LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 1er octobre 2020
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 982 F-D
Pourvoi n° M 18-26.118
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de M. G....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 6 juin 2019.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 1ER OCTOBRE 2020
La société Emma, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° M 18-26.118 contre l'arrêt rendu le 18 octobre 2018 par la cour d'appel de Colmar (chambre 12), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société VR Bank in Mittelbaden, dont le siège est [...] ),
2°/ à Mme L... P... G..., épouse K..., domiciliée [...] ),
3°/ à M. R... G..., domicilié [...] , assisté du Groupement d'intérêt public tutélaire d'Alsace - GIPTA-, domicilié [...] , pris en la personne de Mme J... Q..., en qualité de curateur,
4°/ au procureur général près la cour d'appel de Colmar, domicilié en son parquet général, 9 avenue Poincaré, CS 60073, 68027 Colmar cedex,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dumas, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Emma, de la SCP Delvolvé et Trichet, avocat de la société VR Bank in Mittelbaden, de la SCP Lesourd, avocat de M. G..., et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 8 juillet 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Dumas, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 18 octobre 2018), par acte notarié du 21 décembre 2016, M. et Mme G... ont vendu à la société Emma deux parcelles sur la commune de [...].
2. Par lettre du 4 janvier 2017, reçue le 12 janvier 2017, M. H..., séquestre amiable du prix de vente, a notifié cette vente à la société VR Bank in Mittelbaden, en sa qualité de créancier inscrit.
3. Par acte du 14 mars 2017, cette société a requis la mise aux enchères de ces biens pour purger son hypothèque, réquisition signifiée à l'acquéreur, aux vendeurs, au notaire instrumentaire et au séquestre le 20 mars 2017.
4. Par requête reçue le 23 mars 2017 par le greffe d'un tribunal d'instance, elle a demandé que soit ordonnée la mise en vente par voie d'exécution forcée, sur surenchère, de ces deux parcelles.
5. Le 3 avril 2017, la société Emma a formé opposition à cette réquisition et par ordonnance du 15 juin 2017, le tribunal d'instance a ordonné la revente sur surenchère et commis un notaire à fin de procéder à la vente aux enchères.
6. Le 29 juin 2017, la société Emma a formé un pourvoi immédiat contre cette ordonnance et par ordonnance du 10 juillet 2017, le tribunal d'instance a déclaré recevable mais mal fondé le pourvoi immédiat et maintenu l'ordonnance du 15 juin 2017, ordonnant la transmission du dossier à la cour d'appel de Colmar.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. La société Emma fait grief à l'arrêt de déclarer son pourvoi immédiat mal fondé, et de confirmer l'ordonnance du 15 juin 2017 du tribunal d'instance de Haguenau en tant que celui-ci a ordonné la revente sur surenchère du dixième des biens immeubles inscrits au livre foncier de la commune de [...], section C n° [...] et n° [...], fixé la mise à prix à 385 000 euros, et commis M. U... E..., notaire à [...], aux fins de procéder à la vente aux enchères après avoir rédigé le cahier des charges, alors :
« 1°/ que lorsque la demande est portée devant une juridiction qui a son siège en France métropolitaine, les délais de comparution, d'appel, d'opposition, de tierce opposition, de recours en révision et de pourvoi en cassation sont augmentés de deux mois lorsque le destinataire de la notification réside à l'étranger ; que cette augmentation des délais n'est pas applicable au délai de quarante jours dans lequel le créancier inscrit, notifié du titre de propriété de l'acquéreur, doit requérir la mise aux enchères de l'immeuble grevé de son hypothèque ; qu'en décidant d'augmenter de deux mois le délai de quarante jours prévu à l'article 2480 du code civil en raison de ce que le créancier inscrit résidait à l'étranger, les juges du fond ont violé les articles 643 du code de procédure civile et 2480 du code civil, ensemble les articles 187 et 190 de la loi du 1er juin 1924 ;
2°/ que la règle selon laquelle un délai de recours est inopposable en cas de mention erronée d'un autre délai dans l'acte de notification ne concerne que la notification des décisions de justice et des recours susceptibles d'être exercées contre celles-ci ; qu'elle est sans application au délai de signification par le créancier inscrit de la réquisition de la mise aux enchères de l'immeuble grevé d'hypothèque, dès lors que ce délai est ouvert, non par la notification d'un jugement, mais par celle de l'acte de vente dont l'acquéreur tire son titre ; qu'en décidant en l'espèce qu'il y avait lieu de proroger de deux mois le délai de réquisition de quarante jours fixé par l'article 2480 du code civil en raison de ce que la notification de l'acte de vente faite par le notaire mentionnait par erreur une augmentation du délai à raison de la distance, les juges du fond ont violé les articles 643 et 680 du code de procédure civile, ensemble l'article 2480 du code civil, ensemble les articles 187 et 190 de la loi du 1er juin 1924. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
8. La société VR Bank in Mittelbaden conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient d'abord l'irrecevabilité de celui-ci pour déloyauté procédurale, puisque c'est à l'initiative de la demanderesse que lui a été signifié un acte lui indiquant des délais erronés et appliquant l'article 643 du code de procédure civile. Elle conteste ensuite la recevabilité de la seconde branche du moyen pour nouveauté.
9. Cependant d'abord, la notification de la vente a été faite par le notaire ayant procédé à celle-ci et non par la partie elle-même de sorte qu'il ne peut être relevé de déloyauté procédurale de sa part, et ensuite, la critique formée par la seconde branche du moyen, si elle est nouvelle, n'est pas mélangée de fait et de droit.
10. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles 643 et 680 du code de procédure civile :
11. Le premier de ces textes n'est pas applicable au délai de surenchère prévu à l'article 2480 du code civil. Il résulte du second de ces textes que la règle selon laquelle l'absence de mention ou la mention erronée dans l'acte de notification d'un jugement de la voie de recours ouverte, de son délai ou de ses modalités, ne fait pas courir le délai de recours, ne s'applique qu'à la notification des décisions de nature juridictionnelle.
12. Pour confirmer l'ordonnance du 15 juin 2017 du tribunal d'instance d'Haguenau, l'arrêt retient que les significations ont été effectuées soixante-sept jours après que le créancier inscrit ait reçu notification de la vente amiable, soit dans le délai de quarante jours, prescrit par l'article 2480 du code civil, augmenté du délai de deux mois prévu par l'article 643 du code de procédure civile, que mentionne l'acte de notification de vente amiable.
13. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de E... ;
Condamne la société VR Bank in Mittelbaden aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société VR Bank in Mittelbaden et la condamne à payer à la société Emma la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du premier octobre deux mille vingt et signé par lui et Mme Martinel, conseiller doyen, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la société Emma
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU' il a déclaré le pourvoi immédiat de la société EMMA mal fondé, et en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du 15 juin 2017 du tribunal d'instance de Haguenau en tant que celui-ci a ordonné la revente sur surenchère du dixième des biens immeubles inscrits au livre foncier de la commune de [...], section C n° [...] et n° [...], fixé la mise à prix à 385.000 euros, et commis Me U... E..., notaire à [...], aux fins de procéder à la vente aux enchères après avoir rédigé le cahier des charges ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « Sur la dénonciation de surenchère aux précédents propriétaire et au nouveau propriétaire dans les délais prescrits :
Pour répondre à l'objection que la société Emma a soulevée sur ce point dans le délai prescrit par l'article 190, alinéa 2, de la loi du 1er juin 1924, ainsi qu'au soutien de son pourvoi immédiat, il convient de constater qu'il résulte des pièces figurant au dossier que la réquisition de surenchère a été signifiée, le 20 mars 2017, à la société Emma, nouveau propriétaire, et à M. G..., ainsi qu'à son curateur, l'un des anciens propriétaires.
En application de l'article 647-1 du code de procédure civile, prévoyant que c'est la date de l'expédition de l'acte par l'huissier de justice qui doit être prise en compte pour la notification de cette réquisition à une personne domiciliée à l'étranger, c'est également le 20 mars 2017, date à laquelle l'huissier de justice a expédié aux autorités suisses la demande de notification de ces actes à Mme K..., également ancien propriétaire de ces biens, domiciliée en Suisse, qu'il doit être considéré que la réquisition de surenchère a été signifiée à cette dernière.
La société Emma ne justifie pas que la société VR Bank in Mittelbaden ait reçu notification de la vente amiable à une date antérieure au courrier qu'elle a reçu de Maître H... le 12 janvier 2017.
Ces significations ont ainsi été effectuées 67 jours après que le créancier inscrit ait reçu notification de la vente amiable, soit dans le délai de 40 jours, prescrit par l'article 2480 du code civil (et non par l'article 2280 du code civil), augmenté du délai de deux mois prévu par l'article 643 du code de procédure civile, que mentionne l'acte de notification de vente amiable.
La dénonciation de surenchère a donc bien été signifiée aux précédents propriétaires et au nouveau propriétaire dans les délais requis » ;
ET AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTÉS QUE « La partie requérante justifie bénéficier sur l'immeuble de droits réels inscrits au livre foncier de la commune de [...]. Elle a eu notification de la vente amiable le 12 janvier 2017 et a formé requête en surenchère le 20 mars 2017. Selon l'article 190 de la loi du 1er juin 1924, le créancier surenchérisseur doit présenter sa requête dans le délai fixé par l'article 2480 du code civil, soit dans le délai de 40 jours. Le délai, comme indiqué par le notaire dans sa notification, est augmenté de deux mois pour les personnes demeurant à l'étranger en vertu de l'article 643 du code de procédure civile. En conséquence, la requête et ses dénonciations sont intervenues dans les délais.
Dans ces conditions, et alors qu'il y a justification de la consignation et des dénonciations exigées, il y a lieu de faire droit à la requête, aux frais et dépens de la VR Bank in Mittelbaden eG, qui agit dans son intérêt. » ;
ALORS QUE, premièrement, lorsque la demande est portée devant une juridiction qui a son siège en France métropolitaine, les délais de comparution, d'appel, d'opposition, de tierce opposition, de recours en révision et de pourvoi en cassation sont augmentés de deux mois lorsque le destinataire de la notification réside à l'étranger ; que cette augmentation des délais n'est pas applicable au délai de quarante jours dans lequel le créancier inscrit, notifié du titre de propriété de l'acquéreur, doit requérir la mise aux enchères de l'immeuble grevé de son hypothèque ; qu'en décidant d'augmenter de deux mois le délai de quarante jours prévu à l'article 2480 du code civil en raison de ce que le créancier inscrit résidait à l'étranger, les juges du fond ont violé les articles 643 du code de procédure civile et 2480 du code civil, ensemble les articles 187 et 190 de la loi du 1er juin 1924 ;
ET ALORS QUE, deuxièmement, la règle selon laquelle un délai de recours est inopposable en cas de mention erronée d'un autre délai dans l'acte de notification ne concerne que la notification des décisions de justice et des recours susceptibles d'être exercées contre celles-ci ; qu'elle est sans application au délai de signification par le créancier inscrit de la réquisition de la mise aux enchères de l'immeuble grevé d'hypothèque, dès lors que ce délai est ouvert, non par la notification d'un jugement, mais par celle de l'acte de vente dont l'acquéreur tire son titre ; qu'en décidant en l'espèce qu'il y avait lieu de proroger de deux mois le délai de réquisition de quarante jours fixé par l'article 2480 du code civil en raison de ce que la notification de l'acte de vente faite par le notaire mentionnait par erreur une augmentation du délai à raison de la distance, les juges du fond ont violé les articles 643 et 680 du code de procédure civile, ensemble l'article 2480 du code civil, ensemble les articles 187 et 190 de la loi du 1er juin 1924.