LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CH.B
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 septembre 2020
Cassation partielle sans renvoi
Mme BATUT, président
Arrêt n° 438 F-D
Pourvoi n° P 19-11.818
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 9 SEPTEMBRE 2020
Mme W... C..., domiciliée [...] , a formé le pourvoi n° P 19-11.818 contre le jugement rendu le 23 novembre 2018 par le tribunal d'instance de Poissy, dans le litige l'opposant à l'association Gamelles sans frontières, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dazzan, conseiller référendaire, les observations de Me Balat, avocat de Mme C..., et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 juin 2020 où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Dazzan, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Randouin, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal d'instance de Poissy, 23 novembre 2018), rendu en dernier ressort, Mme C... a, par acte du 10 novembre 2017, assigné l'association Gamelles sans frontières (l'association) en restitution d'un chat et paiement de dommages-intérêts. Soutenant que le chat lui avait été confié par Mme C... en vue de son adoption, réalisée le 20 mai 2017, l'association a sollicité reconventionnellement le paiement de dommages-intérêts.
2. Les demandes de Mme C... ont été rejetées.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
4. Mme C... fait grief au jugement de la condamner à verser à l'association la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts, alors « que les juges du fond ne peuvent condamner une partie pour procédure abusive qu'après avoir caractérisé l'existence d'une faute commise par cette partie faisant dégénérer en abus l'exercice de son droit d'agir en justice ; qu'en se bornant, pour condamner Mme C... à payer la somme de 500 euros à l'association au titre d'une « procédure manifestement abusive », à faire état de la prétendue précarité dans laquelle vivent les chats de Mme C... et d'une « insinuation » imputée à celle-ci quant à l'intérêt financier qui aurait motivé l'association, le tribunal d'instance, qui n'a pas caractérisé l'existence d'une faute commise par Mme C... faisant dégénérer en abus l'exercice de son droit d'agir en justice, a violé l'article 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382, devenu 1240 du code civil :
5. Pour condamner Mme C... au paiement de dommages-intérêts, le jugement constate la précarité dans laquelle vivent ses chats et retient qu'il est possible de douter de la loyauté de l'intéressée qui a insinué que l'association avait sans doute tiré un avantage financier de cette opération, malgré les justificatifs produits par cette dernière.
6. En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser un abus du droit d'agir en justice, le tribunal d'instance a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
7. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
8. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
9. En l'absence de caractérisation d'une faute ayant fait dégénérer en abus le droit de Mme C... d'agir en justice, la demande de l'association doit être rejetée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne Mme C... à payer à l'association Gamelles sans frontières la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, le jugement rendu le 23 novembre 2018, entre les parties, par le tribunal d'instance de Poissy ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Rejette la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par l'association Gamelles sans frontières ;
Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme C... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf septembre deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Balat, avocat aux Conseils, pour Mme C....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché au jugement attaqué d'avoir débouté Mme W... C... de l'ensemble de ses demandes, d'avoir ordonné que le changement d'identification du chat soit régularisé par elle auprès de l'I-CAD dans les quinze jours de la signification du jugement sous astreinte et d'avoir ordonné que le document attestant du changement soit remis à l'association Gamelles sans frontières ;
AUX MOTIFS QU' il résulte des explications des parties et des pièces versées aux débats que le 8 mai 2017, Mme C... a écrit à l'association Gamelles sans frontières un courriel lui demandant de rechercher des adoptants pour trois de ses sept chats, en raison de problèmes de santé, et notamment un chat persan, qu'elle avait adopté seulement depuis deux mois ; qu'elle mentionnait notamment : « Pour le persan chinchilla, il faut une personne qui le prend définitivement, ça fait deux fois qu'il change de propriétaire » ; que de nombreux échanges de courriels et de SMS entre les parties traduisent la volonté de Mme C... de trouver rapidement un adoptant pour son chat persan Kaylisou ; que l'association ayant trouvé une adoptante, Mme P... R..., en a donc informé Mme C... en lui demandant divers renseignements sur le chat afin de préparer le contrat d'adoption ; qu'il ressort d'un écrit de la demanderesse que la bénévole qui est venue chercher le chat le 20 mai 2017 pour l'apporter à l'adoptante ne lui a pas « dérobé » le chat ; qu'en effet, Mme C... écrivait à la présidente de l'association le 28 mai 2017 : « Samedi, votre bénévole est venue chez moi pour récupérer mon chat comme prévu. Avant de descendre, elle m'a demandé la carte d'identification du chat avec le papier qui va avec, je lui ai remis le carnet accompagné du document provisoire à l'intérieur » ; que Mme C... a cependant refusé de contacter l'I-CAD pour obtenir le document d'identification définitif que l'association Gamelles sans frontières a écrit à l'adoptante le 5 juin 2017 pour lui demander la restitution du chat, ce que cette dernière a refusé, se considérant comme adoptante officielle du chat en vertu du contrat d'adoption qu'elle avait signé avec l'association ; que Mme C... prétend à tort que l'association, par l'intermédiaire de sa bénévole, a « volé » son chat ce qu'elle ne démontre pas, alors que tous les échanges versés aux débats confirment qu'elle l'a volontairement abandonné en vue de son adoption ; qu'en outre, sa plainte pour vol déposée le 11 juin 2017 a été classée dans suite le 4 septembre 2017 pour le motif suivant : « Les faits dont vous vous êtes plainte ne sont pas punis par la loi » ; que ce classement sans suite a d'ailleurs été dissimulé à la présente juridiction lors de l'audience du 5 mars 2018, entraînant une décision de sursis à statuer ; que Mme C... sera donc déboutée de sa demande de restitution de son chat, celui-ci étant définitivement confié à Mme P... R..., conformément au contrat d'adoption signé le 20 mai 2017, ainsi que de sa demande de dommages et intérêts ;
ALORS, D'UNE PART, QUE nul ne peut être contraint de céder sa propriété ; qu'en considérant que Mme C... ne pouvait plus se prévaloir d'un quelconque droit de propriété sur son chat persan Kaylisou, enregistré à son nom auprès de l'I-CAD sous le numéro de tatouage 209NBT, au seul motif qu'elle aurait abandonné l'animal et que celui-ci aurait fait l'objet d'un contrat d'adoption entre l'association Gamelles sans frontières et Mme P... R..., le juge d'instance, qui n'a pas caractérisé l'existence d'un transfert de propriété volontairement consenti par Mme C..., a violé l'article 545 du code civil ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE le contrat ne créé d'obligations qu'entre les parties ; qu'en se déterminant au regard du fait que l'animal avait été « définitivement confié à Mme P... R... conformément au contrat d'adoption signé le 20 mai 2017 » avec l'association Gamelles sans frontières (jugement attaqué, p. 5, alinéa 4), cependant que Mme C... est tiers à cette convention dont les termes ne peuvent lui être opposés, le tribunal d'instance a violé l'article 1199 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché au jugement attaqué d'avoir condamné Mme W... C... à verser à l'association Gamelles sans frontières la somme de 500 € à titre de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QU' il ressort de l'examen des attestations délivrées par des voisins de Mme C... que ces chats vivent dans une grande précarité et sont laissés souvent à l'extérieur où ils divaguent dans les parties communes de l'immeuble ; que cette situation conduit à douter de la loyauté de Mme C..., qui n'a pas hésité à insinuer que l'association Gamelles sans frontières avait sans doute tiré un avantage financier de cette opération, alors que celle-ci justifie que la somme de 250 € versée par l'adoptante, bien inférieure à la valeur du chat, n'était destinée qu'à couvrir les frais de recherche et de déplacements engagés par l'association ; qu'il convient donc de condamner Mme C... à verser à l'association Gamelles sans frontières la somme de 500 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral subi à l'occasion de cette procédure manifestement abusive ;
ALORS QUE les juges du fond ne peuvent condamner une partie pour procédure abusive qu'après avoir caractérisé l'existence d'une faute commise par cette partie faisant dégénérer en abus l'exercice de son droit d'agir en justice ; qu'en se bornant, pour condamner Mme C... à payer la somme de 500 € à l'association Gamelles sans frontières au titre d'une « procédure manifestement abusive », à faire état de la prétendue précarité dans laquelle vivent les chats de Mme C... et d'une « insinuation » imputée à celle-ci quant à l'intérêt financier qui aurait motivé l'association Gamelles sans frontières (jugement attaqué, p. 5, alinéas 7 à 9), le tribunal d'instance, qui n'a pas caractérisé l'existence d'une faute commise par Mme C... faisant dégénérer en abus l'exercice de son droit d'agir en justice, a violé l'article 1240 du code civil.