LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 octobre 2020
Cassation partielle
sans renvoi
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 916 F-P+B+I
Pourvoi n° U 19-17.734
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 OCTOBRE 2020
La caisse primaire d'assurance maladie du Gard, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° U 19-17.734 contre l'arrêt rendu le 9 avril 2019 par la cour d'appel de Nîmes (chambre sociale), dans le litige l'opposant à M. M... T..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vieillard, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie du Gard, de Me Ridoux, avocat de M. T..., et l'avis de Mme Ceccaldi, avocat général, après débats en l'audience publique du 1er juillet 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Vieillard, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Szirek, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 9 avril 2019), M. T... (l'assuré), titulaire d'une pension d'invalidité de 2ème catégorie depuis le 22 juin 1996, a sollicité de la caisse primaire d'assurance maladie du Gard (la caisse) le maintien de cette pension au-delà de l'âge légal de départ à la retraite. La caisse ayant rejeté sa demande, au motif qu'il n'exerçait pas une activité professionnelle rémunérée, l'assuré a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
2. La caisse fait grief à l'arrêt d'annuler sa décision du 3 septembre 2015, de renvoyer l'assuré à faire valoir ses droits auprès d'elle et de la condamner à lui verser la somme de 750 euros à titre de dommages-intérêts, alors « que la pension vieillesse se substitue à la pension d'invalidité au premier jour du mois suivant celui au cours duquel l'assuré a atteint l'âge légal de la retraite, sauf justification par celui-ci de l'exercice d'une activité professionnelle ; que cette exception au principe de substitution implique une poursuite de l'activité professionnelle et ne peut être admise lorsque l'assuré a cessé son activité professionnelle entre la date à laquelle il a atteint l'âge légal de départ à la retraite et le premier jour du mois suivant ; qu'en l'espèce, il a été constaté que M. T... avait atteint l'âge légal de départ à la retraite le 27 mars 2014, que son contrat de travail avait pris fin le 30 mars 2014 et qu'à compter du 1er avril 2014, il avait entamé une période d'essai non rémunérée dans le cadre d'une nouvelle activité ; qu'en considérant qu'il convenait de ne considérer, pour apprécier la condition prise de l'exercice d'une activité professionnelle, que la seule date du 27 mars 2014, peu important que, par la suite, et très rapidement, soit au premier jour du mois suivant, nulle activité professionnelle rémunérée ne puisse être constatée, la cour d'appel a violé les articles L. 341-15 et L. 341-16 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
3. Selon l'article L. 341-15, alinéa 1, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, applicable au litige, la pension d'invalidité prend fin à l'âge d'ouverture des droits à pension de retraite prévu par l'article L. 351-1. Par dérogation à ces dispositions, lorsque l'assuré exerce une activité professionnelle, la pension de retraite allouée au titre de l'inaptitude au travail n'est concédée que si l'assuré en fait expressément la demande.
Pour l'application de ces dispositions, il y a lieu de retenir la date à laquelle l'assuré atteint effectivement l'âge d'ouverture des droits à pension de retraite, indépendamment de la date d'effet de la pension de retraite appelée à se substituer à la pension d'invalidité.
4. Pour accueillir la demande de l'assuré, l'arrêt constate, d'une part, que pour être né le [...] , l'assuré a atteint l'âge légal de départ à la retraite le 27 mars 2014, et, d'autre part, qu'il n'a pas demandé la liquidation de sa pension de vieillesse. Il ajoute que l'assuré justifie qu'il exerçait à cette date une activité professionnelle rémunérée, dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée, qui a pris fin le 31 mars 2014. Il retient qu'il ressort de l'article L. 341-16 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige, que la date à laquelle doit s'apprécier la condition légale exigée pour conserver le bénéfice de la pension d'invalidité, à savoir l'exercice d'une activité professionnelle rémunérée, est celle de l'âge prévu au premier alinéa de l'article L. 351-1 du code de la sécurité sociale et relève qu'à cette date, l'assuré exerçait une activité professionnelle rémunérée.
5. De ces constatations, dont elle a fait ressortir qu'à la date à laquelle il avait atteint l'âge d'ouverture des droits à pension de retraite, l'assuré était titulaire d'un contrat de travail en cours d'exécution et exerçait ainsi une activité professionnelle, la cour d'appel a exactement déduit qu'il pouvait prétendre au maintien de sa pension d'invalidité.
6. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
7. La caisse fait grief à l'arrêt de la condamner à verser à l'assuré la somme de 750 euros à titre de dommages-intérêts alors « que le retard dans le paiement d'une somme d'argent ne peut être réparé que par une condamnation aux intérêts au taux légal ; qu'en condamnant la CPAM à verser à M. T... les sommes de 750 euros de dommages-intérêts pour avoir empêché le paiement en temps et en heure de sa rente invalidité, la cour d'appel a violé l'article 1153 devenu 1231-6 du code civil.»
Réponse de la Cour
Vu l'article 1231-6 du code civil :
8. Il résulte de ce texte que les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution d'une obligation ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal.
9. Pour condamner la caisse à payer à l'assuré la somme de 750 euros à titre de dommages-intérêts l'arrêt retient si la caisse a ajouté à la loi en appréciant le maintien du bénéfice de la pension d'invalidité à une autre date que celle à laquelle l'assuré a atteint l'âge légal de départ à la retraite, il ne résulte pas des éléments de la cause qu'elle a fait preuve d'une résistance abusive. Il ajoute qu'en revanche il est certain que cette décision, qui a conduit également la caisse PRO BTP à suspendre le bénéfice de la rente invalidité que cet organisme versait à l'assuré, a engendré des troubles dans sa vie, lesquels seront justement indemnisés par l'octroi de la somme de 750 euros à titre de dommages-intérêts.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
12. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
13. Il convient de débouter l'assuré de sa demande de dommages-intérêts.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la caisse primaire d'assurance maladie du Gard à payer à M. T... la somme de 750 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 9 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déboute M. T... de sa demande de dommages-intérêts ;
Condamne M. T... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, signé par M. Prétot, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller rapporteur empêché et prononcé par le président en son audience publique du huit octobre deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la caisse primaire d'assurance maladie du Gard
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir annulé la décision de la Caisse primaire d'assurance maladie du Gard du 3 septembre 2015, d'avoir infirmé la décision de la commission de recours amiable du 4 novembre 2015 et d'avoir renvoyé M. M... T... à faire valoir ses droits auprès de la Caisse primaire d'assurance maladie du Gard et d'avoir condamné la CPAM du Gard à verser la somme de 750 euros à M. T... à titre du dernier montant.
AUX MOTIFS PROPRES ET SUBSTITUES QUE « l'article L. 341-16 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction modifiée par la loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009, applicable en l'espèce, prévoit que : « Par dérogation aux dispositions de l'article L. 341-15, lorsque l'assuré exerce une activité professionnelle, la pension de vieillesse allouée au titre de l'inaptitude au travail n'est concédée que si l'assuré en fait expressément la demande. L'assuré qui exerce une activité professionnelle et qui, à l'âge prévu au premier alinéa de l'article L. 351-1, ne demande pas l'attribution de la pension de vieillesse substituée continue de bénéficier de sa pension d'invalidité jusqu'à la date pour laquelle il demande le bénéfice de sa pension de retraite et, au plus tard, jusqu'à l'âge mentionné au 1° de l'article L. 351-8. Dans ce cas, ses droits à l'assurance vieillesse sont ultérieurement liquidés dans les conditions prévues aux articles L. 351-1 et L. 351-8. Toutefois, la pension de vieillesse qui lui est alors servie ne peut pas être inférieure à celle dont il serait bénéficiaire si la liquidation de ses droits avait été effectuée dans les conditions fixées à l'article L. 341-15 ». Selon ce texte, par dérogation aux dispositions de l'article L. 341-15, lorsque l'assuré exerce une activité professionnelle, la pension de vieillesse allouée au titre de l'inaptitude au travail n'est concédée que si l'assuré en fait expressément la demande ; l'intéressé qui ne demande pas l'attribution de la pension substituée, continuant de bénéficier de sa pension d'invalidité jusqu'à la date pour laquelle il demande le bénéfice de sa pension de retraite et au plus tard jusqu'à l'âge mentionné au 1° de l'article L. 351-8 ; pour l'application de ces dispositions, l'exercice d'une activité professionnelle doit s'entendre d'une activité effective. L'article L. 351-8-1° dispose que « Bénéficient du taux plein même s'ils ne justifient pas de la durée requise d'assurance ou de période équivalentes dans le régime général et un ou plusieurs autres régimes obligatoires : 1° Les assurés qui atteignent l'âge prévu à l'article L. 161-17-2 augmenté de cinq années [
] » En l'espèce, il est constant et non discuté par les parties, d'une part, que, pour être né le [...] , l'assuré a atteint l'âge légal de départ à la retraite le 27 mars 2014, et, d'autre part, qu'il n'a pas demandé la liquidation de sa pension de vieillesse. M. T... justifient qu'il exerçait à cette date une activité professionnelle rémunérée, dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée le liant à l'association Nidaussel, lequel a pris fin le 31 mars 2014, ainsi qu'en font foi le contrat de travail et les bulletins de salaire, la fiche de paie de mars mentionnant outre le salaire contractuel l'indemnité de fin de contrat et l'indemnité compensatrice de congés payés. En l'état des dispositions légales ci-dessus reproduites, desquelles il ressort que la date à laquelle doit s'apprécier la condition légale exigée pour conserver le bénéfice de la pension d'invalidité, à savoir celle de l'exercice d'une « activité professionnelle rémunérée », est celle de l'âge prévu au premier alinéa de l'article L. 351-1 (« L'assurance vieillesse garantit une pension de retraite à l'assuré qui en demande la liquidation à partir de l'âge mentionné à l'article L. 161-17-2 »), la Caisse primaire d'assurance maladie plaide de manière erronée que la date à laquelle cette condition doit s'apprécier serait la date à partir de laquelle l'assuré percevrait la pension de vieillesse, s'il en faisait la demande, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, soit au 1er avril 2014, premier jour du mois suivant l'âge d'un hypothétique départ à la retraite, observation faite que, si M. T... verse un contrat de travail à durée déterminée daté du 1er avril 2014, et une attestation non probante de son employeur certifiant qu'il « a été embauché à temps partiel au sein de son étude d'huissier le 1er avril 2014 en qualité d'employé de bureau, ainsi que l'atteste son contrat de travail à durée déterminée (mais) que M. T... désirant évaluer sa capacité à assurer des horaires de travail et une fonction (sic !) a effectué une période 3 mois rémunérée » et que « cette période ayant été satisfaisante, il a été confirmé dans sa fonction et les jours de travail non payés ont été récupérés progressivement dans l'année », les bulletins de salaire qu'il communique ne font état du paiement d'un salaire qu'à compter du 1er juillet 2014. Il est remarquable de relever qu'à l'objection soulevée par l'intimé indiquant qu'il a « atteint l'âge légal de la retraite le 27 mars 2014 », et que la caisse primaire d'assurance maladie ajoute à la loi, cette dernière réplique que « la pension vieillesse est versée le premier jour du mois qui suit l'âge légal de la retraite ». Il s'infère dont de ses propres écritures que l'âge légal de départ à la retraite de M. T... était le 27 mars 2014 et non le 1er avril 2014, cette dernière n'étant que la date à partir de laquelle aurait été versée la pension vieillesse si l'assuré en avait fait la demande, ce qui n'est pas le cas. Il suit de ce qui précède que M. T..., qui exerçait effectivement une activité professionnelle rémunérée le 27 mars 2014, date à laquelle il a atteint l'âge légal de départ à la retraite et à laquelle s'apprécie la condition légale d'exercice d'une activité professionnelle rémunérée, et au-delà jusqu'au 30 mars suivant, n'ayant pas demandé à bénéficier de sa pension vieillesse, était légalement en droit de continuer à bénéficier de la pension d'invalidité, dont le versement a été interrompu à tort par la caisse primaire d'assurance maladie du Gard. Par motifs substitués, le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu'il a accueilli la légitime prétention de l'assuré social » ;
ALORS QUE la pension vieillesse se substitue à la pension d'invalidité au premier jour du mois suivant celui au cours duquel l'assuré a atteint l'âge légal de la retraite, sauf justification par celui-ci de l'exercice d'une activité professionnelle ; que cette exception au principe de substitution implique une poursuite de l'activité professionnelle et ne peut être admise lorsque l'assuré a cessé son activité professionnelle entre la date à laquelle il a atteint l'âge légal de départ à la retraite et le premier jour du mois suivant ; qu'en l'espèce, il a été constaté que M. T... avait atteint l'âge légal de départ à la retraite le 27 mars 2014, que son contrat de travail avait pris fin le 30 mars 2014 et qu'à compter du 1er avril 2014, il avait entamé une période d'essai non rémunérée dans le cadre d'une nouvelle activité ; qu'en considérant qu'il convenait de ne considérer, pour apprécier la condition prise de l'exercice d'une activité professionnelle, que la seule date du 27 mars 2014, peu important que, par la suite, et très rapidement, soit au premier jour du mois suivant, nulle activité professionnelle rémunérée ne puisse être constatée, la cour d'appel a violé les articles L. 341-15 et L. 341-16 du code de la sécurité sociale.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la CPAM du Gard à verser à M. T... la somme de 750 euros à titre de dommages et intérêts.
AUX MOTIFS QUE si la Caisse d'assurance maladie a ajouté à la loi en appréciant le maintien du bénéfice de la pension d'invalidité à une autre date que celle à laquelle l'assuré a atteint l'âge légal de départ à la retraite, il ne résulte pas des éléments de la cause qu'elle a fait preuve d'une résistance abusive ;
En revanche, il est certain que cette décision qui a conduit également la caisse PRO BTP à suspendre le bénéfice de la rente invalidité que cet organisme versait à Monsieur T..., ainsi que ce dernier en justifie en pièce 14 de son bordereau, a engendré des troubles dans sa vie, lesquels seront justement indemnisés par l'octroi de la somme de 750 euros à titre de dommages et intérêts.
ALORS QUE le retard dans le paiement d'une somme d'argent ne peut être réparé que par une condamnation aux intérêts au taux légal ; qu'en condamnant la CPAM à verser à M. T... les sommes de 750 euros de dommages intérêts pour avoir empêché le paiement en temps et en heure de sa rente invalidité, la Cour d'appel a violé l'article 1153 devenu 1231 § 6 du Code Civil.
Le greffier de chambre