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23/09/2020 | FRANCE | N°18-23221

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 23 septembre 2020, 18-23221


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

FB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 23 septembre 2020

Cassation

M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 454 F-P+B

Pourvoi n° N 18-23.221

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 23 SEPTEMBRE 2020

1°/

M. R... U...,

2°/ Mme H... U...,

domiciliés tous deux [...],

ont formé le pourvoi n° N 18-23.221 contre l'arrêt rendu le 25 juillet 2018 par la...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

FB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 23 septembre 2020

Cassation

M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 454 F-P+B

Pourvoi n° N 18-23.221

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 23 SEPTEMBRE 2020

1°/ M. R... U...,

2°/ Mme H... U...,

domiciliés tous deux [...],

ont formé le pourvoi n° N 18-23.221 contre l'arrêt rendu le 25 juillet 2018 par la cour d'appel de Nancy (5e chambre commerciale), dans le litige les opposant à la société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne, société anonyme, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Graff-Daudret, conseiller, les observations de la SCP Didier et Pinet, avocat de M. et Mme U..., de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 16 juin 2020 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Graff-Daudret, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 25 juillet 2018), par des actes du 30 mars 2011, M. et Mme U... se sont rendus cautions d'un prêt consenti à la société Chery Buro (la société) par la société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne (la banque).

2. La société ayant été mise en redressement puis, après résolution d'un plan, en liquidation judiciaire, respectivement les 18 juillet 2013 et 2 juillet 2015, la banque a assigné en paiement les cautions qui, reconventionnellement, ont recherché sa responsabilité pour rupture abusive de crédit.

Sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. M. et Mme U... font grief à l'arrêt de les débouter de leurs demandes reconventionnelles et de les condamner solidairement à payer à la banque la somme de 94 436,29 euros au titre de leur engagement de caution, outre intérêts au taux légal à compter du 27 août 2014 alors « que la responsabilité de la banque à l'égard de la caution pour l'octroi abusif de concours à un débiteur qui fait l'objet d'une procédure collective est régie par l'article L. 650-1 du code de commerce qui n'ouvre droit à réparation qu'en cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou de disproportion des garanties prises, et si les concours consentis étaient eux-mêmes fautifs ; que ce texte est inapplicable aux actions en responsabilité fondée sur une réduction ou retrait abusif de ses concours par l'établissement de crédit ; qu'en affirmant, pour débouter les cautions de leur demande de dommages-intérêts formée contre la BPALC pour rupture abusive de son autorisation de découvert à hauteur de 50 000 euros au profit de la SARL Chery Buro, ramenée brutalement et sans préavis à 30 000 euros, qu'aucune des conditions alternatives de l'article L. 650-1 du code de commerce n'étaient pas remplies en l'espèce, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 650-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 650-1 du code de commerce :

4. Aux termes de ce texte, lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci.

5. Pour rejeter la demande reconventionnelle de M. et Mme U..., l'arrêt retient que si ces derniers déplorent le fait qu'après avoir complaisamment donné son concours financier à la société, la banque l'a brutalement révoqué, en décidant de ramener l'autorisation de découvert qu'elle avait accordée à sa cliente, de 50 000 à 30 000 euros, force est de constater qu'ils n'établissent pas l'existence de l'une des trois causes de mise en jeu éventuelle de la responsabilité de la banque, énoncées par l'article L. 650-1 du code de commerce.

6. En statuant ainsi, alors que, les dispositions de l'article L. 650-1 du code de commerce ne concernant que la responsabilité du créancier lorsqu'elle est recherchée du fait des concours qu'il a consentis, seul l'octroi estimé fautif de ceux-ci, et non leur retrait, peut donner lieu à l'application de ce texte, la cour d'appel a, par fausse application, violé celui-ci.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 juillet 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Reims ;

Condamne la société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne et la condamne à payer à M. et Mme U... la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois septembre deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils, pour M. et Mme U....

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. et Mme U... de leurs demandes reconventionnelles et d'avoir condamné solidairement les époux U... à payer à la BPALC la somme de 94 436,29 € au titre de leur engagement de caution, outre intérêts au taux légal à compter du 27 août 2014 ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE, sur le caractère disproportionné des engagements de caution, la simple lecture de la fiche de renseignements rédigée sous la seule responsabilité de M. et Mme U..., en leur qualité de caution, le 30 mars 2011, soit à la date de leur engagement, permet de constater qu'outre la perception pour chacun des époux d'un salaire mensuel de 2 500 €, ceux-ci ont déclaré être propriétaires d'une maison d'habitation valorisée à la somme de 550 000 € et hypothéquée à hauteur de 300 000 € ; qu'en considération du montant de leur engagement de caution, souscrit dans la limite de la somme de 144 000 €, force est donc de constater l'absence de disproportion manifeste, au sens de l'article L. 341-4 du code de la consommation, devenu L.332-1 et L.343-4 du même code, entre ledit engagement et leurs biens et revenus ; que le jugement doit en conséquence être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande des cautions visant à entendre dire que la société BPALC ne peut se prévaloir des contrats de cautionnement souscrits le 30 mars 2011 et en ce qu'il a condamné solidairement les époux U... à honorer leur engagement de caution, à hauteur de la somme de 94 436,29 € correspondant au capital restant dû à la date du décompte de la banque, majoré de l'indemnité exceptionnelle de 10 % ; que, sur la responsabilité de la banque, s'agissant du moyen pris du manquement de la banque à son obligation de mise en garde due aux cautions, au regard de leur capacité financière et des risques d'endettement né de leur engagement, les développements qui précèdent ayant permis de conclure à l'absence de disproportion manifeste entre ledit engagement et les biens et revenus desdites cautions, ce moyen ne peut donc prospérer, les époux U..., co-gérants de la société Chery Buro, fussent-ils des cautions profanes ;

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE, pour résister à la demande présentée par la BPALC, M. et Mme U... soutiennent qu'elle n'aurait pas respecté l'obligation de la mise en garde à leurs égards et se portent demandeurs reconventionnellement en réclamant de 103 888,58 € à titre de dommages et intérêts ; qu'il sera rappelé à ce sujet que le fait générateur de l'obligation de mise en garde est le risque caractérisé d'endettement ainsi qu'il résulte d'une jurisprudence constante tant des juridictions du fond que de la Cour de cassation ; qu'en l'espèce, ce risque est inexistant ainsi qu'il résulte de la fiche de renseignements sur la caution annexée à l'engagement souscrit par M. et Mme U... ; qu'en effet, ces derniers ont déclaré au terme de ce document être propriétaire d'une maison d'habitation évaluée à la somme de 550 000 €, hypothéquée à hauteur de 300 000 € ; que dès lors le patrimoine détenu par les défendeurs demandeurs reconventionnels leur permettait de faire face à leur engagement de caution souscrit par eux de sorte qu'il n'existe en l'espèce aucun risque caractérisé d'endettement ; que la Banque n'avait pas à les mettre en garde ; qu'il sera également rappelé contrairement à ce que soutiennent les défendeurs que la Cour de cassation prend uniquement en compte la valeur du patrimoine privé ou professionnel pour caractériser l'endettement ; que de surcroît M. et Mme U... étaient propriétaires de 100 % des parts sociales de la SARL Chery Buro et doivent donc être considérés comme des cautions averties ;

1°) ALORS QUE la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou lorsqu'il existe un risque de l'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur ; qu'en jugeant que l'absence de disproportion manifeste entre l'engagement des cautions et leurs biens et revenus excluait que la responsabilité de la banque puisse être engagée pour inexécution de son obligation de mise en garde, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°) ALORS, en toute hypothèse, QUE le seul statut de dirigeant ou d'associé de la société cautionnée est impropre à caractériser la qualité de caution avertie et donc à exclure le devoir de mise en garde qui pèse sur le dispensateur de crédit ; qu'en affirmant, par motifs adoptés, que les époux U... doivent être considérés comme des cautions averties dès lors qu'à la date de leur engagement, ils étaient propriétaires à 100 % des parts sociales de la SARL Chery Buro, débitrice principale, quand le seul statut d'associé est impropre à établir que les cautions étaient averties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté M. et Mme U... de leurs demandes reconventionnelles et d'avoir condamné solidairement les époux U... à payer à la BPALC la somme de 94 436,29 € au titre de leur engagement de caution, outre intérêts au taux légal à compter du 27 août 2014 ;

AUX MOTIFS PROPRES QU'en vertu des dispositions de l'article L. 650-1 du code de commerce, il appartient à la caution qui entend rechercher la responsabilité de la banque, non pas au titre d'une action qui lui est propre, mais en vertu du caractère accessoire de son engagement, au titre d'une faute commise par le banquier à l'égard de l'emprunteur, de rapporter la preuve soit d'une fraude, soit d'une immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur, soit que les garanties prises en contrepartie des concours sont disproportionnées ; qu'en l'espèce, si les époux U... déplorent le fait qu'après avoir complaisamment donné son concours financier à la société Chery Buro, la banque l'a brutalement révoqué en décidant de ramener l'autorisation de découvert bancaire qu'elle avait accordée à sa cliente, de 50 000 € à 30 000 €, force est de constater qu'ils n'établissent nullement l'existence de l'une des trois causes de mise en jeu éventuelle de la responsabilité de la banque, énoncées par l'article précité ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE la banque ne s'aurait voir sa responsabilité engagée pour avoir brutalement rompu les concours consentis à la SARL Chery Buro ; qu'en effet il appartient à M. et Mme U... de rapporter la preuve de l'existence de concours formels consentis à la SARL Chery Buro qui auraient été brutalement rompus par la banque, ce qu'ils s'abstiennent de faire ; qu'en tout état de cause la demande reconventionnelle présentée par M. et Mme U... tendant à voir engager la responsabilité de la Banque et totalement infondée conformément à l'article L. 650-1 du code de commerce ;

1°) ALORS QUE la responsabilité de la banque à l'égard de la caution pour l'octroi abusif de concours à un débiteur qui fait l'objet d'une procédure collective est régie par l'article L. 650-1 du code de commerce qui n'ouvre droit à réparation qu'en cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou de disproportion des garanties prises, et si les concours consentis étaient eux-mêmes fautifs ; que ce texte est inapplicable aux actions en responsabilité fondée sur une réduction ou retrait abusif de ses concours par l'établissement de crédit ; qu'en affirmant, pour débouter les cautions de leur demande de dommages et intérêts formée contre la BPALC pour rupture abusive de son autorisation de découvert à hauteur de 50 000 € au profit de la SARL Chery Buro, ramenée brutalement et sans préavis à 30 000 €, qu'aucune des conditions alternatives de l'article L. 650-1 du code de commerce n'étaient pas remplies en l'espèce, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 650-1 du code de commerce ;

2°) ALORS QUE les juges d'appel ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner les nouvelles pièces produites par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en cause d'appel, les époux U... produisaient aux débats les relevés de compte de la SARL Chery Buro attestant que la banque lui avait accordé un concours non occasionnel à hauteur d'un solde moyen de 50 000 € (concl. p. 4 § 6 et s. et pièce n° 19) ; qu'en déboutant les époux U... de leur demande indemnitaire par motifs adoptés des premiers juges selon lesquelles ils s'abstenaient de rapporter la preuve de l'existence d'un concours formel consenti à la SARL Chery Buro et de sa rupture brutale par la banque, sans examiner, même sommairement, les relevés de comptes produits par les époux U... à hauteur d'appel, la cour d'appel a méconnu les exigences des articles 455 et 563 du code de procédure civile.


Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (loi du 26 juillet 2005) - Responsabilités et sanctions - Responsabilité des créanciers - Domaine d'application - Exclusion - Cas - Rupture abusive de crédits

Les dispositions de l'article L. 650-1 du code de commerce ne concernant que la responsabilité du créancier lorsqu'elle est recherchée du fait des concours qu'il a consentis, seul l'octroi estimé fautif de ceux-ci, et non leur retrait, peut donner lieu à l'application de ce texte. Viole dès lors ce texte, par fausse application, l'arrêt qui, pour rejeter la demande indemnitaire formée par une partie contre une banque pour rupture abusive de crédit, retient que cette partie n'établit pas l'existence de l'une des trois causes de mise en jeu éventuelle de la responsabilité de la banque énoncées par l'article L. 650-1 susvisé


Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Nancy, 25 juillet 2018


Publications
Proposition de citation: Cass. Com., 23 sep. 2020, pourvoi n°18-23221, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles
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Composition du Tribunal
Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Didier et Pinet, SCP Thouin-Palat et Boucard

Origine de la décision
Formation : Chambre commerciale
Date de la décision : 23/09/2020
Date de l'import : 16/02/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 18-23221
Numéro NOR : JURITEXT000042397791 ?
Numéro d'affaire : 18-23221
Numéro de décision : 42000454
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.cassation;arret;2020-09-23;18.23221 ?
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