LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 mai 2020
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 442 F-D
Pourvoi n° Q 19-13.222
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 MAI 2020
Mme T... Q..., domiciliée [...] , a formé le pourvoi n° Q 19-13.222 contre l'arrêt rendu le 8 janvier 2019 par la cour d'appel de Montpellier (1re chambre C), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Groupama Méditerranée, dont le siège est [...] , anciennement dénommée Groupama Sud,
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault, dont le siège est [...] ,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Guého, conseiller référendaire, les observations de la SARL Meier-Bourdeau Lécuyer et associés, avocat de Mme Q..., de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de la société Groupama Méditerranée, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 février 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Guého, conseiller référendaire rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, et Mme Cos, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 8 janvier 2019), le 7 mars 1992, Mme Q... a été victime d'un accident de la circulation dans lequel était impliqué un véhicule assuré auprès de la société Groupama Sud devenue Groupama Méditerranée (l'assureur).
2. Le 21 novembre 2011, Mme Q..., estimant que son état de santé s'était aggravé, a assigné l'assureur en indemnisation, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault.
Examen des moyens
Sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner à la cassation.
Sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Mme Q... fait grief à l'arrêt de rejeter les demandes d'indemnisation au titre des préjudices sexuel, d'établissement, frais de logement adapté, frais de véhicule adapté, tierce personne, alors « qu'il revient au juge de l'indemnisation de trancher les prétentions indemnitaires qui lui sont soumises au vu des pièces produites, sans qu'il puisse refuser d'y faire droit au prétexte qu'elles n'ont pas été soumises à l'expertise judiciaire ; qu'en écartant les demandes au titre des préjudices d'établissement, frais de logement adapté, frais de véhicule adapté, tierce personne au motif qu'elles n'avaient pas été discutées lors de l'expertise judiciaire, la cour d'appel a méconnu son office et violé l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. Pour rejeter les demandes de Mme Q... au titre du préjudice d'établissement des frais de logement adapté, des frais de véhicule adapté et du besoin d'assistance par tierce personne, l'arrêt retient que ces préjudices relèvent d'une situation d'adulte handicapé et de la pathologie psychiatrique dont le lien de causalité avec l'accident n'est pas retenu, à l'exception, pour cette dernière pathologie, de l'incidence professionnelle. Il ajoute que l'expert note en particulier que la plainte de la patiente en lien avec des douleurs du rachis et des lombo-sciatalgies n'est pas imputable à l'accident et que la composante psychologique des douleurs est majeure.
6. En conséquence, le moyen, qui critique des motifs surabondants de l'arrêt, est inopérant.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. Mme Q... fait grief à l'arrêt de condamner l'assureur à lui verser la somme de 50 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, alors « que la réparation du préjudice soumis à réparation doit correspondre à ce dernier et ne saurait être appréciée de manière forfaitaire ; qu'en procédant à une évaluation forfaitaire de l'incidence professionnelle liée à l'aggravation des dommages subis par Mme Q... ensuite de l'accident de la route litigieux, la cour d'appel a violé l'article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. »
Réponse de la Cour
Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :
8. Pour condamner l'assureur à verser à Mme Q... la somme de 50 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, l'arrêt énonce que ce préjudice ne peut pas être calculé sur la base de la prétention de la victime de la totalité de la différence de salaire avec un temps complet puis, après la perte de son emploi, d'un euro de rente viagère calculé sur le complément de son allocation adulte handicapé. L'arrêt en déduit qu'il convient de faire une appréciation forfaitaire de l'indemnisation de la perte de chance professionnelle en relation avec une plus grande pénibilité du travail.
9. En statuant ainsi, alors que la réparation du préjudice doit correspondre à ce dernier et ne saurait être appréciée de manière forfaitaire, la cour d'appel a violé le principe susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du premier moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Groupama Méditerranée à verser à Mme Q... la somme de 50 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, l'arrêt rendu le 8 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne la société Groupama Méditerranée aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Groupama Méditerranée et la condamne à payer à Mme Q... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt mai deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SARL Meier-Bourdeau Lécuyer et associés, avocat aux Conseils, pour Mme Q...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué de condamner la compagnie d'assurance Groupama Méditerranée à verser à Mme Q... au titre de l'incidence professionnelle, la somme de 50 000 euros seulement ;
AUX MOTIFS QUE le premier juge retient pour rejeter la prétention les éléments du rapport d'expertise judiciaire, et qu'il n'est pas démontré l'existence d'un lien de causalité entre l'accident et le fait que la victime ne soit pas en mesure de travailler aujourd'hui, alors qu'il ne dispose pas de la connaissance des motifs pour lesquels elle bénéficie d'une reconnaissance adulte handicapé ; qu'il ajoute que les attestations du maire de Jacou son ancien employeur qu'il n'a pu lui offrir qu'un emploi à mi-temps du fait de son handicap ne caractérise pas la nature du handicap, et que la lecture de l'expertise fait apparaître que l'accident n'est pas la cause principale ou exclusive des problèmes psychiatriques de la victime ; que le rapport d'expertise fait une relation détaillée extrêmement complète de l'ensemble des éléments médicaux qui ont suivi l'accident déjà ancien du 7 mars 1992, à laquelle la cour renvoie les parties pour un exposé complet ; qu'il en déduit notamment une aggravation imputable aux ossifications du moyen fessier et au trouble rotatoire du membre inférieur gauche qui conduit à un déficit fonctionnel temporaire à la suite de chacune d'intervention chirurgicale de 1996 à 2011, une consolidation des blessures pour le volet orthopédique au 31 décembre 2011, et un état séquellaire fixé à 5 %, à laquelle il ajoute les préjudices sur le plan psychiatrique ; qu'il relate à ce titre la constatation de troubles psychiatriques importants à partir de mars 1998, pour laquelle son analyse objective du dossier montre que la victime n'a jamais présenté de pathologie de type post-traumatique à la suite de l'accident ; qu'il relève notamment : les premiers soins psychiatriques ont été réalisés plus de 6 ans après l'accident ; la première prise en charge psychiatrique de mars 2008 montre clairement que la décompensation psychiatrique succédait à des difficultés relationnelles familiales et affectives, et entrait dans le cadre de réactions abandonniques sur une personnalité immature ; ainsi il n'est pas possible d'imputer directement et certainement l'ensemble des troubles psychiatriques à l'accident ; que cependant, l'expert judiciaire retient que les troubles de la personnalité doivent être pris en compte, en ce que la répercussion psychologique des lésions et soins prolongés sur une période particulièrement longue ont participé aux manifestations et aux troubles psychiatriques qui ont été reconnus et traités, que l'importance de l'atteinte fonctionnelle et des soins poursuivis ont entraîné une aggravation de la symptomatologie psychiatrique, que la prise en compte doit être effectuée avant consolidation sur l'augmentation des souffrances endurées, après consolidation sur le taux de déficit fonctionnel permanent ; que l'expert retient ainsi sur le plan psychiatrique une augmentation des souffrances endurées de 4 à 4,5, et du déficit fonctionnel permanent de 5 à 8 % ; que la cour en déduit en l'absence d'un dire à l'expert de critique de ses investigations et ses conclusions sur lequel il aurait apporté une réponse technique dans le contradictoire des opérations d'expertise, que le lien de causalité n'est pas établi de façon certaine et directe entre l'état séquellaire directement imputable à l'accident de 1992 et l'impossibilité d'exercice d'un temps plein et un statut d'adulte handicapé ; que le premier juge a relevé avec pertinence l'insuffisance probante à ce titre des attestations du maire de Jacou relevant que ses problèmes de santé ne lui permettaient pas d'assurer un service à temps complet en septembre 1999, et que l'accident ne pouvait pas être retenu comme la cause principale ou exclusive des difficultés ; que la cour en retient cependant contrairement au premier juge la réalité d'une incidence professionnelle qui n'a pas été expressément exclue par les conclusions de l'expert judiciaire, en ce que la part relatée par l'expert de la répercussion psychologique des lésions et des soins ayant suivi l'accident qui a aggravé la symptomatologie psychiatrique caractérise une limitation certaine des possibilités professionnelles, et une dévalorisation sur le marché du travail, et par conséquent une perte de chance de bénéficier d'une vie professionnelle meilleure ; que cependant, ce préjudice ne peut pas être calculé, en raison de l'impossibilité mise en évidence de la part du lien de causalité de la symptomatologie psychiatrique avec la perte d'un emploi à plein temps et le statut d'handicapé, sur la base de la prétention de la victime de la totalité de la différence de salaire avec un temps complet, puis après la perte de son emploi d'un calcul d'euro de rente viagère sur un complément de son allocation adulte handicapé ; que la cour fait en conséquence une appréciation forfaitaire de l'indemnisation de la perte de chance professionnelle en relation avec une plus grande pénibilité au travail, pour un montant de 50 000 € (arrêt attaqué, p. 6 et 7) ;
1°) ALORS QUE la réparation du préjudice soumis à réparation doit correspondre à ce dernier et ne saurait être appréciée de manière forfaitaire ; qu'en procédant à une évaluation forfaitaire de l'incidence professionnelle liée à l'aggravation des dommages subis par Mme Q... ensuite de l'accident de la route litigieux, la cour d'appel a violé l'article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;
2°) ALORS QUE le droit de la victime d'un accident de la circulation à obtenir l'indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit compte tenu de causes exogènes à l'affection subie dès lors que l'accident de la circulation a contribué de manière indivisible à sa réalisation ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que, d'une part, l'accident de la circulation que Mme Q... a subi a eu une incidence professionnelle eu égard aux répercussions psychologiques de lésions et des soins qui ont suivi l'accident et que, d'autre part, il n'est pas possible de diviser la part dans incidence professionnelle imputable à cette symptomatologie psychiatrique ; qu'en procédant à une indemnisation partielle forfaitaire de l'incidence professionnelle de Mme Q... tout en constatant que l'accident de la circulation avait contribué, sans qu'il soit possible d'en séparer les différentes causes, à cette incidence professionnelle, la cour d'appel a méconnu l'article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué de rejeter les demandes d'indemnisation au titre des préjudices sexuel, d'établissement, frais de logement adapté, frais de véhicule adapté, tierce personne ;
AUX MOTIFS QUE les préjudices d'établissement, frais de logement adapté, frais de véhicule adapté, qui n'avaient pas été présentés en première instance mais dont l'irrecevabilité n'est pas mentionné dans le dispositif de la partie intimée, et qui n'avaient pas été davantage discutés devant l'expert judiciaire, relèvent d'une situation d'adulte handicapé et de la pathologie psychiatrique dont le lien de causalité avec l'accident n'est pas retenu, à l'exception pour la pathologie psychiatrique de l'incidence professionnelle reconnue par la cour ; que l'expert note en particulier que la plainte de la patiente en lien avec des douleurs du rachis et des lombo-sciatalgies ne sont pas imputables à l'accident, que la composante psychologique des douleurs est majeure ; que la prétention au titre du besoin de tierce personne doit être écarté pour les mêmes motifs, et par conséquent également la demande d'une expertise judiciaire sur ces chefs de préjudice, en ajoutant à nouveau qu'il appartenait à la victime de soumettre ces prétentions au débat contradictoire devant l'expert judiciaire ; que l'expert a expressément écarté un préjudice sexuel, sans discussion provoquée par la victime dans le cadre du déroulement contradictoire des opérations d'expertise, et la victime ne présente aucun document médical à ce titre (arrêt attaqué, pp. 7-8) ;
1°) ALORS QU'il revient au juge de l'indemnisation de trancher les prétentions indemnitaires qui lui sont soumises au vu des pièces produites, sans qu'il puisse refuser d'y faire droit au prétexte qu'elles n'ont pas été soumises à l'expertise judiciaire : qu'en écartant les demandes au titre des préjudices d'établissement, frais de logement adapté, frais de véhicule adapté, tierce personne au motif qu'elles n'avaient pas été discutées lors de l'expertise judiciaire, la cour d'appel a méconnu son office et violé l'article 4 du code civil ;
2°) ALORS QUE Mme Q... sollicitait l'indemnisation de ses frais de logement adapté, frais de véhicule adapté, et d'une assistance tierce personne à raison notamment de sa boiterie et de sa difficulté à se déplacer, qui avaient été reconnues par le rapport d'expertise comme étant imputable à l'accident de la circulation litigieux et qui avait donné lieu à indemnisation notamment du chef du déficit fonctionnel ; qu'en écartant ces demandes au seul motif qu'elles relèvent d'une situation d'adulte handicapé et de la pathologie psychiatrique dont le lien de causalité avec l'accident n'est pas retenu et que la composante psychologique des douleurs ressenties par la victime serait, d'après l'expert, majeure, sans rechercher si ces préjudices ne pouvaient se rattacher à ses difficultés de nature orthopédique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;
3°) ALORS QU'en écartant ces demandes au seul motif qu'elles relèvent d'une situation d'adulte handicapé et de la pathologie psychiatrique dont le lien de causalité avec l'accident n'est pas retenu et que la composante psychologique des douleurs ressenties par la victime serait, d'après l'expert, majeure, bien que la pathologie psychiatrique avait été reconnue en lien avec l'accident litigieux et qu'elle avait donné lieu à indemnisation au titre de l'incidence professionnelle et du déficit fonctionnel permanent, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime.