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24/09/2020 | FRANCE | N°19-16370

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 3, 24 septembre 2020, 19-16370


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JT

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 24 septembre 2020

Cassation sans renvoi

M. CHAUVIN, président

Arrêt n° 660 FS-P+B+I

Pourvoi n° M 19-16.370

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 24 SEPTEMBRE 2020

1°/ M. M... J...,

2°/ Mme S... F...

,

domiciliés [...] ,

ont formé le pourvoi n° M 19-16.370 contre l'arrêt rendu le 12 mars 2019 par la cour d'appel de Limoges (chambre civile), dans ...

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JT

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 24 septembre 2020

Cassation sans renvoi

M. CHAUVIN, président

Arrêt n° 660 FS-P+B+I

Pourvoi n° M 19-16.370

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 24 SEPTEMBRE 2020

1°/ M. M... J...,

2°/ Mme S... F...,

domiciliés [...] ,

ont formé le pourvoi n° M 19-16.370 contre l'arrêt rendu le 12 mars 2019 par la cour d'appel de Limoges (chambre civile), dans le litige les opposant :

1°/ à M. U... E...,

2°/ à Mme K... P... épouse E...,

domiciliés [...] ,

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Béghin, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de M. J... et de Mme F..., de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. et Mme E..., et l'avis de Mme Guilguet-Pauthe, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 juin 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Béghin, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, M. Parneix, Mme Provost-Lopin, MM. Barbieri, Jessel, conseillers, Mmes Corbel, Collomp, Schmitt, conseillers référendaires, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Limoges, 12 mars 2019), M. et Mme E..., prétendant que le fonds dont ils sont propriétaires bénéficie d'une servitude de passage sur celui de M. J... et Mme F..., après avoir obtenu en référé l'organisation d'une expertise, les ont assignés, sur le fondement de la protection possessoire, en enlèvement d'une clôture et d'une barrière y faisant obstacle, ainsi qu'en indemnisation de leur préjudice.

Examen du moyen relevé d'office

2. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article 9 de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 :

3. L'abrogation, par la loi précitée, de l'article 2279 du code civil, selon lequel les actions possessoires étaient ouvertes dans les conditions prévues par le code de procédure civile à ceux qui possédaient ou détenaient paisiblement, a emporté abrogation des articles 1264 à 1267 du code de procédure civile qui définissaient le régime de ces actions et qui avaient été édictés spécifiquement pour l'application de l'article 2279.

4. Il en résulte que seules les actions en référé assurent, depuis le 18 février 2015, l'exercice de la protection possessoire.

5. Pour accueillir la demande formée par M. et Mme E... le 7 mars 2016, l'arrêt retient que, selon l'article 2278 du code civil, la possession est protégée, sans avoir égard au fond du droit, contre le trouble qui l'affecte ou la menace, que les actions possessoires n'ont pas disparu et que l'obstacle mis par M. J... et Mme F... à l'utilisation du passage qu'ils empruntaient pour accéder à leur parcelle, dépourvue d'accès direct à la voie publique, a été créateur d'un trouble à leur possession qu'il convient de faire cesser.

6. En statuant ainsi, alors que les actions possessoires avaient été abrogées, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

7. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

8. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les moyens du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ;

Déclare les demandes de M. et Mme E... irrecevables ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Condamne M. et Mme E... aux dépens, en ce compris les dépens d'appel ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme E... et les condamne à payer à M. J... et Mme F... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre septembre deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour M. J... et Mme F...

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à la décision attaquée d'avoir réformé le jugement du tribunal de grande instance de Limoges du 14 décembre 2017, en ce qu'il dit les époux E... irrecevables en leur action ;

aux motifs que « ainsi que les consorts J... F... l'admettent dans leurs écritures, l'action introduite par les époux E... relève, de la protection possessoire ; selon l'article 2278 du code civil , la possession est protégée, sans avoir égard au fond du droit, contre le trouble qui l'affecte ou la menace; si la loi du 16 février 2015 a porté abrogation de l'article 2279 du code civil qui précisait que les actions possessoires étaient ouvertes à ceux qui possèdent ou détiennent paisiblement dans les conditions prévues par le code de procédure civile, les enfermant notamment dans l'année de la survenance du trouble, les actions visant à la protection possessoire n'ont pas pour autant disparu et leur introduction est désormais soumise au régime général de la prescription quinquennale; la recevabilité de l'action des époux E... n'est plus discutée en cause d'appel » ;

alors 1°/ qu'il est interdit au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis, notamment les conclusions des parties ; que les exposants demandaient expressément à la cour d'appel de « confirmer en tous points le jugement rendu le 14 décembre 2017 en ce qu'il a déclaré les demandes afférentes à l'action possessoire diligentée par U... E... et K... P... son épouse irrecevables » et concluaient « à titre principal : sur l'irrecevabilité de l'action » ; qu'en considérant que la recevabilité de l'action des époux E... n'aurait plus été discutée en cause d'appel, la cour d'appel a dénaturé les conclusions des exposants, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;

alors 2°/ qu'avant l'entrée en vigueur du décret n° 2017-892 du 6 mai 2017 abrogeant les articles 1264 et suivants du code de procédure civile, les actions possessoires étaient ouvertes dans l'année du trouble ; qu'en considérant que l'action des époux E... aurait été recevable, après avoir constaté qu'ils avaient fait assigner les consorts J... F... en référé en septembre 2012, que le président du tribunal de grande instance de Limoges avait ordonné une expertise par ordonnance du 5 décembre 2012, que l'expert désigné avait déposé son rapport le 27 juin 2013, et que les époux E... n'avaient fait assigner les consorts J... F... que le 7 mars 2016, la cour d'appel a violé l'article 1264 du code de procédure civile, dans sa version applicable à l'espèce ;

alors 3°/ que subsidiairement, à supposer que les articles 1264 et suivants ne s'appliquaient pas, le trouble de la possession prétendu relevait de la procédure de référé ; qu'en considérant que l'action des époux E... aurait été recevable, après avoir constaté qu'ils avaient fait assigner les consorts J... F... au fond devant le tribunal de grande instance de Limoges, la cour d'appel a violé les articles 808 et 809 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION :
(SUBSIDIAIRE)

Il est fait grief à la décision attaquée d'avoir condamné les consorts M... J...N... F... à permettre aux époux K... P... U... E... un libre accès à leur parcelle [...] au travers de leur parcelle [...] et ce sous astreinte de 500 euros par infraction constatée ;

aux motifs que « il appartient aux époux E... de caractériser une possession paisible quant à l'usage, pour accéder à leur habitation, d'un passage au-devant des bâtiments des consorts J... F... , antérieurement au trouble qui l'a affecté ; il est acquis aux débats (cf plan en page 5 et photographies en page 6 du rapport de l'expert V...) que la parcelle [...] , propriété des époux E..., n'a pas d'accès à la voie publique et que leur maison d'habitation, édifiée sur cette parcelle, se trouve en arrière-plan et en prolongement des bâtiments des consorts J... F..., édifiés sur la parcelle [...] ouvrant sur la voie communale ; qu'il existe sur la parcelle [...] des époux E..., en limite de la parcelles [...] des consorts J... F... , un muret fermant leur propriété, supportant leur boîte aux lettres et leur compteur électrique et dans lequel a été aménagé un large portail de bois à deux battants ; il résulte en outre du rapport V... que les époux E... n'ont pas pu utiliser un accès à leur parcelle [...] en passant par leur parcelle [...] , qui jouxte directement la voie publique mais qui en est séparée par un mur de plus d'un mètre de hauteur (cf page 8 du rapport) ; les époux E... produisent en pièce n° 12 un écrit de l'auteur des consorts J... F..., monsieur D... F..., daté du 16 décembre 1972, reconnaissant "avoir reçu de madame P... (auteur des époux E...) la somme de 150 francs représentant la moitié des frais payés pour le goudronnage du chemin de servitude situé devant sa maison, à titre de droit de passage" ; en outre, si par un acte de donation-partage de 1991 consenti par B... O... veuve P... au profit de ses deux enfants, A... P... et K... P... épouse E..., il a constitué deux servitudes réciproques : - l'une permettant à A... P... d'accéder à sa parcelle 388 (aujourd'hui 128) en passant par les parcelles [...] et [...] attribuées à sa soeur (aujourd'hui devenues 127 et 301), la constitution de cette servitude ne peut s'expliquer que si A... P... pouvait poursuivre l'accès à sa parcelle 388 au travers de l'ancien parcelle [...], devenue [...] ; - l'autre permettant à K... P... épouse E... d'accéder à sa parcelle 387 - devenue 127 - en passant sur la parcelle 388 - devenue 128 - de son frère, la servitude grevant le fonds de A... P... n'a été constituée que pour servir l'actuelle parcelle [...] et non la parcelle [...] , qui demeure donc en état d'enclave relative ; en vertu d'un arrêté qui leur a été délivré le 27 octobre 2011, les consorts J... F... ont clôturé le long de la voie communale leur parcelle [...] et donc l'espace en question situé devant leurs bâtiments et qu'avant que n'existe cette clôture, les époux E..., et avant eux leur auteur, pouvaient librement accéder à la maison d'habitation située sur la parcelle [...] par le portail en bois en empruntant un passage au travers de cet espace ; l'utilisation d'un passage sur le fonds des consorts J... F..., qui plus est matérialisé par le portail de bois, suffit à caractériser une possession ouvrant droit pour les époux E... à la protection prévue à l'article 2278 précité ; si, depuis la clôture mise en place par les consorts J... F..., les époux E... ont néanmoins pu accéder à leur maison d'habitation située sur la parcelle [...] en utilisant un passage sur la parcelle [...] (anciennement 388) de A... P..., ce passage, qui n'est pas consacré par un titre, se fait au travers d'un chemin privé non empierré et qu'il n'est ni le plus direct, ni le plus commode, et suffit à expliquer que les époux E... aient de manière régulière, jusqu'en 2011, utilisé un passage au travers de l'espace situé devant les bâtiments des consorts J... F... , passage qu'ils avancent détenir, au titre d'une origine commune des fonds, par destination du père de famille ; l'obstacle mis par les consorts J... F... à l'utilisation de ce passage a été créateur d'un trouble à leur possession qu'il convient de faire cesser ; réformant le jugement entrepris, les consorts J... F... seront en conséquence condamnés, non pas à enlever la clôture et le portail mis en place le long de la voie communale, mais à permettre aux époux E... un libre accès à leur parcelle [...] au travers de leur parcelle [...] et ce sous une astreinte de 500 euros par infraction constatée ;

alors 1°/ que la mise en oeuvre de la protection possessoire nécessite la démonstration, soit d'une situation d'urgence et de l'absence de contestation sérieuse, soit d'un dommage imminent ou d'un trouble manifestement illicite ; qu'en condamnant les exposants à permettre aux époux E... un libre accès à leur parcelle [...] au travers de leur parcelle [...] et ce sous astreinte, quand il résulte de ses propres constatations, d'une part que l'expert ayant déposé son rapport le 27 juin 2013 et les époux E... n'ayant introduit leur action que le 7 mars 2016, les conditions d'urgence et de dommage imminent ne sont caractérisées ni l'une ni l'autre, d'autre part que les époux E... peuvent accéder à leur maison en utilisant un passage sur la parcelle [...] , de sorte que leur parcelle n'est pas enclavée, ce qui exclut tout trouble manifestement illicite, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 808 et 809 du code de procédure civile ;

alors 2°/ que le propriétaire d'un fonds ne dispose de la protection possessoire pour protéger sa jouissance que s'il justifie d'un titre, par exemple d'une situation d'enclave ; qu'en condamnant les exposants à permettre aux époux E... un libre accès à leur parcelle [...] au travers de leur parcelle [...] et ce sous astreinte, quand il résulte de ses propres constatations d'une part qu'un autre passage existe sur la parcelle [...] , permettant l'accès des époux E... à leur parcelle, et qu'ils empruntent ce passage depuis 2011, d'autre part que l'expert désigné par ordonnance du 5 décembre 2012 a déposé son rapport le 27 juin 2013, mais que les époux E... ont attendu le 7 mars 2016 pour agir au possessoire, jouissant entre temps, paisiblement, de l'accès à leur parcelle par le passage de la parcelle [...], ce dont il résulte que la propriété des époux E... n'est pas enclavée, enfin que les époux E... ne bénéficient pas d'un acte constitutif d'une servitude, la cour d'appel a violé l'article 2278 du code civil.


Synthèse
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 19-16370
Date de la décision : 24/09/2020
Sens de l'arrêt : Cassation sans renvoi
Type d'affaire : Civile

Analyses

ACTIONS POSSESSOIRES - Conditions - article 2279 du code civil - Abrogation par la loi du 16 février 2015 - Portée

LOIS ET REGLEMENTS - Abrogation - Article 2279 du code civil - Abrogation par la loi du 16 février 2015 - Portée

L'abrogation, par la loi du 16 février 2015, de l'article 2279 du code civil, selon lequel les actions possessoires étaient ouvertes dans les conditions prévues par le code de procédure civile à ceux qui possédaient ou détenaient paisiblement, a emporté abrogation des articles 1264 à 1267 du code de procédure civile qui définissaient le régime de ces actions et qui avaient été édictés spécifiquement pour l'application de l'article 2279. Il en résulte que seules les actions en référé assurent, depuis le 18 février 2015, l'exercice de la protection possessoire


Références :

article 9 de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015.

Décision attaquée : Cour d'appel de Limoges, 12 mars 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 3e, 24 sep. 2020, pourvoi n°19-16370, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : M. Chauvin
Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret

Origine de la décision
Date de l'import : 16/02/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.16370
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