LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° D 20-81.848 F-D
N° 1570
SM12
8 JUILLET 2020
CASSATION SANS RENVOI
Mme DURIN-KARSENTY conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 JUILLET 2020
M. P... I... a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 1ère section, en date du 25 février 2020, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs notamment de vols en bande organisée et association de malfaiteurs a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Pauthe, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. P... I..., et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 juillet 2020 où étaient présents Mme Durin-Karsenty, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Pauthe, conseiller rapporteur, Mme Drai, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le jeudi 13 février 2020, M. I..., mis en examen des chefs susvisés, a comparu devant le juge des libertés et de la détention en vue de son placement en détention provisoire et a sollicité un délai pour préparer sa défense, de sorte que l'examen de l'affaire a été renvoyé au lundi 17 février suivant, à 17 heures, avec incarcération provisoire de l'intéressé.
3. Par deux télécopies en date du 14 février 2020, reçues au greffe du cabinet du juge d'instruction à 10 heures 27 et 12 heures 03 , M. M..., avocat de la personne mise en examen, a sollicité un permis de communiquer à son nom, au nom de son associée, ainsi qu'à celui de ses collaborateurs.
4. Par courrier adressé au juge des libertés et de la détention le 17 février à 14 heures 33, M. M... a informé ce magistrat de ce que le permis de communiquer ne lui avait pas été adressé et, estimant que les droits de la défense étaient méconnus, l'a invité à en tirer toutes les conséquences de droit qui s'imposent au besoin en prescrivant un report selon les dispositions de l'article 145 du code de procédure pénale. Il a ajouté qu'il ne se présenterait pas au débat n'étant pas en mesure de valablement occuper son office.
5. Le débat contradictoire a eu lieu aux jour et heure fixés.
6. Le juge des libertés et de la détention a placé M. I... en détention provisoire, par ordonnance en date du 17 février 2020.
7. Cette ordonnance a été frappée d'appel.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité de l'ordonnance plaçant en détention M. I..., et d'avoir confirmé cette ordonnance, alors :
« 1°/ que le défaut de délivrance d'un permis de communiquer à un avocat désigné avant un débat contradictoire différé en vue d'un éventuel placement en détention provisoire fait nécessairement grief à la personne mise en examen ; que ne constitue pas une circonstance insurmontable empêchant la délivrance d'un tel permis en temps utile, la seule circonstance que le débat a été différé à la demande du mis en examen et de son conseil, une décision d'incarcération provisoire étant alors prise en attendant ; qu'il s'agit en effet d'une hypothèse classique que le juge d'instruction peut au demeurant anticiper, sachant que le permis de communiquer peut être délivré par lui d'office ; qu'en l'absence de toute circonstance insurmontable, le défaut de délivrance du permis a porté atteinte aux droits de la défense, que l'ordonnance de placement en détention provisoire était donc nulle et que la chambre de l'instruction a violé les articles 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme 115 et R. 57-6-5 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'il résulte des propres constatations de la chambre de l'instruction et du fax adressé au juge des libertés et de la détention par le conseil de M. I... le 17 février 2020 à 14 heures 33, soit effectivement 30 minutes avant l'heure du débat, que le conseil a invité le juge des libertés et de la détention à « en tirer toutes les conséquences de droit qui s'imposent, au besoin en prescrivant un report selon les dispositions de l'article 145 du code de procédure pénale » ; qu'ainsi, le Conseil a effectivement et en temps utile (compte tenu de la brièveté du délai) sollicité effectivement un report du débat qui était possible jusqu'au lendemain ; qu'en tenant cette demande pour inopérante, la chambre de l'instruction a violé les droits de la défense et les textes précités ;
3°/ que dès lors que le conseil sollicite par quelque moyen que ce soit le report du débat contradictoire et que celui-ci est possible, fût-ce pour le lendemain, le juge des libertés et de la détention, informé de ce que cette demande est fondée sur l'absence de délivrance d'un permis de communiquer, doit faire droit à la demande de report ; qu'en refusant de le faire, il a violé les droits de la défense et les textes précités et l'arrêt attaqué a fait de même en validant l'ordonnance qui devait être annulée ; la cassation interviendra sans renvoi avec mise en liberté de M. I.... »
Réponse de la Cour
Vu les articles 6, § 3 c de la Convention européenne des droits de l'homme, 115 et R. 57-6-5 du code de procédure pénale :
9. En vertu du principe de la libre communication entre la personne mise en examen et son avocat résultant du premier de ces textes, la délivrance d'un permis de communiquer entre une personne détenue et son avocat est indispensable à l'exercice des droits de la défense. Il en découle que le défaut de délivrance de cette autorisation à l'avocat désigné avant un débat contradictoire différé tenu en vue d'un éventuel placement en détention provisoire fait nécessairement grief à la personne mise en examen.
10. Pour écarter le moyen de nullité pris du défaut de délivrance d'un permis de communiquer avant le débat différé, l'arrêt attaqué énonce que la notion de circonstance insurmontable doit nécessairement être appréciée in concreto, que seul le cabinet du magistrat instructeur auprès duquel l'avocat est désigné, à l'exclusion du juge des libertés et de la détention, peut délivrer le permis de communiquer en cause et ce sur demande de l'avocat désigné et que dans le cadre du fonctionnement normal des cabinets d'instruction et des juges des libertés et de la détention, l'absence de retour du dossier au cabinet du magistrat instructeur saisi de la procédure dès le lendemain de sa communication ou le premier jour ouvrable suivant n'était nullement de nature à l'alerter sur la possibilité d'un débat différé dans un service distinct et indépendant.
11. Les juges constatent que le conseil du mis en examen n'a pas signalé dans son courrier l'urgence de sa demande ni complété ses envois d'un appel téléphonique au greffier du cabinet concerné pour en signaler l'urgence afin d'obtenir son permis de communiquer en temps utile.
12. Les juges en déduisent que cette carence manifeste dans la transmission des informations nécessaires pour permettre de traiter en temps utile dans le cadre du fonctionnement normal d'un cabinet d'instruction une demande de permis de communiquer en vue d'un débat contradictoire différé constitue une circonstance insurmontable au regard du délai en cause.
13. Ils en concluent que l'avocat de M. I..., qui a fait choix de ne pas se présenter, ne serait-ce que pour permettre d'envisager un report du débat au lendemain, dernier jour du délai de quatre jours ouvrables prescrit par l'article 145 du code de procédure pénale, tel que suggéré par sa télécopie, et en a averti le juge des libertés et de la détention moins de trente minutes avant l'heure fixée pour le débat différé, ne saurait tenir grief à celui-ci d'avoir pris le débat en l'absence de l'avocat après avoir écarté le motif évoqué pour fonder un renvoi.
14 . En se déterminant ainsi, en l'absence de circonstance insurmontable ayant empêché la délivrance à l'avocat, en temps utile, d'un permis de communiquer avec la personne détenue, alors que les dispositions de l'article 145 du code de procédure pénale permettaient au juge des libertés et de la détention de reporter le débat contradictoire au lendemain, ainsi que le sollicitait l'avocat, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
15. La cassation est dès lors encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris en date du 25 février 2020 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE la mise en liberté de M. P... I..., s'il n'est détenu pour autre cause ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris,et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit juillet deux mille vingt.