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05/11/2020 | FRANCE | N°19-10724

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 3, 05 novembre 2020, 19-10724


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 5 novembre 2020

Cassation partielle

M. CHAUVIN, président

Arrêt n° 793 F-D

Pourvoi n° Z 19-10.724

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 NOVEMBRE 2020

1°/ M. S... I...,

2°/ Mme W... V..., épouse I

...,

domiciliés [...] ,

ont formé le pourvoi n° Z 19-10.724 contre l'arrêt rendu le 11 décembre 2018 par la cour d'appel de Reims (chambre civile, 1r...

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 5 novembre 2020

Cassation partielle

M. CHAUVIN, président

Arrêt n° 793 F-D

Pourvoi n° Z 19-10.724

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 NOVEMBRE 2020

1°/ M. S... I...,

2°/ Mme W... V..., épouse I...,

domiciliés [...] ,

ont formé le pourvoi n° Z 19-10.724 contre l'arrêt rendu le 11 décembre 2018 par la cour d'appel de Reims (chambre civile, 1re section), dans le litige les opposant :

1°/ à la société d'Assurances Areas dommages, dont le siège est [...] ,

2°/ à la société [...], entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,

défenderesses à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Bech, conseiller, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. et Mme I..., de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de la société [...], de Me Le Prado, avocat de la société d'Assurances Areas dommages, après débats en l'audience publique du 15 septembre 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Bech, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 11 décembre 2018), M. et Mme I... ont confié à la société [...] (la société [...]), assurée auprès de la société Areas dommages (la société Areas), la réalisation de la couverture et de la charpente de l'immeuble qu'ils faisaient construire.

2. Se plaignant de malfaçons, M. et Mme I... ont, après expertise, assigné la société [...] en indemnisation de leurs préjudices. La société [...] a appelé en garantie la société Areas.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

3. M. et Mme I... font grief à l'arrêt de dire qu'il n'y a pas eu réception des travaux, alors :

« 2°/ que le principe d'unicité de la réception n'est pas d'ordre public et que les parties peuvent y déroger, expressément ou tacitement ; qu'en retenant, pour exclure toute réception partielle des travaux de charpente, que « rien n'établit que les parties avaient convenu d'une réception par tranches de travaux par dérogation à ce principe d'unicité » ce dont il ressort que la dérogation au principe de l'unicité de la réception ne peut être que d'origine conventionnelle et non tacite, la cour a violé l'article 1792-6 du code civil ;

3°/ que la réception partielle n'est pas prohibée par la loi ; qu'en retenant, pour exclure toute réception partielle des travaux de charpente, qu'il «
ne saurait y avoir de réception par lots en l'espèce dans la mesure où les travaux ont fait l'objet d'un seul et même marché », la cour d'appel a statué par des motifs inopérants et a violé l'article 1792-6 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1792-6 du code civil :

4. Selon ce texte, la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves.

5. Pour dire qu'il n'y a pas eu réception des travaux effectués par la société [...], l'arrêt retient, d'une part, que rien n'établit que les parties étaient convenues d'une réception par tranche de travaux, par dérogation au principe d'unicité de réception, et qu'il n'y a donc pas lieu d'opérer une distinction entre les travaux de charpente et ceux de la couverture, d'autre part, qu'il ne saurait y avoir de réception par lots en l'espèce, dans la mesure où les travaux ont fait l'objet d'un seul et même marché et que c'est donc le même entrepreneur qui a réalisé à la fois la charpente et la couverture en vertu du même devis, la première n'étant d'ailleurs que le support de la seconde.

6. En statuant ainsi, alors que les parties peuvent déroger expressément ou tacitement au principe d'unicité de réception et que la réception partielle par lots n'est pas exclue lorsque plusieurs lots font l'objet d'un seul marché, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquence de la cassation

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

7. Selon ce texte, la censure qui s'attache à un arrêt de cassation est limitée à la portée du moyen qui constitue la base de la cassation, sauf le cas d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

8. La cassation prononcée sur le premier moyen s'étend, par voie de conséquence, aux dispositions ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance, à savoir celles condamnant la société [...] à payer à M. et Mme I... la somme de 2 516 euros au titre des travaux de reprise de la charpente, condamnant M. et Mme I... à rembourser à la société [...] la provision à valoir sur le préjudice de jouissance et disant que la garantie de la société Areas n'est pas mobilisable.

Demande de mise hors de cause

9. La cassation à intervenir sur le chef de l'arrêt disant qu'il n'y a pas eu réception des travaux entraînant celle de la disposition disant que la garantie de la société Areas n'est pas mobilisable, il est nécessaire que cette société soit présente devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit qu'il n'y pas eu de réception des travaux, condamne la société [...] à payer à M. et Mme I... la somme de 2 516 euros au titre des travaux de reprise de la charpente, condamne M. et Mme I... à rembourser à la société [...] la provision à valoir sur le préjudice de jouissance et dit que la garantie de la société Areas dommages n'est pas mobilisable, l'arrêt rendu le 11 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;
Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause la société Areas dommages ;

Remet en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;

Condamne les sociétés Areas dommages et [...] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés Areas dommages et [...] et les condamne à payer à M. et Mme I... la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq novembre deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour M. et Mme I....

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Le moyen fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit qu'il n'y a pas eu réception des travaux ;

AUX MOTIFS QUE « 1°) Sur la détermination du régime de responsabilité applicable
Aux termes de l'article 1792 alinéa 1er du code civil, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.
Les dommages qui relèvent d'une garantie légale ne peuvent donner lieu, contre les personnes tenues à garantie, à une action en réparation sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun. En effet, le régime spécial de responsabilité légale des constructeurs prime sur l'application de l'article 1147 du code civil.
Il y a donc lieu de déterminer en premier lieu si les dommages relèvent en l'espèce de la garantie décennale. À défaut, il y aura lieu de faire application du droit commun de la responsabilité contractuelle résultant de l'article 1147 du code civil (dans sa rédaction ancienne applicable aux faits de l'espèce).
En l'espèce, il est constant que les travaux litigieux, qui consistent en la réalisation d'une charpente et d'une couverture, porte sur la réalisation d'un ouvrage au sens de l'article 1792 du code civil.
La garantie décennale suppose également que les travaux aient fait l'objet d'une réception des travaux en application de l'article 1792-4-1 du code civil.
L'entrepreneur n'aborde cette question qu'à l'occasion de sa demande subsidiaire de garantie formée contre son assureur. Il s'agit cependant pour la cour d'une question préalable. L'Eurl [...] rappelle que la réception peut être tacite en cas de prise de possession manifestant une volonté non équivoque d'accepter l'ouvrage, et fait valoir qu'il n'y a pas de refus exprès de M. I... de réceptionner la charpente, puisqu'il demande, dans son courrier du 13 mars 2008, le remboursement de la couverture moins la charpente ; et qu'il y a réception tacite de la charpente, puisque les travaux la concernant ont été payés, que les difficultés intervenues concernaient la couverture et non la charpente, que les époux I... ont habité la maison et ont établi une déclaration d'achèvement des travaux, et que leur courrier du 18 février 2013 indique que la charpente est réceptionnée et payée. Elle conclut que les travaux de charpente sont réceptionnés, de sorte que la garantie décennale s'applique, et conteste l'affirmation selon laquelle la maison ne serait pas habitable.

Subsidiairement, elle soutient que l'achèvement des travaux et l'habitabilité ne sont pas une condition de la réception tacite. Elle ajoute que le devis distinguait bien les travaux de couverture et les travaux de charpente, et que les époux I... ont eux-mêmes bien distingué la charpente et la couverture, ce qui permet de retenir la réception tacite de la charpente.
La société Areas Dommages fait valoir en premier lieu que les époux I... ont refusé de réceptionner les travaux puisque les désordres sont survenus en cours de chantier, d'où une première demande d'expertise, et que leur courrier du 13 mars 2008 caractérise leur volonté de ne pas accepter les travaux et de ne pas les réceptionner, sans distinction selon les travaux qui constituerait un artifice. Elle conclut qu'il y a refus exprès de réception assorti d'un non-paiement du solde du marché, qui fait d'ailleurs l'objet d'une demande reconventionnelle de la part de l'Eurl [...], et que cette volonté de ne pas réceptionner est non équivoque.
En second lieu, elle invoque l'absence de réception tacite de la charpente et estime que cette analyse du tribunal résulte d'une dénaturation des pièces contractuelles. Elle soutient qu'une éventuelle prise de possession de l'ouvrage ne constitue qu'un critère permettant d'apprécier la réception tacite ou non, et qu'en l'espèce, les éléments du dossier montrent qu'il n'y a pas de volonté non équivoque de recevoir l'ouvrage.
Elle ajoute que la réception est un acte unique, de sorte que la dissociation opérée par le tribunal entre la couverture et la charpente est artificielle. Elle précise que la réception par tranches ou par lots pour les opérations complexes n'est possible que si elle est contractuellement prévue, que la jurisprudence considère en effet que la dérogation au principe d'unicité de la réception doit être contractuellement prévue. Elle souligne en outre que la charpente et la couverture sont liées et ont fait l'objet d'un même marché, et que dans ses courriers, M. I... ne fait aucune distinction et fait état du montant global du marché.
L'article 1792-6 alinéa 1er du code civil dispose : « La réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement. »
Ces dispositions n'excluent pas la possibilité d'une réception tacite, laquelle est utilisée en l'absence de réception expresse, lorsque les parties n'ont pas sollicité le prononcé d'une réception judiciaire. Pour caractériser une réception tacite, le juge doit rechercher si le maître de l'ouvrage a manifesté sa volonté non équivoque d'accepter l'ouvrage. Ainsi, la prise de possession de l'ouvrage caractérise généralement la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage, si elle est accompagnée du paiement de la quasi-totalité du prix des travaux.
Il est traditionnellement admis que la réception concerne l'ouvrage dans son ensemble. Le principe de l'unicité de la réception qui implique l'uniformité du point de départ des règles d'action, n'est cependant pas d'ordre public, la Cour de cassation rappelant que la réception partielle des lots n'est pas prohibée par la loi. Ainsi les parties peuvent conventionnellement déroger à ce principe d'unicité de la réception, en privilégiant les réceptions partielles par lots, auquel cas il existe autant de points de départ du délai décennal qu'il y a de réceptions, même si les travaux intéressent un seul et même ouvrage. Cette réception par lots permet aux entrepreneurs successifs d'être payés du solde du prix, de transférer les risques au maître de l'ouvrage et de faire courir le délai des garanties légales à leur égard, sans attendre l'achèvement total de l'ouvrage. En revanche, il ne peut y avoir réception partielle à l'intérieur d'un même lot.
En l'espèce, il est constant qu'aucun procès-verbal de réception n'a été signé et que les parties n'ont même pas convenu d'un rendez-vous pour procéder à une réception amiable et contradictoire des travaux. Le courrier de mise en demeure de l'Eurl [...] en date du mars 2008 pour le paiement du solde du marché ne fait pas référence à une quelconque réception. Il n'existe donc aucune réception expresse des travaux.
Par courrier du 13 mars 2008, M. et Mme I... ont répondu à l'Eurl [...] en ces termes : « Je vous rappelle que le devis signé bon pour accord le 16/03/07 est un contrat article 1134 du code civil. J'ai sur mon devis une pose en tuiles ou en ardoises 60/30. Le prix sur le devis est de 24 205,84 euros TTC. Lorsque vous avez effectué les travaux rien n'a été respecté. Vous avez posé de l'ardoise 40/24, une pose en gouttière à l'ardennaise, alors j'avais demandé sur mon devis une pendante, vous n'avez jamais mis mes dauphins en PVC, le film micro perforé. Pour ces travaux, j'ai versé 21 103,52 euros TTC le complément ne sera pas payé car je ne réceptionne pas vos travaux car rien ne correspond au devis couverture. Par contre je vous réclame le remboursement de ma couverture moins la charpente 9 euros TTC, c'est-à-dire 11 875,40 euros ».
C'est à juste titre que la société Areas Dommages soutient qu'il n'y a pas lieu en l'espèce de distinguer entre la charpente et la couverture en vertu du principe d'unicité de la réception. D'une part, rien n'établit que les parties avaient convenu d'une réception par tranche de travaux par dérogation à ce principe d'unicité. D'autre part, il ne saurait y avoir de réception par lots en l'espèce dans la mesure où les travaux ont fait l'objet d'un seul et même marché. C'est donc le même entrepreneur qui a réalisé à la fois la charpente et la couverture en vertu du même devis, la première n'étant d'ailleurs que le support de la deuxième. Il n'y a dès lors pas lieu d'opérer une distinction entre les travaux de charpente et ceux de la couverture.
L'Eurl [...] n'apporte pas la preuve que les époux I... aient manifesté leur volonté non équivoque de réceptionner les travaux qu'elle a réalisés. Le courrier précité du 13 mars 2008 démontre plutôt leur refus de les réceptionner.
En outre, la prise de possession des lieux par les maîtres de l'ouvrage ne s'accompagne pas en l'espèce du versement du solde du prix. Au contraire, M. et Mme I... ont exprimé, dans leur courrier précité, leur refus de payer le solde et le souhait d'être remboursé d'environ la moitié du prix des travaux.

Par un courrier du 18 février 2013, M. I... indique certes à la société Areas : « La charpente a été réceptionnée et payée, celle-ci est impropre à sa destination, elle n'a pas les minimas requis à la solidité (vice caché et dangereux) ». Cependant, il s'agit du courrier par lequel il demande à l'assureur la prise en charge du sinistre, de sorte que c'est par opportunisme que M. I... indique que la charpente a été réceptionnée alors qu'il n'en est rien et que les travaux ne peuvent être valablement dissociés pour la réception.
Dès lors, aucune réception tacite des travaux n'est caractérisée en l'espèce.
En l'absence de réception expresse ou tacite des travaux et en l'absence de demande de prononcé de la réception judiciaire, les garanties légales, et notamment la garantie décennale, ne s'appliquent pas.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a retenu une réception tacite et la garantie décennale pour la charpente.
Il y a donc lieu d'apprécier la responsabilité de l'Eurl [...] au regard du droit commun résultant de l'article 1147 ancien du code civil, lequel implique l'existence d'une faute l'origine des préjudices mais met à la charge de l'entrepreneur une obligation de résultat qui emporte présomption de faute et du lien de causalité.
En l'absence de conclusions d'appel de M. et Mme I..., il convient seulement d'examiner chaque condamnation prononcée par le premier juge à l'encontre de l'Eurl [...] afin de les infirmer ou de les confirmer au vu des moyens et pièces présentées par cette dernière » ;

1°) ALORS QUE la réception tacite d'un ouvrage est caractérisée par la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage de le recevoir ; qu'en l'espèce, la cour a constaté que dans leur courrier du 13 mars 2008, les époux I... déclaraient ne pas réceptionner les travaux de devis couverture et demandaient le remboursement de la couverture moins la charpente, c'est-à-dire 11 875,40 euros et que les époux I... ont pris possession des lieux ; qu'en considérant néanmoins que les travaux n'avaient pas fait l'objet d'une réception tacite par les époux I..., la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1792-6 du code civil.

2°) ALORS QUE le principe d'unicité de la réception n'est pas d'ordre public et que les parties peuvent y déroger, expressément ou tacitement ; qu'en retenant, pour exclure toute réception partielle des travaux de charpente, que « rien n'établit que les parties avaient convenu d'une réception par tranches de travaux par dérogation à ce principe d'unicité » ce dont il ressort que la dérogation au principe de l'unicité de la réception ne peut être que d'origine conventionnelle et non tacite, la cour a violé l'article 1792-6 du code civil.

3°) ALORS QUE la réception partielle n'est pas prohibée par la loi ; qu'en retenant, pour exclure toute réception partielle des travaux de charpente, qu'il «
ne saurait y avoir de réception par lots en l'espèce dans la mesure où les travaux ont fait l'objet d'un seul et même marché », la cour a statué par des motifs inopérants et a violé l'article 1792-6 du code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)

Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que l'Eurl [...] doit payer aux époux I... la somme de 2 516 euros HT au titre des travaux de reprise de la charpente, outre la TVA au taux en vigueur à la date du présent arrêt et les intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

AUX MOTIFS QUE « L'Eurl [...] a été condamnée au paiement de la somme principale de 33.752 euros HT au titre des travaux de réfection de la charpente. Cette somme correspond, d'après le jugement, au devis de la Sari [...] en date du 22 octobre 2009, produit par les époux I... en première instance. L'appelante a en outre été condamnée au paiement d'une somme de 45.818 euros HT au titre des travaux rendus nécessaires par le démontage de la charpente. Cette somme correspond au devis de la Sari [...] du 23 novembre 2009 présenté par les époux O... en première instance après déduction par le tribunal des frais de peinture. L'Eurl [...] a enfin été condamnée au paiement d'une somme de 4.399 euros HT au titre des travaux urgents de mise en sécurité préconisés par M. N... et le bureau d'études techniques Esco, correspondant au devis de la société Façon Bois du 19 janvier 2015.
Le tribunal a considéré que les désordres affectant la charpente consistaient dans le glissement des pieds d'arbalétrier, provoquant le fléchissement de la panne faîtière et la déformation des murs d'encuvement, résultaient d'un sous-dimensionnement de certaines pièces de la charpente, étaient de nature à porter atteinte à la solidité de l'ouvrage, et justifiait le remplacement de la charpente préconisé par M. Y..., précisant que l'Eurl [...] ne proposait pas d'autres solutions techniques pour remédier au sousdimensionnement des pièces de charpente.
À hauteur de cour, l'Eurl [...] fait valoir que M. P... a constaté que les désordres étaient peu importants et ne rendaient pas l'immeuble impropre à sa destination, que la maison était habitée, et qu'il n'y avait pas de péril imminent ni de risque d'effondrement ; qu'il est faux de dire que les époux I... ne peuvent utiliser le premier étage, alors qu'il est utilisé même par les enfants. Elle critique l'interprétation des premiers juges en ce que les pieds de l'arbalétrier n'ont pas glissé, M. P... et son sapiteur n'ayant constaté aucune anomalie probante, et souligne le caractère non contradictoire de l'expertise de M. N... et de l'intervention du Bureau Véritas dont les conclusions sont erronées voire mensongères.
Elle conclut à l'infirmation totale du jugement.
Elle reprend ensuite point par point les éléments litigieux de la charpente :
- sur la dimension des pièces de bois : elle soutient que d'après M. P... et son sapiteur, aucun élément n'est sous-dimensionné contrairement à ce qu'a Indiqué M. N..., et que les éléments de charpente sont propres à assurer la solidité de celle-ci ;
- sur les liaisons entre structure bois :
*les pannes de versants : elle indique accepter les conclusions de l'expert P... et de son sapiteur ;
*les pannes sablières : elle fait valoir que l'absence de chaînage est imputable au maçon et non au charpentier, et que M. I..., qui a endossé la qualité de maître d'oeuvre, devait lui fournir des plans modificatifs ;
* la panne faîtière : elle soutient que la légère bosse est imputable au maçon, que M. I... a entravé les constatations des techniciens dans le cadre de l'expertise judiciaire en faisant réaliser des travaux de renforcement (arguant d'un péril imminent) de nature à masquer la charpente, et doit donc supporter seul le coût du renforcement préconisé par le bureau ETR ;
* les poinçons, entraits retroussés, semelles, jambes de force, diagonales de ferme : elle indique qu'elle accepte l'avis de M. P... ;
* sur les liaisons entre charpente et maçonnerie :
* la liaison fermes/dalle : elle conteste l'affirmation de M. P... selon laquelle l'absence de liaison fermes/dalle est à la charge du charpentier, faisant valoir que le maçon aurait dû effectuer un chaînage du mur recevant la charpente ;
* l'absence de chaînage : elle soutient qu'elle est à la charge du maçon selon l'expert P..., et que la responsabilité est partagée entre le maçon et M. I..., maître de l'ouvrage ayant endossé la qualité de maître d'oeuvre ;
* l'absence de contreventement : elle fait valoir que la nécessité de mettre une poutre à vent n'est pas démontrée, que les pignons remplissent la fonction de reporter les efforts d'anti-flambement, que les époux I... ne rapportent pas la preuve que les murs pignon ne seraient pas stables, que d'ailleurs la parfaite solidité de la charpente, qui a connu sans désordre un épisode neigeux exceptionnel en 2010, démontre que les murs pignon sont autostables, qu'aucune déformation n'a été constatée sur les murs pignon dix ans après l'édification de la charpente.
Elle conclut que si elle s'oppose radicalement au remplacement de la charpente, elle accepte en revanche de prendre à sa charge certaines préconisations de l'expert et son sapiteur ETR. Elle évalue le coût de la reprise de la charpente qu'elle accepte de régler à 2.516 euros HT au total pour la fourniture des pièces métalliques, la mise en place des ferrures, les fournitures diverses et le revêtement du mur en papier peint.
Elle ajoute qu'elle s'oppose aux travaux prétendument urgents de mise en sécurité préconisés par M. N... (étaiement), estimant qu'il s'agit en réalité d'une mise en scène destinée à perturber l'expertise judiciaire de M. P... et de son sapiteur, qui ont d'ailleurs indiqué que ces travaux n'étaient pas utiles et risquaient même plutôt de nuire à l'ensemble de la structure.
Le tribunal s'est surtout référé au rapport de M. Y... du 6 février 2013 et celui, laconique, de M. N... en date du 5 janvier 2015. Or MM. Y... et N... retiennent un sous-dimensionnement de certains éléments de la charpente, à savoir des pannes et des arbalétriers. M. Y... estime que le remplacement de la charpente est nécessaire. M. N... indique que ce sous-dimensionnement des éléments de la charpente explique ses constatations, notamment une déformation du mur d'encuvement, des ondulations de la couverture, et un glissement sur la semelle bois des pieds d'arbalétrier et des jambes de forces des deux fermes. Il conclut à l'existence d'un péril grave et imminent et préconise des mesures immédiates d'étaiement et de moisage de la panne faîtière et pose de tirants, tout en précisant qu'il s'agit de préconisations de principe.
M. P..., dont le rapport du 18 février 2016 est beaucoup plus complet et étayé, a constaté que les pieds de fermes n'étaient pas scellés en ce que l'encuvement n'était pas chaîné. Il a expliqué pourquoi les ingénieurs sollicités n'étaient pas d'accord entre eux sur les calculs de la charpente et a demandé l'avis du bureau d'études ETR Construction Bois. Au vu du rapport détaillé de son sapiteur, il a énuméré un certain nombre de désordres peu importants et a indiqué qu'il était nécessaire de fixer les pieds de la charpente pour empêcher un hypothétique glissement, et ce dans les meilleurs délais s'agissant du défaut le plus sérieux de la charpente. Toutefois, il n'a pas constaté de glissement.
Il a retenu également comme défauts notables l'absence de chaînage en tête des maçonneries, imputable au maçon, et l'absence de liaison entre les fermes et la dalle, à la charge du charpentier. S'agissant de la poutre au vent, estimée nécessaire par son sapiteur du fait que les pignons ne sont pas auto-stables, il a indiqué que la prescription était à la charge du maître d'oeuvre et que l'auto-stabilité aurait pu être imputée au maçon.
Il a conclu à l'existence de non-conformités dues principalement à des inadéquations entre la maçonnerie et la charpente et à la nécessité d'effectuer les travaux préconisés par son sapiteur pour éviter un glissement des pieds de ferme ce qui aggraverait les désordres, à savoir la pose des fers de reprises de charges, la pose de poutre au vent, et la pose de pièces de bois, ainsi que de menues reprises.
Il a estimé qu'il n'y avait pas de péril imminent, que l'immeuble ne menaçait pas ruine pourvu que les pieds de ferme soient fixés rapidement et que les sablières remplissent leur rôle, et que les désordres ne rendaient pas l'immeuble, habité depuis sept ans, impropre à sa destination. Il a chiffré les travaux de reprise de la charpente à la somme totale de 11.161,50 euros HT en la détaillant.
Dans la mesure où M. P..., au terme d'un travail sérieux et approfondi, a pu, avec l'aide de son sapiteur, proposer une solution technique chiffrée pour remédier aux désordres de la charpente sans procéder à son remplacement, il convient de retenir cette solution et d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné l'Eurl [...] à payer aux époux I... le montant des travaux de remplacement de la charpente et des travaux rendus nécessaires par le démontage de la charpente.
Il convient, pour statuer sur le montant à mettre à la charge de l'Eurl [...], de reprendre le décompte de M. P... (page 45 de son rapport) et d'examiner les critiques du charpentier. L'Eurl [...] refuse de prendre à sa charge la pose de pannes sablières de renfort estimant que le coût doit être supporté par M. I... et/ou le maçon, ni la pose de poutre au vent. Il est exact que l'expert a fait état d'une mauvaise fixation des sablières due au fait qu'aucun chaînage n'avait été réalisé par le maçon et que l'encuvement aurait dû être réalisé en béton, et a conclu à une inadéquation entre la maçonnerie et la charpente, impliquant une reprise par des supports métalliques. M. P... a invoqué la responsabilité du maçon. Il a également fait état d'un manque de coordination entre le maçon et le charpentier, qui aurait été imputé à l'architecte chargé d'une mission complète de maîtrise d'oeuvre s'il y en avait eu un. Il n'a en revanche pas mis en cause le charpentier.
Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que c'est M. I... qui s'est chargé d'assurer seul la maîtrise d'oeuvre. Dès lors, il n'y a pas lieu d'imputer à l'Eurl [...] la pose de pannes sablières. Il en est de même de la poutre au vent, qui n'a pas été installée car elle n'a pas été prévue par le maître d'oeuvre. Il convient de préciser que d'après l'expert, les maisons n'ont en général pas de poutre au vent car les pignons sont auto-stables, et qu'en l'espèce la poutre au vent est nécessaire du fait que les pignons ne sont pas auto-stables, ce qui est à imputer au maçon et non au charpentier.
En conséquence, l'Eurl [...] ne peut pas non plus avoir la charge de la dépose et de la repose les gouttières, ni de la découverture et de la recouverture de la partie basse, ni de la fourniture du bois pour les sablières (poutre au vent et chevrons), ni de la dépose du plafond pour poser la poutre au vent et de la repose du plafond, ni de la pose de la poutre au vent, ni des peintures du plafond.
Il reste à la charge de l'Eurl [...] : la fourniture des pièces métalliques (1.254 euros), la mise en place des ferrures (1.280 euros), les fournitures diverses (500 euros) et le revêtement des murs en papier peint (800 euros). Cependant, l'Eurl [...] considère à juste titre qu'elle n'a pas à supporter les pièces métalliques qui concernent les sablières et la poutre au vent, de sorte qu'il convient de déduire la somme de 678 euros. De même, elle sollicite à juste raison la réduction de moitié du coût de la mise en place des ferrures afin de ne pas supporter celles concernant les sablières et la poutre au vent.
Dès lors, c'est à juste titre que l'Eurl [...] estime n'être redevable que de la somme de 2.516 euros HT, outre la TVA au taux en vigueur à la date du présent arrêt, et les intérêts de droit au taux légal à compter du présent arrêt.
Enfin, s'agissant des travaux urgents de mise en sécurité (étaiements, moisage, pose de tirants) préconisés par M. N... et réalisés par M. I... pendant l'expertise de M. P..., ce dernier a indiqué qu'ils n'étaient pas nécessaires et même que le remède était pire que le mal, les tirants faisant travailler les pannes dans le mauvais sens, en les mettant en torsion. Il y a donc lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné l'Eurl [...] au paiement de la somme de 4.399 euros HT au titre de ces travaux non justifiés techniquement » ;

1°) ALORS QUE la partie qui ne conclut pas est réputée s'approprier les motifs du jugement ; qu'il appartient à la cour qui décide d'infirmer le jugement déféré d'en réfuter les motifs déterminants ; qu'en se bornant, pour infirmer le jugement entrepris, à entériner les conclusions du rapport de M. P... en date du 18 février 2016 au motif qu'il est plus complet et étayé sans réfuter le motif déterminant selon lesquels « Le sapiteur [de M. P...] ne fait expressément état de la descente du pied de ferme sur la dalle, que M. N... a relevé et qui est visible sur les photographies incluses dans son rapport page 6. Il n'évoque pas davantage les déformations du mur d'encuvement observées extérieurement, au droit des fermes côté façade arrière et affirme que la disposition du pied de ferme n'a engendré que peu de désordres. Pourtant M. et Mme I... produisent un compte rendu de visite établi par le Bureau Veritas le 17 décembre 2014, dont l'auteur indique avoir constaté le glissement de l'appui de la ferme de la charpente avec fracture et décalage de la rive maçonnée le long du pan et ajoute que ce glissement a, notamment, provoqué, dans les combles, le déversement et la fracture de poinçons, le déversement et la fracture des pannes, le glissement des assemblages entre pannes, l'affaissement du faîtage au droit du poinçon, le glissement des linteaux au droit du faîtage, et en long pan extérieur, le bombement du mur au droit des appuis de fermes et le fléchissement prononcé de la charpente rendu visible par des vagues au droit de la couverture et le décrochement des attaches de tuiles », la cour a violé les articles 455 et 954 alinéa 5 du code de procédure civile.

2°) ALORS QUE la partie qui ne conclut pas est réputée s'approprier les motifs du jugement ; qu'il appartient à la cour qui décide d'infirmer le jugement déféré d'en réfuter les motifs déterminants ; qu'en se bornant, pour infirmer le jugement entrepris, à entériner les conclusions du rapport de M. P... en date du 18 février 2016 au motif qu'il est plus complet et étayé sans réfuter le motif déterminant selon lequel « l'explication de ce glissement fournie par M. Y... et M. N..., soit un sous-dimensionnement de certaines pièces de la charpente, ne se trouve pas remise en cause par les conclusions du rapport de M. P... » ayant conduit les premiers juges à écarter le rapport de M. P... au profit du remplacement de la charpente préconisé par MM. Y... et N..., la cour a violé les articles 455 et 954 alinéa 5 du code de procédure civile.

3°) ALORS QU' en s'abstenant, pour infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné l'Eurl [...] au paiement de la somme de 4 399 euros HT au titre des travaux urgents de mise en sécurité réalisés par les époux I..., de vérifier si ces travaux, certes préconisés par M. N..., n'avaient pas été rendus obligatoires par l'arrêté de péril imminent en date du 9 janvier 2015 pris le maire de la commune de Saint Laurent au visa du rapport dressé par M. N..., de sorte qu'ils étaient nécessairement justifiés, la cour a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil.


Synthèse
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 19-10724
Date de la décision : 05/11/2020
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Reims, 11 décembre 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 3e, 05 nov. 2020, pourvoi n°19-10724


Composition du Tribunal
Président : M. Chauvin (président)
Avocat(s) : Me Le Prado, SCP Claire Leduc et Solange Vigand, SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.10724
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