LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 14 octobre 2020
Cassation
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 634 FS-P+B
Pourvoi n° Q 18-15.840
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 14 OCTOBRE 2020
1°/ Mme Q... R..., domiciliée [...],
2°/ la société [...] , société anonyme, dont le siège est [...] ),
ont formé le pourvoi n° Q 18-15.840 contre l'ordonnance n° RG : 17/09697 rendue le 4 avril 2018 par le premier président de la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 7), dans le litige les opposant à l'Autorité des marchés financiers, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lion, conseiller référendaire, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de Mme R... et de la société [...] , de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de l'Autorité des marchés financiers, et l'avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 septembre 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Lion, conseiller référendaire rapporteur, M. Guérin, conseiller doyen, Mmes Darbois, Poillot-Peruzzetto, Daubigney, Michel-Amsellem, M. Ponsot, Mme Boisselet, M. Mollard, conseillers, Mmes Le Bras, de Cabarrus, Lefeuvre, Bessaud, M. Boutié, Mmes Tostain, Bellino, conseillers référendaires, M. Debacq, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 4 avril 2018), un juge des libertés et de la détention a, sur le fondement de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier, autorisé des enquêteurs de l'Autorité des marchés financiers (AMF), en charge d'une enquête ouverte par son secrétaire général portant sur l'information financière et le marché du titre de la société Marie Brizard Wine et Spirits (la société MBWS), à procéder à une visite au siège social de cette société, situé [...] , à l'occasion de la tenue de son prochain conseil d'administration, et à saisir toute pièce ou document susceptible de caractériser la communication et/ou l'utilisation d'une information privilégiée au sens de l'article 621-1 du règlement général de l'AMF, notamment les ordinateurs portables et téléphones mobiles des représentants de la société [...] participant à ce conseil d'administration, dont Mme R....
2. Ces opérations ont été effectuées le 25 avril 2017 et Mme R... a relevé appel de l'ordonnance d'autorisation de visite ainsi qu'exercé un recours contre leur déroulement. La société [...] est intervenue volontairement à l'instance, à titre accessoire.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
3. Mme R... et la société [...] font grief à l'ordonnance de déclarer irrecevable la demande d'intervention volontaire de la société [...] , alors « que l'intervention volontaire accessoire est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir les prétentions d'une partie ; que la recevabilité de cette intervention ne suppose en revanche pas que son auteur ait été en droit d'exercer l'action engagée par la partie qu'il soutient ; que pour déclarer l'intervention volontaire accessoire de la société [...] irrecevable, le premier président a relevé que l'autorisation de visite domiciliaire accordée par l'ordonnance du 19 avril 2017 "se limitait" au siège social de la société MBWS et aux lieux de résidence temporaire, en France de Mme Q... R..., de M. V... A... et de M. J... U... ; qu'en statuant de la sorte, cependant que la circonstance que la société [...] n'ait pas été l'occupante des lieux que l'ordonnance autorisait à visiter n'était pas, en soi, de nature à rendre son intervention irrecevable, le premier président a violé l'article 330 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 621-12 du code monétaire et financier. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 330 du code de procédure civile :
4. Selon ce texte, l'intervention volontaire accessoire, qui appuie les prétentions d'une partie, est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie.
5. Pour déclarer irrecevable l'intervention volontaire à titre accessoire de la société [...] , l'ordonnance, après avoir relevé que ses locaux n'étaient pas visés par l'autorisation de visite, et énoncé qu'au stade de l'enquête préparatoire, aucune accusation n'est formulée à l'encontre des personnes concernées par les visites autorisées, et encore moins à l'encontre des personnes non concernées par ces visites, retient qu'aucune atteinte à la présomption d'innocence ne peut être retenue contre la société [...] .
6. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à écarter l'intérêt, pour la société [...] , à intervenir à titre accessoire pour soutenir les prétentions de Mme R... afin d'assurer la conservation de ses droits, le premier président a privé sa décision de base légale.
Et sur le deuxième moyen, pris en sa quatrième branche
7. Mme R... et la société [...] font grief à l'ordonnance de confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge des libertés et de la détention et de rejeter la demande de Mme R... tendant à la restitution de l'intégralité des pièces et documents lui appartenant, qui avaient été saisis lors de la visite domiciliaire autorisée par cette ordonnance, alors « que la saisie de documents électroniques, qui constitue une ingérence de l'autorité publique dans le droit au respect de la vie privée et de la correspondance, n'est admise que si elle est prévue par un texte ; que l'article L. 621-12 du code de monétaire et financier permet au juge des libertés et de la détention d'autoriser les enquêteurs de l'AMF à visiter un lieu et à saisir les documents appartenant aux personnes occupant effectivement ce lieu ; qu'il ne permet en revanche pas d'autoriser les enquêteurs à saisir des documents détenus par des personnes simplement de passage dans le lieu en question lors du déroulement des opérations de visite domiciliaire ; que le premier président a constaté qu'à la date prévue pour la visite domiciliaire du siège social de la société MBWS, Mme R..., résidente marocaine, était simplement "de passage" à ce siège social, pour assister à un conseil d'administration ; qu'en jugeant néanmoins que le juge des libertés et de la détention aurait valablement autorisé la saisie de documents appartenant à cette dernière lors de cette visite domiciliaire, le premier président a violé l'article L. 621-12 du code de monétaire et financier, ensemble l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 621-12 du code monétaire et financier et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
8. Selon le second de ces textes, l'ingérence dans le droit au respect de la vie privée et de la correspondance que constitue la saisie de données électroniques n'est tolérée que si elle est prévue par la loi, poursuit un but légitime et est nécessaire, dans une société démocratique, pour atteindre ce but.
9. Selon le premier de ces textes, qui prévoit la possibilité, pour le juge des libertés et de la détention, d'autoriser les enquêteurs de l'AMF à effectuer des visites en tous lieux et à procéder à la saisie de documents pour la recherche des infractions définies aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 du code monétaire et financier et des faits susceptibles d'être qualifiés de délit contre les biens et d'être sanctionnés par la commission des sanctions de l'AMF en application de l'article L. 621-15 du même code, l'occupant des lieux ou son représentant peut seul, avec les enquêteurs de l'Autorité et l'officier de police judiciaire chargé d'assister aux opérations, prendre connaissance des pièces avant leur saisie, signer le procès-verbal et l'inventaire, et c'est à l'occupant des lieux ou à son représentant que sont restitués les pièces et documents qui ne sont plus utiles à la manifestation de la vérité.
10. Il en résulte que seuls sont saisissables les documents et supports d'information qui appartiennent ou sont à la disposition de l'occupant des lieux, soit la personne qui occupe, à quelque titre que ce soit, les locaux dans lesquels la visite est autorisée, à l'exclusion des personnes de passage au moment de la visite domiciliaire, ce passage serait-il attendu.
11. Pour confirmer l'autorisation de saisie des documents appartenant à Mme R..., l'ordonnance, après avoir énoncé que l'occupant des lieux n'est ni le propriétaire, ni le locataire, ni le sous-locataire du local visité mais la personne se trouvant à l'intérieur de ce local au moment de la visite, peu important que cette personne soit un occupant sans droit ni titre, relève que Mme R... était présente dans les lieux visités, et retient que, même si elle ne les a occupés que de manière ponctuelle lors du conseil d'administration de la société MBWS, elle doit être considérée comme étant l'occupant des lieux au sens de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier, car visée par l'ordonnance contestée.
12. En statuant ainsi, alors que la simple présence de Mme R... au siège social de cette société le jour de la visite ne lui conférait pas la qualité d'occupant des lieux au sens de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier, le premier président a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
13. En application des dispositions de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée sur le deuxième moyen, pris en sa quatrième branche, entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif qui déclare régulières les opérations de visite et de saisie effectuées le 25 avril 2017, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 4 avril 2018, entre les parties, par le délégué du premier président de la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant le premier président de la cour d'appel de Paris ;
Condamne l'Autorité des marchés financiers aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'Autorité des marchés financiers et la condamne à payer à Mme R... et à la société [...] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze octobre deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour Mme R... et la société [...] .
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir déclaré irrecevable la « demande d'intervention volontaire » de la société [...] ;
AUX MOTIFS QU' « il convient de se reporter au dispositif de l'ordonnance de juge des libertés et de la détention de Créteil en date du 19 avril 2017 pour constater que l'autorisation de visite domiciliaire se limite aux lieux suivants :
" D'une part :
au siège social de NBWS, situé [...] , à l'occasion d'un prochain conseil d'administration de la société annoncé comme devant se tenir le 25 avril 2017 ;
Et d'autre part, en tant que besoin :
Au lieu de résidence temporaire, en France, de Mme Q... R..., tel qu'il sera indiqué par celle-ci lors de la visite au siège social de MBWS ;
Au lieu de résidence temporaire, en France, de M. V... A..., tel qu'il sera indiqué par celui-ci lors de la visite au siège social de MBWS ;
Au lieu de résidence temporaire, en France, de M. J... U..., tel qu'il sera indiqué par celui-ci lors de la visite au siège social de MBWS.
Et en tant que besoin, de tous locaux sis dans le ressort du Tribunal de céans occupés par la société MBWS et dont l'existence serait révélée au cours des opérations et dans lesquels seraient susceptibles d'être présents des pièces ou documents ayant un lien avec la présente enquête (...)" ;
que par ailleurs, si la société de droit marocain est citée dans le corps de l'ordonnance contestée, il y a lieu de rappeler qu'au stade de l'enquête préparatoire, aucune accusation n'est formulée à l'encontre des personnes physiques visées par la ou les visites domiciliaires et encore moins à l'encontre de ou des personnes physiques ou morales non concernées par les visites domiciliaires autorisées, de sorte que aucune atteinte à la présomption d'innocence invoquée ne peut être retenue contre la société de droit marocain [...] ;
qu'enfin, il résulte de ce qui précède que l'ordonnance querellée n'avait pas à lui être notifiée ;
que dès lors, l'intervention volontaire accessoire de la société de droit marocain [...] sera déclarée irrecevable » ;
1°/ ALORS QUE le juge, tenu de faire respecter et de respecter lui-même le principe du contradictoire, ne peut relever d'office un moyen sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur celui-ci ; qu'en l'espèce, l'AMF ne soutenait nullement que l'intervention volontaire de la société [...] serait irrecevable, mais contestait seulement le bien fondé des moyens invoqués par cette société à l'appui de son intervention ; qu'en relevant d'office l'irrecevabilité de cette intervention, sans avoir au préalable invité les parties à s'en expliquer contradictoirement, le premier président a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°/ ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE l'intervention volontaire accessoire est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir les prétentions d'une partie ; que la recevabilité de cette intervention ne suppose en revanche pas que son auteur ait été en droit d'exercer l'action engagée par la partie qu'il soutient ; que pour déclarer l'intervention volontaire accessoire de la société [...] irrecevable, le premier président a relevé que l'autorisation de visite domiciliaire accordée par l'ordonnance du 19 avril 2017 « se limitait » au siège social de la société MBWS et aux lieux de résidence temporaire, en France, de Mme Q... R..., de M. V... A... et de M. J... U... ; qu'en statuant de la sorte, cependant que la circonstance que la société [...] n'ait pas été l'occupante des lieux que l'ordonnance autorisait à visiter n'était pas, en soi, de nature à rendre son intervention irrecevable, le premier président a violé l'article 330 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 621-12 du code monétaire et financier ;
3°/ ALORS, PAR AILLEURS, QUE l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action ; que pour déclarer irrecevable l'intervention volontaire accessoire de la société [...] , le premier président a ajouté qu'aucune atteinte à la présomption d'innocence ne pouvait être retenue à son encontre et que l'ordonnance querellée n'avait pas à lui être notifiée ; qu'en s'appuyant ainsi sur des considérations n'affectant pas la recevabilité de l'intervention de la société [...] , mais seulement son éventuel succès, le premier président a violé les articles 31 et 122 du code de procédure civile ;
4°/ ALORS, AU SURPLUS, QU' il résulte de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier qu'une copie de l'ordonnance autorisant des opérations de visite et des saisie est adressée par lettre recommandée avec avis de réception à l'auteur présumé des délits pour la recherche desquels la mesure est ordonnée ; que le premier président a constaté que la visite domiciliaire autorisée par l'ordonnance du 19 avril 2017 avait pour objet de de recueillir les documents et informations nécessaires pour déterminer, notamment, si la société [...] a commis un délit d'initié (p. 5 § 3 de l'ordonnance attaquée) ; qu'en affirmant néanmoins que l'ordonnance querellée n'avait pas à être notifiée à cette société, le premier président a violé l'article L. 621-12 du code monétaire et financier ;
5°/ ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE la société [...] est intervenue volontairement pour appuyer non seulement la demande de Mme R... tendant à l'annulation de l'ordonnance du 19 avril 2017, mais également sa demande d'annulation des opérations de saisie ayant eu lieu le 25 avril 2017 ; que pour déclarer cette intervention irrecevable, le premier président s'est borné à énoncer que la société [...] ne pouvait contester la validité de l'ordonnance du 19 avril 2017 ; qu'en ne recherchant pas si son intervention était recevable en ce qu'elle visait à obtenir l'annulation des opérations de visite et de saisie, le premier président a privé sa décision de base légale au regard des articles 31, 122 et 330 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 19 avril 2017 par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Créteil, et d'avoir en conséquence rejeté la demande de Mme R... tendant à la restitution de l'intégralité des pièces et documents lui appartenant qui avaient été saisis lors de la visite domiciliaire autorisée par cette ordonnance ;
AUX MOTIFS QUE « sur l'atteinte portée à la présomption d'innocence à laquelle Mme Q... R... a droit, en la déclarant coupable du délit de communication d'information privilégiée à un tiers (X... W...), il convient de noter que le champ d'action de l'AMF doit être relativement étendu à ce stade de l'enquête, étant précisé qu'aucun grief n'est porté à l'encontre des sociétés ou des personnes physiques visées dans l'ordonnance ;
que la mission du JLD, lors de la présentation de la requête, était de vérifier si celle-ci était fondée ou pas et non pas d'extrapoler sur une éventuelle saisine de la Commission des Sanctions de l'AMF, décision qui n'est pas de son ressort ;
qu'en l'espèce, le JLD était saisi d'indices permettant de soupçonner que l'information relative à la mise à jour par MBWS de son plan stratégique BIG 2018, revoyant à la hausse ses objectifs financiers, communiqués par le Directeur général de MBWS aux administrateurs le 3 novembre 2015, serait susceptible d'être qualifiée d'information privilégiée au sens de l'article 621-1 du règlement général de l'AMF, en ce qu'elle était précise, non publique, avant l'annonce du 23 novembre 2015 après la clôture des marchés et susceptible d'avoir une influence sensible sur le cours des titres MBWS ;
que l'autorisation de visite et de saisie accordée visait à vérifier si les indices présentés étaient confortés ou pas par les éléments saisis dans les locaux visités et ce, conformément aux dispositions de l'article L 621-12 du CMF qui précise que : "Pour la recherche des infractions définies aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 et des faits susceptibles d'être qualifiés de délit contre les biens et d'être sanctionnés par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers en application de l'article L. 621-15, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les locaux à visiter peut, sur demande motivée du secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers, autoriser par ordonnance les enquêteurs de l'autorité à effectuer des visites en tous lieux ainsi qu'à procéder à la saisie de documents et au recueil, dans les conditions et selon les modalités mentionnées aux articles L. 621-10 et L. 621-11, des explications des personnes sollicitées sur place (
) » ;
qu'enfin il convient de noter que le JLD statue en ce domaine selon les règles de la procédure civile ; que dès lors, il est inexact d'affirmer, comme le fait l'appelante, que le juge a porté atteinte à la présomption d'innocence à laquelle Mme Q... R... a droit en la déclarant coupable du délit de communication d'information privilégiée à un tiers ; que cette affirmation relève d'une transposition de notions pénales (présomption d'innocence, déclaration de culpabilité) qui n'ont pas à s'appliquer dans le cadre d'une visite domiciliaire ordonnée en application de l'article L 621-12 du CMF ;
qu'enfin le JLD a, dans sa rédaction de l'ordonnance, pris le soin d'indiquer la phrase suivante "attendu que s'ils sont établis, ces faits sont susceptibles de constituer un délit au sens de l'article L.465-1 du code monétaire et financier" ;
que s'agissant de l'obligation de notifier l'ordonnance à de nombreux tiers, à commencer par la société MBWS en sa qualité d'occupante des lieux et de la violation de l'article 6§2 de la CESDH, il y a lieu de rappeler que :
- l'article L. 621-12 du CMF précité dispose que "l'ordonnance est notifiée verbalement et sur place au moment de la visite à l'occupant des lieux ou à son représentant (...)" ;
que s'agissant des visites domiciliaires de l'AMF, l'occupant des lieux n'est ni le propriétaire ni le locataire, ni le sous-locataire du local visité mais la personne se trouvant à l'intérieur de ce local au moment de la visite, peu important que cette personne soit un occupant sans droit, ni titre ;
que le 25 avril 2017 Mme Q... R... était bien dans les lieux visités, et même si elle ne les a occupés que de manière ponctuelle lors du conseil d'administration de la société MBWS, elle doit être considérée comme étant l'occupant des lieux au sens de l'article L. 621-12 du CMF, car visée par l'ordonnance contestée ; que s'agissant de la société MBWS, elle occupait effectivement les locaux sis à Ivry-Sur-Seine et les enquêteurs ont estimé que les terminaux informatiques qui pouvaient intéresser l'enquête étaient en possession de Mme Q... R... et de M. J... U... ; que dès lors, ils n'ont pas estimé opportun de notifier verbalement l'ordonnance à la société MBWS ;
- aucune violation de l'article 6§2 de la CESDH ne peut être relevée dans la mesure où au cas présent, aucune personne physique ou morale n'est accusée et aucune déclaration de culpabilité n'a été formulée à l'encontre de l'appelante ;
que ce moyen sera écarté ;
Sur l'atteinte à la légitime protection de la vie privée de Mme Q... R..., en autorisant la saisie de ses documents, en dehors des lieux dont elle aurait été l'occupant au sens de l'article L. 621-12 du CMF et la violation des dispositions de l'article 8 de la CESDH, que contrairement aux affirmations de l'appelante, tout raisonnement par analogie avec la procédure pénale est à proscrire, le droit pénal étant d'interprétation stricte ;
que de même, la référence à une instruction de l'administration fiscale de 2009, pour définir la notion d'occupant des lieux, dans le cadre d'une visite domiciliaire ordonnée non pas en application de l'article L.16 B du livre des procédures fiscales mais sur le fondement de l'article 621-12 du CMF, n'est pas pertinente ;
qu'en l'espèce, le JLD a relevé que Mme Q... R... était résidente marocaine, de passage en France, pour assister au prochain conseil d'administration de la société MBWS devant se tenir le 25 avril 2017 au siège social de cette société sise [...] et que le seul moyen d'effectuer une visite domiciliaire, était d'autoriser les enquêteurs de l'AMF à se rendre à ce conseil d'administration et, comme le spécifie l'ordonnance contestée, en tant que besoin, au lieu de résidence temporaire, en France, de Mme Q... R..., tel qu'il sera indiqué par celle-ci lors de la visite au siège social de MBWS ;
qu'enfin, l'article 8 de la CESDH, tout en énonçant le droit au respect de sa vie privée et familiale, est tempéré par son paragraphe 2 qui dispose que "il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui" ;
qu'en conséquence, c'est à bon droit que le JLD a autorisé la saisie de documents appartenant à l'appelante et susceptibles d'être utiles à la manifestation de la vérité dans les lieux désignés dans l'ordonnance en France, étant précisé que l'appelante est résidente marocaine ;
que ce moyen ne saurait être retenu » ;
1°/ ALORS QUE la présomption d'innocence bénéficie à toute personne accusée d'une infraction ; que, non cantonnée à la procédure pénale, elle s'applique à l'ensemble des personnes faisant l'objet de poursuites en vue de sanctions ayant le caractère de punition, et notamment aux personnes suspectées dans le cadre d'une enquête diligentée par l'autorité des marchés financiers ; qu'en jugeant au contraire que le principe de présomption d'innocence n'aurait pas à s'appliquer dans le cadre d'une visite domiciliaire ordonnée en application de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier, dès lors qu'en ce domaine le juge des libertés et de la détention statue selon les règles de la procédure civile, le premier président a violé l'article 6 § 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 621-12 du code monétaire et financier ;
2°/ ALORS QUE pour démontrer que l'ordonnance du 19 avril 2017 méconnaissait la présomption d'innocence, Mme R... faisait valoir qu'en énonçant que la société [...] détenait « par l'intermédiaire notamment de son Président Directeur Général (Mme Q... R...) » des informations privilégiées qu'elle avait pu utiliser ou transmettre, l'ordonnance du 19 avril 2017 considérait comme acquis que Mme R... avait communiqué à un tiers, la société [...] , des informations privilégiées, ce qui constitue un délit ; que pour juger néanmoins que l'ordonnance ne contiendrait aucune accusation à l'égard de Mme R..., et en conséquence écarter toute atteinte à la présomption d'innocence, le premier président s'est borné à examiner les motifs de l'ordonnance du 19 avril 2017 relatifs aux personnes ayant pu ultérieurement utiliser ou transmettre les informations en cause, que la société [...] était censée avec reçues de Mme R... ; qu'en ne recherchant pas, comme il y était pourtant invité, si le fait que l'ordonnance ait reposé sur le postulat selon lequel Mme R... avait transmis des informations privilégiées à la société [...] ne constituait pas une atteinte à la présomption d'innocence, le premier président a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6 § 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°/ ALORS, AU SURPLUS, QUE la présomption d'innocence se trouve méconnue si, sans établissement de la culpabilité d'une personne, une décision judiciaire la concernant reflète le sentiment qu'elle est coupable ; qu'il peut en aller ainsi même en l'absence de constat formel de culpabilité, une motivation donnant à penser que le juge considère l'intéressé comme coupable suffisant à caractériser une atteinte au principe de présomption d'innocence ; qu'en se fondant pourtant sur le fait que l'ordonnance du 19 avril 2017 ne formulait « aucune déclaration de culpabilité » à l'encontre de Mme R... pour écarter toute méconnaissance de la présomption d'innocence, le premier président a statué par des motifs inopérants, et privé derechef sa décision de base légale au regard de l'article 6 § 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
4°/ ALORS QUE la saisie de documents électroniques, qui constitue une ingérence de l'autorité publique dans le droit au respect de la vie privée et de la correspondance, n'est admise que si elle est prévue par un texte ; que l'article L. 621-12 du code de monétaire et financier permet au juge des libertés et de la détention d'autoriser les enquêteurs de l'AMF à visiter un lieu et à saisir les documents appartenant aux personnes occupant effectivement ce lieu ; qu'il ne permet en revanche pas d'autoriser les enquêteurs à saisir des documents détenus par des personnes simplement de passage dans le lieu en question lors du déroulement des opérations de visite domiciliaire ; que le premier président a constaté qu'à la date prévue pour la visite domiciliaire du siège social de la société MBWS, Mme R..., résidente marocaine, était simplement « de passage » à ce siège social, pour assister à un conseil d'administration (p. 30 § 8 de l'ordonnance attaquée) ; qu'en jugeant néanmoins que le juge des libertés et de la détention aurait valablement autorisé la saisie de documents appartenant à cette dernière lors de cette visite domiciliaire, le premier président a violé l'article L. 621-12 du code de monétaire et financier, ensemble l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir déclaré régulières les opérations de visite et de saisie effectuées le 25 avril 2017, et d'avoir en conséquence rejeté les demandes de Mme Q... R... tendant à voir ordonner la restitution et la destruction de l'intégralité des pièces et documents saisis et l'annulation de tous les actes pouvant résulter de l'exploitation de ces pièces et documents ;
AUX MOTIFS QUE « la lecture du procès-verbal des opérations de visite et de saisie effectuées le 25 avril 2017 concernant les opérations d'extraction et de copie du téléphone portable de Mme Q... R... fait apparaître qu'il a été effectué une copie des données recueillies sur un clef USB intitulée "2015.36-R...-250417-Tel-Or", puis qu'il a été procédé à l'inventaire de la clé USB susvisée, laquelle figure en annexe 1 du procès-verbal ;
que par la suite il a été effectué deux copies de la clé USB "2015.36-R...-
250417-Tel-Or", copies intitulées «"2015.36-R...-250417-Tel-C 1" et "2015.36-R...-250417-Tel-C 2" ;
qu'en outre il est indiqué : "plaçons la clé USB intitulée "2015.36-R...-250417-Tel-Or"dans une enveloppe fermée sur laquelle nous apposons nos signatures avec Madame D... B... (OPJ) et nous reportons la mention "2015.36-R...-25.04.2017 – Extraction Tel-Original". Cette enveloppe fermée est conservée par Mme Q... R..., qui accepte d'en être le gardien, à charge pour elle, si nécessaire, de la présenter en l'état, en cas de contestation. (...). Enfin la clé USB intitulée "2015.36-R...-250417-Tel-C 2"est remise à Mme Q... R..., afin qu'elle puisse effectuer le tri des correspondances relevant le cas échéant, de la confidentialité client-avocat ; elle nous sera représentée afin de procéder à la revue contradictoire des messages exclus" ;
qu'il ressort de ce qui précède que la requérante a eu à sa disposition la clé USB ayant servi à l'extraction (Original) et une autre clé USB, copie de la précédente et ce, afin qu'elle puisse exclure les correspondances relatives à la confidentialité des échanges avocat-client, avant la réunion contradictoire de constitution des scellés fermés définitifs (à laquelle elle aurait pu être, accompagnée, le cas échéant, de son conseil) ;
que par ailleurs, elle aurait dû soumettre à notre juridiction les documents qu'elle estimait relever de la protection de sa vie privée ainsi que tout document hors du champ d'application de l'ordonnance ;
que force est de constater qu'elle n'a pas souhaité se rendre à la réunion contradictoire précitée et qu'aucun document n'a été soumis à notre analyse, afin qu'il soit procédé à un examen in concreto ;
que la pratique des scellés provisoires permet à l'occupante des lieux, d'exclure, de façon contradictoire, les documents litigieux, afin de constituer des scellés fermés définitifs ;
que la saisie n'a été ni massive, ni indifférenciée puisque cette possibilité d'exclure les documents litigieux a été offerte à l'appelante ;
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qu'il s'agit précisément de la méthode dite du placement sur scellés provisoires qui a été proposée par l'AMF, ainsi qu'il l'a été exposé supra.
que l'invitation pour se rendre à la réunion contradictoire destinée à constituer les scellés définitifs, après exclusion des documents litigieux, n'a visiblement pas été honorée, au vu des courriels échangés entre l'AMF et l'appelante (cf. onglet 6 du dossier de plaidoirie) ;
que si des désaccords sur la nature des documents étaient apparus à l'occasion de cette réunion, ils auraient été utilement soumis à l'appréciation de notre juridiction ;
qu'au cas présent, il a lieu de constater que l'appelante ne produit aucun document susceptible de relever du privilège légal ou hors du champ d'application de l'ordonnance ;
que s'agissant des données d'ordre personnel (photos...), elles ont été saisies au égard au caractère insécable d'une messagerie et n'ont aucun intérêt pour les suites de l'enquête de l'AMF et faute d'avoir été restituées, eu égard à l'absence de Mme R... à la réunion contradictoire, la requérante pourra en solliciter la restitution » ;
ALORS QU' à l'appui de son recours, Mme R... soutenait que les enquêteurs de l'AMF avaient saisi sur son téléphone portable 184 photographies et de nombreux SMS de nature purement privée (p. 9 § 6 et 7 et p. 10 § 4 de ses conclusions) ; qu'elle produisait, pour le démontrer, des copies d'écran présentant le contenu de la clé USB sur laquelle les données saisies avaient été enregistrées, sous la forme d'une arborescence pour chaque type de données concernées, tout en précisant qu'il n'était pas nécessaire de dresser une liste des documents saisis à tort, puisque tous étaient concernés (p. 11 § 5 et 6 de ses conclusions) ; qu'en affirmant néanmoins que Mme R... n'aurait pas soumis à la juridiction les documents qu'elle estimait saisis à tort afin qu'il soit statué sur leur nature, le premier président a méconnu les termes du litige, en violation des articles 4 et 5 du code de procédure civile.