LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 19 novembre 2020
Cassation partielle sans renvoi
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1233 F-D
Pourvoi n° Q 18-25.914
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 NOVEMBRE 2020
1°/ Mme U... O...,
2°/ M. C... P...,
domiciliés tous deux [...],
ont formé le pourvoi n° Q 18-25.914 contre l'arrêt rendu le 13 septembre 2018 par la cour d'appel de Nouméa (chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme V... Q..., épouse K..., domiciliée [...] ,
2°/ à M. I... R..., domicilié [...] ,
défendeurs à la cassation.
Mme Q... et M. R... ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kermina, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mme O... et M. P..., de la SCP Alain Bénabent, avocat de Mme Q... et M. R..., et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 octobre 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Kermina, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nouméa, 13 septembre 2018), par un arrêt, devenu irrévocable, du 22 avril 2004, la cour d'appel de Nouméa a condamné solidairement sous astreinte M. P... et Mme O... à régulariser la vente d'un terrain au profit de M. R... et de Mme Q....
2. Au cours de l'année 2013, M. R... et Mme Q... ont assigné M. P... et Mme O... devant la même cour d'appel à fin de liquidation de l'astreinte, de voir constater leur propriété du terrain litigieux et de dire que l'arrêt à intervenir vaudra titre de propriété et sera publié au service de publicité foncière.
3. Par arrêt, devenu irrévocable, du 17 avril 2014, la cour d'appel de Nouméa a dit irrecevables les demandes en constat de propriété et de publication de l'arrêt et a condamné M. P... et Mme O... au paiement d'une certaine somme au titre de l'astreinte qu'elle a liquidée.
4. En 2017, M. R... et Mme Q... ont assigné M. P... et Mme O... devant la même cour d'appel pour voir dire que l'arrêt du 22 avril 2004 valait titre de propriété, voir ordonner sa publication au service des hypothèques et les voir condamner au paiement de dommages-intérêts.
5. M. P... et Mme O... ont invoqué l'irrecevabilité des demandes, à titre principal sur le fondement de l'autorité de la chose jugée par l'arrêt du 17 avril 2014 et, à titre subsidiaire sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie prohibant les demandes nouvelles en appel.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
6. M. R... et Mme Q... font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable leur demande de dommages-intérêts pour trouble de jouissance, alors « que les parties peuvent présenter en cause d'appel une demande en paiement de dommages-intérêts formant l'accessoire des incidents d'exécution provoqués par la partie adverse ; qu'en prononçant l'irrecevabilité de la demande en réparation du préjudice de jouissance dont elle était saisie par les acquéreurs au titre de sa nouveauté, lorsqu'elle formait l'accessoire des demandes liées au refus des vendeurs d'exécuter l'arrêt du 22 avril 2004, la cour d'appel a violé l'article 566 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie. »
Réponse de la Cour
7. La cour d'appel n'ayant pas été saisie d'une demande principale relative à un incident d'exécution de l'arrêt du 22 avril 2004, le moyen manque en fait.
8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
9. M. P... et Mme O... font grief à l'arrêt de déclarer recevable la demande présentée par Mme Q... et M. R... dans le cadre de leur requête aux fins de voir constater que l'arrêt du 22 avril 2004 vaut titre de vente et de le publier au registre des hypothèques, de constater que l'arrêt du 22 avril 2004 vaut titre de vente au profit de Mme Q... et M. R... par Mme O... et M. P... de la parcelle de terrain du lot n° [...] cadastrée n° [...] du morcellement B..., 2e partie, de 75 a 28 ca au [...] et de dire que la présente décision fera l'objet d'une publication à la conservation des hypothèques de Nouméa, alors « que l'irrégularité dont peut être entachée une décision judiciaire ne fait pas obstacle à ce que cette décision acquière l'autorité de la chose jugée, si elle n'a pas été attaquée par les voies de recours ; qu'en considérant que la demande formée devant elle par Mme Q... et M. R..., déjà rejetée par un arrêt du 17 avril 2014, ne se heurtait pas à l'autorité de la chose jugée au motif que cette dernière décision avait « fait une mauvaise interprétation des textes applicables en la matière », la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 1351 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause, aujourd'hui devenu l'article 1355 du code civil, ensemble l'article 480 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1355 du code civil :
10. Il résulte de ce texte que l'autorité de la chose jugée s'attache, dès leur prononcé, aux jugements, quand bien même ils seraient erronés.
11. Pour déclarer recevable la demande de M. R... et de Mme Q... tendant à voir constater que l'arrêt du 22 avril 2004 vaut titre de propriété et ordonner sa publication, constater que l'arrêt du 22 avril 2004 vaut titre de vente à leur profit et dire que l'arrêt à intervenir sera publié au bureau des hypothèques, l'arrêt retient que l'arrêt du 17 avril 2014, dont Mme O... et M. P... opposaient l'autorité de chose jugée, a fait une mauvaise interprétation des textes applicables en la matière en considérant les demandes irrecevables, faute d'avoir été publiées à la conservation des hypothèques, les dispositions de l'article 31 du décret 55-22 du 4 janvier 1955, qui imposent de publier les demandes tendant à faire prononcer la résolution ou l'annulation de droits résultant d'actes soumis à publicité, n'étant pas applicables en Nouvelle-Calédonie, et les textes applicables, à savoir le senatus consulte du 7 juillet 1956 et la loi du 23 mars 1855 sur la transcription hypothécaire dans sa rédaction issue du décret du 24 juillet 1921 et du décret du 30 octobre 1935, ne prévoyant pas une telle obligation. Il ajoute que l'action engagée par Mme Q... et M. R... n'a nullement pour objet de faire prononcer la résolution ou l'annulation de droits résultant d'actes soumis à publicité.
12. En statuant ainsi, par des motifs tirés du caractère erroné de la motivation de l'arrêt du 17 avril 2014, tout en constatant que la demande présentée par M. R... et Mme Q... en 2013, et rejetée par cet arrêt, était la même demande que celle qui lui était soumise, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
13. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
14. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie en effet que la Cour de cassation statue au fond.
15. Il résulte de ce qui a été dit aux paragraphes 10 et 11 que la demande de M. R... et de Mme Q..., tendant à voir constater que l'arrêt du 22 avril 2004 vaut titre de vente et à le voir publier au registre des hypothèques, doit être déclarée irrecevable, comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée de l'arrêt du 17 avril 2014.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré recevable la demande présentée par Mme Q... et M. R... dans le cadre de leur requête aux fins de voir constater que l'arrêt du 22 avril 2004 vaut titre de vente et de le publier au registre des hypothèques, constaté que l'arrêt du 22 avril 2004 vaut titre de vente au profit de Mme Q... et M. R... par Mme O... et M. P... de la parcelle de terrain du lot n° [...] cadastrée n° [...] du morcellement B..., 2e partie, de 75 a 28 ca au [...] et dit que la présente décision fera l'objet d'une publication à la conservation des hypothèques de Nouméa, l'arrêt rendu le 13 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Nouméa ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DÉCLARE IRRECEVABLE, comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée, la demande de M. R... et de Mme Q..., tendant à voir constater que l'arrêt du 22 avril 2004 vaut titre de vente et à le voir publier au registre des hypothèques ;
Condamne M. R... et Mme Q... aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel de Nouméa avec, pour ceux-ci, distraction au profit de Mme Caroline Debruyne, avocat au barreau de Nouméa ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées devant la Cour de cassation et formées devant la cour d'appel ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf novembre deux mille vingt et signé par lui et Mme Martinel, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat aux Conseils, pour Mme O... et M. P...
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré recevable la demande présentée par Mme Q... et M. R... dans le cadre de leur requête aux fins de voir constater que l'arrêt du 22 avril 2004 vaut titre de vente et de le publier au registre des hypothèques, d'avoir constaté que l'arrêt du 22 avril 2004 vaut titre de vente au profit de Mme V... Q... et M. I... R... par Mme U... O... et M. C... P... de la parcelle de terrain du lot n° [...] cadastrée n° [...] du morcellement B..., 2ème partie, de 75 a 28 ca au [...] et d'avoir dit que la présente décision fera l'objet d'une publication à la conservation des hypothèques de Nouméa ;
AUX MOTIFS QUE
« Sur le premier moyen tiré de l'autorité de la chose jugée
Madame U... O... et M. C... P... invoquent en premier lieu l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel en date du 17 avril 2014.
En vertu de cet arrêt la cour a :
Dit que les demandes en constat de propriété et de publication de l'arrêt étaient irrecevables.
Liquidé l'astreinte fixée par l'arrêt de la cour d'appel de ce siège en date du 22 avril 2004 signifié le 8 juin 2004 à la somme de 1.000.000 CFP.
Condamné M. P... et Mme O... solidairement au paiement de cette somme assortie des intérêts au taux légal à compter de ce jour.
Rejeté les demandes plus amples ou contraires.
Condamné Mme U... O... et M. C... P... solidairement à payer à Mme V... Q... et M. I... R... la somme de 150 000 F CFP en application des dispositions de l'article 700 de code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie.
Condamné Mme U... O... et M. C... P... aux dépens qui seront distraits au profit de Me Fantozzi, avocat, sur l'affirmation qu'elle en a fait l'avance sans avoir reçu de provision.
En vertu des dispositions de l'article 1351 du code civil, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
La cour constate que les requérants ont présenté le 25 octobre 2013 la même demande à la cour que celle présentée dans le cadre de la présente procédure. La cour l'avait déclarée irrecevable dans sa décision du 17 avril 2014 au motif que les assignations tant devant le tribunal de première instance que devant la cour n'avaient pas été publiées à la conservation des hypothèques.
La cour relève que l'arrêt invoqué a fait une mauvaise interprétation des textes applicables en la matière en considérant que les demandes irrecevables faute d'avoir été publiées à la conservation des hypothèques.
En effet les dispositions de l'article 31 du décret 55-22 du 4 janvier 1955, qui imposent de publier les demandes tendant à faire prononcer la résolution ou l'annulation de droits résultant d'actes soumis à publicité ne sont pas applicables en Nouvelle-Calédonie.
De même, les textes applicables à savoir le sénatus consulte du 7 juillet 1956 et la loi du 23 mars 1855 sur la transcription hypothécaire dans sa rédaction issue du décret du 24 juillet 1921 et du décret du 30 octobre 1935 ne prévoient pas une telle obligation.
De manière surabondante la cour souligne que l'action engagée par Mme V... Q... et M. I... R... n'a nullement pour objet de faire prononcer la résolution ou l'annulation de droits résultant d'actes soumis à publicité.
En conséquence ce chef de demande ne se heurte pas à l'autorité de la chose jugée par l'arrêt invoqué » ;
ALORS QUE l'irrégularité dont peut être entachée une décision judiciaire ne fait pas obstacle à ce que cette décision acquière l'autorité de la chose jugée, si elle n'a pas été attaquée par les voies de recours ; qu'en considérant que la demande formée devant elle par Mme Q... et M. R..., déjà rejetée par un arrêt du 17 avril 2014, ne se heurtait pas à l'autorité de la chose jugée au motif que cette dernière décision avait « fait une mauvaise interprétation des textes applicables en la matière », la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 1351 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause, aujourd'hui devenu l'article 1355 du code civil, ensemble l'article 480 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie. Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour Mme Q... et M. R...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevable la demande de dommages et intérêts formée par Mme Q... et M. R... en réparation de leur trouble de jouissance ;
AUX MOTIFS QU' « elle constitue manifestement une demande nouvelle au même titre que celle qui avait été présentée devant la cour et rejetée par l'arrêt du 17 avril 2014 » ;
ALORS QUE les parties peuvent présenter en cause d'appel une demande en paiement de dommages et intérêts formant l'accessoire des incidents d'exécution provoqués par la partie adverse ; qu'en prononçant l'irrecevabilité de la demande en réparation du préjudice de jouissance dont elle était saisie par les acquéreurs au titre de sa nouveauté, lorsqu'elle formait l'accessoire des demandes liées au refus des vendeurs d'exécuter l'arrêt du 22 avril 2004, la cour d'appel a violé l'article 566 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie.