La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/09/2020 | FRANCE | N°19-11741

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 30 septembre 2020, 19-11741


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 30 septembre 2020

Rejet

Mme LEPRIEUR, conseiller doyen faisant fonction de président

Arrêt n° 861 F-D

Pourvoi n° E 19-11.741

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 30 SEPTEMBRE 2020

La République fédérative du Brésil, dont le

siège est 65 avenue Franklin Delano Roosevelt, 75008 Paris, prise en la personne de sa Consule générale, a formé le pourvoi n° E 19-11.741 contr...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 30 septembre 2020

Rejet

Mme LEPRIEUR, conseiller doyen faisant fonction de président

Arrêt n° 861 F-D

Pourvoi n° E 19-11.741

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 30 SEPTEMBRE 2020

La République fédérative du Brésil, dont le siège est 65 avenue Franklin Delano Roosevelt, 75008 Paris, prise en la personne de sa Consule générale, a formé le pourvoi n° E 19-11.741 contre l'arrêt rendu le 29 novembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 2), dans le litige l'opposant à M. I... A..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Duvallet, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Briard, avocat de la République fédérative du Brésil, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. A..., après débats en l'audience publique du 15 juillet 2020 où étaient présents Mme Leprieur, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Duvallet, conseiller référendaire rapporteur, Mme Depelley, conseiller référendaire, ayant voix délibérative, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 431-7 et L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 novembre 2018) statuant en référé, M. A... a été engagé le 30 novembre 2012 par le consulat général du Brésil en qualité d'auxiliaire administratif.

2. Il a saisi, le 22 mars 2016, le conseil de prud'hommes afin d'obtenir le paiement de sommes en raison d'une inégalité de traitement salarial et d'une discrimination. Le 24 janvier 2017, il a produit, dans le cadre de ce litige, deux documents internes au consulat, dont un tableau récapitulatif des salaires de collègues.

3. Il a été licencié pour faute grave le 30 mars 2017, l'employeur lui reprochant la communication de ces pièces estimée déloyale, contraire aux obligations découlant du contrat de travail et portant atteinte à la vie privée notamment des autres salariés.

4. Contestant cette décision et estimant qu'elle constituait une mesure de rétorsion à l'action en justice en cours, le salarié a saisi la juridiction de référé d'une demande de réintégration.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt d'ordonner la réintégration du salarié, alors :

« 1°/ que la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que la mise en oeuvre de cette disposition est conditionnée par l'existence d'un trouble manifestement illicite ; qu'à défaut d'une telle caractérisation expresse et en présence d'une contestation sérieuse, le juge des référés excède ses pouvoirs en prenant des mesure conservatoires telle la réintégration d'un salarié dans l'entreprise ; qu'au cas présent, en prononçant malgré tout une telle réintégration en caractérisant à tort un trouble manifestement illicite résultant d'une prétendue atteinte au droit fondamental d'agir en justice quand le licenciement était parfaitement justifié par une atteinte grave à la vie privée des salariés, la cour d'appel a violé les articles R. 1455-5 et R. 1455-6 du code du travail ;

2°/ que la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que la mise en oeuvre de cette disposition est conditionnée par l'existence d'un trouble manifestement illicite ; qu'à défaut d'une telle caractérisation expresse et en présence d'une contestation sérieuse, le juge des référés excède ses pouvoirs en prenant des mesure conservatoires telle la réintégration d'un salarié dans l'entreprise ; qu'au cas présent, en prononçant malgré tout une telle réintégration sans rechercher expressément en quoi le licenciement de M. A... caractérisait un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a, à tout le moins, privé sa décision de base légale au regard des articles R. 1455-5 et R. 1455-6 du code du travail. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte de l'article R. 1455-6 du code du travail que le juge des référés peut, même en l'absence de disposition l'y autorisant, ordonner la poursuite des relations contractuelles en cas de violation d'une liberté fondamentale par l'employeur, tel le droit d'agir en justice.

7. La cour d'appel a constaté que la lettre de licenciement faisait grief au salarié d'avoir produit des pièces dans le cadre de l'instance prud'homale l'opposant à son employeur, en sorte que le licenciement présentait un lien avec le droit du salarié d'ester en justice.

8. Elle a également constaté, d'une part, que les tableaux produits par le salarié étaient en lien direct avec l'instance engagée pour inégalité de traitement en sorte qu'ils étaient strictement nécessaires à la défense de ses droits, et, d'autre part, que le salarié n'avait pas utilisé ces écrits à d'autres fins que son action en justice.

9. Procédant à la recherche prétendument omise, la cour d'appel a ainsi caractérisé que le licenciement, intervenu en rétorsion à l'action prud'homale engagée par le salarié, caractérisait un trouble manifestement illicite qu'il convenait de faire cesser.

10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la République fédérative du Brésil aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la République fédérative du Brésil et la condamne à payer à M. A... la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trente septembre deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SARL Cabinet Briard, avocat aux Conseils, pour la République fédérative du Brésil

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé l'ordonnance entreprise et ordonné la réintégration de M. I... A... ;

Aux motifs que « En droit, les articles R. 1455-5 et R. 1455-6 du code du travail prévoient que dans tous les cas d'urgence, la formation de référé peut, dans la limite de la compétence du conseil de prud'hommes, ordonner toute mesure qui ne se heurte à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend ; que même en présence d'une contestation sérieuse, elle peut prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; en outre, selon l'article R. 1455-7 du même code, dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier et ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire. En l'espèce, M. A..., salarié depuis le 1er décembre 2012 du Consulat Général du Brésil en qualité d'auxiliaire administratif, ayant des fonctions d'appui à l'administration du réseau informatique et du site internet, a engagé le 22 mars 2016 une procédure devant le conseil de prud1hommes de Paris aux fins d'obtenir le paiement de sommes au titre d'une inégalité de traitement salarial et d'une discrimination. Ses demandes ont été rejetées par jugement du 5 juin 2018, M. A... ayant interjeté appel de cette décision le 25 septembre 2018. La lecture du jugement comme les échanges de courriers entre avocats, montrent que M. A... a étayé ses demandes sur notamment deux documents communiqués le 24 janvier 2017 dans le cadre de l'instance au fond, les pièces 16 et 17, communication contestée par la République Fédérative du Brésil. Le 30 mars 2017, M. A... a fait l'objet d'un licenciement immédiat après notification d'une mise à pied conservatoire du 27 mars 2017, la lecture de la lettre de licenciement faisant apparaître que la mesure est fondée sur le seul grief de la communication de ces deux pièces, la République Fédérative du Brésil estimant que cette communication serait déloyale, contraire au contrat de travail, et constituerait une atteinte à la violation de la vie privée, ce qu'elle a qualifié de faute grave. Il est manifeste que la rupture du contrat décidée par l'employeur est consécutive à l'action en justice engagée par M. A... pour se plaindre de l'inégalité de traitement et de la discrimination dont il se prétendait l'objet. La République Fédérative du Brésil doit donc établir que sa décision de rompre le contrat a été motivée par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner l'exercice, par M. A..., de son droit fondamental d'agir en justice. La pièce 16 se présente sous la forme d'un tableau récapitulatif visant 17 salariés du Consulat avec le montant de leur salaire, au 20 avril 2016. La République Fédérative du Brésil estime que ce document comporte des indications confidentielles sur chacun des salariés, ce qui constitue une violation flagrante de la vie privée. La pièce 17 est un tableau des recettes perçues par M. A... dans l'exercice de ses fonctions, au titre des frais d'acte qu'il a enregistrés. La République Fédérative du Brésil estime que ce document qui révèle l'identité des personnes qui se sont adressées au Consulat, a été obtenu en violation de l'article 8 du contrat de travail qui soumet le salarié à une obligation de confidentialité. Or la jurisprudence admet qu'un salarié puisse produire en justice dans un litige l'opposant à son employeur, des documents dont il a eu connaissance à l'occasion de ses fonctions dès lors que ces documents sont strictement nécessaires à l'exercice de ses droits. Les tableaux sont en lien direct avec l'instance engagée pour inégalité de traitement et la République Fédérative du Brésil ne démontre pas que M. Pereira Cabinet da Silva a utilisé ces informations à d'autres fins que son action. Il n'est d'ailleurs pas contesté que la pièce 16 a fait l'objet d'une communication par la République Fédérative du Brésil dans le cadre d'une instance l'opposant à un autre salarié, à la demande du conseil de prud'hommes. Il s'ensuit que la République Fédérative du Brésil n'établit ni violation de l'obligation de confidentialité, ni violation de la vie privée, et que la rupture qui est en lien direct avec l'instance prud'homale en cours, est susceptible d'annulation en ce qu'elle porte atteinte à l'exercice du droit fondamental d'agir en justice. Il convient donc d'accueillir la demande de réintégration de M. A..., l'ordonnance du 13 décembre 2017 qui a dit n'y avoir lieu à référé, devant être infirmée. Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande en paiement d'une provision, présentée uniquement à titre subsidiaire. Enfin, la solution du litige justifie la condamnation de la République Fédérative du Brésil aux entiers dépens de l'instance en référé et au paiement de la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ».

1°) Alors que la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que la mise en ouvre de cette disposition est conditionnée par l'existence d'un trouble manifestement illicite ; qu'à défaut d'une telle caractérisation expresse et en présence d'une contestation sérieuse, le juge des référés excède ses pouvoirs en prenant des mesure conservatoires telle la réintégration d'un salarié dans l'entreprise ; qu'au cas présent, en prononçant malgré tout une telle réintégration en caractérisant à tort un trouble manifestement illicite résultant d'une prétendue atteinte au droit fondamental d'agir en justice quand le licenciement était parfaitement justifié par une atteinte grave à la vie privée des salariés, la cour d'appel a violé les articles R1455-5 et R 1455-6 du code du travail.

2°) Alors que la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que la mise en ouvre de cette disposition est conditionnée par l'existence d'un trouble manifestement illicite ; qu'à défaut d'une telle caractérisation expresse et en présence d'une contestation sérieuse, le juge des référés excède ses pouvoirs en prenant des mesure conservatoires telle la réintégration d'un salarié dans l'entreprise ; qu'au cas présent, en prononçant malgré tout une telle réintégration sans rechercher expressément en quoi le licenciement de M. A... caractérisait un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a, à tout le moins, privé sa décision de base légale au regard des articles R 1455-5 et R 1455-6 du code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19-11741
Date de la décision : 30/09/2020
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 29 novembre 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 30 sep. 2020, pourvoi n°19-11741


Composition du Tribunal
Président : Mme Leprieur (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SARL Cabinet Briard, SCP Thouvenin, Coudray et Grévy

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.11741
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award