LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CH.B
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 septembre 2020
Cassation
Mme BATUT, président
Arrêt n° 495 FS-P+B
Pourvoi n° H 18-26.390
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 9 SEPTEMBRE 2020
1°/ M. I... F..., domicilié [...] ,
2°/ Mme Y... F..., épouse B..., domiciliée [...] ,
ont formé le pourvoi n° H 18-26.390 contre l'arrêt rendu le 16 octobre 2018 par la cour d'appel de Besançon (première chambre civile et commerciale), dans le litige les opposant à la société [...], société civile professionnelle, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Canas, conseiller référendaire, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. et Mme F..., de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société [...], et l'avis de M. Lavigne, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 juin 2020 où étaient présents Mme Batut, président, Mme Canas, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, M. Girardet, Mme Teiller, MM. Avel, Mornet, Chevalier, Mme Kerner-Menay, conseillers, M. Vitse, Mmes Dazzan, Le Gall, Kloda, M. Serrier, Mmes Champ, Comte, Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Lavigne, avocat général, et Mme Randouin, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 16 octobre 2018), par acte authentique dressé le 7 juin 2005 par la SCP [...], aux droits de laquelle se trouve la SCP [...] (le notaire), M. F... (l'acquéreur) a fait l'acquisition d'un immeuble à usage d'habitation cadastré section [...] , [...] et [...]. L'acte précisait qu'il existait sur la parcelle [...] un passage commun au profit d'autres propriétaires. Toutefois, au cours des pourparlers antérieurs à la vente, le notaire avait écrit à l'acquéreur que la parcelle en cause lui appartiendrait en totalité.
2. Le 2 août 2006, les voisins de l'acquéreur l'ont assigné aux fins de voir juger que la parcelle [...] était soumise au régime de l'indivision. Cette demande a été accueillie par jugement du 4 septembre 2012, confirmé par arrêt du 20 février 2014, devenu irrévocable par suite du rejet du pourvoi en cassation formé contre lui, selon décision du 29 septembre 2015.
3. Le 20 septembre 2016, l'acquéreur a assigné le notaire en responsabilité et indemnisation.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de déclarer son action irrecevable comme prescrite, alors « que la prescription d'une action en responsabilité ne court qu'à compter de la réalisation du dommage et non du jour où apparaît la simple éventualité de cette réalisation ; que le dommage constitué par la déclaration judiciaire des droits reconnus aux voisins n'est réalisé que par la décision de justice reconnaissant ces droits et non par l'assignation des voisins, qui ne crée qu'une éventualité de dommage ; qu'en faisant courir la prescription dès le jour de l'assignation du 2 août 2006 et non du jour du jugement du 4 septembre 2012, ou de l'arrêt confirmatif du 20 février 2014 déclarant que la parcelle acquise par l'acquéreur était en indivision avec ses voisins et ordonnant la rectification en ce sens de l'acte notarié du 7 juin 2005, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2224 du code civil :
5. Aux termes de ce texte, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
6. Pour déclarer l'action irrecevable comme prescrite, l'arrêt retient que, bien que le caractère indivis de la parcelle ne soit devenu définitif qu'en vertu de l'arrêt de la Cour de cassation du 29 septembre 2015, l'acte notarié est contesté depuis que l'acquéreur a été assigné par ses voisins, soit depuis le 2 août 2006.
7. En statuant ainsi, alors que le dommage subi par l'acquéreur ne s'est manifesté qu'à compter de la décision passée en force de chose jugée du 20 février 2014 déclarant que la parcelle litigieuse était soumise au régime de l'indivision, de sorte que le délai de prescription de l'action en responsabilité exercée contre le notaire a commencé à courir à compter de cette date, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne la société [...] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf septembre deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour M. et Mme F....
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré irrecevable comme prescrite l'action en responsabilité formée par M. F... contre la SCP [...] ;
AUX MOTIFS QUE « la SCP [...] soulève la fin de non-recevoir tirée de la prescription en faisant valoir que le point de départ de l'action en responsabilité délictuelle à l'encontre du notaire correspond au moment où la victime a disposé des informations qui lui ont permis d'engager son action, c'est-à-dire soit le moment où s'est réalisé le fait dommageable, soit le moment où il s'est manifesté à elle si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu connaissance précédemment ;
Qu'en l'espèce, l'acte notarié est querellé depuis que M. I... F... s'est fait assigner par ses voisins devant le tribunal de grande instance de Dijon, soit le 2 août 2006 ;
Qu'en conséquence, en application des dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008, M. I... F... disposait, pour agir en responsabilité contre le notaire, d'un délai expirant le 18 juin 2013 et ce, nonobstant le fait que le caractère indivis de la parcelle au profit des voisins de M. I... F... n'est devenu définitif que depuis l'arrêt de la Cour de cassation du 29 septembre 2015 ;
Or M. I... F... n'a assigné Me X... que le 20 septembre 2016, de sorte que ses demandes sont irrecevables comme prescrites ;
Que le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a condamné Me X... à payer à M. I... F... la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts » ;
ALORS QUE la prescription d'une action en responsabilité ne court qu'à compter de la réalisation du dommage et non du jour où apparaît la simple éventualité de cette réalisation ; que le dommage constitué par la déclaration judiciaire des droits reconnus aux voisins n'est réalisé que par la décision de justice reconnaissant ces droits et non par l'assignation des voisins, qui ne crée qu'une éventualité de dommage ; qu'en faisant courir la prescription dès le jour de l'assignation du 2 août 2006 et non du jour du jugement du 4 septembre 2012, ou de l'arrêt confirmatif du 20 février 2014 déclarant que la parcelle acquise par M. F... était en indivision avec ses voisins et ordonnant la rectification en ce sens de l'acte notarié du 7 juin 2005, la cour d'appel a violé l'article 2224 du Code civil.