LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 3 juin 2020
Cassation partielle sans renvoi
M. CATHALA, président
Arrêt n° 423 FS-P+B sur le moyen unique du pourvoi principal
Pourvoi n° U 18-16.810
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 3 JUIN 2020
1°/ la société Keolis Lyon, société anonyme, dont le siège est [...],
2°/ la société Keolis, société anonyme, dont le siège est [...],
ont formé le pourvoi n° U 18-16.810 contre l'arrêt rendu le 27 mars 2018 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section A), dans le litige les opposant au syndicat CGT des employés et ouvriers des TCL, dont le siège est [...], défendeur à la cassation.
Le syndicat CGT des employés et ouvriers des TCL a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Mariette, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Keolis Lyon et de la société Keolis, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat du syndicat CGT des employés et ouvriers des TCL, et l'avis de Mme Grivel, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 mars 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Mariette, conseiller rapporteur, M. Schamber, conseiller doyen, Mmes Aubert-Monpeyssen, Cavrois, Monge, MM. Sornay, Rouchayrole, conseillers, M. David, Mmes Ala, Prieur, Thomas-Davost, conseillers référendaires, Mme Grivel, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué, (Grenoble, 27 mars 2018), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 14 décembre 2016, pourvoi n° 14-26.227), depuis le 9 décembre 2007, la société Keolis s'est vu confier, par le Syndicat mixte des transports pour le Rhône et l'agglomération lyonnaise, l'exploitation du réseau des transports en commun lyonnais.
2. A la suite de la dénonciation durant l'été 2008 de l'ensemble du statut collectif des salariés et de l'échec de la négociation collective qui s'en est suivie, elle a mis en place unilatéralement, à compter du 1er janvier 2010, de nouvelles règles applicables à l'organisation et au décompte du temps de travail.
3. Contestant ces nouvelles mesures, le syndicat CGT des employés et ouvriers des transports en commun lyonnais (le syndicat), a saisi le tribunal de grande instance de diverses demandes.
Examen des moyens
Sur le second moyen du pourvoi incident du syndicat, ci-après annexé :
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi incident du syndicat :
Enoncé du moyen
5. Le syndicat fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il le déboute de ses demandes tendant à voir dire que l'organisation du travail sous forme de cycles mise en place par la société est illicite, alors :
« 1°/ qu'il résulte des article 2 et 3 du décret n° 2000-118 du 14 février 2000 que, pour les salariés des entreprises de transport public urbain de voyageurs, la durée hebdomadaire du travail d'une durée de trente-cinq heures peut être calculée en moyenne sur un cycle d'organisation du travail dont la durée ne saurait excéder douze semaines ; que si l'article 3 de ce décret prévoit que la répartition de la durée du travail ne doit pas nécessairement se répéter à l'identique d'un cycle à l'autre, il ne permet pas à l'employeur de faire varier discrétionnairement les horaires et les repos en cours de cycle ; qu'un tel système de régulation du temps de travail s'analyse en une modulation, qui ne peut être mise en place que par un accord de branche étendu ou un accord d'entreprise ou d'établissement, en application de l'article 4 du même décret ; qu'en énonçant que le syndicat ne pouvait valablement soutenir que l'organisation du travail mise en place dans l'entreprise imposait la conclusion d'un accord collectif, tout en constatant que l'employeur imposait des ajustements en cours de cycle en modifiant la programmation des horaires et des repos, ce dont il résultait que cette organisation constituait un dévoiement du cycle et s'analysait en une modulation du temps de travail qui ne pouvait être mise en place de manière unilatérale, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles 2, 3 et 4 du décret n° 2000-118 du 14 février 2000 ;
2°/ que les cycles d'organisation du travail visés par les articles 2 et 3 du décret n° 2000-118 du 14 février 2000 sont régis par le principe de l'horaire collectif ; que l'individualisation de l'horaire en dehors du cadre hebdomadaire n'est possible que dans le système de modulation ; qu'en énonçant que le syndicat ne pouvait valablement soutenir que l'organisation du travail mise en place dans l'entreprise imposait la conclusion d'un accord collectif, tout en constatant que cette organisation aboutissait, par l'utilisation des journées dites « décalées », à des changements d'horaires individuels, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé derechef les articles 2, 3 et 4 du décret n° 2000-118 du 14 février 2000 ;
3°/ que le système de journées « décalées » n'est pas plus favorable aux salariés que les prescriptions de l'article 3 du décret n° 2000-118 du 14 février 2000, qui prévoient un délai de prévenance de sept jours sauf cas d'urgence ; qu'en jugeant le contraire par motifs éventuellement adoptés, la cour d'appel a violé cet article. »
Réponse de la Cour
6. Le décret du 14 février 2000 relatif à la durée du travail dans les entreprises de transport public urbain de voyageurs prévoit, en ses articles 2 et 3 que l'organisation du travail dans le cadre d'un cycle de douze semaines ne nécessite pas d'accord d'entreprise et peut tenir compte des différents niveaux d'activités de l'entreprise tels que périodes scolaires ou vacances, ce qui justifie que la répartition de la durée du travail ne se répète pas à l'identique d'un cycle à l'autre.
7. Il résulte ensuite de l'article 5 de ce texte que l'organisation par cycle n'interdit pas que celle-ci comporte pour chaque cycle des heures supplémentaires programmées par avance sous réserve de ne pas dépasser la moyenne de 42 heures sur le cycle de douze semaines et 46 heures dans une même semaine, ce qui justifie la possibilité de cycles dépassant la moyenne de 35 heures et comportant par avance des heures supplémentaires.
8. Enfin, il résulte des articles 3, relatif à la mise en place du cycle d'organisation du travail et 9, relatif au repos hebdomadaire, d'une part, que les horaires de travail du salarié peuvent être modifiés en cas d'urgence sans qu'il soit besoin pour l'employeur de respecter le délai de prévenance prévu par le premier de ces articles, et d'autre part, que la nécessité de remplacer un salarié absent ou l'existence d'un surcroît d'activité constituent des « circonstances exceptionnelles » justifiant que l'employeur puisse déroger à l'obligation d'informer à l'avance le salarié de la date de son repos hebdomadaire afin d'être en mesure d'assurer la continuité du service public.
9. La cour d'appel a d'abord retenu que les dispositions de l'article 3 in fine du décret, en ce qu'elles prévoient, sauf en cas d'urgence, un délai de prévenance de sept jours en cas de changement d'horaires significatif ne régissaient que les changements d'horaires collectifs affectant l'ensemble d'une catégorie de personnel et n'avaient pas vocation à réglementer les changements d'horaires individuels affectant un salarié dans le cadre d'une journée de travail « décalée ». Elle a ensuite relevé que les salariés connaissaient, en début de chaque cycle, les jours dont l'amplitude horaire était susceptible d'être modifiée à la diligence de l'employeur, ces modifications horaires étant annoncées dans un délai de prévenance suffisant de 48 à 72 heures compatible avec le respect au droit à la vie privée et familiale des salariés. Elle a enfin énoncé que l'octroi de jours de repos supplémentaires en cours de cycle avait pour objet d'éviter la réalisation d'heures supplémentaires à l'intérieur du cycle mis en oeuvre par l'employeur conformément à l'article 3 du décret du 14 février 2000.
10. Elle en a exactement déduit, d'une part, que le syndicat ne pouvait contester l'organisation mise en oeuvre par la société Keolis au motif que la répartition des jours et horaires de travail varierait à l'intérieur d'un cycle et d'un cycle à l'autre et d'autre part, que cette organisation de la durée de travail par cycles, permettant un ajustement du temps de travail fluctuant même en cours de cycle, dont il ressort qu'elle ne remet pas en cause le calcul de la durée du travail et le décompte des heures supplémentaires sur un cycle de douze semaines, était conforme aux dispositions du décret du 14 février 2000.
11. Le moyen, inopérant en sa troisième branche en ce qu'il critique des motifs des premiers juges non repris par la cour d'appel, n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen unique du pourvoi principal de l'employeur pris en sa première branche
Enoncé du moyen
12. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le personnel roulant doit bénéficier, lorsque son temps de travail quotidien est supérieur à 6 heures, d'une coupure de 20 minutes minimum qui soit unique, bien que diversement composée ou, à défaut, en cas de raisons techniques d'exploitation, d'une période équivalente de repos compensateur attribuée au plus tard avant la fin de la journée suivante, de dire que l'organisation mise en place prévoyant que la pause quotidienne du personnel roulant est sécable, est illicite, et de le condamner à payer au syndicat CGT des employés et ouvriers des TCL la somme de 10 000 euros de dommages-intérêts en réparation de l'atteinte à l'intérêt collectif des salariés alors « que selon l'article 10 du décret n° 2000-118 du 14 février 2000 relatif à la durée du travail dans les entreprises de transport public urbain de voyageurs, le personnel dont le temps de travail quotidien est supérieur à six heures bénéficie d'une coupure d'au moins vingt minutes et que cette coupure est constituée, notamment, des temps de repas, des temps de disponibilité, des temps d'attente dans les terminus et des différents temps d'inactivité ou d'interruption déjà prévus ou intégrés dans les différentes organisations du travail d'une durée d'au moins cinq minutes consécutives ; qu'il résulte de ce texte que le temps de pause quotidien de vingt minutes est sécable en plusieurs périodes d'inactivité dès lors que ces périodes sont d'une durée minimale de cinq minutes ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 10 § 1 du décret n° 2000-118 du 14 février 2000 relatif à la durée du travail dans les entreprises de transport public urbain de voyageurs :
13. Selon ce texte, qui concerne le régime des coupures des personnels roulants, tout salarié dont le temps de travail quotidien est supérieur à 6 heures bénéficie d'une coupure d'au moins 20 minutes. Cette coupure est constituée, notamment, des temps de repas, des temps de disponibilité, des temps d'attente dans les terminus et des différents temps d'inactivité ou d'interruption déjà prévus ou intégrés dans les différentes organisations du travail d'une durée d'au moins cinq minutes consécutives. Pour des raisons techniques d'exploitation, la période de coupure peut être remplacée par une période équivalente de repos compensateur attribuée au plus tard avant la fin de la journée suivante.
14. Il résulte de ces dispositions que la coupure d'une durée de 20 minutes prévue pour les salariés dont le temps de travail quotidien est supérieur à 6 heures peut être fractionnée en plusieurs périodes d'inactivité dès lors que ces périodes sont d'une durée minimale de 5 minutes.
15. Pour dire que le système mis en oeuvre par la société Keolis pour le personnel roulant, de fractionnement de la pause de 20 minutes est contraire à l'article 10 du décret du 14 février 2000, l'arrêt énonce que s'il ressort de l'article 10 de ce décret que la coupure du personnel roulant peut être constituée de l'addition de divers temps (temps de repas, temps de disponibilité, temps d'attente ou autres temps d'inactivité), la formulation de ce texte, marqué par l'emploi du terme « coupure » au singulier ne permet pas que cette coupure puisse être scindée en plusieurs séquences dont la durée cumulée ne peut être inférieure à 20 minutes.
16. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
17. La cassation à intervenir sur le moyen unique du pourvoi de l'employeur entraîne, par voie de conséquence, la cassation du chef de dispositif se rapportant à la condamnation de la société Keolis aux dépens et à l'allocation au syndicat d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
18. En application de l'article 1015 du code de procédure civile, avis a été donné aux parties qu'il est fait application des articles L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
19. En effet, la Cour de cassation est en mesure de mettre fin au litige, la cassation encourue n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, de sorte qu'il n'y a pas lieu à renvoi.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE mais seulement en ce qu'il :
1° / dit que le personnel roulant de la société Keolis doit bénéficier, lorsque son temps de travail quotidien est supérieur à six heures, d'une coupure de 20 minutes minimum qui soit unique bien que diversement composée ou à défaut, en cas de raisons techniques d'exploitation, d'une période équivalente de repos compensateur attribuée au plus tard avant la fin de la journée suivante,
2°/ dit que l'organisation mise en place par la société Keolis, prévoyant que la pause quotidienne du personnel roulant est sécable est illicite,
3°/ condamne la société Keolis à payer au syndicat CGT la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts,
4°/ condamne la société Keolis aux dépens et à payer au syndicat CGT la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
l'arrêt rendu le 27 mars 2018, entre parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déboute le syndicat CGT des employés et ouvriers des transports en commun lyonnais de ses demandes relatives au temps de pause ;
Condamne le syndicat CGT des employés et ouvriers des transports en commun lyonnais aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, signé et prononcé par le président et par Mme Pontonnier, greffier de chambre, en l'audience publique du trois juin deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Keolis Lyon et la société Keolis.
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que le personnel roulant doit bénéficier, lorsque son temps de travail quotidien est supérieur à 6 heures, d'une coupure de 20 minutes minimum qui soit unique, bien que diversement composée ou, à défaut, en cas de raisons techniques d'exploitation, d'une période équivalente de repos compensateur attribuée au plus tard avant la fin de la journée suivante, d'avoir dit que l'organisation mise en place par la société Keolis prévoyant que la pause quotidienne du personnel roulant est sécable, est illicite, et d'avoir condamné la société Keolis à payer au syndicat CGT des employés et ouvriers des TCL la somme de 10.000 € de dommages-intérêts en réparation de l'atteinte à l'intérêt collectif des salariés ;
AUX MOTIFS QUE « l'organisation du système de pause mise en place unilatéralement par la société Keolis au sein de l'entreprise se caractérise par: - l'attribution au profit du personnel non-roulant d'une pause de vingt minutes au moins dès que le temps de travail quotidien est supérieur à six heures continues, - l'attribution au profit du personnel roulant d'une pause d'au moins vingt minutes dès que le temps de travail est supérieur à six heures étant précisé que cette pause, en fonction des conditions d'exploitation, est scindable en période minimale de 5 minutes lesquelles peuvent être notamment constituées des temps de repas, des temps d'attente dans les terminus et des différents temps d'inactivité ou d'interruption déjà prévus ou intégrés dans les différentes organisations du travail, que la pause pourra être positionnée sur les temps de battement étant précisé qu'ils constituent du temps de travail effectif, que la direction ne souhaite pas remplacer cette pause par une période de repos équivalente attribuée au plus tard avant la fin de la journée suivante. Il n'est pas justifié par le syndicat CGT que durant les temps de battement, considérés comme du temps de travail effectif pour la rémunération et le décompte du temps de travail, les salariés doivent se tenir à la disposition de l'employeur et ne peuvent vaquer à leurs obligations personnelles. Dès lors, le syndicat CGT ne peut contester l'organisation du temps de pause par l'employeur à raison de l'intégration de ces temps de battement dans le temps de pause. L'article 10 du décret du 14 février 2000 prévoit: - que les personnels roulants dont le temps de travail quotidien est supérieur à six heures bénéficient d'une coupure d'au moins vingt minutes, que cette coupure est constituée, notamment, des temps de repas, des temps d'indisponibilité, des temps d'attente dans les terminus et des différents temps d'inactivité ou d'interruption déjà prévus ou intégrés dans les différentes organisations du travail d'une durée d'au moins cinq minutes consécutives et que pour des raisons techniques d'exploitation, la période de coupure peut être remplacée par une période équivalente de repos compensateur attribuée au plus tard avant la fin de la journée suivante, - que le régime des coupures des personnels autres que les personnels roulants est fixé par l'article L. 220-2 du code du travail (devenu l'article L. 3121-16 du code du travail suite à la loi 2016-1088 du 8 août 2016). Il s'ensuit que les personnels non-roulants bénéficient, sans aucune dérogation, d'un temps de pause d'une durée minimale de vingt minutes consécutives dès que le temps de travail quotidien atteint six heures alors qu'il peut être dérogé au principe du temps de pause pour les personnels roulants, pour des raisons techniques d'exploitation, et à la condition que la période de coupure soit remplacée par une période équivalente de repos compensateur attribuée au plus tard avant la fin de la journée suivante. Par ailleurs, s'il en ressort que la coupure du personnel roulant peut être constituée de l'addition de divers temps (temps de repas, des temps de disponibilité, des temps d'attente ou autres temps d'inactivité ou d'interruption), il ne résulte pas de la formulation de l'article 10 précité, marquée par l'emploi du terme « coupure » au singulier, et qui ne comprend aucune indication expresse ou implicite autorisant la scission de cette pause, que la coupure du personnel roulant peut être scindée en plusieurs pauses dont la durée cumulée ne peut être inférieure à 20 mn. De surcroît, si la directive du 2003/88/CE du Parlement et du Conseil concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail prévoit, en son article 17, qu'il peut être dérogé aux prescriptions de l'article 4 relatif journalier, dans les entreprises de transport de voyageurs sur les services de transports urbains réguliers à condition que soit accordée des périodes équivalentes de repos compensateur ou, dans des cas exceptionnels, une protection appropriée et renvoie aux conventions collectives ou accords conclus entre partenaires sociaux ou, à défaut, par la législation nationale pour définir la durée et les conditions d'octroi de la pause quotidienne, les conditions de mise en oeuvre de cette pose journalière doivent s'interpréter à la lumière du texte et de la finalité de la directive. En l'espèce, la directive en question rappel en son préambule que l'amélioration de la sécurité, de l'hygiène et de la santé au travail représente un objectif qui ne saurait être subordonné à des considérations économiques et que tous les salariés heures doivent disposer de périodes de repos suffisantes. Le fractionnement en plusieurs temps de pause de la pause quotidienne due au personnel roulant ne leur permet pas de bénéficier d'un temps de repos suffisant garantissant la santé et leur sécurité. L'interprétation du décret du 14 février 2000 proposée par la société Keolis et qui permettrait, selon elle, de scinder le temps de pause quotidien plusieurs coupures apparaît au contraire à la lumière du texte et de la finalité de la directive. Dès lors, l'organisation du temps de pause adoptée par la société Keolis, en ce qu'elle prévoit que la pause quotidienne de 20 mn prévue au bénéfice des personnels roulants est sécable, est illicite. L'atteinte causée à l'intérêt collectif des salariés sera justement indemnisée en allouant au syndicat CFDT la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts » ;
1. ALORS QUE selon l'article 10 du décret n°2000-118 du 14 février 2000 relatif à la durée du travail dans les entreprises de transport public urbain de voyageurs , le personnel dont le temps de travail quotidien est supérieur à six heures bénéficie d'une coupure d'au moins vingt minutes et que cette coupure est constituée, notamment, des temps de repas, des temps de disponibilité, des temps d'attente dans les terminus et des différents temps d'inactivité ou d'interruption déjà prévus ou intégrés dans les différentes organisations du travail d'une durée d'au moins cinq minutes consécutives ; qu'il résulte de ce texte que le temps de pause quotidien de vingt minutes est sécable en plusieurs périodes d'inactivité dès lors que ces périodes sont d'une durée minimale de cinq minutes ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
2. ALORS QUE l'article 4 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail impose aux Etats membres de prendre des mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie, au cas où le temps de travail est supérieur à six heures, « d'un temps de pause dont les modalités, et notamment la durée et les conditions d'octroi, sont fixées par des conventions collectives [
] ou, à défaut, par la législation nationale » ; qu'il résulte de l'article 17 du même texte qu'il peut être dérogé à l'article 4 par voie législative, réglementaire ou administrative ou, par voie conventionnelle, « pour les activités caractérisées par la nécessité d'assurer la continuité du service ou de la production, notamment lorsqu'il s'agit [
] des travailleurs concernés par le transport de voyageurs sur des services de transport urbain régulier » ; que l'article 10 du décret du 14 février 2000 prévoit que les personnels roulants dont le temps de travail quotidien est d'au moins six heures bénéficient d'une coupure d'au moins 20 minutes et précise que cette coupure est « constituée, notamment des temps de repas, des temps de disponibilité, des temps d'attente dans les terminus et des différents temps d'inactivité ou d'interruption déjà prévus ou intégrés dans les différentes organisations du travail d'une durée d'au moins cinq minutes » ; que ce texte précise, enfin, que « pour des raisons techniques, la coupure peut être remplacée par une période équivalente de repos compensateur » ; qu'il résulte de ces dispositions que la directive 2003/88/CE n'a pas d'effet direct sur les modalités, notamment la durée de la pause quotidienne, et que les personnels roulants des entreprises de transport public urbain de voyageurs sont soumis à un régime spécifique d'organisation du temps de pause en vertu duquel la coupure de 20 minutes peut être scindée et résulter de l'addition de coupures d'une durée minimum de 5 minutes ; que le droit à la santé et la sécurité des travailleurs est préservé dès lors que les temps pris en compte pour la détermination de pause quotidienne doivent être d'une durée minimale de cinq minutes, ce qui permet d'éviter une dilution excessive des temps de pause et d'assurer que les salariés bénéficient de manière régulière de d'un temps d'arrêt significatif pour se reposer entre deux périodes de travail ; qu'en affirmant de manière péremptoire que le fractionnement de la pause quotidienne ne permettrait pas aux personnels roulants de bénéficier d'un temps de repos quotidien garantissant leur santé et leur sécurité et serait donc contraire à la directive 2003/88/CE, la cour d'appel a violé l'article 10 du n°2000-118 du 14 février 2000, ensemble le préambule et les articles 4 et 17 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 ;
3. ALORS QU'en se bornant à procéder par voie d'affirmation pour énoncer que le fractionnement de la pause quotidienne ne permettrait pas aux personnels roulants de bénéficier d'un temps de repos quotidien garantissant leur santé et leur sécurité, sans exposer notamment en quoi plusieurs pauses quotidiennes d'une durée d'au moins cinq minutes seraient moins bénéfiques en terme de repos qu'une pause de 20 minutes prise en fin service ou d'un repos compensateur d'une durée équivalente pris le lendemain, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 10 du n°2000-118 du 14 février 2000, du préambule et les articles 4 et 17 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003.
Moyens produits au pourvoi incident par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour le syndicat CGT des employés et ouvriers des TCL.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement en ce qu'il a débouté le syndicat de ses demandes tendant à voir dire que l'organisation du travail sous forme de cycles mise en place par la société est illicite, à voire dire qu'à défaut d'accord collectif, la société ne peut mettre en place un mode d'organisation du temps de travail que sur des cycles de 12 semaines où les salariés travaillent 35 heures en moyenne par semaine sans pouvoir par avance programmer un temps de travail supérieure, à voir juger illicite la programmation de journées décalées ainsi que la régulation du temps de travail par l'attribution de journées de repos supplémentaires, et d'AVOIR débouté le syndicat de sa demande tendant à voir dire et juger que la programmation de journées décalées et la régulation du temps de travail par l'attribution de journées de repos supplémentaires sont illicites, en ce qu'elles caractérisent une modulation qui ne peut être instituée que par accord collectif.
AUX MOTIFS propres QUE il ressort des articles 2 et 3 du décret 2000-118 du 14 février 2000 que, pour les salariés des entreprises de transport public urbain de voyageurs, la durée hebdomadaire du travail d'une durée de trente-cinq heures peut être calculée en moyenne sur un cycle d'organisation du travail dont la durée ne saurait excéder douze semaines ; qu'il ressort expressément de l'article 3 dudit décret que ces cycles correspondent aux différents niveaux d'activité de l'entreprise, telles que périodes scolaires ou vacances et, qu'en conséquence, la répartition de la durée du travail à l'intérieur d'un cycle ne se répète pas à l'identique d'un cycle à l'autre ; qu'il en résulte en conséquence que la répartition des jours de travail en semaine peut être différente d'un cycle sur l'autre et que le syndicat CGT ne peut contester l'organisation mise en place par la société Keolis au motif que la répartition des jours et horaires de travail varierait à l'intérieur d'un cycle et d'un cycle à l'autre ; que par ailleurs, les dispositions de l'article 3 in fine du décret, en ce qu'elles prévoient, sauf en cas d'urgence, un délai de prévenance de sept jours en cas de changement d'horaires significatifs ne régit que les changements d'horaires collectifs affectant l'ensemble d'une catégorie de personnel et n'ont pas vocation à réglementer les changements d'horaires individuels affectant un salarié dans le cadre d'une journée de travail « décalée » ; qu'il ressort de l'organisation mise en place par la société Keolis que les salariés connaissent, en début de chaque cycle, les jours dont l'amplitude horaire est susceptible d'être modifiée à la diligence de l'employeur, que par ailleurs, il ressort des conclusions du syndicat requérant que ces modifications horaires sont annoncées dans un délai de 48 à 72 heures ; que dès lors, le personnel de la société Keolis a connaissance au début de chaque cycle de douze semaines des jours dont la prise de service est susceptible d'être modifiée et sont avisés dans un délai de prévenance suffisant ; qu'une telle organisation apparaît compatible avec le respect au droit à la vie privée et familiale des salariés garanti par l'article L. 1121-1 du code du travail et l'article 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme ; que d'autre part, l'octroi de jours de repos supplémentaires en cours de cycle a pour objet d'éviter la réalisation d'heures supplémentaires à l'intérieur du cycle mis en oeuvre par l'employeur conformément à l'article 4 du décret du 14 février 2000 ; que le syndicat CGT ne peut en conséquence valablement soutenir que la mise en oeuvre d'une telle organisation imposait la conclusion d'un accord collectif ; que le jugement déféré en ce qu'il a dit que l'organisation du temps de travail sous forme de cycle mise en place par la société Keolis était illicite, qu'à défaut d'accord collectif, la société Keolis ne pouvait mettre en place un mode d'organisation du temps de travail que sur des cycles de 12 semaines où les salariés travaillaient 35 heures en moyenne par semaine, sans pouvoir programmer par avance un temps de travail qui serait supérieur et jugé illicite la programmation de journées décalées ainsi que la régulation du temps de travail par l'attribution de journées de repos supplémentaires, sera en conséquence infirmé.
AUX MOTIFS adoptés QUE aucun texte n'interdit que des heures supplémentaires soient effectuées dans le cadre de cycles ; qu'au contraire l'accord de branche et l'article 11 du décret GAYSSOT du 14/ 2/ 2000 réglementant les cycles dans les entreprises de transport public urbain de voyageurs contiennent des dispositions relatives aux heures supplémentaires qui sont définies comme les heures dépassant la moyenne du temps de travail fixée à 35 heures et calculée en moyenne sur la période définie et pour lesquelles les dispositions du code du travail sont applicables ; qu'à défaut de dispositions légales l'interdisant, il ne peut être reproché à la société KEOLIS de prévoir la réalisation d'heures supplémentaires dès le début du cycle, dans la mesure où cette pratique demeure limitée à quelques heures sur le cycle comme c'est le cas en l'espèce ; qu'en application de l'article 3 du décret du 14/ 2/ 2000, les salariés doivent être prévenus 7 jours à l'avance sauf cas d'urgence de toute modification de leur horaire de travail ; que le système mis en place par la société KEOLIS de jours marqués XX est plus favorable aux salariés prévenus plus de 7 jours à l'avance de variations éventuelles de leurs horaires.
1° ALORS QU'il résulte des article 2 et 3 du décret n° 2000-118 du 14 février 2000 que, pour les salariés des entreprises de transport public urbain de voyageurs, la durée hebdomadaire du travail d'une durée de trente-cinq heures peut être calculée en moyenne sur un cycle d'organisation du travail dont la durée ne saurait excéder douze semaines ; que si l'article 3 de ce décret prévoit que la répartition de la durée du travail ne doit pas nécessairement se répéter à l'identique d'un cycle à l'autre, il ne permet pas à l'employeur de faire varier discrétionnairement les horaires et les repos en cours de cycle ; qu'un tel système de régulation du temps de travail s'analyse en une modulation, qui ne peut être mise en place que par un accord de branche étendu ou un accord d'entreprise ou d'établissement, en application de l'article 4 du même décret ; qu'en énonçant que le syndicat ne pouvait valablement soutenir que l'organisation du travail mise en place dans l'entreprise imposait la conclusion d'un accord collectif, tout en constatant que l'employeur imposait des ajustements en cours de cycle en modifiant la programmation des horaires et des repos, ce dont il résultait que cette organisation constituait un dévoiement du cycle et s'analysait en une modulation du temps de travail qui ne pouvait être mise en place de manière unilatérale, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles 2, 3 et 4 du décret n° 2000-118 du 14 février 2000.
2° ALORS QUE les cycles d'organisation du travail visés par les articles 2 et 3 du décret n° 2000-118 du 14 février 2000 sont régis par le principe de l'horaire collectif ; que l'individualisation de l'horaire en dehors du cadre hebdomadaire n'est possible que dans le système de modulation ; qu'en énonçant que le syndicat ne pouvait valablement soutenir que l'organisation du travail mise en place dans l'entreprise imposait la conclusion d'un accord collectif, tout en constatant que cette organisation aboutissait, par l'utilisation des journées dites « décalées », à des changements d'horaires individuels, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé derechef les articles 2, 3 et 4 du décret n° 2000-118 du 14 février 2000.
3° Et ALORS QUE le système de journées « décalées » n'est pas plus favorable aux salariés que les prescriptions de l'article 3 du décret n° 2000-118 du 14 février 2000, qui prévoient un délai de prévenance de sept jours sauf cas d'urgence ; qu'en jugeant le contraire par motifs éventuellement adoptés, la cour d'appel a violé cet article.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté le syndicat de sa demande tendant à voir dire et juger qu'à défaut pour la société Kéolis de rapporter la preuve que le personnel roulant bénéficie effectivement d'une coupure conforme au décret Perben, l'organisation mise en place pour les pauses est illicite.
AUX MOTIFS inexistants.
ALORS QUE le juge est tenu de motiver sa décision ; que dans ses conclusions d'appel, le syndicat soutenait qu'aucun contrôle n'était assuré par la société pour vérifier que les salariés bénéficient bien d'une pause de vingt minutes ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen péremptoire, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.