LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
CH.B
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 17 septembre 2020
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 549 F-D
Pourvoi n° P 19-14.302
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 17 SEPTEMBRE 2020
La société MACIF, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° 19-14.302 contre l'arrêt rendu le 30 janvier 2019 par la cour d'appel de Bordeaux (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. M... D...,
2°/ à Mme V... D...,
domiciliés tous deux [...],
3°/ à la société MAAF assurances, société anonyme, dont le siège est [...] ,
4°/ à la société Generali IARD, dont le siège est [...] ,
5°/ à la société [...], entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,
6°/ à la société K... F..., société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Nivôse, conseiller, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société MACIF, de la SCP Boullez, avocat de M. et Mme D..., de Me Le Prado, avocat de la société MAAF assurances, de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat des sociétés Generali IARD, K... F... et [...], après débats en l'audience publique du 9 juin 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Nivôse, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société MACIF de son désistement de la seconde branche du premier moyen.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 30 janvier 2019), un immeuble appartenant à M. et Mme D..., dont ils occupaient une partie et qui était donné en location pour le surplus, a été entièrement détruit par un incendie.
3. M. et Mme D... ont, après expertise, assigné en indemnisation de leurs préjudices la société MACIF, auprès de laquelle l'immeuble était assuré, la société [...], qui avait été chargée de la rénovation de la charpente et de la couverture, la société K... F..., qui avait assuré le ramonage de la cheminée, et les sociétés MAAF et Generali IARD, leurs assureurs respectifs.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La société MACIF fait grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme la garantie de la société MAAF, alors « que sont indissociables de l'ouvrage existant les travaux de réfection de la toiture et de charpente ; qu'en faisant application, pour limiter la garantie de la MAAF à la somme de 500 000 euros, de la garantie complémentaire, couvrant les dommages aux existants divisibles, prévue à l'article 5 du contrat d'assurance souscrit par la société [...] auprès de la MAAF, quand les travaux réalisés par la société [...], de réfection de la toiture et de la charpente, portait sur un ouvrage indissociable des existants, de sorte qu'ils relevaient de la garantie décennale obligatoire prévue à l'article 3.1.1 de ce contrat, dont le montant maximum 5 s'élevait à 8 348 830 euros, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
5. La cour d'appel a relevé que la société [...] avait procédé à la réfection de la charpente et de la couverture, avec fourniture et pose de deux entourages de cheminée.
6. Elle a retenu que, pour réaliser les entourages de cheminée, la société [...] avait fixé des solins à l'aide de chevilles, que la mise en place de celles-ci avait nécessité des percements au pied de la partie extérieure du conduit de cheminée, ce qui avait provoqué la fragilisation du liant de certaines briques du conduit et la création d'une zone de fuite par laquelle s'étaient infiltrés les gaz chauds et les fumées responsables de l'inflammation des matériaux combustibles présents autour du conduit.
7. La cour d'appel a pu en déduire, en considération des clauses du contrat d'assurance souscrit par la société [...], que la garantie complémentaire au titre des dommages sur existants divisibles était due.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le second moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
9. La société MACIF fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement d'une certaine somme au titre des pertes de loyers jusqu'à l'achèvement complet des travaux de reprise des désordres, alors « qu'en condamnant la MACIF à payer à M. et Mme D..., la somme de 52 788,90 euros au titre des pertes de loyers, pour la période allant de janvier 2011 au mois de novembre 2016, à actualiser jusqu'à l'achèvement complet des travaux de reprise, après avoir pourtant constater que les conditions des contrats souscrits par les époux D... auprès de la MACIF prévoyaient une garantie « perte de loyers sur un an maximum », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1134 du code civil. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
10. Le moyen est recevable dès lors que la société MACIF avait fait valoir que sa garantie ne couvrait que la perte des loyers pendant une période d'un an à compter du sinistre.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
11. Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
12. Pour condamner la société MACIF au paiement d'une certaine somme au titre de la perte de loyers, l'arrêt prend en compte la période qui s'est écoulée depuis le 27 janvier 2011, date du sinistre, jusqu'au mois de novembre 2016, et prévoit l'actualisation du préjudice à l'achèvement de la reconstruction de l'immeuble.
13. En statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que la garantie de la société MACIF au titre de l'incendie comprenait la perte de loyers pour un an maximum, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.
Demande de mise hors de cause
14. Il convient de mettre hors de cause les sociétés K... F... et Generali IARD dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du second moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société MACIF à payer à M. et Mme D... la somme de 52 788,90 euros, à actualiser jusqu'à l'achèvement des travaux de reprise selon les conditions d'indexation prévues par le bail, l'arrêt rendu le 30 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Met hors de cause les sociétés K... F... et Generali IARD ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée ;
Condamne M. et Mme D... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept septembre deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société MACIF.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR limité la garantie de la MAAF à la somme de 500.000 euros ;
AUX MOTIFS QUE sur la garantie de la société MAAF Assurances, à compter du 1er janvier 2008, la société [...] a souscrit auprès de la SA MAAF Assurances, une police d'assurance construction qui la couvre pour sa responsabilité décennale ; qu'elle bénéficie également d'une garantie complémentaire pour les dommages aux existants divisibles ; que selon son article 5 figurant dans les conventions spéciales 5B, cette garantie n'est mobilisable que « si les quatre conditions suivantes sont réunies : - les parties préexistantes appartiennent au maître de l'ouvrage, -les dommages aux parties préexistantes sont la conséquence directe et exclusive de l'exécution des travaux neufs, -ces dommages surviennent avant l'expiration d'un délai de dix ans à compter de la date de réception des travaux neufs, -ces dommages matériels rendent une partie préexistante impropre à sa destination ou portent atteinte à sa solidité » ; que l'article 5.2 couvre les dommages immatériels directement consécutifs aux dommages matériels précédemment décrits ; que la MAAF reconnaît être l'assureur de l'EURL [...] pour le sinistre en litige puisque la réclamation est intervenue postérieurement à la souscription de la police ; qu'elle soutient toutefois en vain que sa garantie ne peut trouver à s'appliquer aux dommages car il ne serait pas démontré qu'ils sont la conséquence directe et exclusive de l'exécution des travaux par son assuré, dès lors qu'aux termes des débats devant la cour la seule responsabilité de lentreprise [...] a été retenue dans la réalisation du dommage ; que c'est à bon droit toutefois que s'agissant des préjudices matériels et immatériels elle entend opposer un plafond de garantie de 500.000 euros en application de l'article 7 des conventions spéciales n° 5 B qui prévoit ce montant maximum, ce que ne contestent aucune des parties et particulièrement sa propre assurée ;
1°) ALORS QUE sont indissociables de l'ouvrage existant les travaux de réfection de la toiture et de charpente ; qu'en faisant application, pour limiter la garantie de la MAAF à la somme de 500 000 euros, de la garantie complémentaire, couvrant les dommages aux existants divisibles, prévue à l'article 5 du contrat d'assurance souscrit par la société [...] auprès de la MAAF, quand les travaux réalisés par la société [...], de réfection de la toiture et de la charpente, portait sur un ouvrage indissociable des existants, de sorte qu'ils relevaient de la garantie décennale obligatoire prévue à l'article 3.1.1 de ce contrat, dont le montant maximum s'élevait à 8 348 830 euros, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige ;
2°) ALORS QUE les désordres affectant des travaux immobiliers relèvent de la garantie décennale, dès lors qu'ils rendent l'ouvrage impropre à sa destination ; qu'en écartant l'application de la garantie décennale obligatoire prévue à l'article 3.1.1 du contrat d'assurance souscrit par la société [...] auprès de la MAAF, pour faire application de la garantie complémentaire prévu à l'article 5 du contrat d'assurance afin de limiter la garantie de la MAAF à la somme de 500 000 euros, quand les désordres affectant les travaux réalisés par la société [...] avaient rendu l'immeuble impropre à sa destination, de sorte qu'ils relevaient de la garantie décennale, la cour d'appel a violé l'article 1792 du code civil, ensemble l'article 1134 dans sa rédaction applicable au litige.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la MACIF à payer à M. et Mme D..., sous déduction des franchises contractuelles et provisions déjà versées, la somme de 52 788,90 euros au titre des pertes de loyers à actualiser jusqu'à l'achèvement complet des travaux de reprise selon les conditions d'indexation prévues au bail initial ;
AUX MOTIFS QUE sur l'indemnisation du préjudice, les conditions particulières des contrats souscrits auprès de la MACIF par les époux D..., tant pour la partie de l'immeuble loué que pour celle occupée par eux, prévoient une garantie contre l'incendie avec prise en charge dans un premier temps d'une indemnité immédiate, couvrant la valeur vénale, les frais de démolition, les frais d'études du sol et de solidité, les frais d'études béton et charpente ainsi que la perte de loyer sur un an maximum, et une indemnité différée correspondant à la reconstruction de l'immeuble à l'identique à condition de justifier de la remise en état, des honoraires d'architecte, avec une franchise de 256,66 euros pour l'immeuble loué et une franchise de 100 euros pour l'immeuble réservé aux propriétaires ; qu'aux termes de son rapport, M. J... chiffre à 772 072 euros HT le montant des travaux de reconstruction à l'identique sur la base du descriptif qualitatif et estimatif du maître d'oeuvre "MOPS" chargé de la reconstruction par les époux D... et des différents devis d'entreprises sollicitées ; que la légère différence entre l'évaluation par le maître d'oeuvre, 762.919,13 euros et les devis des professionnels, 772 072,08 euros, doit conduire à retenir la seconde qui correspond à la réalité des travaux de reprise à effectuer ; qu'il chiffre à 84.927,93 euros HT celui des honoraires de maîtrise d'oeuvre, 17.383,33 euros s'agissant des honoraires d'ingénierie selon factures ; que c'est donc une somme globale de 1.045.783,34 euros TTC qui est proposée par l'expert, sans distinction des dommages affectant la partie location de ceux affectant la dépendance ; que retenu comme base de discussion, les parties sont d' accord sur l'essentiel du chiffrage effectué à l'exception de certains postes ;
ET QUE sur les pertes locatives, il est constant qu'à compter du 27 janvier 2011, jour du sinistre qui a entièrement détruit l'immeuble loué, M. et Mme D... ont subi une perte de revenus locatifs ; que M. J... dans son rapport a indiqué qu'au mois de mars 2014, le montant de cette perte se chiffrait à 33.436,35 euros, sur la base d'un loyer mensuel de 722,89 euros avec un indice de référence 117,54, ce montant devant être actualisé au moment du jugement ; que les époux D... ont chiffré cette perte à 52.788,90 euros au mois de novembre 2016, restant à actualiser jusqu' à l'achèvement des travaux de reprise initial ; que la MACIF mais également les autres intimés considèrent que cette perte ne peut être indemnisée que le temps prévu pour la reconstruction, soit une année selon l'expert ; mais que de fait celle-ci n'a pu être mise en oeuvre du fait du litige et du temps de dépôt du rapport d'expertise qui s'est allongé du fait de la complexité du dossier et des dires des parties ; que ce retard pris dans la réalisation des travaux de reconstruction ne saurait être imputé aux propriétaires ; que dès lors ils ne peuvent être comptables de leur perte de revenus en raison de l'impossibilité de louer leur bien ; qu'il sera fait droit à leur demande ; que le jugement est infirmé en ce qu'il n'a retenu une indemnisation que pour une perte de revenus locatifs sur une seule année ;
1°) ALORS QUE la réparation du préjudice doit être intégrale sans qu'il en résulte ni perte ni profit pour la victime ; qu'en condamnant la MACIF à payer à M. et Mme D..., la somme de 52 788,90 euros au titre des pertes de loyers à actualiser jusqu'à l'achèvement complet des travaux de reprise, sans exclure la période postérieure au paiement des sommes qu'elle a été condamnée à payer en indemnisation des désordres affectant l'immeuble, la cour d'appel a fait peser sur les exposants les conséquences d'un retard dans l'exécution des travaux qui ne pouvait lui être imputable à compter du paiement de sa condamnation, et a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice ;
2°) ALORS QU'en condamnant la MACIF à payer à M. et Mme D..., la somme de 52 788,90 euros au titre des pertes de loyers, pour la période allant de janvier 2011 au mois de novembre 2016, à actualiser jusqu'à l'achèvement complet des travaux de reprise, après avoir pourtant constater que les conditions des contrats souscrits par les époux D... auprès de la MACIF prévoyaient une garantie « perte de loyers sur un an maximum » (arrêt, p. 11, § 9), la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1134 du code civil.