LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
LG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 19 mars 2020
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 226 F-D
Pourvoi n° D 19-12.085
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 MARS 2020
La société Compagnie minière Montagne d'Or, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...], anciennement Sotrapmag, a formé le pourvoi n° D 19-12.085 contre l'arrêt rendu le 12 novembre 2018 par la cour d'appel de Cayenne (chambre commerciale), dans le litige l'opposant à la société Au Forages, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Nivôse, conseiller, les observations de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de la société Compagnie minière Montagne d'Or, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Au Forages, après débats en l'audience publique du 11 février 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Nivôse, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Cayenne, 12 novembre 2018), rendu en référé, la société Au Forages, ayant réalisé des travaux pour la société Compagnie minière Montagne d'or (la société Compagnie minière), l'a assignée en paiement d'une provision.
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
2. La société Compagnie minière fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Au Forages une provision de 479 236,16 euros alors « que le juge des référés ne peut accorder une provision au créancier que dans les cas où l'obligation n'est pas sérieusement contestable ; qu'il doit pour cela apprécier l'existence d'une contestation sérieuse s'opposant à l'octroi d'une provision au jour où il statue ; qu'en conséquence, il ne peut se borner à constater, pour décider que l'obligation n'est pas sérieusement contestable, que le débiteur n'a pas contesté la facture au moment où le paiement de celle-ci lui a été réclamé, et doit aussi rechercher si le débiteur a élevé en référé une contestation sérieuse à l'encontre de l'obligation lui étant imputée ; qu'il lui appartient donc, nonobstant le fait que la partie assignée en paiement d'une provision n'ait pas émis de contestation à réception de la facture dont le paiement lui est réclamé, d'examiner si cette partie fait valoir devant lui, au jour où il statue, des moyens de nature à étayer une contestation sérieuse faisant obstacle à l'octroi d'une provision en référé ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est bornée à constater que les pièces produites aux débats ne permettaient pas d'établir que la société Compagnie minière avait « contesté le paiement des factures litigieuses en invoquant des désordres affectant les travaux réalisés ou autres griefs, pouvant justifier une exception d'inexécution », et encore que la société Au Forages ayant adressé à sa cocontractante deux factures en date du 5 décembre 2016, « la défenderesse ne produit aucune pièce postérieure à cette date et antérieure à l'assignation délivrée le 15 septembre 2017 permettant d'établir qu'elle a fait valoir auprès de son cocontractant une exception d'inexécution » ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant expressément invitée par les conclusions de la société exposante, si les désordres et autres griefs contractuels liés aux travaux réalisés par la société Au Forages, invoqués en référé par la société Compagnie Minière, pièces à l'appui, ne pouvaient en eux-mêmes constituer une contestation sérieuse s'opposant au paiement d'une provision, peu important que cette dernière ne les ait pas fait valoir entre la date des factures et la date de l'assignation en référé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 873, alinéa 2, du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 873, alinéa 2, du code de procédure civile :
3. Aux termes de ce texte, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
4. Pour accueillir la demande de la société Au Forages, l'arrêt retient que l'examen des pièces versées aux débats par la société Compagnie minière, dont certaines sont en anglais et non traduites en français, ne permet pas d'établir que cette dernière a contesté le paiement des factures litigieuses en invoquant des désordres affectant les travaux réalisés ou autres griefs, pouvant justifier une exception d'inexécution.
5. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les désordres et les autres griefs invoqués par la société Compagnie minière ne constituaient pas une contestation sérieuse s'opposant au paiement d'une provision, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de la cour d'appel de Cayenne ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Cayenne autrement composée ;
Condamne la société Au Forages aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf mars deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat aux Conseils, pour la société Compagnie minière Montagne d'Or
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a condamné la société Compagnie Minière Montagne d'Or à payer à la société Au Forages une provision d'un montant de 479.236,16 euros ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « Sur la demande de provision : Le juge des référés a relevé que l'action de la société Au Forages était fondée sur l'article 873 du code de procédure civile, dont l'alinéa 2 lui permet dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, d'accorder une provision au créancier. S'agissant de la facture du 11 mars 2016, correspondant au solde des travaux exécutés par la société Au Forages, il a retenu que la société Sotrapmag n'avait produit aucune pièce établissant qu'elle avait fait valoir auprès de ladite société, une exception d'inexécution postérieurement à la demande par lettre recommandée du 5 décembre 2016 de règlement de cette facture. Le premier juge a considéré que la société Sotrapmag n'avait présenté aucun moyen efficace susceptible d'écarter le caractère non sérieusement contestable de son obligation. En ce qui concerne la facture de pénalités du 27 octobre 2016, le juge des référés a estimé que celle-ci nécessitait une analyse des conditions d'exécution du contrat qui relèvent du juge du fond. Devant la cour, l'appelante soutient que le juge des référés a commis une erreur de droit, en violant le principe jurisprudentiel et l'article 1120 du code civil, en vertu duquel le silence ne vaut pas acceptation, ainsi qu'une erreur de fait, en considérant qu'aucune contestation n'a jamais eu lieu. Elle ne conteste pas être restée silencieuse entre la date de la mise en demeure du 5 décembre 2016 et l'assignation en référé mais fait valoir qu'il s'agit d'un droit absolu qui ne peut constituer la moindre faute susceptible de profiter à son cocontractant. L'appelante ajoute qu'antérieurement à ces deux actes, au cours de la période d'exécution du contrat, de nombreuses contestations sérieuses ont été formulées notamment au moyen de plusieurs mèls et s'appuie sur un tableau synthétique et récapitulatif des griefs contractuels. Elle soutient en outre, que faute de pouvoir justifier d'un « dommage imminent » ou « d'un trouble manifestement illicite » au sens des dispositions de l'article 873 alinéa 1 du code de procédure civile, le juge des référés est incompétent en l'espèce. Elle invoque aussi l'exception d'inexécution et de l'existence manifestement de contestations sérieuses, au vu du tableau synthétique versé aux débats permettant d'identifier de nombreux griefs se rapportant soit à des retards d'exécution, soit à des exécutions imparfaites ou des inexécutions d'obligations contractuelles. De son côté, la SASU Au Forages conclut sur la compétence du juge des référés, qu'elle agit sur le fondement de l'article 872 du Code de procédure civile. Elle réplique que sa demande en paiement provisionnel ne fait l'objet d'aucune contestation sérieuse et que le caractère d'urgence est manifestement établi au regard des sommes importantes demeurées impayées ce qui pénalise grandement sa trésorerie. L'intimée fait un état des dates des travaux effectués, des factures et dates de paiement. Elle invoque les dispositions de l'article 1134 ancien du code civil et précise que la société Sotrapmag Montagne d'Or doit respecter ses engagements et respecter les termes du contrat. Elle relève que les nombreuses pièces communiquées en première instance, dont certaines sont en langue anglaise et non traduites, ne justifient en rien sa contestation, « bien tardive et inopportune ». La SASU Au Forages ajoute qu'en l'espèce, l'article 1120 invoqué par l'appelante n'est pas applicable et que nous ne sommes pas en présence d'une obligation invoquée au titre du silence d'une partie. En ce qui concerne la facture de pénalités du 6 avril 2016, elle se prévaut de l'article 13 du contrat signé entre les parties et de l'article 1134 ancien du code civil et soutient que cette facture n'est nullement contestable. A défaut d'éléments nouveaux, la cour estime que le premier juge a fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties et a pour de justes motifs, qu'elle approuve, considéré qu'en l'espèce, l'obligation de paiement des factures n'était pas contestable. Dès lors, le juge des référés, qui a statué à juste titre au regard de l'action en paiement d'une provision intentée par la SASU Au Forages, à l'encontre de la société appelante, sur le fondement de l'article 873 du code de procédure civile, est compétent en l'espèce. En effet, l'examen des pièces versées aux débats par l'appelante, dont certaines sont en anglais et non traduites en français, ne permet pas d'établir que cette dernière, qui, au demeurant n'a pas récupéré les différentes lettres recommandées avec accusé de réception qui lui ont été adressées les 5 décembre 2016 et 9 janvier 2017, a contesté le paiement des factures litigieuses en invoquant des désordres affectant les travaux réalisés ou autres griefs, pouvant justifier une exception d'inexécution. Il convient dans ces conditions de confirmer l'ordonnance entreprise sur ce chef de dispositions » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « Le fondement de l'action visée dans l'assignation ne précise pas les textes relatifs aux pouvoirs du juge des référés. Mais les dernières écritures retiennent l'article 872 du code de procédure civile qui prévoit que dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend. Pourtant, l'action menée par la société Au Forages vise à la condamnation de son adversaire à lui payer une provision. C'est donc sur le fondement de l'article 873 du code de procédure civile qu'elle entend agir. Selon le second alinéa de ce texte, le président peut, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire. En l'espèce, la demanderesse considère qu'elle a parfaitement exécuté ses obligations contractuelles depuis le 11 mars 2016 (solde des travaux) ou le 27 octobre 2016 (rapatriement du matériel). Elle a d'ailleurs sollicité le règlement du solde des travaux par courrier recommandé, rédigé en français, en date du 5 décembre 2016 (pièce n° 5). Or, la défenderesse ne produit aucune pièce postérieure à cette date et antérieure à l'assignation délivrée le 15 septembre 2017 permettant d'établir qu'elle a fait valoir auprès de son cocontractant une exception d'inexécution. Ainsi, la défenderesse ne présente aucun moyen efficace susceptible d'écarter le caractère non sérieusement contestable de son obligation. En conséquence, il sera fait droit à la demande de provision de la société Au Forages » ;
1°/ ALORS QUE le juge des référés ne peut accorder une provision au créancier que dans les cas où l'obligation n'est pas sérieusement contestable ; qu'il doit pour cela apprécier l'existence d'une contestation sérieuse s'opposant à l'octroi d'une provision au jour où il statue ; qu'en conséquence, il ne peut se borner à constater, pour décider que l'obligation n'est pas sérieusement contestable, que le débiteur n'a pas contesté la facture au moment où le paiement de celle-ci lui a été réclamé, et doit aussi rechercher si le débiteur a élevé en référé une contestation sérieuse à l'encontre de l'obligation lui étant imputée ; qu'il lui appartient donc, nonobstant le fait que la partie assignée en paiement d'une provision n'ait pas émis de contestation à réception de la facture dont le paiement lui est réclamé, d'examiner si cette partie fait valoir devant lui, au jour où il statue, des moyens de nature à étayer une contestation sérieuse faisant obstacle à l'octroi d'une provision en référé ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel s'est bornée à constater que les pièces produites aux débats ne permettaient pas d'établir que la société Compagnie Minière Montagne d'Or avait « contesté le paiement des factures litigieuses en invoquant des désordres affectant les travaux réalisés ou autres griefs, pouvant justifier une exception d'inexécution », et encore que la société Au Forages ayant adressé à sa cocontractante deux factures en date du 5 décembre 2016, « la défenderesse ne produit aucune pièce postérieure à cette date et antérieure à l'assignation délivrée le 15 septembre 2017 permettant d'établir qu'elle a fait valoir auprès de son cocontractant une exception d'inexécution » ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant expressément invitée par les conclusions de la société exposante, si les désordres et autres griefs contractuels liés aux travaux réalisés par la société Au Forages, invoqués en référé par la société Compagnie Minière Montagne d'Or, pièces à l'appui, ne pouvaient en eux-mêmes constituer une contestation sérieuse s'opposant au paiement d'une provision, peu important que cette dernière ne les ait pas fait valoir entre la date des factures et la date de l'assignation en référé, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 873, alinéa 2, du Code de procédure civile ;
2°/ ALORS QUE l'existence d'une contestation sérieuse faisant obstacle à l'octroi d'une provision en référé ne peut être subordonnée ni à l'invocation préalable de l'exception d'inexécution par le défendeur, ni à l'existence de manquements contractuels de nature à justifier une exception d'inexécution ; qu'en retenant en l'espèce que la société Compagnie Minière Montagne d'Or ne produisait aucune pièce permettant d'établir « qu'elle a(vait) fait valoir auprès de son cocontractant une exception d'inexécution » entre la date des factures, le 5 décembre 2016, et la date de l'assignation en référé, le 15 septembre 2017, ou encore qu'elle n'établissait pas avoir contesté le paiement des factures qui lui était réclamé en y opposant des désordres « pouvant justifier une exception d'inexécution », la Cour d'appel a statué par des motifs impropres à justifier sa décision et violé l'article 873, alinéa 2, du Code de procédure civile.