La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/09/2020 | FRANCE | N°18-15753

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 16 septembre 2020, 18-15753


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

FB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 16 septembre 2020

Annulation partielle sans renvoi

Mme LEPRIEUR, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 691 F-D

Pourvoi n° V 18-15.753

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 16 SEPTEMBRE 2020

M. S... Q..., domi

cilié [...] , a formé le pourvoi n° V 18-15.753 contre l'arrêt rendu le 20 février 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 4), dans ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

FB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 16 septembre 2020

Annulation partielle sans renvoi

Mme LEPRIEUR, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 691 F-D

Pourvoi n° V 18-15.753

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 16 SEPTEMBRE 2020

M. S... Q..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° V 18-15.753 contre l'arrêt rendu le 20 février 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 4), dans le litige l'opposant à la société [...] , société anonyme, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.

La société [...] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;

Le demandeur au pourvoi principal et la demanderesse au pourvoi incident invoquent, chacun, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Le Corre, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. Q..., de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société [...] , après débats en l'audience publique du 16 juin 2020 où étaient présents Mme Leprieur, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Le Corre, conseiller référendaire rapporteur, Mme Richard, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 février 2018), M. Q... a été engagé le 1er août 2001 par la société [...] et exerçait en dernier lieu les fonctions de responsable d'affaires.

2. Il a été licencié pour faute lourde le 23 mai 2012.

Examen des moyens

Sur le moyen unique du pourvoi principal du salarié, pris en ses quatre premières branches, et le moyen unique du pourvoi incident de l'employeur, ci-après annexés

3.En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen unique du pourvoi principal du salarié, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement est justifié et repose sur une faute lourde, de le débouter de ses demandes et de porter à la somme de 90 000 euros le montant des dommages-intérêts alloués à la société [...] et de le condamner à lui payer ladite somme, alors « que suivant l'article L. 3141-26 du code du travail dans sa rédaction résultant de la décision n° 2015-523 QPC du 2 mars 2016 du Conseil constitutionnel, lorsque le contrat de travail est rompu avant que le salarié ait pu bénéficier de la totalité du congé auquel il a droit, il reçoit, pour la fraction de congé dont il n'a pas bénéficié, une indemnité compensatrice de congé déterminée d'après les dispositions des articles L. 3141-22 à L. 3141-25 du code du travail ; que l'indemnité est due, que cette rupture résulte du fait du salarié ou du fait de l'employeur ; qu'en déboutant M. S... Q... de sa demande d'indemnité compensatrice de congés payés, au motif que le salarié avait commis une faute lourde fondant le licenciement, la cour d'appel a violé l'article L. 3141-26 du code du travail dans sa rédaction alors applicable. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3141-26 du code du travail dans sa rédaction résultant de la décision n° 2015-523 QPC du 2 mars 2016 du Conseil constitutionnel :

5. Aux termes de ce texte, lorsque le contrat de travail est rompu avant que le salarié ait pu bénéficier de la totalité du congé auquel il avait droit, il reçoit, pour la fraction de congé dont il n'a pas bénéficié, une indemnité compensatrice de congé déterminée d'après les dispositions des articles L. 3141-22 à L. 3141-25. L'indemnité est due, que cette rupture résulte du fait du salarié ou du fait de l'employeur.

6. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés, l'arrêt retient que le salarié a commis une faute lourde fondant le licenciement.

7. Cette décision, non conforme aux dispositions susvisées, applicables aux instances en cours, doit en conséquence être annulée.

Portée et conséquences de la cassation

8. L'annulation prononcée n'emporte pas cassation des autres chefs de dispositif visés par le moyen, que la critique de la cinquième branche n'est pas susceptible d'atteindre.

9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

10. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie en effet que la Cour de cassation statue au fond.

11. Le montant de la demande du salarié au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés n'était pas contesté devant la cour d'appel et ne l'est pas devant la Cour de cassation.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute le salarié de sa demande en paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés, l'arrêt rendu le 20 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Condamne la société [...] à payer à M. Q... la somme de 4 615,71 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés ;

Condamne la société [...] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [...] et la comdamne à payer à M. Q... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize septembre deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat aux Conseils, pour M. Q....

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le licenciement de M. S... Q... était justifié et qu'il reposait sur une faute lourde, débouté M. Q... de ses demandes et d'avoir porté à la somme de 90 000 euros le montant des dommages et intérêts alloués à la société [...] et condamné M. Q... à payer à la société [...] ladite somme,

AUX MOTIFS PROPRES QUE

Considérant que la lettre de licenciement, à laquelle il est expressément fait référence, qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d'autres griefs que ceux qu'elle énonce, est ainsi motivée :

"Nous vous avons convoqué en date du 2 mai 2012 par courrier remis en main propre contre décharge à un entretien préalable à un éventuel licenciement et mise à pied conservatoire fixée le 10 mai 2012,

Vous n'avez pas souhaité vous faire assister pour cet entretien,

Les faits qui vous ont été reprochés lors de cet entretien sont les suivants :

Tout d'abord en date du 2 avril 2012 lors d'une visite sur le montage du salon "Bluebat" Porte de Versailles, nous avons constaté la présence d'un stand "Librairie" du Groupe "Moniteur",

Or, étant fournisseur de ce client pour une grande partie de ses manifestations dont vous avez la responsabilité notamment au niveau du développement commercial et du suivi technique, nous avons été très surpris de ne pas avoir été consultés pour la réalisation de ce dernier mais également et surtout de voir que ce même stand était réalisé par un ancien commercial de notre société, M. L... qui oeuvre désormais pour la société Exponentiel,

Dans ce contexte, nous avons procédé à des recherches, lesquelles ont mis en évidence une violation de vos obligations contractuelles caractérisées notamment par la situation ci-après,

Nous nous sommes renseignés sur la société Exponentiel et avons découvert via son K-bis mais également ses statuts, que, d'une part, cette dernière avait pour objet une activité similaire et concurrente à la nôtre et, d'autre part, que vous étiez associé dans cette entreprise avec notre sous-traitant "Dimi Expo" mais également que vous aviez nommé comme Gérant d'Exponentiel lors d'une assemblée générale que vous présidiez, M. L...,

De plus, nous avons également découvert à cette occasion que vous aviez créé une seconde société en 2008, appelée "Staff", alors que vous étiez déjà salarié de notre entreprise, dont l'activité principale est également identique à la nôtre ("le conseil et la gestion en entreprise et en organisation dans le secteur événementiel, [..] plus généralement toutes opérations de quelque nature qu'elles soient, se rattachant à l'objet sus-indiqué... ",

Aussi il s'est avéré que vous entreteniez d'étroites relations au quotidien (notamment en utilisant les outils de notre société tel que le téléphone et ordinateur portable) avec vos différentes sociétés et surtout que vous avez usé de votre fonction de responsable d'affaires et par conséquent de vos contacts privilégiés avec nos clients institutionnels comme Reed ou Groupe Moniteur par exemple, afin de faire bénéficier vos sociétés d'affaires au détriment de notre entité, qui par ailleurs, aurait parfaitement pu les réaliser et ceci pour des montants non négligeables. Vos activités parallèles étant très fructueuses au regard du bilan de votre société "Staff" mais également des bons de commandes et devis effectués avec certains de nos clients,

Puis, il nous est également apparu que sur le dernier salon "Emploi-Public" pour le stand "Nice Cote d'azur" s'étant tenu en mars 2012, des productions de travaux de signalétique et de tapisserie réalisées par notre société et à votre demande n'ont pas été facturées par [...],

Ces travaux ont pourtant fait l'objet d'une validation de la part d'Exponentiel via son gérant M. L... ce qui montre que vous avez également fait profiter vos entités de notre outil de production sur cet événement,

Par conséquent, nous ne pouvons tolérer que l'un de nos responsables d'affaires, cadre de notre société, dont la fonction consiste notamment à développer commercialement notre entreprise mais également notre groupe, puisse, par ailleurs, gérer concomitamment et directement d'autres entités concurrentes à la nôtre et ceci en entrant directement en relation avec nos principaux clients tout en privilégiant évidemment le développement de vos sociétés et non la nôtre, qui pourtant vous emploi à ce titre,

Vos agissements, qui constituent un manquement évident à votre obligation de loyauté à l'égard de votre employeur, nous conduisent également à conclure qu'en constituant vos entreprises et en y associant soit nos sous-traitants soit nos anciens commerciaux, vous agissiez de manière totalement délibérée et avec la ferme intention de nuire à nos relations commerciales et donc à notre développement, ce qui est inadmissible.

Lors de l'entretien, vous n'avez pas nié la création de société mais avez juste affirmé avoir voulu aider un ami, en la personne de M. L... en participant financièrement à son projet. A l'inverse, vous soutenez n'avoir eu aucune implication directe dans ces dernières ni même aucune relation privilégiée à ce titre avec nos clients, alors même que de telles déclarations sont en contradiction avec la réalité,

Vos explications ne nous ayant pas permis de modifier notre appréciation de la situation, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute lourde,

Votre licenciement sera donc effectif dès la première présentation de cette lettre, sans préavis ni indemnité de rupture et de congés payés... ",

Considérant que la faute lourde est celle qui, comme la faute grave, résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée limitée du préavis,

Que la faute lourde suppose, en outre, l'intention dc nuire du salarié,

Que l'employeur qui invoque la faute lourde pour licencier doit en rapporter la preuve, laquelle implique la démonstration de l'intention de nuire,

Considérant que pour infirmation, M. S... Q... conclut à la requalification du licenciement pour faute lourde en licenciement pour faute grave, en l'absence de toute intention de nuire, et en conséquence au paiement par l'employeur de l'indemnité compensatrice de congés payés,

Considérant qu'il résulte des écritures même de M. S... Q... que ce dernier ne conteste pas la matérialité des faits et indique avoir pris conscience, à l'occasion de son licenciement et de la procédure, des implications juridiques liées à la création de sociétés exerçant, sinon la même activité que son employeur, du moins une activité commerciale auprès de deux clients qu'il gérait dans le cadre de son contrat de travail,

Qu'en réalité, il a utilisé son excellent relationnel pour récupérer des marchés auxquels l'employeur n'avait pas accès,

Considérant que le contrat de travail dispose :

"...M. Q... S... s'engage à respecter scrupuleusement le secret professionnel, en gardant une discrétion absolue sur tout ce qui a trait au secret et procédés spéciaux concernant l'activité de commerce de la société [...] et d'une manière générale sur toutes les opérations commerciales et financières dont elle aurait connaissance dans l'exercice de ses fonctions et de quelque façon que ce soit...",

Considérant que, s'agissant de la société Staff, ses principales caractéristiques sont les suivantes :

- elle a été immatriculée le 30 juin 2008, déclarant un commencement d'activité le 19 juin 2008, c'est-à-dire à une époque où M. Q... était le salarié de la société [...],

- son objet social est "... le conseil, la gestion en entreprise et en organisation dans le secteur événementiel ; la création de décors, d'ambiance dans tous lieux...",

de sorte qu'il est concurrent à celui de la société [...],

- que M. S... Q... en est l'unique associé,

- son siège social est situé [...] et il est expressément indiqué sur son extrait K-bis qu'il s'agit d'une domiciliation,

Que s'agissant de la société Exponentiel, ses principales caractéristiques sont les suivantes :

- elle a été immatriculée le 14 septembre 2011, déclarant un commencement d'activité le 1ervseptembre 2011 c'est-à-dire à une époque où M. Q... était le salarié de la société [...],

- son objet social est "... la réalisation de travaux dans le domaine de l'événementiel, des travaux d'exposition sur les salons et congrès...", de sorte qu'il est concurrent à celui de la société [...],

Que ces sociétés avaient, de fait, pour effet de détourner des commandes que M. S... Q..., en qualité de responsable d'affaires, se devait de traiter pour le compte de son employeur,

Qu'en réalité, il est établi que le salarié a établi des devis sous l'entête des sociétés Staff ou Exponentiel ou a transmis les commandes à ces deux sociétés,

Que l'examen de la messagerie professionnelle de M. S... Q..., au travers du procès-verbal de constat, a permis de rapporter la preuve des pratiques déloyales en particulier à l'occasion d'une demande de devis pour "village Toé" dans les conditions suivantes :

• par courrier électronique en date du 13 mai 2011, M. G... C... (responsable service exposants de la société Reed Expositions France) demande à M. Q... un devis pour le Village TO et lui adresse son cahier des charges. L'on trouve en pièce jointe de son message un devis sous l'entête de la société Gl Events Services, filiale de la société [...],

• par courrier électronique du même jour, M. Q... lui répond en les termes suivants : "... en fait, si j'ai bien compris, on fait idem à l'année dernière, comme GL dans le devis, mais en moins cher ??? C'est ça ???...",

Que la société [...] verse aux débats plusieurs échanges de courriels ayant abouti au détournement de clientèle au profit des deux sociétés créées par M. S... Q...,

Que le procédé utilisé par le salarié ne peut, comme il le soutient, relever d'une simple méconnaissance de ses fonctions mais établi un détournement de clientèle volontaire constitutif d'une volonté de nuire à son employeur en travaillant, rémunéré par la société [...] , au profit de sociétés concurrentes gérées par lui-même,

Qu'un message établi les motivations de M. S... Q... lors de la création de la société Exponentiel, M. S... Q... se décrivant ainsi :

"S... Q... : Directeur associé, gestion commerciale, apport des compétences techniques de faisabilité, apport du portefeuille clients géré chez [...] , maîtrise des tarifs (achats et ventes), Maîtrise des sous-traitants (indispensable dans ce domaine d'activité)...",

Que la teneur de ce message permet d'établir l'intention de nuire à son employeur,

Qu'en conséquence, le jugement sera confirmé et M. S... Q... débouté de sa demande de paiement de l'indemnité de congés payés la faute lourde étant établie,

Considérant que les agissements de M. S... Q... ont eu nécessairement un impact, dans la mesure où gestionnaire de près de 45% du chiffre d'affaires de son employeur, ce dernier a détourné des clients,

Que cependant, il ne peut s'agir que d'une perte de chance pour la société [...] de réaliser des marchés,

Que contrairement à ce qu'affirme la société [...] il n'est pas possible d'établir que le salarié ne travaillait qu'à 50% de son temps pour l'employeur,

Que, néanmoins l'attitude de M. S... Q... a occasionné à son employeur un préjudice certain, autre que commercial, qui sera justement réparé par l'octroi d'une somme de 90 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Que le jugement sera réformé sur ce point,

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE

Sur la faute lourde

Attendu que tout licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse,

Attendu que les motifs énoncés dans la lettre de licenciement fixent les limites du litige,

Attendu que ce comportement est contraire au principe défini par l'article L. 1222-1 du code du travail selon lequel "le contrat de travail est exécuté de bonne foi",

Attendu que la faute lourde est celle commise par un salarié avec l'intention de nuire à son employeur,

Attendu que les motifs de licenciement de M. Q... sont énoncés dans la lettre de licenciement,

Attendu qu'il est reproché à M. Q... d'avoir géré concomitamment et directement des sociétés Staff et Exponentiel, concurrentes à la société [...] et à son groupe, en utilisant les outils de l'entreprise, en usant de sa fonction de responsable d'affaires pour entrer directement en relation avec les principaux clients de l'entreprise, et en utilisant les sous-traitants de la société [...], que, ce faisant, il a commis un manquement à son obligation de loyauté et a agi de manière délibérée avec l'intention de nuire à l'entreprise et à son développement,

Attendu que la société [...] apporte les preuves à l'appui de ces reproches,

Attendu que M. Q... ne conteste pas avoir créé deux entreprises, exercé son activité depuis son poste de travail et avoir détourné de la clientèle. Cependant, il considère que ces faits ne sont pas constitutifs d'une faute lourde, car ils n'ont pas été fatals pour [...], dont l'activité est principalement l'installation générale de salons, alors que ses sociétés proposent d'autres prestations,

Attendu que l'exercice d'une activité concurrente par M. Q... constitue un manquement à l'obligation de loyauté et de fidélité et que le détournement considérable de clientèle au profit de ses propres sociétés a duré 4 ans,

Le Conseil juge en conséquence que le licenciement pour faute lourde est justifié,

Sur la demande en paiement de l'indemnité de congés payés,

Attendu que conformément à l'article L. 3141-26 du code du travail, l'indemnité compensatrice de congés payés n'est pas due dès lors que la rupture du contrat de travail a été provoquée par la faute lourde du salarié,

Attendu de ce qui précède, que le licenciement de M. Q... est justifié par une faute lourde, il n'y a lieu de faire droit à la demande en paiement d'une indemnité de congés payés,

1° ALORS QUE la responsabilité du salarié n'est engagée envers son employeur qu'en cas de faute lourde, celle-ci étant caractérisée par l'intention de lui nuire, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d'un acte préjudiciable à l'entreprise ; qu'en considérant que les sociétés Staff et Exponentiel créées par M. Q... exerçaient des activités concurrentes à celles de la société [...] sans même rechercher, comme elle y était invitée, si la société [...] n'exerçait pas exclusivement une activité d'installation générale au contraire des sociétés litigieuses qui réalisaient des prestations d'installations de stands personnalisées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3141-26 du code du travail,

2° ALORS QUE la faute lourde est caractérisée par l'intention de nuire à l'employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d'un acte préjudiciable à l'entreprise ; qu'en se fondant sur un message de M. S... Q... lors de la création de la société Exponentiel, par lequel il se décrivait ainsi : "S... Q... : Directeur associé, gestion commerciale, apport des compétences techniques de faisabilité, apport du portefeuille clients géré chez [...] , maîtrise des tarifs (achats et ventes), Maîtrise des sous-traitants (indispensable dans ce domaine d'activité)..." pour en déduire que la teneur de ce message permettait d'établir l'intention de nuire à son employeur, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé la volonté du salarié de porter préjudice à l'employeur dans la commission du fait fautif, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3141-26 du code du travail,

3° ALORS QUE la responsabilité du salarié n'est engagée envers son employeur qu'en cas de faute lourde, celle-ci étant caractérisée par l'intention de lui nuire, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d'un acte préjudiciable à l'entreprise ; qu'en énonçant que la création des sociétés Staff et Exponentiel avaient, de fait, pour effet de détourner des commandes que M. S... Q..., en qualité de responsable d'affaires, se devait de traiter pour le compte de son employeur, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la création de ces sociétés n'avaient pas eu pour effet de traiter des marchés que l'employeur n'était pas en mesure de traiter du fait de la saturation de ses capacités de traitement ou de production ou parce que ces marchés n'étaient pas couverts par l'exclusivité consentie par les clients au groupe Gl Events, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3141-26 du code du travail,

4° ALORS QUE les juges sont tenus de motiver leur décision et de répondre aux moyens péremptoires des conclusions des parties de nature à influer sur la solution du litige ; que par des écritures demeurées sans réponse, M. S... Q... faisait valoir, pour démontrer l'absence d'intention de nuire à son employeur, qu'il avait continué à entretenir le niveau d'activité qu'il avait développée depuis 2002 avec les clients considérés, conformément aux directives de sa direction générale qui ne l'autorisait pas à transmettre les projets excédant les capacités de traitement de [...] aux autres sociétés du groupe Gl Events ; qu'en ne s'expliquant pas sur ce moyen déterminant la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile,

5° ALORS QUE suivant l'article L. 3141-26 du code du travail dans sa rédaction résultant de la décision n° 2015-523 QPC du 2 mars 2016 du Conseil constitutionnel, lorsque le contrat de travail est rompu avant que le salarié ait pu bénéficier de la totalité du congé auquel il a droit, il reçoit, pour la fraction de congé dont il n'a pas bénéficié, une indemnité compensatrice de congé déterminée d'après les dispositions des articles L. 3141-22 à L. 3141-25 du code du travail ; que l'indemnité est due, que cette rupture résulte du fait du salarié ou du fait de l'employeur ; qu'en déboutant M. S... Q... de sa demande d'indemnité compensatrice de congés payés, au motif que le salarié avait commis une faute lourde fondant le licenciement, la cour d'appel a violé l'article L. 3141-26 du code du travail dans sa rédaction alors applicable. Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société [...] .

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté la société [...] de sa demande de préjudice commercial déjà indemnisé, correspondant aux marges perdues que la société [...] évaluait à la somme de 668.511 euros,

AUX MOTIFS QUE : « Considérant, s'agissant du préjudice commercial sollicité par la société [...] que l'employeur est mal fondé à revendiquer contre Monsieur Q... des dommages et intérêts correspondant à la marge réalisée par des sociétés tierces au titre de commandes de [...] ; qu'en effet lesdites sociétés tierces ont été demeurant mises en cause aux mêmes fins par [...] devant le Tribunal de Commerce de Paris laquelle a vu son préjudice commercial réparé, la société intimée ne justifiant pas, par ailleurs de la réalité des marges perdues au titre des commandes détournées ; que le jugement déféré sera infirmé sur ce point et l'employeur débouté de ce chef de demande »

1/ ALORS QUE le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motif ; qu'en l'espèce la société faisait valoir et démontrait que si, par jugement définitif du 28 septembre 2016, le Tribunal de Commerce de Paris avait condamné la société Staff au paiement d'une somme de 520 596 euros et la société Exponentiel au paiement d'une somme de 20 256 euros, ces condamnations ne seraient jamais recouvrées dans la mesure où les deux sociétés avaient été radiées antérieurement au prononcé du jugement (conclusions d'appel de la société p.41 et production n°5) ; qu'en énonçant néanmoins que la société [...] avait vu son préjudice commercial réparé par la mise en cause des sociétés Staff et Exponentiel devant le Tribunal de commerce Paris, sans répondre à ce moyen déterminant des conclusions de l'employeur, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile,

2/ ALORS QUE les juges du fond ne peuvent accueillir ni rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce, pour déterminer le préjudice commercial causé par le détournement de sa clientèle au profit des sociétés Staff et Exponentiel, la société justifiait des marges qu'elle avait perdues en versant aux débats des listes établies par les clients détournés recensant les factures des sociétés Staff et Exponentiel qui leur avaient été adressées (conclusions d'appel de la société [...] p.40 et 41 productions n°6 à 10) ; qu'elle démontrait ainsi que le montant total du chiffre d'affaires encaissé par les sociétés représentait une somme de 1.808.010,08 euros ; qu'elle énonçait cependant qu'une partie de ces commandes aurait pu être confiée à la société soeur GL Events Services si bien qu'elle estimait que le chiffre d'affaires détourné à son préjudice devait être évalué à un montant de 1.256.007,56 euros (correspondant à 1.808.010,08 euros – ¿) ; qu'elle prenait ensuite en considération sa marge brute moyenne de 2008 à 2012, soit 49,3 %, pour en tirer que son préjudice s'élevait par conséquent à une somme de 668.511 euros (1.256.007,56 euros x 49,3%) ; qu'en énonçant cependant que la société ne justifiait pas des marges perdues au titre des commandes détournées, sans examiner aucune de ces pièces la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 18-15753
Date de la décision : 16/09/2020
Sens de l'arrêt : Annulation partielle sans renvoi
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 20 février 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 16 sep. 2020, pourvoi n°18-15753


Composition du Tribunal
Président : Mme Leprieur (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:18.15753
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award