LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 mai 2020
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 447 F-D
Pourvoi n° F 19-14.663
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 MAI 2020
1°/ Mme N... A... épouse T..., domiciliée [...] ,
2°/ la société Garantie mutuelle des fonctionnaires (GMF), dont le siège est [...],
ont formé le pourvoi n° F 19-14.663 contre l'arrêt rendu le 30 janvier 2019 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile, section 1), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme D... P... veuve K..., domiciliée [...] , prise tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de ses enfants mineurs Q... et U... K...,
2°/ à Mme J... F...,
3°/ à M. B... K...,
4°/ à M. U... I...,
domiciliés tous trois [...],
5°/ au Régime social des indépendants - RAM Gamex (RSI-RAM Gamex), dont le siège est [...] ,
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Ittah, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de Mme A... épouse T... et de la société Garantie mutuelle des fonctionnaires (GMF), de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de Mme P..., agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de ses enfants Q... et U... K..., Mme F..., M. K... et M. I..., et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 février 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Ittah, conseiller référendaire rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, et Mme Cos, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 30 janvier 2019), U... K... a été victime, le 1er juin 2013, alors qu'il pilotait une motocyclette, d'un accident mortel de la circulation impliquant le véhicule conduit par Mme A... , assurée auprès de la société GMF (l'assureur).
2. Mme P... veuve K..., agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de ses enfants Q... et U... K..., Mme F..., M. B... K... et M. I... (les consorts K...) ont assigné Mme A... et l'assureur pour obtenir la réparation de leur préjudice.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. Mme A... et la société GMF font grief à l'arrêt de les condamner solidairement à indemniser toutes les conséquences dommageables résultant de l'accident de la circulation survenu le 1er juin 2013 au préjudice de U... K..., et de les condamner en conséquence solidairement à payer à Mme P... veuve K... la somme de 3 758,94 euros au titre des frais d'obsèques ; au titre de la perte des revenus des proches : à Mme P... veuve K..., la somme de 652 878,91 euros, à Mme P... veuve K... en sa qualité de représentante légale d'Q... K..., 43 921,90 euros, à Mme P... veuve K... en sa qualité de représentante légale de U... K..., 57 600,60 euros ; au titre du préjudice d'affection : à Mme P... veuve K..., la somme de 25 000 euros, à Mme P... veuve K... en sa qualité de représentante légale d'Q... K..., 30 000 euros, à Mme P... veuve K... en sa qualité de représentante légale de U... K..., 30 000 euros, à Mme J... F..., la somme de 25 000 euros, à M. B... K..., la somme de 10 000 euros et à M. U... I..., la somme de 5 000 euros, alors « que lorsque plusieurs véhicules terrestres à moteur sont impliqués dans un accident de la circulation, chaque conducteur a droit à l'indemnisation des dommages qu'il a subis, sauf s'il a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice, la limitation de son droit à indemnisation étant proportionnelle à la gravité de sa faute, sans qu'il y ait lieu de se référer au comportement des autres conducteurs impliqués ; qu'en retenant, pour écarter l'incidence de la vitesse excessive de la moto conduite par U... K... sur la réalisation de son dommage et refuser en conséquence d'exclure ou de limiter le droit à indemnisation de ses ayants droit, que Mme A... avait commis une importante faute de conduite en coupant la route à la victime, après s'être positionnée sur la voie de gauche pour tourner à gauche en empiétant sur la voie de la circulation des véhicules venant en sens inverse, coupant ainsi la route sur une plus large distance que si elle s'était arrêtée à l'aplomb de la voie de droite et n'étant pas dans une position permettant de voir les véhicules arrivant en sens inverse, la cour d'appel, qui a pris en compte le comportement de l'autre conducteur, a violé l'article 4 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 :
4. Il résulte de ce texte que lorsque plusieurs véhicules sont impliqués dans un accident de la circulation, chaque conducteur a droit à l'indemnisation des dommages qu'il a subis, sauf s'il a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice ; qu'en présence d'une telle faute, il appartient au juge d'apprécier souverainement si celle-ci a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages que ce conducteur a subis, en faisant abstraction du comportement des autres conducteurs.
5. Pour condamner solidairement Mme A... et l'assureur à indemniser les consorts K... de toutes les conséquences dommageables de l'accident, l'arrêt, après avoir relevé qu'il ressortait d'une analyse technique de l'institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale qu'au moment de la collision avec le véhicule de Mme A... , U... K... circulait à motocyclette à une vitesse comprise entre 85 et 103 kilomètres à l'heure, alors qu'à cet endroit la vitesse maximale autorisée était de 70 kilomètres à l'heure, retient que le rôle causal de la vitesse excessive dans la réalisation du dommage n'est pas démontré, dans la mesure où Mme A... a elle-même commis une importante faute de conduite, en coupant la route de la victime.
6. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Condamne Mme P... veuve K..., agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de ses enfants Q... et U... K..., Mme F..., M. B... K... et M. I... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du vingt mai deux mille vingt, et signé par lui et Mme Gelbard le Dauphin, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur référendaire empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour Mme N... A... épouse T... et la société Garantie mutuelle des fonctionnaires (GMF)
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir condamné solidairement Mme A... et la société GMF à indemniser toutes les conséquences dommageables résultant de l'accident de la circulation survenu le 1er juin 2013 au préjudice de M. K..., d'avoir en conséquence condamné solidairement Mme A... et la société GMF à payer à Mme P... veuve K... la somme de 3 758,94 euros au titre des frais d'obsèques, au titre de la perte des revenus des proches : à Mme P... veuve K..., la somme de 652 878,91 euros, à Mme P... veuve K... en sa qualité de représentante légale d'Q... K..., 43 921,90 euros, à Mme P... veuve K... en sa qualité de représentante légale de U... K..., 57 600,60 euros ; au titre du préjudice d'affection : à Mme P... veuve K..., la somme de 25 000 euros, à Mme P... veuve K... en sa qualité de représentante légale de Q... K..., 30 000 euros, à Mme P... veuve K... en sa qualité de représentante légale de U... K..., 30 000 euros, à Mme J... F..., la somme de 25 000 euros, à M. B... K..., la somme de 10 000 euros et à M. U... I..., la somme de 5 000 euros ;
Aux motifs propres que, il ressort du procès-verbal d'enquête et plus particulièrement d'une analyse technique de l'IRCGN qu'au moment de la collision avec le véhicule de Mme A... , M. K... circulait à moto à une vitesse se situant entre 85 et 103 km/h, alors qu'elle est limitée à cet endroit à 70 km/heure ; que comme l'a dit le premier juge, dans la mesure où Mme A... a elle-même commis une importante faute de conduite, en coupant la route à la victime, ainsi que l'a relevé le tribunal correctionnel dans son jugement du 22 janvier 2014, après s'être positionnée sur la voie de gauche pour tourner à gauche en empiétant sur la voie de circulation des véhicules circulant en sens inverse, l'incidence de la vitesse excessive de M. K... sur la réalisation du dommage, si tant est que l'avis technique révèle parfaitement celle-ci, n'est pas établie de façon certaine, de sorte que si vitesse excessive il y a eu, son rôle n'est pas démontré ; que la demande d'exclusion ou de limitation du droit à réparation des ayants droit de U... K... n'est donc pas fondée et sera rejetée ;
Et aux motifs adoptés que, l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985 dispose que la faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages qu'il a subis ; que par jugement du tribunal correctionnel de Bastia en date du 22 janvier 2014, Mme A... a été condamnée à la peine de 4 mois d'emprisonnement avec sursis pour des faits d'homicide involontaire commis le 1er juin 2013 ; que ce jugement retient, au vu notamment des clichés photographiques pris par les gendarmes et de divers témoignage, que pour entrer dans la zone commerciale, Mme A... s'est positionnée sur la voie plus à gauche alors que cette voie est réservée, compte tenu du double sens de circulation, aux véhicules sortant dudit centre ; que Mme A... a coupé la route sur une plus large distance que si elle s'était arrêtée à l'aplomb de la voie de droite et ne se trouvait donc pas dans une position adaptée pour déceler commodément la présence d'un véhicule en sens inverse ; que compte tenu des bonnes conditions atmosphériques et de la présence d'une ligne droite rendant visible la circulation dans les deux sens, il est retenu une faute d'inattention ajoutée à l'imprudence pour Mme A... ; que toutefois la Cour de cassation a affirmé avec netteté le caractère autonome de l'action en réparation fondée sur la loi du 5 juillet 1985 en énonçant que si l'objet de l'instance civile est le même que celui de l'instance pénale, l'action civile exercée en application de la loi du 5 juillet 1985 procède d'un fondement juridique autonome, distinct de la réparation d'une faute pénale, et ne se heurte pas à l'autorité de la chose jugée au pénal ; que la faute éventuellement commise par M. U... K... et ayant contribué à son préjudice, doit être appréciée en faisant abstraction du comportement de Mme A... ; que de même, cette faute n'a pas à être la cause exclusive de l'accident ; qu'en l'espèce, il résulte du procès-verbal de gendarmerie, établi par la BP de Murato le 11 juin 2013, qu'un accident mortel de la circulation s'est déroulé le 1er juin 2013 à 14h50, au lieu-dit [...], commune de [...] ; qu'il résulte des auditions réalisées par les services enquêteurs qu'à environ 400 mètres du point d'impact, M. U... K... roulant à une vitesse paraissant excessive, selon les déclaration de Mme M... W... et de M. R... C..., ce dernier évoquant une vitesse d'environ 120 km/h ; que ce témoin explique également que le véhicule conduit par Mme A... se trouvait sur la moitié de la chaussée, en travers de la route pour pouvoir tourner et empiétait sur la voie de gauche ; qu'il résulte par ailleurs du rapport établi le 16 septembre 2013 par les militaires de l'IRCGN de Paris que lors de la collision, la vitesse du véhicule de Mme A... est comprise entre 19 et 24 km/h et la vitesse du véhicule de M. K... est comprise entre 85 et 103 km/h ; que s'il apparait donc que M. K... roulait à une vitesse supérieure à celle autorisée, il n'est toutefois pas démontré que cette faute ait un lien avec le dommage dans la mesure où il est établi que Mme A... s'est engagée dans une manoeuvre pour tourner à gauche et qu'elle s'est mal positionnée, coupant la route sur une plus large distance que si elle s'était arrêtée à l'aplomb de la voie de droit et n'étant pas dans une position permettant de voir les véhicules arrivant en sens inverse ; que compte tenu du déroulement de l'accident tel que découlant du procès-verbal d'enquête, il n'est pas établi qu'une moindre vitesse du motard aurait empêché la collision ; qu'il n'est donc pas établi de lien entre sa vitesse et la réalisation de son préjudice ; qu'ainsi, Mme A... et la société GMF ne démontrent aucune faute de M. K... pouvant venir limiter ou exclure le droit à indemnisation ; qu'en conséquence, il convient de retenir que le droit à indemnisation est total et de condamner Mme A... et la société GMF à indemniser le préjudice subi par les ayants droit de M. K... ;
Alors 1°) que, lorsque plusieurs véhicules terrestres à moteur sont impliqués dans un accident de la circulation, chaque conducteur a droit à l'indemnisation des dommages qu'il a subis, sauf s'il a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice, la limitation de son droit à indemnisation étant proportionnelle à la gravité de sa faute, sans qu'il y ait lieu de se référer au comportement des autres conducteurs impliqués ; qu'en retenant, pour écarter l'incidence de la vitesse excessive de la moto conduite par M. K... sur la réalisation de son dommage et refuser en conséquence d'exclure ou de limiter le droit à indemnisation de ses ayants droit, que Mme A... avait commis une importante faute de conduite en coupant la route à la victime, après s'être positionnée sur la voie de gauche pour tourner à gauche en empiétant sur la voie de la circulation des véhicules venant en sens inverse, coupant ainsi la route sur une plus large distance que si elle s'était arrêtée à l'aplomb de la voie de droite et n'étant pas dans une position permettant de voir les véhicules arrivant en sens inverse, la cour d'appel, qui a pris en compte le comportement de l'autre conducteur, a violé l'article 4 de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985 ;
Alors 2°) que, la faute de la victime conductrice de nature à exclure ou limiter l'indemnisation de son préjudice doit être appréciée au regard de son rôle causal dans la réalisation de son dommage et non dans la survenance de l'accident ; qu'en retenant, sous couvert de rechercher le rôle causal de la faute de la victime dans la réalisation de son dommage, que si M. K... roulait à une vitesse supérieure à celle autorisée, il n'était toutefois pas démontré que cette faute avait un lien avec le dommage dans la mesure où il était établi que Mme A... s'était engagée dans une manoeuvre pour tourner à gauche et qu'elle s'était mal positionnée, coupant la route sur une plus large distance que si elle s'était arrêtée à l'aplomb de la voie de droite et n'étant pas dans une position permettant de voir les véhicules arrivant en sens inverse, la cour d'appel, qui s'est en réalité attachée à rechercher le rôle de la faute de la victime dans la survenance de l'accident et non du dommage, a violé l'article 4 de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985 ;
Alors 3°) que, la faute de la victime conductrice de nature à exclure ou limiter l'indemnisation de son préjudice doit être appréciée au regard de son rôle causal dans la réalisation de son dommage ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que lors de la collision survenue sur une route départementale limitée à 70 km/h, la vitesse du véhicule de Mme A... était comprise entre 19 et 24 km/h et celle du véhicule de M. U... K... entre 85 et 103 km/h ; qu'en affirmant qu'il n'était pas établi de lien entre la vitesse et la réalisation du préjudice subi par la victime sans rechercher si l'accident se serait produit dans les mêmes conditions et avec les mêmes conséquences pour M. K... s'il avait respecté la réglementation en vigueur, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 4 de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985.