LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
LG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 10 septembre 2020
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 524 F-D
Pourvoi n° X 18-26.818
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 SEPTEMBRE 2020
La société Francheville, société civile de construction vente, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° X 18-26.818 contre l'arrêt rendu le 16 octobre 2018 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile B), dans le litige l'opposant à la société Immag, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,
défendeur à la cassation,
EN PRESENCE DE M. N... X..., domicilié [...] ,
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dagneaux, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société Francheville, de Me Le Prado, avocat de la société Immag, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. X..., après débats en l'audience publique du 3 juin 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Dagneaux, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 16 octobre 2018), par actes notariés distincts du 15 décembre 2010, la société Immag a acquis deux parcelles contiguës cadastrées [...] et [...] et revendu la première à la société civile de construction-vente Francheville (la SCCV). L'acte de vente prévoyait, au profit de la parcelle [...] , une servitude de vue concernant les ouvertures existantes sur les bâtiments dont la société Immag est demeurée propriétaire, ainsi qu'une servitude d'usage d'un jardin.
2. La SCCV a fait construire un ensemble immobilier placé sous le régime de la copropriété et vendu en l'état futur d'achèvement. La société Immag a procédé à des travaux de réhabilitation du bâtiment ancien situé sur la parcelle dont elle a conservé la propriété.
3. La SCCV a assigné la société Immag en suppression de vues droites créées à l'occasion de ces travaux de restauration. Celle-ci a engagé une action en revendication d'une servitude de vue et assigné le notaire rédacteur des actes. Les deux instances ont été jointes.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La SCCV fait grief à l'arrêt de rejeter la demande en suppression de vues droites, alors :
« 1°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que l'acte du 15 décembre 2010 par lequel la SCCV Francheville a acquis la parcelle [...] de la société Immag qui a elle-même conservé la parcelle contigüe [...] , comporte une clause instituant une « servitude de vue concernant les ouvertures existantes sur le bâtiment conservé par le vendeur qui seront maintenues en l'état » ; qu'en retenant, pour débouter la SCCV Francheville de sa demande tendant à l'obstruction des trois ouvertures créées par la société Immag dans la façade nord du bâtiment A situé sur la parcelle [...] , que cette clause ne saurait se comprendre comme traduisant la volonté des parties d'interdire définitivement toute création ou modification d'ouvertures dans les bâtiments considérés, la cour d'appel en a dénaturé les termes clairs et précis en violation du principe susvisé ;
2°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'il résulte du plan annexé à l'acte du 15 décembre 2010 par lequel la SCCV Francheville a acquis la parcelle [...] , que la façade nord du bâtiment A de la parcelle [...] conservé par la société Immag, sur laquelle ont été percées les ouvertures litigieuses, constituent l'une des limites entre ces deux propriétés ; qu'en se fondant, pour dire que la clause de servitude de vue contenue dans cet acte ne saurait se comprendre comme traduisant la volonté des parties d'interdire définitivement toute création ou modification d'ouvertures dans les bâtiments considérés, sur la circonstance que la plupart des ouvertures litigieuses ne se situent pas en limite de propriété et que la création de servitudes de vue est sans objet s'agissant d'ouvertures situées au-delà de la distance légale minimale, la cour d'appel a dénaturé ledit plan en violation du principe susvisé ;
3°/ que l'usage et l'étendue des servitudes établies par le fait de l'homme se règlent par le titre qui les constitue ; qu'en retenant, pour débouter la SCCV Francheville de sa demande tendant à l'obstruction des trois ouvertures réalisées par la société Immag dans la façade nord du bâtiment A situé sur la parcelle [...] , que dans la mesure où cette parcelle dispose d'un droit d'usage du jardin situé sur la parcelle [...] bordant ladite façade, l'exception au principe de l'interdiction des vues droites prévue par l'article 678 in fine doit trouver application, la cour d'appel a violé l'article 686 du code civil ;
4°/ que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en retenant, pour débouter la SCCV Francheville de sa demande tendant à l'obstruction des trois ouvertures réalisées par la société Immag dans la façade nord du bâtiment A situé sur sa parcelle [...] , qu'il n'est pas contesté que les parties n'ont pas eu l'intention d'écarter l'application des dispositions légales en matière de vues, quand la SCCV Francheville faisait valoir que les dispositions légales ne font pas obstacle aux dispositions conventionnelles plus rigoureuses que pourraient arrêter les parties, telle la servitude de vue prévue dans l'acte du 15 décembre 2010, la cour d'appel a méconnu les termes du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
5°/ qu'on ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d'aspect, ni balcons ou autres saillies sur l'héritage clos ou non de son voisin s'il n'y a dix-neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s'exerce la vue ne soit déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d'une servitude de passage faisant obstacle à l'édification de constructions ; qu'en retenant, pour débouter la SCCV Francheville de sa demande tendant à l'obstruction des trois ouvertures réalisées par la société Immag dans la façade nord du bâtiment A situé sur la parcelle [...] , que cette dernière bénéficie d'un droit d'usage d'une partie du jardin situé devant les appartements du rez-de-chaussée de cette façade sur toute la largeur du bâtiment, que les droits des bénéficiaires de cette servitude sont plus étendus que ceux résultant d'une simple servitude de passage en ce qu'ils permettent non seulement le passage sur le tènement en cause mais également un stationnement durable, outre qu'ils ont pour conséquence de rendre inconstructible la partie de terrain en cause, quand l'exception aux dispositions légales relatives aux vues ne s'applique qu'en présence d'une servitude de passage et non d'un droit d'usage, la cour d'appel a violé l'article 678 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. La cour d'appel a retenu, par une interprétation nécessaire, partant souveraine et exclusive de dénaturation, que la clause de l'acte de vente relative aux ouvertures existantes ne pouvait se comprendre comme traduisant la volonté des parties d'interdire la création de nouvelles ouvertures.
6. Elle a constaté que les ouvertures litigieuses étaient, pour la plupart, situées au-delà de la distance légale minimale et, s'agissant de celles créées à une distance moindre, souverainement retenu que la servitude conventionnelle d'usage du jardin, consentie à titre réel et perpétuel, conférait, non seulement un droit de passage, mais également un droit de stationnement durable, faisant obstacle à l'édification de constructions sur cette partie de terrain.
7. Elle en a exactement déduit que la suppression des vues contestées ne pouvait être ordonnée sur le fondement de l'article 678 du code civil, répondant ainsi aux conclusions dont elle était saisie sans modifier l'objet du litige.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Francheville aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Francheville à payer à la société Immag la somme de 3 000 euros, et rejette les autres demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, signé par
M. Echappé, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller empêché, et signé et prononcé par le président en son audience publique du dix septembre deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat aux Conseils, pour la société Francheville
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la SCCV Francheville de sa demande tendant à obtenir la condamnation sous astreinte de la société Immag à faire obstruer les ouvertures réalisées par cette dernière dans le pignon de l'immeuble A offrant une vue directe sur les logements situés sur la parcelle [...] de la SCCV Francheville et de l'avoir condamnée à payer à la société Immag la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE « Sur la demande relative aux ouvertures pratiquées par la société IMMAG dans la façade de son immeuble
Selon l'article 1188 du code civil, le contrat s'interprète d'après la commune intention des parties plutôt qu'en s'arrêtant au sens littéral de ses termes.
Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s'interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation.
La promesse de vente en date du 23 mars 2010 comportait une clause prévoyant que l'ensemble des ouvertures existant dans les bâtiments conservés par la venderesse seraient maintenues à l'exception de celles existant sur la façade Nord du bâtiment B.
Cette clause a été traduite ainsi qu'il suit dans l'acte de vente du 15 décembre 2010 "Le propriétaire du fonds servant (acquéreur) concède au profit du fonds dominant (vendeur) et de ses propriétaires successifs, à titre de servitude réelle et perpétuelle, une servitude de vue concernant les ouvertures existantes sur les bâtiments conservés par le vendeur qui seront maintenues en l'état, à l'exception des ouvertures existantes en façade nord du bâtiment B qui seront supprimées aux frais de l'acquéreur.
Elles ne pourront pas être obstruées et aucune plantation ne pourra être effectuée devant elles qui viendrait à diminuer son efficacité.
Son entretien se fera aux frais exclusifs du propriétaire du fonds dominant qui ne pourra y apporter aucune modification dans le cours du temps, sauf autorisation du propriétaire du fonds servant et sauf simples travaux d'entretien ou de réparation par suite de vétusté."
Cette clause ne saurait se comprendre comme traduisant la volonté des parties d'interdire définitivement toute création ou modification d'ouvertures dans les bâtiments conservés alors que la plupart de ces ouvertures ne se situent pas en limite de propriété et que la création de servitudes de vue est sans objet s'agissant d'ouvertures situées au delà de la distance légale minimale. L'obligation de maintien en l'état au cours du temps sauf autorisation du propriétaire du fonds servant, formulée en termes généraux, n'est en l'espèce que le rappel de la règle prohibant l'aggravation des servitudes.
Il n'est pas contesté que, par ces conventions, les parties n'ont pas eu l'intention d'écarter l'application des dispositions légales en matière de vues.
Les dispositions de l'article 676 du code civil, visées par la SCCV FRANCHEVILLE, ne sont pas applicables en l'espèce, les ouvertures litigieuses n'étant pas des jours au sens de ces dispositions mais des fenêtres ouvrant une vue droite sur le tènement voisin de sorte qu'elles relèvent des dispositions de l'article 678.
Selon ce texte, on ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d'aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l'héritage clos ou non clos de son voisin s'il n'y a dix-neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s'exerce la vue ne soit déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d'une servitude de passage faisant obstacle à l'édification de constructions.
En l'espèce, le droit d'usage d'une partie du jardin situé devant les appartements du rez-de-chaussée côté Nord du bâtiment A consenti au profit du fonds conservé par IMMAG et de ses propriétaires successifs est défini à l'acte comme suit : "à titre de servitude réelle et perpétuelle, un droit d'usage en bon père d'une partie du jardin situé devant les appartements du rez-de-chaussée côté Nord du bâtiment A sur toute la largeur du bâtiment. Ce droit d'usage profitera aux propriétaires successifs du fonds dominant, à leur famille, ayants-droit ou préposés, pour leurs besoins personnels et, le cas échéant, pour le besoin de leurs activités."
Il résulte des conclusions déposées par la SCCV VILLEFRANCHE (sic) devant le premier juge que la partie du jardin affectée à ce droit d'usage a une largeur de 2,50m tout au long du pignon Nord du bâtiment A, supérieure à la distance minimale de 1,90m édictée par l'article 678.
Les droits des bénéficiaires de cette servitude sont plus étendus que ceux résultant d'une simple servitude de passage en ce qu'ils permettent non seulement le passage sur le tènement en cause mais également un stationnement durable. Consentis à titre réel et perpétuel, ils ont pour conséquence de rendre inconstructible la partie de terrain en cause de sorte que l'exception au principe de l'interdiction des vues droites prévue par l'article 678 in fine doit trouver application.
Il convient en conséquence de réformer le jugement déféré et de débouter la SCCV FRANCHEVILLE de sa demande de suppression des ouvertures litigieuses » ;
1°) ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que l'acte du 15 décembre 2010 par lequel la SCCV Francheville a acquis la parcelle [...] de la société Immag qui a elle-même conservé la parcelle contigüe [...] , comporte une clause instituant une « servitude de vue concernant les ouvertures existantes sur le bâtiment conservé par le vendeur qui seront maintenues en l'état » ; qu'en retenant, pour débouter la SCCV Francheville de sa demande tendant à l'obstruction des trois ouvertures créées par la société Immag dans la façade nord du bâtiment A situé sur la parcelle [...] , que cette clause ne saurait se comprendre comme traduisant la volonté des parties d'interdire définitivement toute création ou modification d'ouvertures dans les bâtiments considérés, la cour d'appel en a dénaturé les termes clairs et précis en violation du principe susvisé ;
2°) ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'il résulte du plan annexé à l'acte du 15 décembre 2010 par lequel la SCCV Francheville a acquis la parcelle [...] , que la façade nord du bâtiment A de la parcelle [...] conservé par la société Immag, sur laquelle ont été percées les ouvertures litigieuses, constituent l'une des limites entre ces deux propriétés ; qu'en se fondant, pour dire que la clause de servitude de vue contenue dans cet acte ne saurait se comprendre comme traduisant la volonté des parties d'interdire définitivement toute création ou modification d'ouvertures dans les bâtiments considérés, sur la circonstance que la plupart des ouvertures litigieuses ne se situent pas en limite de propriété et que la création de servitudes de vue est sans objet s'agissant d'ouvertures situées au-delà de la distance légale minimale, la cour d'appel a dénaturé ledit plan en violation du principe susvisé ;
3°) ALORS QUE l'usage et l'étendue des servitudes établies par le fait de l'homme se règlent par le titre qui les constitue ; qu'en retenant, pour débouter la SCCV Francheville de sa demande tendant à l'obstruction des trois ouvertures réalisées par la société Immag dans la façade nord du bâtiment A situé sur la parcelle [...] , que dans la mesure où cette parcelle dispose d'un droit d'usage du jardin situé sur la parcelle [...] bordant ladite façade, l'exception au principe de l'interdiction des vues droites prévue par l'article 678 in fine doit trouver application, la cour d'appel a violé l'article 686 du code civil ;
4°) ALORS QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en retenant, pour débouter la SCCV Francheville de sa demande tendant à l'obstruction des trois ouvertures réalisées par la société Immag dans la façade nord du bâtiment A situé sur sa parcelle [...] , qu'il n'est pas contesté que les parties n'ont pas eu l'intention d'écarter l'application des dispositions légales en matière de vues, quand la SCCV Francheville faisait valoir que les dispositions légales ne font pas obstacle aux dispositions conventionnelles plus rigoureuses que pourraient arrêter les parties, telle la servitude de vue prévue dans l'acte du 15 décembre 2010 (concl. p. 5 et 6 et p. 10 dispositif §5), la cour d'appel a méconnu les termes du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
5°) ALORS, A TITRE SUBSIDIAIRE, QU' on ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d'aspect, ni balcons ou autres saillies sur l'héritage clos ou non de son voisin s'il n'y a dix-neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s'exerce la vue ne soit déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d'une servitude de passage faisant obstacle à l'édification de constructions ; qu'en retenant, pour débouter la SCCV Francheville de sa demande tendant à l'obstruction des trois ouvertures réalisées par la société Immag dans la façade nord du bâtiment A situé sur la parcelle [...] , que cette dernière bénéficie d'un droit d'usage d'une partie du jardin situé devant les appartements du rez-de-chaussée de cette façade sur toute la largeur du bâtiment, que les droits des bénéficiaires de cette servitude sont plus étendus que ceux résultant d'une simple servitude de passage en ce qu'ils permettent non seulement le passage sur le tènement en cause mais également un stationnement durable, outre qu'ils ont pour conséquence de rendre inconstructible la partie de terrain en cause, quand l'exception aux dispositions légales relatives aux vues ne s'applique qu'en présence d'une servitude de passage et non d'un droit d'usage, la cour d'appel a violé l'article 678 du code civil.