne sont pas exigibles au titre du bail mais au titre de l'occupation de l'immeuble ; qu'en conséquence, l'inopposabilité du bail est sans effet sur l'obligation de les payer et la demande de remboursement sera rejetée, après infirmation du jugement » ;

ALORS QUE l'inopposabilité sanctionnant la fraude paulienne autorise le créancier poursuivant à échapper aux effets d'une aliénation opérée en fraude ses droits ; qu'à l'égard du créancier poursuivant, la vente opérée par le débiteur est dépourvue d'effet ; que l'acquéreur du bien ne peut faire sienne l'indemnité d'occupation, qui est un fruit de la chose, dès lors qu'il ne possède pas de bonne foi, et doit la restituer au créancier agissant ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a déclaré inopposable à la SCP Ancel, ès qualités, l'acte de vente de l'immeuble consenti par la société EPI à la société Carrare le 2 mai 2002 ; qu'à l'égard du liquidateur, la vente était donc dépourvue de tout effet, de sorte, notamment, que l'occupation de l'immeuble devait être tenue pour gratuite ; qu'en retenant pourtant que « s'agissant des indemnités d'occupation, elles ne sont pas exigibles au titre du bail mais au titre de l'occupation de l'immeuble », de sorte que « l'inopposabilité du bail est sans effet sur l'obligation de les payer » (arrêt, p. 15, alinéa 2), quand l'inopposabilité de la vente emportait gratuité de l'occupation à l'égard du liquidateur, la cour d'appel a violé l'article 1167, devenu 1341-2, du code civil, ensemble l'article 549 de ce code.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d'avoir ordonné à la SCP Ancel, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société EPI, de restituer à la société Carrare, au titre de la garantie d'éviction, la somme de 2 140 000 euros correspondant au prix de vente de l'immeuble situé à Limoges-Fourches ;

AUX MOTIFS QUE : « sur la demande de la société Carrare à l'encontre de la SCP Ancel au titre de la garantie d'éviction : que la société Carrare, si la cour fait droit à la demande de la SCP Ancel au titre de l'action paulienne, ce que la cour fait dans le présent arrêt, demande que la SCP Ancel, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société EPI, soit condamnée à lui payer la somme de 2 640 000 euros représentant le remboursement du prix d'acquisition de l'immeuble (2 140 000 euros) et le montant des dépenses nécessaires à la conservation de l'immeuble (500 000 euros) ; que la SCP Ancel et la société Bouygues contestent la recevabilité de la demande en invoquant le défaut de déclaration de la créance par la société Carrare ; que la créance de restitution du prix de vente d'un bien est une créance postérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective si la vente est déclarée inopposable après l'ouverture de la procédure collective du vendeur, ce qui est le cas en l'espèce ; que contrairement à ce que soutiennent les intimées la demande de restitution du prix de vente de l'immeuble est donc recevable ; que pour s'opposer à la demande de restitution les intimées invoquant, ainsi qu'il ressort de la lecture de leurs conclusions, un arrêt du 27 avril 1981 de la cour de cassation qui a retenu qu' « en présence des turpitudes réciproques des deux parties, il y a lieu de déclarer d'office irrecevable la demande de l'une dirigée contre l'autre » ; qu'à la suite de l'annulation d'un contrat ou d'une décision d'inopposabilité, il n'y a pas lieu de rejeter une demande de restitution sur le fondement de la règle « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude » que si l'annulation ou l'inopposabilité résulte de l'immoralité de l'objet ou de la cause du contrat ; qu'en l'espèce, s'il est établi que la société Carrare a participé à une fraude, pour autant l'inopposabilité de la vente et du bail ne résulte pas de l'immoralité des conditions dans lesquelles ces actes ont été conclus ; qu'après infirmation du jugement, il sera donc ordonné à la SCP Ancel, agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société EPI, qui a reçu le prix payé par la société Carrare, de restituer à celle-ci la somme de 2 140 000 euros au titre de la garantie d'éviction ; que l'obligation de restitution résultant de la garantie d'éviction ne peut porter que sur la somme payée au moment de la vente et la demande au titre des dépenses de conservation de l'immeuble, qui d'autre part n'est justifiée par aucune pièce, sera rejetée » ;

1/ ALORS QUE la prétendue créance du tiers-acquéreur de mauvaise foi d'un bien vendu en fraude des droits de ses créanciers par un débiteur ultérieurement soumis à une procédure collective est une créance antérieure, chaque fois que la vente est antérieure au jugement d'ouverture ; qu'il en résulte, qu'à peine d'irrecevabilité de la demande en restitution du prix de vente, cette supposée créance doit avoir été déclarée au passif de la procédure collective du débiteur ; qu'en retenant pourtant en l'espèce que « la créance de restitution du prix de vente d'un bien est une créance postérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective si la vente est déclarée inopposable après l'ouverture de la procédure collective du vendeur » (arrêt, p. 15, alinéa 5), la cour d'appel a violé l'article 1167, devenu 1341-2, du code civil, ensemble l'article L. 622-24 du code de commerce ;

2/ ALORS ET SUBSIDIAIREMENT QUE le liquidateur qui poursuit l'inopposabilité d'un acte frauduleusement passé par le débiteur soumis à la procédure collective agit en sa seule qualité de représentant de l'intérêt collectif des créanciers ; qu'en conséquence, l'acte translatif frauduleux doit être déclaré inopposable au liquidateur sans que ce dernier puisse être tenu de restituer au tiers-complice de la fraude le prix de vente ; qu'une telle obligation aurait pour conséquence de rendre les créanciers, représentés par le liquidateur, débiteurs d'une obligation de restitution au profit du tiers qui s'est porté complice d'un acte conclu en fraude de leurs droits ; qu'en condamnant pourtant la SCP Ancel, qui agissait ès qualités de représentant des créanciers de la société EPI, à restituer à la société Carrare le montant du prix de vente sur le fondement de la garantie d'éviction, la cour d'appel a violé l'article 1167, devenu 1341-2, du code civil, ensemble les articles L. 622-20 et L. 641-4 du code de commerce. Moyens produits au pourvoi incident n° E 19-23.379 par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour la société Bouygues bâtiment international

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d'AVOIR débouté la société Bouygues Bâtiment International de sa demande de remboursement par la société Carrare des indemnités d'occupation versées par la société EPI ;

AUX MOTIFS QUE la société Bouygues demande que le jugement soit confirmé en ce qu'il a déclaré les deux actes de vente et de bail inopposables à sa propre personne mais sa demande est sans objet, le tribunal n'ayant pas statué en ce sens, alors que la société Bouygues fait partie des créanciers de la société EPI et qu'en cette qualité les deux actes lui sont nécessairement inopposables ; que s'agissant des indemnités d'occupation, elles ne sont pas exigibles au titre du bail mais au titre de l'occupation de l'immeuble ; qu'en conséquence, l'inopposabilité du bail est sans effet sur l'obligation de les payer et la demande de remboursement sera rejetée, après infirmation du jugement ;

ALORS QUE l'inopposabilité sanctionnant la fraude paulienne autorise le créancier poursuivant à échapper aux effets d'une aliénation opérée en fraude ses droits ; qu'à l'égard du créancier poursuivant, la vente opérée par le débiteur est dépourvue d'effet ; que l'acquéreur du bien ne peut faire sienne l'indemnité d'occupation, qui est un fruit de la chose, dès lors qu'il ne possède pas de bonne foi, et doit la restituer au créancier agissant ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a déclaré inopposable à la société Bouygues Bâtiment International, l'acte de vente de l'immeuble consenti par la société EPI à la société Carrare le 2 mai 2002 ; qu'à son égard, la vente était donc dépourvue de tout effet, de sorte, notamment, que l'occupation de l'immeuble devait être tenue pour gratuite ; qu'en retenant pourtant que « s'agissant des indemnités d'occupation, elles ne sont pas exigibles au titre du bail mais au titre de l'occupation de l'immeuble », de sorte que « l'inopposabilité du bail est sans effet sur l'obligation de les payer » (arrêt, p. 15, alinéa 2), quand l'inopposabilité de la vente emportait gratuité de l'occupation à l'égard du créancier poursuivant, la cour d'appel a violé l'article 1161, devenu 1341-2, du code civil, ensemble l'article 549 de ce code.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d'AVOIR ordonné à la SCP Ancel, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société EPI, de restituer à la société Carrare, au titre de la garantie d'éviction, la somme de 2 140 000 euros correspondant au prix de vente de l'immeuble situé à Limoges-Fourches ;

AUX MOTIFS QUE sur la demande de la société Carrare à l'encontre de la SCP Ancel au titre de la garantie d'éviction : que la société Carrare, si la cour fait droit à la demande de la SCP Ancel au titre de l'action paulienne, ce que la cour fait dans le présent arrêt, demande que la SCP Ancel, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société EPI, soit condamnée à lui payer la somme de 2 640 000 euros représentant le remboursement du prix d'acquisition de l'immeuble (2 140 000 euros) et le montant des dépenses nécessaires à la conservation de l'immeuble (500 000 euros) ; que la SCP Ancel et la société Bouygues contestent la recevabilité de la demande en invoquant le défaut de déclaration de la créance par la société Carrare ; que la créance de restitution du prix de vente d'un bien est une créance postérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective si la vente est déclarée inopposable après l'ouverture de la procédure collective du vendeur, ce qui est le cas en l'espèce ; que contrairement à ce que soutiennent les intimées la demande de restitution du prix de vente de l'immeuble est donc recevable ; que pour s'opposer à la demande de restitution les intimées invoquant, ainsi qu'il ressort de la lecture de leurs conclusions, un arrêt du 27 avril 1981 de la cour de cassation qui a retenu qu'en présence des turpitudes réciproques des deux parties, il y a lieu de déclarer d'office irrecevable la demande de l'une dirigée contre l'autre » ; qu'à la suite de l'annulation d'un contrat ou d'une décision d'inopposabilité, il n'y a pas lieu de rejeter une demande de restitution sur le fondement de la règle « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude » que si l'annulation ou l'inopposabilité résulte de l'immoralité de l'objet ou de la cause du contrat ; qu'en l'espèce, s'il est établi que la société Carrare a participé à une fraude, pour autant l'inopposabilité de la vente et du bail ne résulte pas de l'immoralité des conditions dans lesquelles ces actes ont été conclus ; qu'après infirmation du jugement, il sera donc ordonné à la SCP Ancel, agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société EPI, qui a reçu le prix payé par la société Carrare, de restituer à celle-ci la somme de 2 140 000 euros au titre de la garantie d'éviction; que l'obligation de restitution résultant de la garantie d'éviction ne peut porter que sur la somme payée au moment de la vente et la demande au titre des dépenses de conservation de l'immeuble, qui d'autre part n'est justifiée par aucune pièce, sera rejetée ;

1) ALORS QUE la prétendue créance du tiers-acquéreur de mauvaise foi d'un bien vendu en fraude des droits de ses créanciers par un débiteur ultérieurement soumis à une procédure collective est une créance antérieure, chaque fois que la vente est antérieure au jugement d'ouverture ; qu'il en résulte, qu'à peine d'irrecevabilité de la demande en restitution du prix de vente, cette supposée créance doit avoir été déclarée au passif de la procédure collective du débiteur ; qu'en retenant pourtant en l'espèce que « la créance de restitution du prix de vente d'un bien est une créance postérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective si la vente est déclarée inopposable après l'ouverture de la procédure collective du vendeur» (arrêt, p. 15, alinéa 5), la cour d'appel a violé l'article 1167, devenu 1341-2, du code civil, ensemble l'article L. 621-43 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 devenu L. 622-24 du code de commerce ;

2) ALORS subsidiairement QUE le liquidateur qui poursuit l'inopposabilité d'un acte frauduleusement passé par le débiteur soumis à la procédure collective agit en sa seule qualité de représentant de l'intérêt collectif des créanciers ; qu'en conséquence, l'acte translatif frauduleux doit être déclaré inopposable au liquidateur sans que ce dernier puisse être tenu de restituer au tiers-complice de la fraude le prix de vente ; qu'une telle obligation aurait pour conséquence de rendre les créanciers, représentés par le liquidateur, débiteurs d'une obligation de restitution au profit du tiers qui s'est porté complice d'un acte conclu en fraude de leurs droits ; qu'en condamnant pourtant la SCP Ancel, qui agissait ès qualités de représentant des créanciers de la société EPI, à restituer à la société Carrare le montant du prix de vente sur le fondement de la garantie d'éviction, la cour d'appel a violé l'article 1167, devenu 1341-2, du code civil, ensemble les articles L. 621-39 et L. 622-5 du code de commerce dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 devenus respectivement les articles L. 622-20 et L. 641-4 du code de commerce.


Synthèse
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 19-23243;19-23379
Date de la décision : 26/11/2020
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 04 juillet 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 3e, 26 nov. 2020, pourvoi n°19-23243;19-23379


Composition du Tribunal
Président : M. Chauvin (président)
Avocat(s) : SCP Alain Bénabent , SCP Delamarre et Jehannin, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.23243
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award