LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 novembre 2020
Cassation partielle
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 774 FS-P
Pourvoi n° V 19-11.525
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 25 NOVEMBRE 2020
La société Banque de Polynésie, société anonyme, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° V 19-11.525 contre l'arrêt rendu le 23 novembre 2017 par la cour d'appel de Papeete (chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Faukura, société civile professionnelle, dont le siège est [...] ,
2°/ à M. T... L..., domicilié [...] , pris en qualité de représentant des créanciers au redressement judiciaire de la société Faukura,
3°/ à la Société de développement de Moorea (SDM), dont le siège est [...] ,
4°/ à la société Banque de Tahiti, dont le siège est [...] ,
5°/ à la société Verohia, société civile immobilière, dont le siège est chez M. G... C..., [...] ,
6°/ à M. Q... X..., domicilié [...] ),
7°/ à Mme E... I..., épouse X..., domiciliée [...] ),
8°/ à M. T... L..., domicilié [...] , pris en qualité de liquidateur judiciaire de la Société de développement de Moorea,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Riffaud, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Banque de Polynésie, de la SCP Colin-Stoclet, avocat de la société Faukura, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 octobre 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, M. Riffaud, conseiller rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, Mmes Vallansan, Graff-Daudret, Vaissette, Bélaval, Fontaine, Fevre, conseillers, M. Guerlot, Mmes Barbot, Brahic-Lambrey, M. Blanc, Mmes Kass-Danno, Bessaud, M. Boutié, Mmes Tostain, Bellino, conseillers référendaires, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 23 novembre 2017), par trois actes authentiques du 2 février 2007, la société Faukura a constitué, sous la forme d'un « cautionnement hypothécaire », une sûreté réelle sur un terrain, au bénéfice de la Banque de Polynésie (la banque), en garantie de trois emprunts contractés auprès de celle-ci par la Société de développement de Moorea (la SDM).
2. La SDM a été mise en liquidation judiciaire le 28 novembre 2011.
3. Le 9 décembre 2013, la banque a fait délivrer à la société Faukura un commandement de payer le solde des emprunts ou de délaisser l'immeuble, puis, le 19 février 2014, une sommation de prendre connaissance du cahier des charges en vue de la vente forcée de l'immeuble.
4. Le 13 octobre 2014, la société Faukura a elle-même été mise en redressement judiciaire, M. L... étant désigné en qualité de représentant des créanciers.
5. La société Faukura a demandé que soit constaté l'arrêt de la procédure de saisie immobilière en raison de l'ouverture de la procédure collective.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La banque fait grief à l'arrêt de constater l'arrêt de la procédure de saisie immobilière qu'elle a engagée contre la société Faukura, alors « que la règle de l'arrêt des voies d'exécution prévue par l'article L. 621-40 du code de commerce dans sa version applicable à la Polynésie française, ne s'applique qu'aux voies d'exécution engagées par les créanciers du débiteur en difficulté dont les créances ont une origine antérieure au jugement d'ouverture ; qu'une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'autrui n'impliquant aucun engagement personnel à satisfaire l'obligation d'autrui, le créancier qui poursuit la réalisation d'une telle sûreté ne peut se voir opposer la règle de l'arrêt des voies d'exécution en cas de placement du constituant sous l'empire d'une procédure collective faute de pouvoir être considéré comme un « créancier » du débiteur en difficulté ; qu'en décidant au contraire que la procédure de saisie immobilière engagée par la banque à l'encontre de la société Faukura, qui avait hypothéqué son immeuble en garantie de la dette d'un tiers, était soumise à la règle de l'arrêt des voies d'exécution au motif que la banque était créancière de la société Faukura et que sa « créance » était antérieure à l'ouverture de la procédure de cette société, la cour d'appel a violé l'article susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 621-40 et L. 621-42 du code de commerce, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 et l'article 2169 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 23 mars 2006 :
7. Une sûreté réelle, consentie pour garantir la dette d'un tiers, n'impliquant aucun engagement personnel du constituant de cette sûreté à satisfaire à l'obligation d'autrui, le bénéficiaire d'une telle sûreté ne peut agir en paiement contre le constituant, qui n'est pas son débiteur, et, n'ayant pas acquis la qualité de créancier, il n'est pas soumis à l'arrêt ou l'interdiction des voies d'exécution qui, en application du premier des textes susvisés, résultent de l'ouverture de la procédure collective du constituant. Par conséquent, il peut poursuivre ou engager une procédure de saisie immobilière contre le constituant, après avoir mis en cause l'administrateur et le représentant des créanciers.
8. Pour constater l'arrêt de la procédure de saisie immobilière diligentée par la banque, l'arrêt retient que celle-ci a fait délivrer une sommation de payer à la société Faukura et que l'action ainsi exercée contre cette société tendait au paiement d'une somme d'argent même si la banque n'avait d'action que sur l'immeuble affecté en garantie des emprunts contractés par la SDM. Il retient encore qu'il est de l'essence de la procédure de redressement judiciaire de soumettre l'ensemble des créanciers antérieurs à un régime unique en garantissant que les actifs de l'entreprise ne seront pas « préemptés » tant que la faisabilité d'un plan n'a pas été examinée.
9. En statuant ainsi, alors que, la banque, n'ayant pas la qualité de créancier de la société Faukura mise en redressement judiciaire, n'était pas soumise à la règle de l'arrêt des voies d'exécution résultant de l'ouverture de cette procédure collective, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il constate l'arrêt de la procédure de saisie immobilière dirigée par la Banque de Polynésie contre la société Faukura et rejette les demandes de la Banque de Polynésie tendant à la validation de la surenchère et à la poursuite de la procédure, l'arrêt rendu le 23 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Papeete, autrement composée ;
Condamne la société Faukura aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq novembre deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Banque de Polynésie.
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR constaté l'arrêt de la procédure de saisie immobilière diligentée par la Banque de Polynésie contre la SCP Faukura, placée en redressement judiciaire par le tribunal de première instance le 13 octobre 2014.
AUX MOTIFS PROPRES QUE : « Aux termes des dispositions des articles L. 621-40 à L. 621-42 du code de commerce telles qu'applicables en Polynésie française : Le jugement d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire suspend ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance a son origine antérieurement audit jugement et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent. Il arrête ou interdit également toute voie d'exécution de la part de ces créanciers tant sur les meubles que sur les immeubles. Les instances en cours sont suspendues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit, le représentant des créanciers et, le cas échéant, l'administrateur dûment appelé, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant. Les actions en justice et les voies d'exécution autres que celles précitées sont poursuivies au cours de la période d'observation à l'encontre du débiteur, après mise en cause de l'administrateur et du représentant des créanciers ou après une reprise d'instance à leur initiative. Les dispositions des articles L. 621-43 et suivants imposent, à peine de forclusion, la déclaration des créances qui ont leur origine antérieurement au jugement d'ouverture. Les créanciers titulaires d'une sûreté ayant fait l'objet d'une publication ou d'un contrat de crédit-bail publié sont avertis personnellement et, s'il y a lieu, à domicile élu. La déclaration porte le montant de la créance due au jour du jugement d'ouverture avec indication des sommes à échoir et de la date de leurs échéances. Elle précise la nature du privilège ou de la sûreté dont la créance est éventuellement assortie. Le créancier, porteur d'engagements souscrits, endossés ou garantis solidairement par deux ou plusieurs coobligés soumis à une procédure de redressement judiciaire, peut déclarer sa créance pour la valeur nominale de son titre, dans chaque procédure (art. L 621-51). Par exploit signifié le 13 décembre 2013, la BANQUE DE POLYNÉSIE a fait sommation à la SCP Faukura de lui payer dans les trente jours la somme totale de 38 195 962 F CFP représentant les sommes dues par la S.A.R.L. SDM en liquidation judiciaire au titre de trois prêts, ou de délaisser l'immeuble affecté à titre de caution réelle à la sûreté de cette créance. L'action ainsi exercée par la BANQUE DE POLYNÉSIE à l'égard de la SCP Faukura tendait par conséquent au paiement d'une somme d'argent, même si la banque n'avait d'action que sur l'immeuble affecté par la SCP FAUKURA en garantie des emprunts souscrits par la société SDM. Cette demande a pour objet une créance dont l'origine est antérieure au jugement d'ouverture de la procédure du redressement judiciaire de la SCP Faukura, qui est en date du 13 octobre 2013. Le débiteur principal, la société SDM, était en effet en liquidation judiciaire depuis le 28 novembre 2011. La BANQUE DE POLYNÉSIE, qui avait déclaré sa créance, lui a fait signifier un commandement préalable à saisie immobilière contre cautions solidaires in bonis. Le jugement dont appel a exactement retenu que le jugement d'ouverture du redressement judiciaire de la SCP FAUKURA était exécutoire immédiatement après son prononcé et s'imposait à tous sans qu'il soit nécessaire de le signifier. Ce jugement a ordonné les notifications et mesures de publicité prévues par la loi. La BANQUE DE POLYNÉSIE a ensuite déclaré ses créances au redressement judiciaire. Le redressement judiciaire de la SCP Faukura a produit ses effets de droit nonobstant les dispositions du jugement rendu antérieurement le 4 juin 2014 par le tribunal civil de première instance en matière de saisie immobilière. Le jugement dont appel a à bon droit retenu qu'en cet état, la procédure de saisie immobilière engagée par la BANQUE DE POLYNÉSIE à l'encontre de la SCP Faukura a été arrêtée par l'effet du jugement du 13 octobre 2014 ayant placé cette dernière en redressement judiciaire. Le premier juge a pertinemment constaté que les dispositions de l'article L. 621-40 du code de commerce sont d'ordre public et qu'elles ne prévoient aucune exception. En effet, il est de l'essence de la procédure de redressement judiciaire de soumettre l'ensemble des créanciers antérieurs à un régime unique de poursuites, tout en garantissant que les actifs de l'entreprise ne seront pas préemptés tant que la faisabilité d'un plan de redressement ou de cession n'a pas été examinée. C'est ainsi qu'il est jugé que lorsqu'une procédure de saisie immobilière était en cours au moment du jugement d'ouverture de la procédure, et qu'au mépris de celle-ci, l'adjudication est néanmoins intervenue, celle-ci est nulle et la procédure doit être reprise conformément aux dispositions spéciales prévues par le droit des procédures collectives (Com. 24 oct. 1995 B IV n° 247). Et même lorsque, comme en l'espèce, l'adjudication a été prononcée, mais qu'une surenchère est intervenue, en l'absence d'adjudication définitive de l'immeuble avant le jugement d'ouverture du redressement judiciaire du saisi, la procédure de saisie immobilière en cours à son encontre est arrêtée (Com. 4 mars 2014 B IV n° 43). Le jugement sera par conséquent confirmé. La BANQUE DE POLYNÉSIE conclut néanmoins à bon droit que le premier juge n'a pas été saisi des moyens d'annulation de ses sûretés que présentent devant la cour le débiteur et le représentant des créanciers intimés, et qu'il n'y a pas lieu de statuer dans la présente instance, en matière de procédure de saisie immobilière, sur les créances du saisissant, qui font d'ailleurs l'objet d'un autre appel suite à une décision du juge-commissaire. La solution du présent appel motive qu'il soit dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer dans l'attente du jugement de ce recours L'équité ne commande pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française » ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE : « Aux termes de l'article L. 621-40-11 le jugement d'ouverture arrête ou interdit également toute voie d'exécution de la part des créanciers tant sur les meubles que sur les immeubles. Cet article, dont les dispositions sont d'ordre public et qui ne prévoit aucune exception au principe d'arrêt du droit de poursuite individuel des créanciers au moment de l'ouverture d'une procédure collective en faveur de leur débiteur, doit recevoir application en l'espèce puisque l'instance de saisie immobilière était en cours au moment de l'ouverture du redressement judiciaire. Par voie de conséquence, la procédure de saisie immobilière ne peut être momentanément poursuivie à l'encontre de la SCP FAUKURA. Aucun des moyens avancés par la BANQUE DE POLYNESIE ne résistant à l'analyse il y a lieu de constater l'arrêt de la procédure de saisie immobilière diligentée par la BANQUE DE POLYNESIE contre la SCP Faukura, étant précisé que les poursuites pourront éventuellement être reprises, dans leurs derniers errements, dans les conditions prévues par l'article L. 622-16 alinéa 2 du Code de commerce en cas de conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire ».
1°) ALORS QUE la règle de l'arrêt des voies d'exécution prévue par l'article L. 621-40 du code de commerce dans sa version applicable à la Polynésie Française, ne s'applique qu'aux voies d'exécution engagées par les créanciers du débiteur en difficulté dont les créances ont une origine antérieure au jugement d'ouverture ; qu'une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'autrui n'impliquant aucun engagement personnel à satisfaire l'obligation d'autrui, le créancier qui poursuit la réalisation d'une telle sûreté ne peut se voir opposer la règle de l'arrêt des voies d'exécution en cas de placement du constituant sous l'empire d'une procédure collective faute de pouvoir être considéré comme un « créancier » du débiteur en difficulté ; qu'en décidant au contraire que la procédure de saisie immobilière engagée par la Banque de Polynésie à l'encontre de la SCP Faukura, qui avait hypothéqué son immeuble en garantie de la dette d'un tiers, était soumise à la règle de l'arrêt des voies d'exécution au motif que la Banque de Polynésie était créancière de la SCP Faukura et que sa « créance » était antérieure à l'ouverture de la procédure de la SCP Faukura, la Cour d'appel a violé l'article L. 621-40 du code de commerce dans sa version applicable en Polynésie Française ;
2°) ALORS QUE si le créancier titulaire d'une sûreté réelle pour autrui est tenu, en application du droit en vigueur en Polynésie Française, de faire délivrer au constituant un commandement de payer ou de délaisser le bien avant d'engager une procédure de saisie, le désintéressement du créancier ne constitue qu'une faculté offerte au constituant et ne saurait investir le créancier poursuivant de la qualité de créancier, a fortiori lorsque le constituant a refusé d'exercer cette faculté ; qu'en se fondant sur la circonstance que la Banque de Polynésie avait adressé à la SCP Faukura un commandement de payer ou de délaisser le bien pour retenir que la règle de l'arrêt des voies d'exécution était applicable à la procédure de saisie immobilière engagée par la Banque de Polynésie après l'échec de ce commandement, la Cour d'appel a violé les articles L. 621-40 du code de commerce et 2169 du code civil dans leur version applicable en Polynésie Française ;
3°) ALORS enfin QUE le champ d'application de la règle de l'arrêt des voies d'exécution est exclusivement défini par les dispositions pertinentes du code de commerce, qui sont d'ordre public ; qu'en opposant dès lors à la Banque de Polynésie la règle de l'arrêt des voies d'exécution au motif inopérant qu'il existerait un intérêt à soumettre l'ensemble des « créanciers » à un régime unique et de garantir que les actifs de l'entreprise ne soient pas préemptés tant que la faisabilité d'un plan de redressement ou de cession n'est pas examinée, la Cour d'appel a violé l'article L. 621-40 du code de commerce dans sa version applicable en Polynésie Française.