LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 17 septembre 2020
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 825 FS-P+B+I
Pourvoi n° K 19-10.366
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 17 SEPTEMBRE 2020
La caisse de Crédit mutuel Savigny-Epinay-sur-Orge, dont le siège est 70 avenue Charles de Gaulle, 91600 Savigny-sur-Orge, a formé le pourvoi n° K 19-10.366 contre la décision rendue le 4 décembre 2018 par le tribunal de grande instance de Nice (Juge de l'exécution), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. R... U...,
2°/ à Mme V... M..., épouse U...,
tous deux domiciliés le [...] ,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Martinel, conseiller doyen, les observations de Me Le Prado, avocat de la caisse de crédit mutuel Savigny-Epinay-sur-Orge, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 17 juin 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Martinel, conseiller doyen rapporteur, Mmes Kermina, Maunand, Leroy-Gissinger, M. Fulchiron, conseillers, Mmes Lemoine, Jollec, Bohnert, M. Cardini, Mme Dumas, conseillers référendaires, M. Aparisi, avocat général référendaire, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée (juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nice, 4 décembre 2018), rendue en dernier ressort, par un jugement d'adjudication du 5 mars 2015, un juge de l'exécution a déclaré la caisse de Crédit mutuel Savigny Epinay sur Orge (la banque), à défaut d'enchères et en sa qualité de créancier poursuivant, adjudicataire du bien immobilier saisi, qui appartenait à M. et Mme U....
2. Par une requête en date du 6 avril 2018, la banque a demandé à un juge de l'exécution d'homologuer le projet de distribution amiable du prix de vente.
Recevabilité du pourvoi examinée d'office
Vu les articles 606, 607 et 608 du code de procédure civile et l'article R. 332-6 du code des procédures civiles d'exécution :
3. Conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, avis a été donné aux parties qu'il est fait application de ces textes.
4. Il résulte de ces textes que sauf dans les cas spécifiés par la loi, les jugements en dernier ressort qui ne mettent pas fin à l'instance ne peuvent être frappés de pourvoi en cassation indépendamment des jugements sur le fond que s'ils tranchent dans leur dispositif tout ou partie du principal. Il n'est dérogé à cette règle qu'en cas d' excès de pouvoir.
5. La banque s'est pourvue en cassation contre l'ordonnance refusant d'homologuer le projet de distribution amiable du prix de vente.
6. Cependant, cette décision n'a pas tranché une partie du principal, ni mis fin à l'instance relative à la procédure de saisie immobilière.
7. Le pourvoi n'est donc pas recevable, sauf si un excès de pouvoir se trouve caractérisé.
Examen du second moyen
Sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. La banque fait grief à l'ordonnance de rejeter la requête en homologation du projet de distribution du prix d'adjudication, alors « que si le projet de distribution amiable notifié n'est pas contesté par les créanciers ou le débiteur dans le délai de quinze jours suivant la réception de ladite notification, ces derniers sont réputés l'avoir accepté et le créancier poursuivant peut solliciter l'homologation du projet, le juge devant alors "conf[érer] force exécutoire au projet de distribution après avoir vérifié que tous les créanciers parties à la procédure et le débiteur ont été en mesure de faire valoir leurs contestations ou réclamations" ; qu'en refusant de donner force exécutoire au projet de distribution amiable établi par elle, non pas à raison de ce que tous les créanciers et débiteurs n'auraient pu soumettre leur contestation ou d'un quelconque manquement à la procédure de distribution amiable, mais à raison d'une appréciation portée sur le fond du projet de distribution, tenant à l'impossibilité d'opposer la compensation bien que ce projet n'ait pas été contesté par les créanciers et débiteurs, le juge de l'exécution a excédé ses pouvoirs au regard de l'article R. 332-6 du code des procédures civiles d'exécution. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 6 du code civil et l'article R.332-6 du code des procédures civiles d'exécution :
9. Il résulte de ces textes que, saisi d'une demande d'homologation d'un projet de distribution amiable tendant à lui voir conférer force exécutoire après vérification que tous les créanciers à la procédure et le débiteur ont été en mesure de faire valoir leurs contestations et réclamations, le juge de l'exécution n'a pas le pouvoir d'apprécier sur le fond le projet de distribution, sauf à vérifier la conformité de ce projet à l'ordre public.
10. Pour rejeter la requête en homologation du projet de distribution du prix d'adjudication, l'ordonnance retient que l'adjudicataire, malgré sa qualité de créancier poursuivant, qui s'est volontairement abstenu de payer le prix de la vente et les frais taxés, ne saurait valablement opposer la compensation de sa créance au stade de la distribution, alors même qu'il n'est pas partie à la procédure de distribution.
11. En statuant ainsi, alors que le projet de distribution n'avait pas été contesté dans le délai imparti et que la faculté, qui y était insérée, d'un paiement partiel du prix de vente par compensation n'était pas contraire à l'ordre public, le juge de l'exécution, qui n'avait pas le pouvoir d'apprécier sur le fond le projet de distribution, a, excédant ses pouvoirs, violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
DÉCLARE le pourvoi recevable ;
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 4 décembre 2018, entre les parties, par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nice ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Grasse ;
Condamne M. et Mme U... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. et Mme U... à payer à la caisse de Crédit mutuel Savigny-Epinay-sur-Orge la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de la décision cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept septembre deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Le Prado, avocat aux Conseils, pour la caisse de Crédit mutuel Savigny-Epinay-sur-Orge
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'ordonnance attaquée,
D'AVOIR rejeté la requête en homologation du projet de distribution de la Caisse de Crédit Mutuel Savigny-Epinay-sur-Orge ;
ALORS QUE toute décision de justice doit comporter le nom du juge qui l'a rendu ; qu'en l'espèce, l'ordonnance ne comporte aucune mention du nom du juge qui a statué ; qu'il a ainsi violé l'article 454 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'ordonnance attaquée,
D'AVOIR rejeté la requête en homologation du projet de distribution de la Caisse de Crédit Mutuel Savigny-Epinay-sur-Orge ;
AUX MOTIFS QUE « le projet de distribution annexé à la requête aux fins d'homologation prévoit que « la société CCM Savigny-Epinay sur Orge percevra la somme de 170.530,64 € dont 170.000 € à percevoir au titre du solde de sa créance suivant décompte arrêté au juillet 2015 ».
La distribution du prix telle qu'organisée par les articles R. 331-1 et suivants du Code des procédures civiles d'exécution suppose que l'adjudicataire ait procédé au paiement du prix et des frais taxés conformément à l'article R. 322-56.
La circonstance que l'article 15 du cahier des conditions de vente prévoit que « le créancier poursuivant de premier rang devenu acquéreur sous réserve des droits des créanciers privilégiés pouvant le primer, aura la faculté, par déclaration au séquestre désigné et aux parties, d'opposer sa créance en compensation légale totale ou partielle du prix, à ses risques et périls, dans les conditions de l'article 1289 et suivants du Code civil » est sans incidence sur l'obligation de paiement résultant de l'article R. 322-56, étant admis que le cahier des conditions de vente ne saurait déroger aux règles impératives de la saisie immobilière.
En outre, le cahier des conditions de vente en ce qu'il fixe les conditions juridiques de la vente aux enchères, imposées à peine de nullité par l'article R. 322-10 n'a pas vocation à régir la phase procédurale de distribution.
L'adjudicataire, malgré sa qualité de créancier poursuivant, qui s'est volontairement abstenu de payer le prix de la vente et les frais taxés ne saurait valablement opposer la compensation de sa créance au stade de la distribution, alors même qu'il n'est pas partie à la procédure de distribution.
En conséquence, il y a lieu de rejeter la requête en homologation du projet de distribution » ;
1°) ALORS QUE, si le projet de distribution amiable notifié n'est pas contesté par les créanciers ou le débiteur dans le délai de quinze jours suivant la réception de ladite notification, ces derniers sont réputés l'avoir accepté et le créancier poursuivant peut solliciter l'homologation du projet, le juge devant alors « conf[érer] force exécutoire au projet de distribution après avoir vérifié que tous les créanciers parties à la procédure et le débiteur ont été en mesure de faire valoir leurs contestations ou réclamations » ; qu'en refusant de donner force exécutoire au projet de distribution amiable établi par l'exposante, non pas à raison de ce que tous les créanciers et débiteurs n'auraient pu soumettre leur contestation ou d'un quelconque manquement à la procédure de distribution amiable, mais à raison d'une appréciation portée sur le fond du projet de distribution, tenant à l'impossibilité d'opposer la compensation bien que ce projet n'ait pas été contesté par les créanciers et débiteurs, le juge de l'exécution a excédé ses pouvoirs au regard de l'article R. 332-6 du code des procédures civiles d'exécution ;
2°) ALORS SUBSIDIAIREMENT QUE la compensation est un mode de paiement qui éteint simultanément la créance et la dette dès que ses conditions sont réunies et, si un mécanisme de droit commun de paiement du prix d'adjudication est instauré par l'article R. 322-56 du code des procédures civiles d'exécution, rien n'interdit le règlement par compensation dans le cadre d'une procédure de distribution amiable du prix ; qu'en l'espèce, le projet de distribution du prix de vente prévoyait un paiement partiel de celui-ci par compensation entre la dette et la créance du Crédit Mutuel, créancier poursuivant ; qu'en refusant d'homologuer le projet, à raison de l'absence de paiement du prix dans les conditions de l'article R. 322-56 du code des procédures civiles d'exécution, lequel n'exclut pas le paiement pas compensation, le juge de l'exécution a violé les articles R. 322-56, R. 332-3, R. 332-4 et R. 332-6 du code des procédures civiles d'exécution, ensemble l'article 1347 du code civil.