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25/11/2020 | FRANCE | N°18-25768

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 25 novembre 2020, 18-25768


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CH.B

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 25 novembre 2020

Cassation partielle

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 772 FS-P+R

Pourvoi n° F 18-25.768

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 25 NOVEMBRE 2020

La société GR, société par

actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° F 18-25.768 contre l'arrêt rendu le 12 septembre 2018 par la c...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CH.B

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 25 novembre 2020

Cassation partielle

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 772 FS-P+R

Pourvoi n° F 18-25.768

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 25 NOVEMBRE 2020

La société GR, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° F 18-25.768 contre l'arrêt rendu le 12 septembre 2018 par la cour d'appel de Riom (3e chambre civile et commerciale), dans le litige l'opposant à la société Groupe Dupessey, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.

La société Groupe Dupessey a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Kass-Danno, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société GR, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Groupe Dupessey, et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 octobre 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Kass-Danno, conseiller référendaire rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, Mmes Vallansan, Graff-Daudret, Vaissette, Bélaval, Fontaine, Fevre, conseillers, M. Guerlot, Mmes Barbot, Brahic-Lambrey, M. Blanc, Mme Bessaud, M. Boutié, Mmes Tostain, Bellino, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 12 septembre 2018), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 13 septembre 2017, pourvoi n° 16-12.093), à partir de 2008, la société GR (l'expéditeur) a confié à la société Groupe Dupessey (le transporteur) l'acheminement régulier de déchets de bois à destination de la société italienne Gruppo Trombini (le destinataire). Cette dernière, qui devait s'acquitter des factures du transporteur, a cessé de les payer à compter du mois de septembre 2011. L'expéditeur, dont la garantie a été sollicitée par le transporteur le 14 mars 2012, a payé les prestations des mois d'avril à octobre 2012. Après avoir mis en demeure le destinataire, le transporteur l'a assigné en paiement des prestations des mois de septembre 2011 à mars 2012, puis il a assigné l'expéditeur sur le fondement de l'article L. 132-8 du code de commerce. Invoquant une faute du transporteur, l'expéditeur a reconventionnellement demandé des dommages-intérêts et leur compensation avec la créance du transporteur.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

2. Le transporteur fait grief à l'arrêt de retenir sa faute et le principe de la compensation entre sa dette indemnitaire et la dette de l'expéditeur au titre de la garantie due au transporteur et de le condamner à payer à l'expéditeur une indemnité de 58 250 euros, alors :

1°/ « que ne constitue pas une faute le fait pour le transporteur de ne pas avertir l'expéditeur du défaut de paiement du destinataire avant d'exercer l'action en garantie du paiement du prix du transport prévue à l'article L. 132-8 du code de commerce ; que, pour retenir la responsabilité du transporteur à l'égard de l'expéditeur, la cour d'appel a relevé que le transporteur n'avait informé l'expéditeur qu'en mars 2012 du cumul d'impayés ; qu'en statuant ainsi, elle a violé les articles L. 132-8 du code de commerce et 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce ;

2°/ que le paiement du prix de transport réclamé par le voiturier à l'expéditeur sur le fondement de l'article L. 132-8 du code de commerce, qui n'est que l'exécution d'une obligation légale de garantie, ne peut constituer un préjudice indemnisable ; qu'en indemnisant l'expéditeur du préjudice résultant de ce que le transporteur aurait poursuivi les livraisons au destinataire malgré les difficultés de trésorerie avérées de ce dernier et sans avertir l'expéditeur, la cour d'appel a violé le texte précité et l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 132-8 du code de commerce :

3. Aux termes de ce texte, la lettre de voiture forme un contrat entre l'expéditeur, le voiturier et le destinataire ou entre l'expéditeur, le destinataire, le commissionnaire et le voiturier. Le voiturier a ainsi une action directe en paiement de ses prestations contre l'expéditeur et le destinataire, lesquels sont garants du paiement du prix du transport. Toute clause contraire est réputée non écrite.

4. Ces dispositions excluent toute action de l'expéditeur ou du destinataire en responsabilité du transporteur pour avoir poursuivi des relations avec son donneur d'ordre en dépit des difficultés de paiement rencontrées ou sans les avoir informés de celles-ci.

5. Pour condamner le transporteur à payer à l'expéditeur une indemnité, l'arrêt retient qu'il doit lui être reproché, alors qu'il connaissait les difficultés avérées de paiement du destinataire dès le 23 décembre 2011, de ne pas avoir averti l'expéditeur et d'avoir, au contraire, au détriment de ce dernier, choisi d'exercer la garantie conférée par le contrat de transport le 14 mars 2012, et ce avant même d'avoir mis en demeure le destinataire le 11 avril suivant.

6. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare la société GR irrecevable en sa demande tendant à ce qu'il soit statué sur le taux des intérêts mis à sa charge au titre de la condamnation au paiement prononcée au bénéfice de la société Groupe Dupessey, l'arrêt rendu le 12 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bourges ;

Condamne la société GR aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société GR et la condamne à payer à la société Groupe Dupessey la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq novembre deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyen produit AU POURVOI PRINCIPAL par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société GR.

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société Groupe Dupessey à payer à la SAS GR une indemnité de 58 250 € ;

Aux motifs que « les contrats de transports routiers internationaux de marchandises sont régis par la Convention relative au contrat de transport international de marchandises par route, dite « CMR », en date du 19 mai 1956, et le contrat litigieux relève de cette convention dès lors que le lieu de la prise en charge des marchandises et celui de leur livraison étaient situés dans deux pays différents, la France et l'Italie qui, tous les deux, ont adhéré à la CMR. Toutefois, dans la mesure où cette convention internationale, qui exclut l'application du droit national sauf pour les points qu'elle ne règle pas, n'a pas prévu cette action en garantie, les dispositions de l'article L. 132-8 du code de commerce, qui ouvrent au voiturier une action en garantie du paiement du prix du transport, qu'il peut exercer non seulement à l'encontre de l'expéditeur mais aussi du destinataire, ont vocation à s'appliquer au litige. Au regard de ces dispositions, il y a lieu de rechercher si le transporteur a commis un abus à l'occasion de l'exercice de sa garantie à l'encontre de l'expéditeur, pour l'avoir avisé tardivement de la défaillance du débiteur du prix de cette prestation, ou encore pour avoir fait preuve de négligence et de légèreté dans le recouvrement de sa créance aggravant ainsi la situation du garant. Les factures adressées par la société Groupe Dupessey à la société Gruppo Trombini Spa mentionnaient toutes qu'elles étaient payables à 30 jours et, c'est en vain que le transporteur vient, pour justifier un délai plus important, indiquer qu'une pratique différente, contraire à sa facturation, se serait instituée entre les parties avec des délais de paiement de 80 jours. La chronologie des faits et des échanges entre les parties montre que dans les relations entre le transporteur et la société Gruppo Trombini, les factures impayées se sont étalées sur la période du 16 septembre 2011 au 29 février 2012. Par une télécopie du 23 décembre 2011, intitulé « relance amiable pour retard de paiement », et lui rappelant les pénalités de retard prévues par l'article L. 441-6 du code de commerce, la société Groupe Dupessey a rappelé au destinataire des marchandises qu'il n'avait pas reçu le règlement des factures des 16 et 30 septembre 2011, pour un montant total de 50 370 € et lui a demandé de procéder à leur paiement dans un délai de huit jours. Par une lettre recommandée du 11 avril 2012, qui mentionnait de « nombreuses relances téléphoniques concernant le règlement de nos factures transport » et énonçait les références et les montants de sept factures représentant un montant total de 266 600 € et évoquait la visite, le 26 mars 2012, de l'un des représentants du transporteur dans les locaux du destinataire, qui se serait traduite par un engagement de transmission d'une proposition de règlement avec un échéancier, la société Groupe Dupessey a mis en demeure la société Gruppo Trombini Spa de la régler sous 72 heures à peine d'une saisine du tribunal de commerce de Lyon. Dans les relations du transporteur et de la société GR, et par une lettre recommandée en date du 14 mars 2012, la société Groupe Dupessey, invoquant des transports réalisés entre le 31 août 2011 et le 29 février 2012, ses factures et leur absence de règlement par la société Gruppo Trombini, a sollicité le bénéfice de la garantie et le paiement sous quinzaine d'une somme de 210 140 €. S'il ne peut utilement être reproché au transporteur, en raison de la nature des cargaisons constituées de déchets de bois en vrac, marchandise de faible valeur, de ne pas avoir exercé son droit de rétention qui aurait généré des frais importants, disproportionnés au regard du rapport entre la valeur de la cargaison et le prix unitaire de chacun des transports, lequel variait entre 580 et 630 € HT, il y a néanmoins lieu de s'interroger sur les conditions dans lesquelles il a engagé la garantie de la société GR. Compte tenu de l'ancienneté des relations des parties, initiées en 2008, et du volume des transports effectués, sa relance écrite, adressée par télécopie du 23 décembre 2011 à la société Gruppo Trombini alors même que l'arriéré déterminé en fonction des dates d'échéances portées sur les factures atteignait la somme de 103 790 €, ne peut être considérée comme tardivement fautive. En revanche, il doit être reproché au transporteur, qui connaissait les difficultés avérées de paiement de la société Gruppo Trombini dès cette époque, de ne pas en avoir averti la société GR et d'avoir, au contraire, au détriment de la société GR, choisi d'exercer la garantie conférée par le contrat de transport le 14 mars 2012, et ce avant même d'avoir mise en demeure la société Gruppo Trombini le 11 avril suivant. Cette négligence fautive a privé la société GR de la faculté de reconsidérer ses relations avec la société Gruppo Trombini et d'éviter l'augmentation des impayés à raison des prestations de transport qui ont été exécutées, passé le 23 décembre 2011, et dont le montant s'est établi : - décembre 2011 : 1 790 €, - janvier 2012 : 47 610 € ; - février 2012 : 8 850 €, soit au total la somme de : 58 250 €. Il en résulte que la décision du tribunal de commerce - qui n'a pas pris en considération le temps de latence qui devait nécessairement, en raison du délai d'échéance des factures, s'écouler entre l'information dispensée par la société GR et la faculté de modifier sa relation avec la société Gruppo Trombini, et qui se traduit par un impayé équivalent à un mois des prestations de transport exécutées dans ce même temps par la société Groupe Dupessey - doit être infirmée et que le transporteur sera condamné au paiement d'une indemnité de 58 250 €, venant par compensation, en déduction de sa propre créance » ;

Alors, premièrement, que le transporteur qui, connaissant les difficultés du trésorerie du donneur d'ordre, poursuit ses prestations pendant plusieurs mois et laisse s'accroître le montant des impayés sans aviser en temps utile l'expéditeur de ces difficultés comme une faute en privant ce dernier de la possibilité de suspendre ses expéditions et d'éviter une augmentation des impayés ; que le préjudice réparable correspond à l'aggravation des impayés que cette faute a contribué à créer ; qu'après avoir relevé que la société Dupessey, qui connaissait « les difficultés avérées de paiement de la société Gruppo Trombini » dont l'arriéré atteignait la somme de 103 790 euros au 23 décembre 2011, avait commis une faute en s'abstenant d'en avertir la société GR et en choisissant « d'exercer la garantie conférée par le contrat de transport le 14 mars 2012, et ce avant même d'avoir mise en demeure la société Gruppo Trombini le 11 avril suivant », l'arrêt attaqué retient que cette faute avait seulement « privé la société GR de la faculté de reconsidérer ses relations avec la société Gruppo Trombini et d'éviter l'augmentation des impayés à raison des prestations de transport qui ont été exécutées passé le 23 décembre 2011 » ; qu'en limitant ainsi le préjudice subi par la société GR à l'aggravation des impayés depuis le 23 décembre 2011, date de la première relance écrite adressée par le voiturier à la société Gruppo Trombini, quand il résultait de ses propres constatations que les factures étaient à échéance de 30 jours et que le premier impayé était caractérisé depuis le 17 octobre 2011, la cour d'appel, qui n'en a pas tiré les conséquences légales, a violé les articles 1134, alinéa 3 et 1147 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Alors, deuxièmement, que la motivation d'un jugement doit être intelligible et faire apparaître clairement ou, à tout le moins, suivant une interprétation raisonnable, les faits et les règles de droit qui le justifient ; que pour réduire l'indemnité allouée en première instance à la société GR, l'arrêt attaqué retient qu'en raison « du délai d'échéance des factures », un « temps de latence » devait « nécessairement (
) s'écouler entre l'information dispensée par la société GR et la faculté de modifier sa relation avec la société Gruppo Trombini, et qui se traduit par un impayé équivalent à un mois des prestations de transport exécutées dans ce même temps par la société Groupe Dupessey » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs inintelligibles quant au lien de causalité et au préjudice allégué, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

Alors, enfin, que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que pour infirmer le jugement et réduire à 58 250 € l'indemnité allouée à la société GR, l'arrêt attaqué retient que la négligence fautive de la société Groupe Dupessey l'avait privée « de la faculté de reconsidérer ses relations avec la société Gruppo Trombini et d'éviter l'augmentation des impayés à raison des prestations de transport qui ont été exécutées, passé le 23 décembre 2011, et dont le montant s'est établi : - décembre 2011 : 1 790 €, - janvier 2012 : 47 610 € ; - février 2012 : 8 850 €, soit au total la somme de : 58 250 € » ; qu'en statuant ainsi, quand il résultait de la facture du 31 décembre 2011 versée aux débats par la société Dupessey (pièce n° 6) que ses prestations réalisées entre le 23 décembre et le 31 décembre 2011 s'élevait à plus de 12 000 €, la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé. Moyen produit AU POURVOI INCIDENT par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société Groupe Dupessey.

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir retenu la faute de la société Groupe Dupessey et le principe de la compensation entre la dette de la société GR au titre de la garantie due au transporteur et la dette indemnitaire de la société Groupe Dupessey ainsi que d'avoir condamné cette dernière à payer à la société GR une indemnité de 58 250 € ;

AUX MOTIFS QUE « Toutefois, dans la mesure où cette convention internationale, qui exclut l'application du droit national sauf pour les points qu'elle ne règle pas, n'a pas prévu cette action en garantie, les dispositions de l'article L. 132-8 du code de commerce, qui ouvrent au voiturier une action en garantie du paiement du prix de transport, qu'il peut exercer non seulement à l'encontre de l'expéditeur mais aussi du destinataire, ont vocation à s'appliquer au litige.

Au regard de ces dispositions, il y a lieu de rechercher si le transporteur a commis un abus à l'occasion de l'exercice de sa garantie à l'encontre de l'expéditeur, pour l'avoir avisé tardivement de la défaillance du débiteur du prix de cette prestation, ou encore pour avoir fait preuve de négligence et de légèreté dans le recouvrement de sa créance aggravant ainsi la situation du garant.

Les factures adressées par la société GROUPE DUPESSY à la société GRUPPO TROMBINI mentionnaient toutes qu'elles étaient payables à 30 jours et, c'est en vain que le transporteur vient, pour justifier d'un délai plus important, indiquer qu'une pratique différente, contraire à sa facturation, se serait instituée entre les parties avec des délais de paiements de 80 jours [
]

S'il ne peut être utilement reproché au transporteur, en raison de la nature des cargaisons constituées de déchets de bois en vrac, marchandise de faible valeur, de ne pas avoir exercé son droit de rétention qui aurait généré des frais importants, disproportionnés au regard du rapport entre la valeur de la cargaison et le prix unitaire de chacun des transports, lequel variait entre 580 et 630 euros HT, il y a néanmoins lieu de s'interroger sur les conditions dans lesquelles il a engagé la garantie de la société GR.

Compte tenu de l'ancienneté des relations des parties, initiées en 2008, et du volume des transports effectués, sa relance écrite, adressée par télécopie du 23 décembre 2011 à la société GRUPPO TROMBINI alors même que l'arriéré déterminé en fonction des dates d'échéances portées sur les factures atteignait la somme de 103 790 euros, ne peut être considérée comme tardivement fautive.

En revanche, il doit être reproché au transporteur, qui connaissait les difficultés avérées de paiement de la société GRUPPO TROMBINI dès cette époque, de ne pas en avoir averti la société GR et d'avoir, au contraire, au détriment de la société GR, choisi d'exercer la garantie conférée par le contrat de transport le 14 mars 2012, et ce avant même d'avoir mis en demeure la société GRUPPO TROMBINI le 11 avril suivant.

Cette négligence fautive a privé la société GR de la faculté de reconsidérer ses relations avec la société Gruppo Trombini et d'éviter l'augmentation des impayés à raison des prestations de transport qui ont été exécutées, passé le 23 décembre 2011, et dont le montant s'est établi :
- décembre 2011 : 1 790 €,
- janvier 2012 : 47 610 €,
- février 2012 : 8 850 €,
soit au total la somme de : 58 250 € » (arrêt attaqué, p. 7 avant-dernier § à p. 8 § 1 et p. 8 § 5 à dernier §) ;

1°) ALORS QUE ne constitue pas une faute le fait pour le transporteur de ne pas avertir l'expéditeur du défaut de paiement du destinataire avant d'exercer l'action en garantie du paiement du prix du transport prévue à l'article L. 132-8 du Code de commerce ; que, pour retenir la responsabilité de la société Groupe Dupessey à l'égard de la société GR, la cour d'appel a relevé que le transporteur n'avait informé l'expéditeur qu'en mars 2012 du cumul d'impayés ; qu'en statuant ainsi, elle a violé les articles L. 132-8 du Code de commerce et 1147 du Code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce ;

2°) ALORS QUE le paiement du prix de transport réclamé par le voiturier à l'expéditeur sur le fondement de l'article L. 132-8 du Code de commerce, qui n'est que l'exécution d'une obligation légale de garantie, ne peut constituer un préjudice indemnisable ; qu'en indemnisant l'expéditeur du préjudice résultant de ce que le transporteur aurait poursuivi les livraisons au destinataire malgré les difficultés de trésorerie avérées de ce dernier et sans avertir l'expéditeur, la Cour d'appel a violé le texte précité et l'article 1147 du Code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce ;

3°) ALORS QU'en tout état de cause, la faute consistant pour le transporteur à ne pas avertir l'expéditeur des retards de paiement du destinataire suppose un retard de paiement par rapport au délai de paiement habituel entre les parties ; qu'en considérant que la date à laquelle le transporteur devait avertir l'expéditeur des retards de paiement du destinataire devait être fixée en fonction du délai de paiement de trente jours figurant sur les factures sans s'expliquer sur la circonstance que le destinataire payait habituellement à quatre-vingt jours depuis plusieurs années, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 132-8 du Code de commerce et 1147 du Code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce ;

4°) ALORS QU'en tout état de cause, la société Groupe Dupessey faisait valoir (conclusions p. 14) qu'entre avril et octobre 2012, la société GR avait poursuivi ses transports à destination de la société Gruppo Trombini en prenant à sa charge le paiement du coût du transport, ce dont il résultait qu'il n'existait pas de lien de causalité entre les fautes reprochées à la société Groupe Dupessey et le préjudice de la société GR, consistant dans l'obligation de régler les factures impayées par la société Gruppo Trombini, l'expéditeur souhaitant, malgré le défaut de paiement du destinataire, poursuivre les transports et en assumer le règlement ; qu'en retenant cependant la responsabilité de la société Groupe Dupessey, sans s'expliquer sur cette circonstance, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 132-8 du Code de commerce et 1147 du Code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce ;

5°) ALORS QU'en tout état de cause, l'absence d'information du transporteur vis-à-vis de l'expéditeur quant au défaut de règlement du prix du transport par le destinataire ne peut créer, en toute hypothèse, qu'une perte de chance de limiter le nombre de transports impayés, l'expéditeur pouvant choisir de poursuivre les transports malgré le défaut de paiement du destinataire ; que, de même, l'absence de tentative de recouvrement des factures impayées auprès du destinataire ne peut créer qu'une perte de chance d'obtenir le règlement des sommes dues ; qu'en condamnant cependant le transporteur à indemniser l'expéditeur de l'intégralité du prix du transport, à compter de la date à laquelle le comportement du transporteur a été estimé fautif, la cour d'appel a violé les articles L. 132-8 du Code de commerce et 1147 du Code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 18-25768
Date de la décision : 25/11/2020
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

TRANSPORTS ROUTIERS - Marchandises - Responsabilité - Action en responsabilité contre le transporteur - Exclusion - Difficultés financières rencontrées par le destinataire - Absence d'information de l'expéditeur

TRANSPORTS ROUTIERS - Marchandises - Contrat de transport - Prix - Paiement - Action directe du transporteur contre l'expéditeur ou le destinataire - Applications diverses

Aux termes de l'article L. 132-8 du code de commerce, la lettre de voiture forme un contrat entre l'expéditeur, le voiturier et le destinataire ou entre l'expéditeur, le destinataire, le commissionnaire et le voiturier. Le voiturier a ainsi une action directe en paiement de ses prestations contre l'expéditeur et le destinataire, lesquels sont garants du paiement du prix du transport. Toute clause contraire est réputée non écrite. Ces dispositions excluent toute action de l'expéditeur ou du destinataire en responsabilité du transporteur pour avoir poursuivi des relations avec son donneur d'ordre en dépit des difficultés de paiement rencontrées ou sans les avoir informés de celles-ci


Références :

article L. 132-8 du code de commerce.

Décision attaquée : Cour d'appel de Riom, 12 septembre 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 25 nov. 2020, pourvoi n°18-25768, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : Mme Mouillard
Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 22/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:18.25768
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