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24/06/2020 | FRANCE | N°18-10464

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 24 juin 2020, 18-10464


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 24 juin 2020

Cassation partielle

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 261 F-P+B

Pourvoi n° W 18-10.464

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 24 JUIN 2020

La société Feeder, société par actio

ns simplifiée, dont le siège est [...], a formé le pourvoi n° W 18-10.464 contre l'arrêt n° RG : 15/20271 rendu le 3 octobre 2017 par la cour d'ap...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 24 juin 2020

Cassation partielle

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 261 F-P+B

Pourvoi n° W 18-10.464

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 24 JUIN 2020

La société Feeder, société par actions simplifiée, dont le siège est [...], a formé le pourvoi n° W 18-10.464 contre l'arrêt n° RG : 15/20271 rendu le 3 octobre 2017 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (1re chambre A), dans le litige l'opposant au directeur général des douanes et droits indirects, domicilié [...], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Michel-Amsellem, conseiller, les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat de la société Feeder, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du directeur général des douanes et droits indirects, après débats en l'audience publique du 11 février 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Michel-Amsellem, conseiller rapporteur, M. Guérin, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Feeder, spécialisée dans le commerce d'écrans informatiques, a importé des écrans à cristaux liquides pour les besoins de son activité ; qu‘à la suite d'un contrôle a posteriori, l'administration des douanes et droits indirects a contesté la position tarifaire sous laquelle ces écrans avaient été déclarés, en estimant que ceux-ci relevaient de la position 85.28, et lui a notifié en 2005, 2007 et 2009 quatre procès-verbaux d'infractions pour fausses déclarations d'espèces ; que par un arrêt du 19 février 2009, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie d'une question préjudicielle sur la position tarifaire 84.71, a dit que les moniteurs susceptibles de reproduire des signaux provenant non seulement d'une machine automatique de traitement de l'information, mais également d'autres sources, ne pouvaient être exclus de cette position (CJUE, 19 février 2009, Kamino International Logistics, C-376/07) ; que par une lettre du 21 octobre 2010, la société Feeder a demandé le remboursement des droits acquittés au bureau de Marignane au titre de la période de janvier 2006 à juillet 2010 ; qu'en l'absence de réponse du directeur régional des douanes, la société Feeder l'a assigné en restitution de ces droits ; que durant l'instance, l'administration des douanes lui a remboursé les droits acquittés depuis le 21 octobre 2007 ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Feeder fait grief à l'arrêt de déclarer prescrite sa demande de restitution des droits acquittés avant le 21 octobre 2007 alors, selon le moyen :

1°/ que les dispositions de l'article 354 du code des douanes, interprétées à la lumière du principe d'égalité des armes, impliquent que la notification d'un procès-verbal de douane interrompt la prescription tant en faveur de l'administration que des contribuables ; qu'au cas présent, la cour d'appel a écarté cette portée symétrique et égalitaire de la notification au motif abstrait que l'asymétrie de portée du procès-verbal au regard de la prescription pourrait être justifiée « par la nécessité d'un bon exercice des fonctions publiques » ; qu'en statuant ainsi, cependant que la « nécessité » visée n'est en rien justifiée, la cour d'appel, qui a consacré une rupture flagrante dans l'égalité des armes, a violé l'article 354 du code des douanes, ensemble le principe d'égalité des armes et l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

2°/ que les dispositions de l'article 352 ter du code des douanes, qui visent sans distinction l'ensemble des droits et taxes « recouvrés par les agents de la direction générale des douanes et des droits indirects » (DGDDI), ont vocation à s'appliquer aussi bien aux droits et taxes perçus en application de textes nationaux qu'à ceux perçus en application de textes communautaires ; qu'au cas présent, pour écarter le moyen tiré de ce que l'action en répétition formée par la société Feeder pouvait s'inscrire dans le cadre de l'article 352 ter du code des douanes, la cour d'appel a retenu que ce texte ne viserait que la situation où le texte fondant la perception serait un texte national, cependant que « les droits en cause résultent de l'application de textes communautaires », qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas correctement perçu le champ d'application du texte visé, a violé l'article 352 ter du code des douanes, ensemble le principe communautaire d'équivalence ;

3°/ que les dispositions de l'article 352 ter du code des douanes ont vocation à s'appliquer non seulement dans le cas où l'invalidité d'un texte a été révélée par une décision juridictionnelle, mais aussi dans celui où l'illégalité de la pratique des autorités douanières nationales résulte de l'interprétation d'un texte communautaire donnée par une décision préjudicielle de la Cour de justice de l'Union européenne ; qu'au cas présent, pour écarter l'application de ce texte en l'espèce, la cour d'appel a retenu qu'elle était en présence d'une situation d'interprétation d'une norme douanière par la Cour de justice de l'Union européenne, cependant que le texte en cause s'appliquerait uniquement aux cas d'invalidation ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'eu égard à l'office du juge de l'Union européenne, les deux situations (interprétation et invalidation) devaient être considérées comme équivalentes, la cour d'appel a violé l'article 352 ter du code des douanes, ensemble l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

4°/ qu'à défaut d'être enfermée dans un délai de prescription et de reprise (ou de répétition) fixé par la loi, l'action en répétition de l'indu fondée sur une interprétation inédite d'une norme douanière consacrée par la Cour de justice de l'Union européenne obéit au droit commun ; qu'au cas présent, la cour d'appel a considéré (à tort) que l'action en répétition de la société Feeder ne relevait pas du champ d'application de l'article 352 ter du code des douanes ; qu'il s'en déduisait qu'elle relevait du droit commun de la répétition de l'indu ; qu'en écartant cette déduction logique au motif qu'il conviendrait alors d'appliquer la prescription triennale propre à l'action en réclamation douanière, la cour d'appel, qui a confondu réclamation et répétition, pour faire jouer un effet de purge automatique à l'expiration du délai de trois ans suivant le paiement et exclure ainsi tout effet utile à l'inauguration d'une jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne contraire à une pratique nationale, a violé les règles et principes relatifs à la répétition de l'indu, ensemble le principe d'effectivité du droit de l'Union européenne et l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt, par motifs propres et adoptés, retient que les procès-verbaux d'infraction dressés par l'administration des douanes ont pour objet l'exercice par celle-ci de son droit de reprise, manifestant son intention de poursuivre le recouvrement des droits concernés, et ne sauraient avoir un effet interruptif de prescription pour le redevable, lequel, pour interrompre la prescription de son action en remboursement, doit accomplir un acte manifestant sa volonté d'obtenir ledit remboursement ; que de ces motifs, la cour d'appel a exactement déduit que la notification par l'administration des douanes des procès-verbaux qu'elle avait dressés n'interrompait pas la prescription de l'action en remboursement des droits précédemment acquités, sans pour autant dénier à la société Feeder le droit qu'elle avait d'invoquer des éléments manifestant sa volonté d'obtenir la restitution des droits de douane qu'elle estimait indus et d'interrompre ainsi le délai dans lequel elle devait agir pour demander cette restitution ;

Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt énonce que l'action en restitution prévue à l'article 352 ter du code des douanes, dans sa rédaction alors en vigueur, a seulement pour objet les taxes recouvrées par les agents de la direction générale des douanes et droits indirects en application d'une législation nationale et qu'elle ne peut être utilement mise en œuvre dès lors que les droits de douane acquittés l'ont été en application de la nomenclature douanière résultant du règlement CEE n° 2658/87 du Conseil du 23 juillet 1987 et dont la demande de remboursement relève de l'article 236 du code des douanes communautaire, dans sa rédaction alors en vigueur ; que de ces motifs, appliquant aux droits de douane résultant de la législation communautaire la procédure de remboursement prévue par le code des douanes communautaire et dont il résulte que l'exercice des droits conférés par cet ordre juridique n'était pas rendu impossible, ou excessivement difficile, par la législation nationale, la cour d'appel, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la troisième branche, a exactement déduit que la prescription opposée à la demande de la société Feeder était conforme au droit de l'Union ;

Et attendu, en dernier lieu, que c'est sans confondre les délais accordés aux redevables pour présenter une réclamation et exercer l'action en répétition prévue par l'article 236 du code des douanes communautaire que la cour d'appel a retenu que ces dernières dispositions constituaient une loi spéciale dérogeant aux principe et délai de la répétition de l'indu prévus par le code civil et leur a ainsi fait produire leur plein effet ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le second moyen, pris en sa seconde branche :

Vu l'article 241 du code des douanes communautaire ;

Attendu que par un arrêt du 18 janvier 2017, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que « lorsque des droits à l'importation [...] sont remboursés au motif qu'ils ont été perçus en violation du droit de l'Union, ce qu'il revient à la juridiction de renvoi de vérifier, il existe une obligation des États membres, découlant du droit de l'Union, de payer aux justiciables ayant droit au remboursement des intérêts y afférents, qui courent à compter de la date de paiement par ces justiciables des droits remboursés » (CJUE, 18 janvier 2017, Wortmann, C-365/15) ;

Attendu que pour rejeter la demande de la société Feeder tendant à voir fixer le point de départ des intérêts de retard au taux légal sur les sommes qui lui ont été remboursées à la date à laquelle elle les avait indûment versées et juger qu'en application de l'article 1153 du code civil, l'administration des douanes était redevable des intérêts de droit sur les sommes dues à titre de restitution de l'indu à compter, non pas de la demande de remboursement, mais de la date de l'assignation valant sommation de payer, l'arrêt, après avoir d'abord rappelé, d'une part, que l'article 241 du code des douanes communautaire, dans sa rédaction applicable, énonce que le remboursement par les autorités douanières de montants de droits à l'importation ne donne pas lieu au paiement d'intérêt sauf dans le cas où les dispositions nationales le prévoient, d'autre part, qu'il n'existe pas de disposition de droit national prévoyant le versement d'intérêt, puis, relevé que l'administration des douanes établit avoir remboursé à la société Feeder, dans le délai de trois mois de la décision de restitution, les sommes qui lui étaient dues au titre des droits payés après le 21 octobre 2007, retient que, selon l'article 1378 du code civil, dans sa rédaction applicable, les intérêts de retard sur la somme restituée ne sont dus à compter du paiement indu que s'il y a eu mauvaise foi de la part de celui qui l'a reçu, ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisque la perception de droits résultant de l'application de la nomenclature de classification des produits dont l'interprétation et les règles de mise en œuvre ont donné lieu, postérieurement, à une question préjudicielle et à une décision de la Cour de justice de l'Union européenne, ne peut être constitutive de mauvaise foi de la part de l'administration ;

Qu'en statuant ainsi, par application de l'article 241 du code des douanes communautaire, dans sa rédaction alors applicable, alors que les droits à l'importation perçus par l'administration douanière auprès de la société Feeder à la suite d'une erreur dans la classification douanière des marchandises l'avaient été en violation du droit de l'Union et devaient, en vertu de l'obligation des Etats membres de rembourser ces sommes, porter intérêts à compter de la date de leur paiement par cette société, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et attendu qu'en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation de l'article 241 du code des douanes communautaire, dans sa rédaction alors applicable, relatif au régime des intérêts de retard sur les droits à l'importation ou à l'exportation dont le remboursement a été ordonné, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne l'administration des douanes à verser à la société Feeder les intérêts au taux légal sur la somme de 979 491 euros du 27 mars 2013 au 5 novembre 2014 et sur celle de 80 045 euros du 27 mars 2013 au 20 novembre 2014, l'arrêt rendu le 3 octobre 2017, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;

Condamne le directeur général des douanes et droits indirects aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande du directeur général des douanes et droits indirects et le condamne à payer à la société Feeder la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre juin deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils, pour la société Feeder.

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et d'avoir ainsi dit que la demande formée par la société Feeder est prescrite pour la période antérieure au 21 octobre 2007, et par conséquent, rejeté ladite demande ;

Aux motifs propres que « sur la demande de restitution des droits réglés avant le 21 octobre 2007 : que le tribunal a, pour considérer que la demande présentée le 21 octobre 2010 visant au remboursement des droits de douane était prescrite pour ceux versés avant le 21 octobre 2007, retenu l'application de l'article 236, alinéa 2, du code des douanes communautaire qui dispose : "Le remboursement ou la remise des droits à l'importation ou des droits à l'exportation est accordée sur demande déposée auprès du bureau des douanes concerné avant l'expiration d'un délai de trois ans à compter de la date de la communication desdits droits au débiteur. Ce délai est prorogé si l'intéressé apporte la preuve qu'il a été empêché de déposer sa demande dans ledit délai par suite d'un cas fortuit ou de force majeure » ; que la société Feeder conteste l'application de ces dispositions et revendique celles de l'article 354 du code des douanes qui prévoit que le délai de reprise de l'administration s'exerce pendant un délai de trois ans à compter du fait générateur, mais que la prescription est interrompue par la notification d'un procès-verbal de douane ; qu'elle prétend ainsi que la prescription a été interrompue à son égard par les PV des 10 mai 2007, 14 juin 2007, 19 avril 2007 et 16 juillet 2009 dressés contre elle par l'administration des douanes qui soutenait que les écrans Eizo relevaient de la position 8528 taxés à 14% et non 8471 taxée à 0% ; mais que l'article 354 du code des douanes n'est pas applicable au litige dont la cour est saisie qui porte sur une demande de restitution émanant du contribuable et non sur l'exercice d'un droit de reprise de l'administration ; que le tribunal a justement considéré à cet égard que l'effet interruptif ne peut bénéficier qu'à la partie qui a manifesté son intention de poursuivre le recouvrement des droits et non à celle qui n'a accompli aucun acte manifestant son intention d'en solliciter le reversement ; que c'est vainement que la société Feeder prétend que limiter le bénéfice de l'effet interruptif des procès-verbaux à la seule administration porterait atteinte au principe d'égalité et d'équilibre des droits des parties, la Cour européenne des droits de l'homme admettant que l'application de privilèges de procédure au profit des États peut être justifiée par la nécessité d'un bon exercice des fonctions publiques ; que la société Feeder sollicite ensuite le bénéfice des dispositions de l'article 352 ter du code des douanes qui, dans sa rédaction applicable à l'espèce, dispose : "Lorsque le défaut de validité d'un texte fondant la perception d'une taxe recouvrée par les agents de la direction générale des douanes et des droits indirects a été révélé par une décision juridictionnelle, l'action en restitution mentionnée à l'article 352 ne peut porter, sans préjudice des dispositions de l'article 352 bis, que sur la période postérieure au 1er janvier de la troisième année précédant celle au cours de laquelle cette décision est intervenue" ; qu'elle invoque la survenance d'un arrêt de la CJCE du 19 février 2009 (arrêt P...) et prétend que son action en restitution des droits de douane indument versés est recevable pour tous ceux qu'elle a réglés dans le délai de trois années précédant cette décision, ce qui rend recevable sa demande de reversement des droits payés entre le 1er janvier 2006 et le 21 octobre 2007 ; mais que l'article 352 ter du code des douanes n'a vocation à s'appliquer que pour les droits et taxes qui sont perçus en application de textes nationaux, et que dès lors que les droits en cause résultent de l'application de textes communautaires, ce sont les dispositions de l'article 236 du CDC qui doit trouver application ; qu'au surplus, l'article 352 ter prévoit de manière expresse qu'il s'applique dans le cas de « défaut de validité d'un texte fondant la perception d'un droit » ; que, dans l'arrêt P..., la CJCE a dit pour droit que « des moniteurs tels que ceux en cause au principal ne sont pas exclus du classement dans la sous-position 8471 60 90, en tant qu'unités du type utilisé "principalement" dans un système automatique de traitement de l'information au sens de la note 5, B, sous a), du chapitre 84 de la nomenclature combinée [
], du seul fait qu'ils sont susceptibles de reproduire des signaux provenant aussi bien d'une machine automatique de traitement de l'information que d'autres sources » et émet une règle d'interprétation et d'application du classement des moniteurs ; que cette décision n'invalide pas le texte qui constitue le support de la perception, de sorte que l'article 352 ter n'a, en tout état de cause, pas vocation à s'appliquer ; que l'intervention de l'arrêt P... du 19 février 2009 ne peut non plus constituer un cas de force majeure au sens des dispositions de l'article 236, alinéa 2, du code des douanes communautaire sus rappelées ; qu'il a en effet été jugé par la CJCE (arrêt CIVAD du 14 juin 2012) que « l'illégalité d'un règlement ne constitue pas un cas de force majeure au sens de cette disposition permettant de proroger le délai de trois ans durant lequel un importateur peut demander le remboursement des droits à l'importation acquittés en application de ce règlement » ; qu'il en est a fortiori de même pour une décision portant sur les règles d'interprétation et d'application d'un règlement communautaire qui n'est pas invalidé ; que c'est en vain que la société Feeder invoque à titre subsidiaire les dispositions applicables à la prescription de droit commun, à savoir un délai de cinq ans, tel que prévu par l'article 2224 du code civil ; que c'est également en vain qu'elle réclame l'application de la jurisprudence de la Cour de cassation admettant que la prescription de l'action en restitution fondée sur l'invalidation du texte servant de support au paiement ne court que du jour de cette décision qui a fait naître le droit à restitution ; qu'en effet, il doit être fait application du principe selon lequel les lois spéciales dérogent aux règles générales et le code des douanes a prévu un délai spécial de prescription limité à trois ans ; que par ailleurs, ainsi qu'il a été vu plus haut, l'arrêt P... n'a pas invalidé le texte servant de support au paiement des droits mais a énoncé des règles d'application de la nomenclature permettant le classement des produits ; que le jugement déféré, qui a considéré que l'action en restitution des droits indument versés était prescrite pour ceux payés avant le 21 octobre 2007, doit en conséquence être confirmé et la société Feeder déboutée de son appel sur ce point » (arrêt p. 6 et 7) ;

Et aux motifs éventuellement adoptés des premiers juges que « en application de l'article 236 du code des douanes communautaires, le remboursement ou la remise des droits à l'importation est accordée sur simple demande déposée auprès du bureau des douanes concerné avant l'expiration d'un délai de trois ans à compter de la date de la communication desdits droits au débiteur ; qu'en l'espèce, la demande de remboursement des droits afférents à l'importation des écrans LCD de marque Eizo a été adressée par la SAS Feeder à l'administration des douanes le 21 octobre 2010 ; que l'application de l'article 236 précité conduit donc à considérer que la demande de remboursement est prescrite pour les opérations antérieures au 21 octobre 2007 ; que la société Feeder invoque l'article 354 du code des douanes aux termes duquel le droit de reprise de l'administration s'exerce pendant un délai de trois ans à compter du fait générateur, à l'exclusion des droits communiqués en application du 3 de l'article 221 du code des douanes communautaires ; que la prescription est interrompue par la notification d'un procès-verbal de douane ; que la requérante estime ainsi que les multiples procès-verbaux de notification d'infraction établis par l'administration des douanes en 2007 ont interrompu le délai triennal de prescription ; que cependant, un tel raisonnement ne peut être suivi dès lors que l'article 354 du code des douanes vise expressément le droit de reprise de l'administration et ne saurait être considéré comme un texte général sur le régime de prescription applicable en matière de douanes ; que, surtout, le procès-verbal établi par l'administration des douanes a un effet interruptif de prescription à son égard car il s'agit d'un acte manifestant son intention de poursuivre le recouvrement des droits concernés ; qu'il ne saurait avoir un tel effet au bénéfice du redevable lequel, pour interrompre la prescription menaçant le recouvrement de sa créance de remboursement, doit accomplir un acte manifestant sa propre volonté d'obtenir ledit remboursement ; que les procès-verbaux dressés par l'administration des douanes n'ont donc pas interrompu la prescription vis-à-vis de la société Feeder ; que la société Feeder se prévaut également de l'article 352 ter du code des douanes qui dispose que lorsque le défaut de validité d'un texte fondant la prescription d'une taxe recouvrée par les agents de la direction générale des douanes et des droits indirects a été révélé par une décision juridictionnelle, l'action en restitution mentionnée à l'article 352 ne peut porter, sans préjudice des dispositions de l'article 352 bis, que sur la période postérieure au 1er janvier de la 3ème année précédant celle au cours de laquelle cette décision est intervenue ; qu'une telle disposition, qui permet de reculer le point de départ de la prescription de l'action en répétition de l'indu, suppose qu'une telle décision juridictionnelle ait invalidé le texte sur le fondement duquel les droits étaient réclamés par l'administration des douanes ; qu'or, l'arrêt P... du 19 février 2009 de la CJCE dont se prévaut la société Feeder a interprété sur saisine préjudicielle la nomenclature combinée constituant l'annexe I du règlement CEE 2658/87 du Conseil du 23 juillet 1987 relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun mais il n'a invalidé aucune disposition ; que dès lors, ce texte n'est pas applicable à l'action intentée par la société Feeder ; qu'il y a donc lieu de constater que la demande de remboursement formée par la société Feeder est prescrite pour les opérations antérieures au 21 octobre 2007 » (jugement p. 4 et 5) ;

1° Alors que les dispositions de l'article 354 du code des douanes, interprétées à la lumière du principe d'égalité des armes, impliquent que la notification d'un procès-verbal de douane interrompt la prescription tant en faveur de l'administration que des contribuables ; qu'au cas présent, la cour d'appel a écarté cette portée symétrique et égalitaire de la notification au motif abstrait que l'asymétrie de portée du procès-verbal au regard de la prescription pourrait être justifiée « par la nécessité d'un bon exercice des fonctions publiques » (arrêt p. 6, avant-dernier al.) ; qu'en statuant ainsi, cependant que la « nécessité » visée n'est en rien justifiée, la cour d'appel, qui a consacré une rupture flagrante dans l'égalité des armes, violé l'article 354 du code des douanes, ensemble le principe d'égalité des armes et l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

2° Alors par ailleurs que les dispositions de l'article 352 ter du code des douanes, qui visent sans distinction l'ensemble des droits et taxes « recouvrés par les agents de la direction générale des douanes et des droits indirects » (DGDDI), ont vocation à s'appliquer aussi bien aux droits et taxes perçus en application de textes nationaux qu'à ceux perçus en application de textes communautaires ; qu'au cas présent, pour écarter le moyen tiré de ce que l'action en répétition formée par la société Feeder pouvait s'inscrire dans le cadre de l'article 352 ter du code des douanes, la cour d'appel a retenu que ce texte ne viserait que la situation où le texte fondant la perception serait un texte national, cependant que « les droits en cause résultent de l'application de textes communautaires » (arrêt p. 7, al. 3), qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas correctement perçu le champ d'application du texte visé, a violé l'article 352 ter du code des douanes, ensemble le principe communautaire d'équivalence ;

3°Alors que les dispositions de l'article 352 ter du code des douanes ont vocation à s'appliquer non seulement dans le cas où l'invalidité d'un texte a été révélée par une décision juridictionnelle, mais aussi dans celui où l'illégalité de la pratique des autorités douanières nationales résulte de l'interprétation d'un texte communautaire donnée par une décision préjudicielle de la Cour de justice de l'Union européenne ; qu'au cas présent, pour écarter l'application de ce texte en l'espèce, la cour d'appel a retenu qu'elle était en présence d'une situation d'interprétation d'une norme douanière par la CJUE, cependant que le texte en cause s'appliquerait uniquement aux cas d'invalidation ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'eu égard à l'office du juge de l'Union européenne, les deux situations (interprétation et invalidation) devaient être considérées comme équivalentes, la cour d'appel a violé l'article 352 ter du code des douanes, ensemble l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

4° Alors subsidiairement que, à défaut d'être enfermée dans un délai de prescription et de reprise (ou de répétition) fixé par la loi, l'action en répétition de l'indu fondée sur une interprétation inédite d'une norme douanière consacrée par la Cour de justice de l'Union européenne obéit au droit commun ; qu'au cas présent, la cour d'appel a considéré (à tort) que l'action en répétition de la société Feeder ne relevait pas du champ d'application de l'article 352 ter du code des douanes ; qu'il s'en déduisait qu'elle relevait du droit commun de la répétition de l'indu ; qu'en écartant cette déduction logique au motif qu'il conviendrait alors d'appliquer la prescription triennale propre à l'action en réclamation douanière, la cour d'appel, qui a confondu réclamation et répétition, pour faire jouer un effet de purge automatique à l'expiration du délai de trois ans suivant le paiement et exclure ainsi tout effet utile à l'inauguration d'une jurisprudence de la CJUE contraire à une pratique nationale, a violé les règles et principes relatifs à la répétition de l'indu, ensemble le principe d'effectivité du droit de l'Union européenne et l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué, après avoir confirmé le jugement en toutes ses dispositions, d'avoir, y ajoutant, limité les intérêts de retard dus sur le remboursement des droits de douanes, en condamnant l'administration des douanes à verser à la société Feeder les intérêts au taux légal sur la somme de 979.491 euros du 27 mars au 5 novembre 2014 seulement et sur celle de 80.045 euros du 27 mars 2013 au 20 novembre 2014 seulement ;

Aux motifs que « l'article 241 du CDC prévoit que « [l]e remboursement par les autorités douanières, de montants de droits à l'importation ou de droits à l'exportation ainsi que des intérêts de crédit ou de retard éventuellement perçus à l'occasion de leur paiement ne donne pas lieu au paiement d'intérêt par ces autorités. Toutefois, un intérêt est payé lorsque : - une décision donnant suite à une demande de remboursement n'est pas exécutée dans un délai de trois mois à partir de l'adoption de ladite décision, / - les dispositions nationales le prévoient. / Le montant de ces intérêts doit être calculé de telle façon qu'il soit équivalent à celui qui serait exigé au même effet sur le marché monétaire et financier national » ; que les deux parties conviennent que ce texte trouve application en l'espèce ; que la société Feeder évoque la jurisprudence de la CJUE (arrêt Littlewoods du 19 juillet 2001 et Irimie du 18 avril 2013) énonçant l'obligation faite aux États membres, lorsque des taxes ont été prélevées en violation des règles du droit de l'Union, de restituer les montants indument perçus avec des intérêts, ont été rendus en matière fiscale et sont fondés sur la motivation suivante : « En l'absence de législation de l'Union, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque État membre de prévoir les conditions dans lesquelles de tels intérêts doivent être versés, notamment le taux et le mode de calcul de ces intérêts » ; que, dès lors qu'il existe des dispositions du code des douanes communautaire prévoyant les conditions et modalités de versement des intérêts, cette jurisprudence ne peut être utilement invoquée ; que l'administration des douanes justifie avoir réglé à la société Feeder la somme de 979.491 euros le 5 novembre 2014 et celle de 80.045 euros le 20 novembre 2014 en exécution de la décision du 1er octobre 2014 lui octroyant le remboursement des droits payés après le 21 octobre 2007 ; qu'elle a donc exécuté dans le délai de trois mois de la décision de restitution ; qu'il n'existe aucune disposition du code des douanes national prévoyant le versement des intérêts ; que c'est en vain que la société Feeder demande qu'il soit fait application des dispositions de l'article L. 208 du Livre des procédures fiscales qui prévoient le paiement des intérêts moratoires lorsque l'Etat est condamné un dégrèvement d'impôt et qui n'ont donc pas à trouver l'application en matière de douane ; qu'aux termes de l'article 1378 du code civil dans sa rédaction applicable au litige, les intérêts sur la somme restituée ne sont dus à compter de son paiement indu que s'il y a eu mauvaise foi de la part de celui qui l'a reçue ; que la mauvaise foi ne se présume pas et que la perception de droits résultant de l'application de la nomenclature de classification des produits dont l'interprétation et les règles de mise en oeuvre ont donné lieu, postérieurement, à une question préjudicielle et à une décision de la CJCE ne peut être constitutive de mauvaise foi de la part de l'administration ; que la demande en paiement d'intérêts au taux légal à compter de la date du paiement sera donc rejetée ; qu'en application de l'article 1153 du code civil, l'administration des douanes est redevable des intérêts de droit sur les sommes dues à titre de restitution de l'indu à compter, non pas de la demande de remboursement présentée par la société Feeder le 21 octobre 2010, mais de la date de l'assignation valent sommation de payer » (arrêt p. 8) ;

1° Alors que l'autonomie procédurale reconnue aux États membres, en vertu de laquelle, en l'absence de législation communautaire, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque État membre de prévoir les conditions dans lesquelles de tels intérêts doivent être versés, notamment le taux et le mode de calcul de ces intérêts, est soumise au respect du principe d'effectivité, lequel impose que ces conditions ne soient pas aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire ; que, pour être conforme au principe d'effectivité, le calcul des intérêts afférents aux sommes perçues en violation du droit communautaire doit être effectué de sorte qu'il soit tenu compte de la période d'indisponibilité des sommes indûment payées, cette dernière allant de la date du paiement indu de la taxe en cause à la date de la restitution intégrale de celle-ci ; qu'en ne vérifiant pas si sa lecture du texte applicable consistant à refuser de faire porter intérêt aux droits de douane contraires au droit communautaire à partir de la date de leur versement, ne portait pas atteinte au principe d'effectivité, la cour d'appel a violé l'article 241 du code des douanes communautaires, ensemble le principe d'effectivité ;

2° Alors que, lorsque des droits à l'importation sont remboursés au motif qu'ils ont été perçus en violation du droit communautaire, il existe une obligation des États membres, découlant du droit communautaire, de payer aux justiciables ayant droit au remboursement des intérêts y afférents, qui courent à compter de la date de paiement par ces justiciables des droits remboursés ; qu'en jugeant que ces intérêts courent, non pas à compter de la date de paiement de ces droits, mais à compter de la date de l'assignation valant sommation de payer, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 241 du code des douanes communautaires.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 18-10464
Date de la décision : 24/06/2020
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

DOUANES - Droits - Remboursement de droits indûment acquittés - Prescription - Délai - Interruption - Acte manifestant la volonté du redevable d'obtenir le remboursement

Les procès-verbaux d'infraction dressés par l'administration des douanes ont pour objet l'exercice par celle-ci de son droit de reprise, manifestant son intention de poursuivre le recouvrement des droits concernés, et ne sauraient avoir un effet interruptif de prescription pour le redevable, lequel, pour interrompre la prescription de son action en remboursement, doit accomplir un acte manifestant sa volonté d'obtenir ledit remboursement. Une cour d'appel en déduit exactement que la notification par l'administration des douanes des procès-verbaux qu'elle avait dressés n'interrompait pas la prescription de l'action en remboursement des droits précédemment acquittés, sans pour autant dénier au redevable le droit qu'il avait d'invoquer des éléments manifestant sa volonté d'obtenir la restitution des droits de douane qu'il estimait indus et d'interrompre ainsi le délai dans lequel il devait agir pour demander cette restitution


Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 03 octobre 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 24 jui. 2020, pourvoi n°18-10464, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : Mme Mouillard
Avocat(s) : SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:18.10464
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