LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC. / ELECT
LG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 25 mars 2020
Cassation
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 395 F-D
Pourvoi n° H 19-17.723
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 25 MARS 2020
1°/ le syndicat CFDT Hôtellerie, tourisme, restauration, dont le siège est [...] ,
2°/ M. Q... P..., domicilié [...] ,
3°/ Mme L... T..., domiciliée [...] ,
ont formé le pourvoi n° H 19-17.723 contre le jugement rendu le 26 mars 2019 par le tribunal d'instance de Paris (contentieux des élections professionnelles), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Hôtel George V BV, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,
2°/ au syndicat Force ouvrière des hôtels, cafés, restaurants, collectivités et du tourisme, dont le siège est [...] ,
3°/ à la Fédération générale des travailleurs de l'agriculture, des tabacs et des activités annexes, dont le siège est [...] ,
4°/ à l'union syndicale CGT du commerce, de la distribution et des services de Paris, dont le siège est [...] ,
5°/ au syndicat Hôtellerie, restauration UNSA, dont le siège est [...] ,
6°/ au syndicat national Hôtellerie, restauration SUD, dont le siège est [...] ,
7°/ au syndicat national des Métiers de l'hôtellerie cafés restauration INOVA CFE-CGC, dont le siège est [...] ,
8°/ à M. C... G..., domicilié [...] ,
9°/ à M. J... I..., domicilié [...] ,
10°/ à Mme F... K..., domiciliée [...] ,
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lanoue, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat du syndicat CFDT Hôtellerie, tourisme, restauration, de M. P... et de Mme T..., de Me Brouchot, avocat du syndicat Force ouvrière des hôtels, cafés, restaurants, collectivités et du tourisme et de la Fédération générale des travailleurs de l'agriculture, des tabacs et des activités annexes, de la SCP Gatineau-Fattaccini-Rebeyrol, avocat de la société Hôtel George V BV, après débats en l'audience publique du 26 février 2020 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lanoue, conseiller référendaire rapporteur, Mme Ott, conseiller, Mme Laulom, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal d'instance de Paris, 26 mars 2019), les élections des membres du comité social et économique (CSE) au sein de l'Hôtel George V ont eu lieu au mois de juin 2018. A l'issue du premier tour, M. P... a été élu en qualité de membre titulaire dans le collège cadre, en obtenant plus de 10% des voix, sur la liste présentée par le syndicat CFDT Hôtellerie, tourisme, restauration (le syndicat CFDT).
2. Par jugement du 5 novembre 2018, le tribunal d'instance de Paris a annulé l'élection de ce salarié. Ce jugement a été cassé par arrêt de la Cour de cassation (Soc., 11 septembre 2019, pourvoi n° 18-24.848).
3. Le 19 novembre 2018, le syndicat CFDT a désigné Mme T... en qualité de délégué syndical au sein de l'Hôtel George V. Le 20 décembre, il a désigné M. P... en qualité de délégué syndical aux lieu et place de Mme T....
4. L'employeur a saisi le tribunal d'instance le 2 janvier 2019 en annulation de cette désignation.
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
5. Le syndicat CFDT, M. P..., Mme T... font grief au jugement d'annuler la désignation de M. P... en qualité de délégué syndical CFDT alors « que d'une part, la condition prévue par le premier alinéa de l'article L. 2143-3 pour être désigné en qualité de délégué syndical est d'avoir obtenu à titre personnel et dans son collège au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections, peu important que le salarié ait été ou non élu, d'autre part, la sanction de la méconnaissance des règles de proportionnalité ou d'alternance prévues par l'article L. 2314-30 est expressément limitée à l'annulation de l'élection de l'élu dont la candidature ne respecte pas ces règles, enfin, l'annulation d'une élection, qui n'a pas d'effet rétroactif, est sans effet sur les suffrages exprimés lors du scrutin ; que pour annuler la désignation du salarié en qualité de délégué syndical, le tribunal, après avoir constaté que son élection avait été annulée par un précédent jugement, a considéré que celle-ci était réputée ne jamais avoir existé et que l'annulation de l'élection avait nécessairement pour conséquence l'annulation des voix qu'il avait obtenues ; qu'en statuant comme il l'a fait, quand l'annulation prononcée par un précédent jugement était limitée à la seule élection du salarié, laquelle n'était pas une condition de sa désignation en qualité de délégué syndical et était sans effet sur les suffrages exprimés lors du scrutin, le tribunal a violé les articles L. 2314-32 et L. 2143-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 2143-3 du code du travail :
6. Aux termes de deux premiers alinéas de ce texte, chaque organisation syndicale représentative dans l'entreprise ou l'établissement d'au moins cinquante salariés, qui constitue une section syndicale, désigne parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli à titre personnel et dans leur collège au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité social et économique, quel que soit le nombre de votants, dans les limites fixées à l'article L. 2143-12, un ou plusieurs délégués syndicaux pour la représenter auprès de l'employeur. Si aucun des candidats présentés par l'organisation syndicale aux élections professionnelles ne remplit les conditions mentionnées au premier alinéa du présent article ou s'il ne reste, dans l'entreprise ou l'établissement, plus aucun candidat aux élections professionnelles qui remplit les conditions mentionnées au même premier alinéa, ou si l'ensemble des élus qui remplissent les conditions mentionnées audit premier alinéa renoncent par écrit à leur droit d'être désigné délégué syndical, une organisation syndicale représentative peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats, ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou parmi ses anciens élus ayant atteint la limite de durée d'exercice du mandat au comité social et économique fixée au deuxième alinéa de l'article L. 2314-33.
7. Il en résulte que l'annulation, en application des dispositions de l'article L. 2314-32 du code du travail, de l'élection d'un candidat ayant recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des élections est sans effet sur la condition du score électoral personnel requise, sous réserve d'un certain nombre d'exceptions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 2143-3, par le premier alinéa de ce même texte.
8. Pour annuler la désignation du salarié, le jugement, après avoir relevé que le salarié avait obtenu 10 % des suffrages exprimés sur son nom dans le collège cadre, retient que l'élection du salarié en qualité de membre du conseil social et économique ayant été annulée par jugement du tribunal d'instance de Paris du 5 novembre 2018, le salarié ne peut plus être désigné comme délégué syndical sauf pour la CFDT, organisation syndicale représentative, à démontrer que cette désignation a été faite dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 2143-3 du code du travail.
9. En statuant ainsi, le tribunal a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 26 mars 2019, entre les parties, par le tribunal d'instance de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Paris autrement composé ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Hôtel Georges V BV à payer au syndicat CFDT Hôtellerie, tourisme, restauration et à M. P... et Mme T... la somme globale de 3 000 euros ; rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq mars deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour le syndicat CFDT hôtellerie, tourisme, restauration, M. P... et Mme T...
Le moyen fait grief au jugement attaqué d'AVOIR annulé la désignation de Monsieur P... en qualité de délégué syndical CFDT.
AUX MOTIFS QUE l'élection de M. P... ayant été annulée par jugement du tribunal d'instance de Paris du 5 novembre 2018, celui-ci ne peut plus être désigné délégué syndical sauf pour la CFDT, organisation syndicale représentative, à démontrer que cette désignation a été faite dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 2143-3 du code du travail ; il appartient donc à la CFDT de démontrer que les candidats présentés n'ont pas recueilli sur leur nom et dans leur collège au moins 10 % des suffrages exprimés au 1er tour des élections, ou qu'il ne reste plus aucun candidat qui remplit ces conditions ou que l'ensemble des élus remplissant ces conditions ont renoncé par écrit à leur droit d'être désigné délégué syndical afin de nommer M. P..., adhérent de l'organisation ; en vertu du principe selon lequel ce qui est nul est réputé ne jamais avoir existé, il convient de constater que l'annulation de l'élection de M. P... implique que celle-ci est réputée ne jamais avoir existé ; dès lors, l'annulation de l'élection de M. P... a nécessairement pour conséquence l'annulation des voix qu'il a obtenues ; il appartient à l'Hôtel George V et aux organisations syndicales ayant participé aux élections professionnelles de calculer l'audience syndicale de chaque organisation syndicale, abstraction faite des voix obtenues par Monsieur P..., et d'additionner en conséquence les résultats dans l'ensemble des collèges, en prenant en compte les résultats des seuls suffrages valablement exprimés au profit de chaque liste, sans qu'il y ait lieu de tenir compte d'éventuelles ratures de noms de candidats ; la représentativité des organisations syndicales ainsi mesurée vaut pour le cycle électoral de 4 ans prévu jusqu'aux prochaines élections ; en l'espèce, la CFDT ne démontre pas que la désignation de M. P... du 20 décembre 2018 intervient par défaut, dans les conditions prévues à l'article L. 2143-3 alinéa 2 du code du travail, faute d'avoir pu nommer en priorité d'autres candidats aux élections ; dès lors, il convient de considérer que la désignation est illégale.
1° ALORS QUE la cassation d'une décision entraîne l'annulation de la décision qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire ; que pour annuler la désignation de Monsieur P... en qualité de délégué syndical, le tribunal s'est fondé sur l'annulation, par jugement du 5 novembre 2018, de son élection en qualité de membre du comité social et économique ; que dès lors, la cassation à intervenir dudit jugement emportera annulation par voie de conséquence du jugement du 26 mars 2019 attaqué et ce, en application de l'article 625 du code de procédure civile.
2° ALORS subsidiairement QUE d'une part, la condition prévue par le premier alinéa de l'article L. 2143-3 pour être désigné en qualité de délégué syndical est d'avoir obtenu à titre personnel et dans son collège au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections, peu important que le salarié ait été ou non élu, d'autre part, la sanction de la méconnaissance des règles de proportionnalité ou d'alternance prévues par l'article L. 2314-30 est expressément limitée à l'annulation de l'élection de l'élu dont la candidature ne respecte pas ces règles, enfin, l'annulation d'une élection, qui n'a pas d'effet rétroactif, est sans effet sur les suffrages exprimés lors du scrutin ; que pour annuler la désignation du salarié en qualité de délégué syndical, le tribunal, après avoir constaté que son élection avait été annulée par un précédent jugement, a considéré que celle-ci était réputée ne jamais avoir existé et que l'annulation de l'élection avait nécessairement pour conséquence l'annulation des voix qu'il avait obtenues ; qu'en statuant comme il l'a fait, quand l'annulation prononcée par un précédent jugement était limitée à la seule élection du salarié, laquelle n'était pas une condition de sa désignation en qualité de délégué syndical et était sans effet sur les suffrages exprimés lors du scrutin, le tribunal a violé les articles L. 2314-32 et L. 2143-3 du code du travail.
3° ALORS en outre QUE l'annulation d'une élection est sans incidence sur l'appréciation de la représentativité du syndicat et la désignation des délégués syndicaux ; que le tribunal a considéré que l'audience devait être calculée abstraction faite des voix obtenues par le salarié exposant ; qu'en statuant comme elle l'a fait, quand l'annulation de l'élection de celui-ci est sans incidence sur l'appréciation de la représentativité du syndicat qui a présenté sa candidature, le tribunal a violé les articles L. 2121-1, L. 2122-1, L. 2314-32 et L. 2143-3 du code du travail.