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02/07/2020 | FRANCE | N°19-14086

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 02 juillet 2020, 19-14086


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 2 juillet 2020

Cassation

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 661 F-P+B+I

Pourvoi n° D 19-14.086

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 JUILLET 2020

La société Corse de distribution, dont le siège est [...] , a

formé le pourvoi n° D 19-14.086 contre l'arrêt rendu le 21 novembre 2018 par la cour d'appel de Bastia (chambre sociale), dans le litige l'opposa...

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 2 juillet 2020

Cassation

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 661 F-P+B+I

Pourvoi n° D 19-14.086

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 JUILLET 2020

La société Corse de distribution, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° D 19-14.086 contre l'arrêt rendu le 21 novembre 2018 par la cour d'appel de Bastia (chambre sociale), dans le litige l'opposant à M. Q... L..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Kermina, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de la société Corse de distribution, de la SCP Didier et Pinet, avocat de M. L..., et l'avis de M. Girard, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 mai 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Kermina, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué, la société Corse de distribution (la société Socodi) a interjeté appel le 29 mars 2016 devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence d'un jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Ajaccio dans le litige l'opposant à M. L....

2. Le 4 mai 2016, la société Socodi a interjeté un nouvel appel devant la cour d'appel de Bastia et s'est désistée le 14 juin 2018 de l'appel pendant devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, qui a constaté ce désistement par un arrêt du 29 juin 2018.

3. M. L... a soulevé l'irrecevabilité de l'appel formé devant la cour d'appel de Bastia.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et quatrième branches

Enoncé du moyen

3. La société Socodi fait grief à l'arrêt de déclarer l'appel irrecevable et de la débouter de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors :

« 1°/ que la saisine irrégulière d'une cour d'appel territorialement incompétente autorise la partie appelante à saisir sans délai la cour d'appel territorialement compétente afin de régulariser la procédure ; qu'en l'espèce, la cour d'appel de Bastia a jugé irrecevable l'appel interjeté par la société exposante au motif qu'au jour où celui-ci a été formé, un premier appel était encore pendant devant la cour d'appel d'Aix en Provence ; qu'en statuant ainsi, quand l'adage « appel sur appel ne vaut » n'a vocation à s'appliquer que dans la mesure où une cour d'appel a déjà régulièrement été saisie d'un premier appel et qu'en l'espèce, il était constant que la cour d'appel d'Aix-en-Provence qui avait été saisie était territorialement incompétente, ce dont il résultait que le premier appel était irrégulier et qu'ainsi l'appelante avait intérêt à former le second appel pour réparer cette irrégularité, et ce, même si elle avait indiqué avoir sciemment saisi la première juridiction incompétente en raison de sa qualité de conseiller prud'hommes dans le ressort bastiais ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé par fausse application cet adage, ensemble les articles 30, 31, 122, 542, 543 et 546 du code de procédure civile ;

2°/ que le droit d'accès au juge interdit à une cour d'appel territorialement compétente de refuser de statuer sur l'appel formé par une partie au prétexte que celle-ci a préalablement saisi une cour d'appel territorialement incompétente, dès lors qu'il est constant que cette dernière n'a pas statué au fond ; qu'à défaut, le refus de statuer au fond sur le second appel constitue un déni de justice ; que le fait de sanctionner par l'irrecevabilité le second appel formé à l'encontre d'un même jugement afin de régulariser la procédure d'appel porte atteinte au droit de la partie appelante à un procès équitable ; qu'en l'espèce, en jugeant le second appel irrecevable, quand la société appelante s'était désistée de son premier appel irrégulièrement formé devant une cour d'appel territorialement incompétente, la cour d'appel a privé la société appelante d'un droit à un recours effectif dans le cadre d'un procès équitable et commis un déni de justice ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble, l'article 4 du code civil et fait une fausse application de l'adage contra legem « appel sur appel ne vaut. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 126 et 546 du code de procédure civile, et l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

4. Il résulte de ces textes que la saisine d'une cour d'appel territorialement incompétente donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée avant que le juge statue, à condition que le délai d'appel n'ait pas expiré.

5. La circonstance que le désistement de l'appel porté devant la juridiction incompétente n'était pas intervenu au jour où l'appel a été formé devant la cour d'appel territorialement compétente ne fait pas obstacle à la régularisation de l'appel.

4. Pour déclarer irrecevable l'appel interjeté le 4 mai 2016 devant la cour d'appel de Bastia, l'arrêt retient que l'appel formé devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence était encore pendant lorsque le second appel contre le même jugement a été interjeté devant la cour d'appel de Bastia, privant par là-même la société Socodi d'intérêt à agir.

5. En statuant ainsi, alors que le second appel avait été formé avant l'expiration du délai d'appel, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne M. L... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. L... et le condamne à payer à la société Corse de distribution la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du deux juillet deux mille vingt, et signé par lui et Mme Martinel, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat aux Conseils, pour la société Corse de distribution

Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR déclaré l'appel de la société SOCODI irrecevable et D'AVOIR, par conséquent, débouté la société exposante de ses demandes ;

AUX MOTIFS QUE « à l'appui de la recevabilité de son appel, la Société SOCIETE CORSE DE DISTRIBUTION (SO.CO.DI.) développe plusieurs moyens ayant trait à la validité de l'acte de notification du jugement de départage du 21 mars 2016 et à l'absence de forclusion ; ces moyens sont toutefois inopérants, dans la mesure où la question essentielle est celle de la recevabilité d'un second appel initié tandis qu'un premier appel est encore pendant ; au visa des articles 122 et 546 du code de procédure civile, il est admis qu'est irrecevable le second appel relevé contre la même décision alors que l'instance initiée par le premier appel était encore pendante ; il ressort des éléments du débat que la SOCIÉTÉ CORSE DE DISTRIBUTION (SO.CO.DI.) a, le 29 mars 2016 par lettre recommandée avec avis de réception, interjeté appel devant la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE du jugement rendu par le juge départiteur près le conseil des prud'hommes d'AJACCIO le 21 mars 2016 ; cet appel était encore pendant devant la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, quand la société SOCIETE CORSE DE DISTRIBUTION (SO.CO.DI.) a, le 4 mai 2016 par lettre recommandée avec avis de réception, interjeté un second appel devant la Cour d'appel de BASTIA du même jugement de départage rendu le 21 mars 2016 ; en effet, l'instance d'appel initiée devant la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE ne s'est éteinte par l'arrêt du 29 juin 2018 "déclarant parfait le désistement d'appel de la société SOCODI" par lettre reçue le 14 juin 2018 ; consécutivement, doit être déclaré irrecevable l'appel interjeté par la Société SOCIETE CORSE DE DISTRIBUTION (SO.CO. DI.) le 4 mai 2016, devant la cour d'appel de BASTIA, faute d'intérêt à agir, étant en sus relevé que, selon les indications même de l'appelante, le premier appel avait été sciemment dirigé par ses soins devant une autre cour d'appel que celle de BASTIA, au motif que le gérant de la Société SOCIETE CORSE DE DISTRIBUTION (SO.CO.DI) exerçait des fonctions de conseiller prud'homal dans le ressort bastiais. 2) Sur les demandes accessoires : la SOCIÉTÉ CORSE DE DISTRIBUTION (SO.CO.DI.), succombant à l'instance, sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel ; l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; les parties seront déboutées de leurs demandes plus amples ou contraires à ces égards » ;

1. ALORS QUE la saisine irrégulière d'une cour d'appel territorialement incompétente autorise la partie appelante à saisir sans délai, la cour d'appel territorialement compétente afin de régulariser la procédure ; qu'en l'espèce, la cour d'appel de Bastia a jugé irrecevable l'appel interjeté par la société exposante au motif qu'au jour où celui-ci a été formé, un premier appel était encore pendant devant la cour d'appel d'Aix en Provence; qu'en statuant ainsi, quand l'adage « appel sur appel ne vaut » n'a vocation à s'appliquer que dans la mesure où une cour d'appel a déjà régulièrement été saisie d'un premier appel et qu'en l'espèce, il était constant que la cour d'appel d'Aix en Provence qui avait été saisie était territorialement incompétente, ce dont il résultait que le premier appel était irrégulier et qu'ainsi l'appelante avait intérêt à former le second appel pour réparer cette irrégularité, et ce, même si elle avait indiqué avoir sciemment saisi la première juridiction incompétente en raison de sa qualité de conseiller prud'hommes dans le ressort bastiais ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé par fausse application cet adage, ensemble les articles 30, 31, 122, 542, 543 et 546 du code de procédure civile ;

2. ALORS QU'aucun texte n'interdit de former un second appel interjeté à l'encontre d'un même jugement ni ne prévoit une irrecevabilité lorsque les premier et second appels n'ont pas été interjetés devant la même cour d'appel; qu'en l'espèce, la cour d'appel de Bastia, territorialement compétente pour statuer sur l'appel du jugement du conseil de prud'hommes d'Ajaccio a jugé que le second appel interjeté par la société exposante était irrecevable au prétexte que, le jour où il a été formé, le premier appel était encore pendant devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; qu'en statuant ainsi, quand au jour où elle a statué l'appelante s'était déjà désisté du premier appel, la cour d'appel a violé ensemble les articles 30, 31, 122, 542, 543 et 546 du code de procédure civile, et 6 ¡1 de la Convention européenne des droits de l'homme et par fausse application de l'adage contra legem « appel sur appel ne vaut » ;

3. ALORS QUE dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue ; qu'en l'espèce, il est constant, d'une part, que le second appel a été interjeté devant la cour d'appel de Bastia afin de régulariser la saisine initiale de la cour d'appel d'Aix en Provence, territorialement incompétente et, d'autre part, que le premier appel s'était achevé par arrêt de désistement de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 29 juin 2018 au moment où la cour d'appel de Bastia a statué sur le litige par arrêt du 21 novembre 2018 ; qu'en jugeant néanmoins le second appel irrecevable, la cour d'appel a violé les articles 122, 126, 542, 543 et 546 du code de procédure civile ;

4. ALORS QUE le droit d'accès au juge interdit à une cour d'appel territorialement compétente de refuser de statuer sur l'appel formé par une partie au prétexte que celle-ci a préalablement saisi une cour d'appel territorialement incompétente, dès lors qu'il est constant que cette dernière n'a pas statué au fond ; qu'à défaut, le refus de statuer au fond sur le second appel constitue un déni de justice ; le fait de sanctionner par l'irrecevabilité le second appel formé à l'encontre d'un même jugement afin de régulariser la procédure d'appel porte atteinte au droit de la partie appelante à un procès équitable ; qu'en l'espèce, en jugeant le second appel irrecevable, quand la société appelante s'était désistée de son premier appel irrégulièrement formé devant une cour d'appel territorialement incompétente, la cour d'appel a privé la société appelante d'un droit à un recours effectif dans le cadre d'un procès équitable et commis un déni de justice; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 6 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble, l'article 4 du code civil et fait une fausse application de l'adage contra legem « appel sur appel ne vaut ».


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 19-14086
Date de la décision : 02/07/2020
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Analyses

APPEL CIVIL - Procédure avec représentation obligatoire - Déclaration d'appel devant une cour territorialement incompétente - Second appel devant la cour compétente - Recevabilité - Conditions - Détermination - Portée

APPEL CIVIL - Procédure avec représentation obligatoire - Déclaration d'appel devant une cour territorialement incompétente - Régularisation - Possibilité - Premier appel encore pendant - Absence d'influence PROCEDURE CIVILE - Fin de non-recevoir - Action en justice - Irrecevabilité - Régularisation - Domaine d'application

Il résulte des articles 126 et 546 du code de procédure civile, ainsi que 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que la saisine d'une cour d'appel territorialement incompétente, qui donne lieu à une fin de non-recevoir, est susceptible d'être régularisée avant que le juge statue, à condition que le délai d'appel n'ait pas expiré. La circonstance que le désistement de l'appel porté devant la juridiction territorialement incompétente ne soit pas intervenu au jour où l'appel est formé devant la cour d'appel territorialement compétente ne fait pas obstacle à la régularisation de l'appel. Encourt en conséquence la censure l'arrêt qui déclare irrecevable le second appel interjeté, dans le délai du recours, devant la cour d'appel territorialement compétente, motif pris de ce que l'appelant serait dépourvu d'intérêt à agir dès lors que le premier appel, formé devant la cour d'appel territorialement incompétente et dont il ne s'est pas désisté, est encore pendant


Références :

articles 126 et 546 du code de procédure civile

article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Décision attaquée : Cour d'appel de Bastia, 21 novembre 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 02 jui. 2020, pourvoi n°19-14086, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : M. Pireyre
Avocat(s) : SARL Cabinet Munier-Apaire, SCP Didier et Pinet

Origine de la décision
Date de l'import : 23/02/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.14086
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