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22/10/2020 | FRANCE | N°19-16827

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 3, 22 octobre 2020, 19-16827


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 22 octobre 2020

Cassation

M. CHAUVIN, président

Arrêt n° 754 F-D

Pourvoi n° G 19-16.827

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 22 OCTOBRE 2020

M. P... D..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° G 19-16.

827 contre l'arrêt rendu le 21 mars 2019 par la cour d'appel de Caen (2e chambre civile et commerciale, baux ruraux), dans le litige l'opposant :...

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 22 octobre 2020

Cassation

M. CHAUVIN, président

Arrêt n° 754 F-D

Pourvoi n° G 19-16.827

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 22 OCTOBRE 2020

M. P... D..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° G 19-16.827 contre l'arrêt rendu le 21 mars 2019 par la cour d'appel de Caen (2e chambre civile et commerciale, baux ruraux), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme W... J..., épouse C..., domiciliée [...] ,

2°/ à Mme Q... C..., épouse F..., domiciliée [...] ,

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Barbieri, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. D..., de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de Mmes C... et F..., après débats en l'audience publique du 8 septembre 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Barbieri, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 21 mars 2019), par acte du 26 novembre 1996, N... K... a donné à bail rural à M. D... un ensemble de parcelles. Par convention du 29 avril 2007, M. D... les a mises à la disposition de l'EARL de la Chapelle.

2. N... K... est décédé le 23 septembre 2009. Il a légué à Mme C... certaines parcelles comprises dans celles données à bail.

3. Par acte du 28 mars 2013, Mme C... a délivré congé à M. D..., pour le 29 septembre 2014, aux fins de reprise au bénéfice de Mme F..., sa fille, et/ou de son conjoint.

4. Par requête du 22 juillet 2013, M. D... a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en annulation du congé. Mmes C... et F... ont présenté une demande reconventionnelle en résiliation du bail, aux motifs que le preneur ne se consacrait pas à l'exploitation et ne participait plus aux travaux de façon effective et permanente, en violation des dispositions de l'article L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. M. D... fait grief à l'arrêt de prononcer la résiliation du bail et d'ordonner son expulsion, alors « que la résiliation du bail pour contravention aux obligations dont le preneur est tenu en application de l'article L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime ne peut être prononcée que si celle-ci est de nature à porter préjudice au bailleur ; qu'en se bornant à relever, pour prononcer la résiliation du bail rural, que M. D... avait abandonné à l'EARL de la Chapelle et à son coassocié, M. L..., l'exploitation effective et permanente des parcelles données à bail pour se livrer à une autre activité à plein temps incompatible avec celle d'exploitant agricole, sans constater que cette contravention qu'elle relevait aux dispositions de l'article L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime était de nature à porter préjudice au bailleur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 411-31, II, 3° du code rural et de la pêche maritime. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 411-31, II, 3° du code rural et de la pêche maritime :

6. Il résulte de ce texte que le bailleur peut demander la résiliation du bail s'il justifie d'une contravention aux obligations dont le preneur est tenu en application des articles L. 411-37 du code précité si elle est de nature à lui porter préjudice.

7. Pour prononcer la résiliation du bail, l'arrêt retient que les conditions de rémunération de M. D... ne sont pas celles d'une présence à temps plein sur les lieux et qu'exerçant une autre profession incompatible avec celle d'agriculteur, celui-ci a manifestement abandonné à l'EARL de la Chapelle et à son co-associé l'exploitation effective et permanente des parcelles données à bail.

8. En se déterminant ainsi, sans constater que la contravention aux dispositions de l'article L. 411-37 précité, qu'elle retenait, était de nature à porter préjudice à la bailleresse, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;

Condamne Mmes C... et F... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux octobre deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat aux Conseils, pour M. D....

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir prononcé la résiliation du bail liant Mme C... venant aux droits de M. K... à M. D... et portant sur les parcelles sises à Cheux, cadastrées section [...] , lieudit Sabley, à Grainville sur Odon cadastrée section [...] , à Mondrainville cadastrées section [...] , [...] , [...] , et [...] , par application des dispositions de l'article L 411-37-III du code rural et de la pêche maritime et d'avoir, en conséquence, ordonné l'expulsion de M. D... et de tous occupants de son chef des parcelles données à bail,

AUX MOTIFS QUE « Aux termes d'une convention sous seing privé datée du 29 avril 2007 monsieur D... es qualité d'associé locataire a mis les parcelles, objets du bail, à la disposition de l'EARL de la chapelle qu'il a constituée avec monsieur T... L..., ce dernier détenant 700 des 750 parts composant le capital social et monsieur D... les 50 parts restantes.

Monsieur D... ne conteste pas que cette mise à disposition est soumise aux dispositions de l'article L 411-37 III du code rural selon lesquelles "En cas de mise à disposition de biens dans les conditions prévues aux I ou II le preneur qui reste seul titulaire du droit au bail doit, à peine de résiliation, continuer à se consacrer à l'exploitation de ces biens, en participant sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation".

Son bulletin de paie du mois d'août 2014 indique que depuis le 6 juin 2007 monsieur D... est chauffeur de camion grue salarié à temps plein de la SCOP [...] associés dont les statuts mentionnent qu'il est l'un de ses administrateurs. Le même bulletin de paie indique en outre qu'il effectue des heures supplémentaires dans le cadre de cette activité.

Les déclarations laconiques, non circonstanciées et non situées dans le temps des huit témoins sollicités par monsieur D... pour attester de sa présence sur l'exploitation et qui se bornent à déclarer en termes presque identiques "avoir vu monsieur D... P... déchaumer, labourer, semer les céréales sur son exploitation agricole" ne revêtent aucune valeur probante de la présence effective et permanente exigée par le texte susvisé.

Dans une attestation tout aussi laconique monsieur Y... explique "donner toute flexibilité dans son temps de travail (à monsieur D...) afin d'accomplir ses tâches sur son exploitation agricole... " sans expliquer comment un salarié à temps plein effectuant des heures supplémentaires pour son employeur peut exploiter également à temps plein une exploitation céréalière de 141 ha dont les 80 ha, objets du litige.

Ces attestations sont en tout état de cause formellement contredites par celles rédigées par messieurs N... A... et U... S... les 5 octobre 2013 et 3 janvier 2014.

Monsieur A..., agriculteur et entrepreneur de travaux agricoles, atteste ainsi "avoir assisté personnellement (monsieur D...) ... pour des prestations de services, d'arrachage et de retournage de son lin. Mais depuis la création de l'EARL de la chapelle en 2007 je constate ne plus jamais avoir affaire à lui mais recevoir les ordres uniquement de la part de monsieur T... L.... J'ai effectué l'arrachage, le retournage et l'enroulage du lin de l'EARL de la chapelle de 2007 à 2010 sans jamais avoir eu de contacts avec monsieur P... D....

Je suis en mesure d'affirmer que tous les travaux de l'EARL de la chapelle sont réalisés par monsieur T... L... et que monsieur P... D... travaille dans une entreprise de travaux publics (Y...)".

Monsieur S..., exploitant agricole retraité, atteste pour sa part "avoir personnellement constaté les faits suivants : - que monsieur P... D..., gérant de l'EARL de la chapelle à Mondrainville, ne participe que très rarement aux travaux de son exploitation agricole et le fait faire par l'entreprise [...] .

J'atteste également qu'il travaille dans une entreprise de travaux publics. Il est d'ailleurs passé à la télévision présentant un camion de cette entreprise lors d'un journal télévisé".

Les comptes de résultat de l'EARL produits par monsieur D... confirment, dans la rubrique des services extérieurs, le recours à une entreprise tierce pour la production végétale à hauteur de 30 352€ pour l'exercice 2010/2011, 22780€ pour l'exercice 2011/2012 et 21 264 € pour l'exercice 2012/2013. A titre de comparaison le poste "travaux par tiers" s'élevait à 8 174 € dans le compte de résultat de l'exercice 2006/2007.

Il ressort des procès-verbaux des assemblées générales ordinaires d'approbation des comptes de l'EARL de la chapelle pour les exercices clos les 31 mars 2013, 2014 et 2015 que monsieur D... percevait une rémunération mensuelle de 500€ pour chacun de ces exercices et se voyait attribuer 6,67% des résultats soit 1525€ en 2013, 1374€ en 2014 et-1624€ en 2015. Dans l'avis émis pour le calcul de ses cotisations 2014 la MSA retenait des revenus professionnels de 5 520€ en 2011, 6 328€ pour l'année 2012 et 6 466€ pour l'année 2013.

Pour sa part monsieur L..., associé majoritaire, a perçu au cours des mêmes exercices un revenu annuel de 18 000€ trois fois supérieur à celui de monsieur D....

Les conditions de rémunération de monsieur D... ne sont pas celles d'une présence effective à temps plein sur l'exploitation.

Si la pluri activité peut être admise elle doit être écartée en présence d'éléments rendant manifestement incompatibles les activités que le preneur prétend exercer simultanément avec celle d'exploitant agricole.

Tel est le cas en l'espèce de monsieur D... qui a manifestement abandonné à l'EARL de la chapelle et à son co-associé, monsieur L..., l'exploitation effective et permanente des parcelles données à bail pour se livrer à une autre activité à plein temps incompatible avec celle d'exploitant agricole.

Par conséquent monsieur D... encourt la sanction prévue par l'article L 411-37-III du code rural et il y a lieu de prononcer la résiliation du bail.

Monsieur D... étant occupant sans droit ni titre son expulsion et celle de tous occupants de son chef doivent être ordonnées au besoin avec l'assistance de la force publique. » (arrêt, p. 5, al. 3, à p. 7, al. 4) ;

ALORS QUE la résiliation du bail pour contravention aux obligations dont le preneur est tenu en application de l'article L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime ne peut être prononcée que si celle-ci est de nature à porter préjudice au bailleur ; qu'en se bornant à relever, pour prononcer la résiliation du bail rural, que M. D... avait abandonné à l'EARL de la Chapelle et à son coassocié, M. L..., l'exploitation effective et permanente des parcelles données à bail pour se livrer à une autre activité à plein temps incompatible avec celle d'exploitant agricole, sans constater que cette contravention qu'elle relevait aux dispositions de l'article L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime était de nature à porter préjudice au bailleur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 411-31, II, 3° du code rural et de la pêche maritime.


Synthèse
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 19-16827
Date de la décision : 22/10/2020
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Caen, 21 mars 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 3e, 22 oct. 2020, pourvoi n°19-16827


Composition du Tribunal
Président : M. Chauvin (président)
Avocat(s) : SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, SCP Bouzidi et Bouhanna

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.16827
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