LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION LM
ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE
Audience publique du 13 mars 2020
Mme ARENS, première présidente Rejet
Arrêt n° 652 P+B+R+I
Pourvois n° G 19-86.609
E 18-80.162
H 18-80.164
et G 18-80.165 Jonction
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, DU 13 MARS 2020
M. P... R..., domicilié chez Me X... D..., SCP W..., société d'avocats, [...] , a formé les pourvois n° E 18-80.162, H 18-80.164 et G 18-80.165, contre les arrêts de la commission d'instruction de la Cour de justice de la République en date du 21 décembre 2017 qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de complicité et recel d'abus de bien sociaux, en premier lieu a prononcé sa demande d'annulation de pièces de la procédure, en deuxième lieu a déclaré irrecevable sa requête en modification de la composition de ladite commission et a rejeté sa demande en annulation de sa mise en examen, en troisième lieu a rejeté sa requête aux fins de constatation de la prescription de l'action publique, et a formé le pourvoi n° G 19-86.609 contre l'arrêt rendu le 30 septembre 2019 par la commission d'instruction de la Cour de justice de la République qui l'a renvoyé devant la formation de jugement de la Cour de justice de la République.
Les pourvois sont examinés par l'assemblée plénière en application de l'article 24 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République.
M. R... invoque, devant l'assemblée plénière, les moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Ces moyens ont été formulés dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Spinosi et Sureau, avocat de M. R..., le 29 novembre 2019.
Le rapport écrit de M. Guéry, conseiller, et l'avis écrit de M. Desportes, premier avocat général et de M. Salomon, avocat général, ont été mis à la disposition des parties.
Sur le rapport de M. Guéry, conseiller, assisté de Mme N..., auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Spinosi et Sureau, l'avis de M. Desportes, premier avocat général et de M. Salomon, avocat général, auquel Me Spinosi et Me Sureau, invités à le faire, ont répliqué, après débats en l'audience publique du 28 février 2020 où étaient présents Mme Arens, première présidente, Mmes Batut, Mouillard, MM. Chauvin, Soulard, Cathala, présidents, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller faisant fonction de président, Mme Kamara, MM. Huglo, Maunand, Rémery, doyens de chambre, Mmes de La Lance, Martinel, conseillers faisant fonction de doyens de chambre, M. Parneix, Mme Vieillard, M. Pietton, Mmes Daubigney, Poinseaux, conseillers, M. Desportes, premier avocat général, M. Salomon, avocat général, Mme Mégnien, greffier fonctionnel-expert,
la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, composée de la première présidente, des présidents, des doyens de chambre et des conseillers précités, et après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
En raison de leur connexité, les pourvois n° G 19-86.609, E 18-80.162, H 18-80.164 et G 18-80.165 sont joints.
I. Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. En 1994, plusieurs contrats de coopération et d'assistance militaire ont été conclus entre la France et deux Etats, l'Arabie Saoudite d'une part, le Pakistan d'autre part, portant notamment sur le carénage et l'entretien de bâtiments militaires, la fourniture de missiles, la livraison de trois frégates, d'un pétrolier ravitailleur et de trois sous-marins. La conclusion de ces accords a été précédée de contrats de consultance liant la [...] (DCNI) à des intermédiaires chargés de convaincre les autorités étrangères de traiter avec la France. Parallèlement, est venu se greffer un autre réseau, souvent dénommé « réseau K », regroupant trois personnes : M. J..., M. QE... et M. IO... , auquel ont été versées des commissions.
3. Il est apparu que la participation de ces nouveaux intermédiaires pouvait avoir été inutile et n'avoir eu pour finalité que la mise en place de rétro-commissions. Au printemps 1996, les autorités françaises ont donné pour instructions d'interrompre le versement des commissions au « réseau K ».
4. Le 8 mai 2002, à Karachi (Pakistan), une voiture piégée lancée sur un autobus transportant notamment des salariés de la DCNI, travaillant à la construction d'un sous-marin, a explosé, entraînant la mort de quatorze personnes et faisant plusieurs blessés. Une information concernant ces faits a été ouverte le 27 mai 2002 au tribunal de grande instance de Paris. C'est au cours de cette information qu'a été mise en évidence l'existence possible d'infractions à caractère financier, justifiant l'ouverture d'une enquête puis d'une autre information judiciaire.
5. Les sommes versées au « réseau K » ont transité par des circuits financiers opaques et sur des comptes ouverts à Genève, Vaduz ou à Madrid, avant de faire l'objet d'importants retraits en espèces, tandis que, dans le même temps, le compte de l'Association pour le financement de la campagne d'P... R... (AFICEB) était alimenté par des versements de même nature, notamment, le 26 avril 1995, de 10 050 000 francs, somme identique à l'un des retraits précités.
6. Par une ordonnance du 12 juin 2014, les juges d'instruction ont renvoyé plusieurs personnes devant le tribunal correctionnel de Paris. Avant de clôturer leur information, par une ordonnance du 6 février 2014, ils se sont déclarés incompétents pour connaître des faits susceptibles d'être imputés, notamment, à M. R..., ces faits ayant pu avoir été commis par l'intéressé dans l'exercice de ses fonctions de Premier ministre.
7. Le 19 juin 2014, la commission des requêtes de la Cour de justice de la République a émis un avis favorable à la saisine de la commission d'instruction de cette Cour. Le 26 juin 2014, le procureur général près la Cour de cassation a requis cette commission d'informer, notamment contre M. R..., en sa qualité de membre du Gouvernement, Premier ministre, sous les qualifications d'abus de biens sociaux, complicité et recel, détournement de fonds publics, complicité et recel.
8. M. R... a contesté toute illégalité dans le financement de sa campagne électorale.
9. Le 29 mai 2017, M. R... a été mis en examen pour avoir d'une part, concouru au sens de l'article 121-7 du code pénal, à la préparation et à la réalisation des abus de biens ou du crédit des sociétés DCNI et Sofresa, en donnant, alors qu'il avait autorisé l'exportation de matériels de guerre vers le Pakistan et l'Arabie Saoudite, des instructions, comme celle notamment du 1er décembre 1994 tendant à ce que le ministre du Budget, qui s'est exécuté le 19 décembre suivant, consente à ce que l'Etat donne sa garantie à hauteur de 485 millions de francs dans le contrat K..., déficitaire du fait des commissions versées, ou celle ayant conduit à l'arbitrage du 22 octobre 1994 qui a validé, sans que les directeurs du Trésor et du Budget n'aient été consultés, le sous-financement du contrat L... II, le découvert garanti ayant été porté à 1,812 milliard de francs pour trois frégates, d'autre part, bénéficié, au sens de l'article 321-1 du même code, des produits de ces délits.
10. Après cette mise en examen, M. R... s'est pourvu en cassation contre l'arrêt rendu, le 28 septembre 2016, par la commission d'instruction de la Cour de justice de la République, se prononçant sur la prescription de l'action publique. Sa requête en admission immédiate du pourvoi a été acceptée. Par arrêt du 13 octobre 2017, l'assemblée plénière de la Cour de cassation a jugé son pourvoi irrecevable.
11. Entre le 22 septembre et le 28 novembre 2017, les avocats de M. R... ont saisi la commission de l'instruction de la Cour de justice de la République de trois requêtes tendant à ce qu'elle constate la prescription de l'action publique pour les faits déclarés non prescrits par l'arrêt du 28 septembre 2016, et à ce qu'elle prononce l'annulation de diverses pièces, notamment le procès-verbal de mise en examen de M. R....
12. Par trois arrêts du 21 décembre 2017, ladite commission a rejeté ces demandes.
13. M. R... a formé un pourvoi en cassation contre chacune de ces décisions. Le 30 janvier 2018, le premier président de la Cour de cassation a rendu trois ordonnances disant n'y avoir lieu à examen immédiat des pourvois.
14. Par arrêt du 30 septembre 2019, la commission d'instruction de la Cour de justice de la République a ordonné le renvoi de M. R... devant la formation de jugement de cette Cour des chefs de complicité et de recel d'abus de biens sociaux.
II. Examen des moyens
Sur le premier moyen dirigé contre l'arrêt n° 1 rendu le 21 décembre 2017 par la commission d'instruction de la Cour de justice de la République
Enoncé du moyen
15. Le moyen est pris de la violation des articles 68-1 de la Constitution et de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République.
16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête de M. R... aux fins de nullité des actes et pièces de la procédure d'instruction de droit commun alors :
« 1°/ qu'il résulte de l'article 68-1 de la Constitution que l'instruction des crimes et délits susceptibles d'avoir été commis par les membres du Gouvernement dans l'exercice et pendant la durée de leurs fonctions relèvent exclusivement de la Cour de justice de la République ; qu'en écartant le moyen pris de la violation de la compétence exclusive de la Cour de justice de la République lorsqu'elle constatait que l'information conduite par les magistrats instructeurs parisiens portait sur des infractions en lien avec des contrats de vente d'armement, à l'occasion desquels la DCN-I et la Sofresa auraient versé indûment au « réseau » de M. U... J... des commissions susceptibles d'avoir généré des rétro-commissions au profit, notamment de M. R..., dont la campagne électorale de 1995 et les activités politiques auraient pu être, pour partie, financées par ce canal, ce dont il ressortait que les actes d'investigation argués de nullité portaient notamment sur des faits susceptibles d'avoir été commis par un Premier ministre dans l'exercice de ses fonctions, la commission d'instruction a violé le texte susvisé et les dispositions de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République ;
2°/ qu'en affirmant, pour écarter la demande d'annulation des investigations relatives au financement de la campagne présidentielle de M. R..., que les faits poursuivis relevaient d'un « modus operandi » complexe et ramifié justifiant des investigations approfondies de la part des magistrats instructeurs qui avaient le devoir d'instruire sur l'ensemble des faits dont ils étaient saisis et d'en identifier les auteurs, lorsque le juge d'instruction n'a le pouvoir d'instruire que sur les faits relevant de sa compétence, ce qui n'était manifestement pas le cas en l'espèce s'agissant des faits relatifs au financement de la campagne de M. R... dont l'instruction relevait de la compétence exclusive de la Cour de justice de la République en application de l'article 68-1 de la Constitution, la commission d'instruction a violé ce texte et les dispositions de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République ;
3°/ qu'en énonçant, pour refuser d'annuler les investigations relatives au financement de la campagne présidentielle, que dépendait des constatations opérées l'éventualité d'une mise en examen de M. R... et des autres personnes susceptibles d'être poursuivies et, s'agissant de celui-ci, d'une saisine de la Cour de justice de la République, lorsque la saisine de cette Cour n'est pas subordonnée à l'existence d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation d'un membre du Gouvernement à la commission d'infractions, sa commission d'instruction ayant précisément pour objet de procéder aux investigations nécessaires et d'apprécier, le cas échéant, la nécessité d'une mise en examen, la commission d'instruction a violé l'article 68-1 de la Constitution et les dispositions de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République ;
4°/ que la compétence de la Cour de justice de la République est d'ordre public ; que, dès lors, en retenant, pour écarter le moyen pris de la violation de la compétence exclusive de cette Cour, que les magistrats instructeurs se devaient de procéder aux investigations critiquées pour éviter une saisine indue et, dès lors, préjudiciable au requérant, de la Cour de justice de la République, la commission d'instruction s'est fondée sur des motifs inopérants et a privé sa décision de base légale au regard des articles 68-1 de la Constitution et des dispositions de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République ;
5°/ que, en retenant, pour écarter le moyen pris de la violation de la compétence exclusive de cette Cour, que les investigations critiquées étaient nécessaires pour éviter une saisine indue et, dès lors, préjudiciable au requérant, de la Cour de justice de la République, lorsque la saisine de cette Cour n'est pas en elle-même préjudiciable au membre du Gouvernement visé par le réquisitoire, la commission d'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 68-1 de la Constitution et des dispositions de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République ;
6°/ qu'en énonçant, pour rejeter la demande d'annulation des investigations relatives au financement de la campagne présidentielle, que les juges d'instruction ont mis fin à leurs investigations concernant M. R... à partir du moment où ils ont estimé que celui-ci pouvait relever de la Cour de justice de la République, lorsqu'il lui appartenait de contrôler cette appréciation en vérifiant que les actes critiqués, antérieurs à l'ordonnance de soit communiqué aux fins de réquisitions sur la compétence de cette Cour, ne relevaient pas de la compétence de cette juridiction, la commission d'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 68-1 de la Constitution et des dispositions de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République ;
7°/ qu'il résulte de l'article 68-1 de la Constitution que l'instruction des crimes et délits susceptibles d'avoir été commis par les membres du Gouvernement dans l'exercice et pendant la durée de leurs fonctions relèvent de la Cour de justice de la République ; qu'en affirmant, pour écarter partiellement la demande d'annulation des investigations relatives à la situation patrimoniale, aux investissements et aux dépenses de Mme et M. R..., que tout enrichissement ou mouvement financier personnels susceptibles d'être appréhendés sous les qualifications respectives de recel ou de blanchiment échappait à la compétence de cette Cour, lorsque de tels agissements sont susceptibles d'être en rapport direct avec la conduite des affaires de l'Etat relevant des attributions du membre du Gouvernement mis en cause, la commission d'instruction a violé le texte susvisé et les dispositions de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République. »
Réponse de la Cour
17. Pour cantonner l'annulation prononcée aux documents concernant les revenus et les déclarations d'impôts de M. R... antérieurs à 1993, la commission d'instruction, après avoir rappelé les termes de l'article 68-1 de la Constitution et les limites posées par cet article, relève que les faits poursuivis, à les supposer avérés, s'inscrivent dans un mode opératoire complexe et ramifié, justifiant des investigations approfondies de la part des magistrats instructeurs, indispensables pour rechercher si la campagne présidentielle a été alimentée par certains financements occultes ou d'origine suspecte, et tirer les conséquences des vérifications entreprises à l'égard tant de M. R... que des autres personnes susceptibles d'être poursuivies.
18. Les juges ajoutent que les magistrats instructeurs, qui se devaient de procéder à ces investigations pour éviter une saisine indue, préjudiciable au requérant, devaient vérifier, d'une part, si une infraction pouvait être imputée à un ministre du Gouvernement français à l'époque de sa commission, d'autre part, si elle avait pu être commise dans l'exercice de ses fonctions.
19. En se déterminant ainsi, la commission d'instruction a justifié sa décision.
20. En effet, d'une part, selon l'article 68-1 de la Constitution, la compétence de la Cour de justice de la République est limitée aux actes constituant des crimes ou délits qui ont été commis par des ministres dans l'exercice de leurs fonctions et ont un rapport direct avec la conduite des affaires de l'Etat, relevant de leurs attributions.
21. D'autre part, la commission d'instruction ne pouvait déclarer que les magistrats instructeurs parisiens étaient incompétents tant qu'ils n'avaient pas effectué les investigations de nature à leur permettre de vérifier cette compétence, dans le respect des dispositions de l'article 68-1 de la Constitution, avant de se dessaisir de la partie des faits pouvant impliquer M. R..., membre du Gouvernement, que celui-ci aurait accomplis dans l'exercice de ses fonctions.
22. Le moyen doit, en conséquence, être rejeté.
Sur le deuxième moyen dirigé contre l'arrêt n° 2 rendu le 21 décembre 2017 par la commission d'instruction de la Cour de justice de la République
Enoncé du moyen
23. Le moyen est pris de la violation des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, 4, 6 et 11 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993, et 668 du code de procédure pénale.
24. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable la requête en modification de la composition de la commission d'instruction de la Cour de justice de la République alors :
« 1°/ que l'exigence d'impartialité s'impose aux juridictions d'instruction à l'encontre desquelles le grief peut être invoqué indépendamment de la mise en oeuvre des procédures de récusation ou de renvoi ; qu'en l'espèce, M. R... soutenait que, sauf à méconnaître les droits de la défense et le droit au recours effectif, la régularité de sa mise en examen devait être examinée par la commission d'instruction dans une autre composition que celle qui l'avait décidée ; qu'en énonçant, pour déclarer cette demande irrecevable, que celle-ci avait été « formulée hors le cadre des procédures prévues à cet effet, comme la récusation » (arrêt, p. 5), la commission d'instruction a méconnu le principe susvisé et les articles 6, § 1, de la Convention européenne, 4, 6 et 11 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 ;
2°/ que d'autre part, en énonçant, pour déclarer irrecevable la requête en modification de la composition de la commission d'instruction, qu'elle avait été « formulée hors le cadre des procédures prévues à cet effet, comme la récusation » (arrêt, p. 5), lorsque la procédure de récusation n'était pas adaptée à l'objet de la demande formulée tendant au remplacement des trois magistrats composant la commission d'instruction de la Cour de justice de la République qui ne présentaient pas les garanties d'impartialité suffisantes pour apprécier la régularité de la mise en examen qu'ils avaient eux-mêmes prononcée, et qu'aucune disposition de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 ne donne compétence à la chambre criminelle de la Cour de cassation pour examiner une requête visant la Cour de justice de la République (Crim., 24 février 1999, n° 99-81.367), la commission d'instruction a violé les articles 6, § 1, de la Convention européenne, 4, 6 et 11 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 et 668 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'en tout état de cause, en déclarant irrecevable la requête en modification de la composition de la commission d'instruction, aux motifs qu'elle avait été « formulée hors le cadre des procédures prévues à cet effet, comme la récusation » (arrêt, p. 5), la commission d'instruction a fait preuve d'un formalisme excessif ayant conduit à priver de substance le droit d'accès à un tribunal et a ainsi méconnu les exigences de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme ;
4°/ qu'en outre, tout juge dont on peut légitimement craindre un manque d'impartialité doit se déporter ; qu'il résulte des articles 4 et 6 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 que le premier président de la Cour de cassation statue sur la récusation des membres de la commission d'instruction et que le juge récusé est remplacé par son suppléant ; qu'en affirmant, pour déclarer irrecevable la requête en modification de la composition de la commission d'instruction, que cette commission n'avait pas la maîtrise de sa propre composition et que ses membres titulaires ne pouvaient se dessaisir au profit des trois membres suppléants sans commettre un excès de pouvoir, lorsqu'il lui appartenait de saisir le premier président de la Cour de cassation de la contestation qui lui était soumise quant au défaut d'impartialité fonctionnelle de ses membres titulaires, la commission d'instruction a méconnu l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, 4, 6 et 11 de la loi susvisée ;
5°/ qu'au surplus, si l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme n'astreint pas les Etats contractants à créer des cours d'appel ou de cassation, un Etat qui se dote de juridictions de cette nature a l'obligation de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d'elles des garanties fondamentales de cette disposition (CEDH, Q... c. France, 9 janvier 2014, n° 71658/10, § 30) ; que l'article 23 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 offre aux membres du Gouvernement mis en examen et à leurs avocats la possibilité de demander à la commission de statuer sur d'éventuelles nullités d'actes de la procédure ; que, dès lors, en retenant que la commission d'instruction pouvait valablement statuer, dans la même composition, sur la régularité de la mise en examen de M. R... qu'elle avait elle-même prononcée dès lors que sa décision était susceptible de faire l'objet d'un recours effectif de plein contentieux devant l'assemblée plénière de la Cour de cassation, lorsque l'exposant avait droit à une juridiction d'appel répondant à l'exigence d'impartialité, la commission d'instruction a violé l'article 6, § 1, de la Convention ;
6°/ qu'enfin, si l'assemblée plénière de la Cour de cassation n'annule pas l'arrêt attaqué, elle ne pourra être regardée comme ayant réparé le vice résultant du défaut d'impartialité fonctionnelle des membres de la commission d'instruction de la Cour de justice de la République ayant statué sur la régularité de la mise en examen de M. R... qu'ils avaient eux-mêmes prononcée ; que sa décision consommera alors une violation de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
25. Pour déclarer irrecevable la demande formée par M. R... tendant à ce que la requête en nullité de sa mise en examen soit examinée par la commission d'instruction de la Cour de justice de la République, statuant dans une composition différente de celle ayant prononcé cette mise en examen, le 29 mai 2017, la commission retient que la loi organique prévoit une disposition particulière pour la récusation qui n'a pas été mise en oeuvre.
26. Elle ajoute qu'elle n'a pas la maîtrise de sa propre composition, qui est déterminée conformément aux dispositions de l'article 11 de la loi organique du 23 novembre 1993 et dont les membres titulaires ne sauraient se dessaisir au profit des trois membres suppléants sans commettre un excès de pouvoir.
27. Elle énonce enfin, qu'à la supposer recevable, cette demande n'aurait pu prospérer puisque la loi organique a attribué à la commission d'instruction le soin d'instruire et de statuer, sur requête ou même d'office, sur d'éventuelles nullités de sa propre procédure et institué un second degré de juridiction, le pourvoi porté devant l'assemblée plénière de la Cour de cassation, laquelle possède, en matière de nullités, pleine compétence pour statuer en fait et en droit.
28. En se déterminant ainsi, la commission de l'instruction a justifié sa décision.
29. En effet, ne méconnaît pas les garanties de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, l'arrêt de la commission d'instruction de la Cour de justice de la République statuant sur la régularité des actes de l'information qu'elle a conduite, en application de l'article 23 de la loi organique du 23 novembre 1993, dès lors qu'elle se prononce sous le contrôle de l'assemblée plénière de la Cour de cassation ayant, en la matière, pleine compétence pour statuer en fait et en droit.
30. Le moyen doit, en conséquence, être rejeté.
Sur le troisième moyen dirigé contre l'arrêt n° 3 rendu le 21 décembre 2017 par la commission d'instruction de la Cour de justice de la République, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
31. Le troisième moyen, en sa première branche, est pris de la violation de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme.
32. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête aux fins de constatation de la prescription de l'action publique formée par M. R... alors « que l'exigence d'impartialité objective est méconnue lorsque les appréhensions du justiciable sur le défaut d'impartialité d'une juridiction apparaissent comme objectivement justifiées ; que, par un arrêt du 13 octobre 2017, l'assemblée plénière de la Cour de cassation a déclaré irrecevable, faute pour M. R... d'avoir eu la qualité de partie à la date de la décision attaquée, le pourvoi qu'il avait formé à l'encontre de l'arrêt rendu le 28 septembre 2016 par la commission d'instruction de la Cour de justice de la République qui, dans la procédure suivie notamment à son encontre des chefs de complicité et recel d'abus de biens sociaux, avait constaté la prescription partielle de l'action publique ; que le 21 décembre 2017, M. R... a déposé une requête aux fins de constatation de la prescription de l'action publique ; qu'en statuant sur cette requête dans la même composition que celle qui avait rendu l'arrêt du 28 septembre 2016, la commission d'instruction a méconnu le principe d'impartialité tel qu'il est garanti par l'article 6, § 1, de la Convention européenne. »
Réponse de la Cour
33. M. R... ne saurait reprocher à la commission d'instruction de la Cour de justice de la République de s'être prononcée sur sa demande relative à la prescription de l'action publique dans la même composition que celle ayant rendu l'arrêt du 29 septembre 2016, dès lors que, s'il était nommément cité dans les réquisitions du ministère public et si l'arrêt s'est référé, notamment, à une note de ses conseils, la décision intervenue n'a pas été prononcée sur une demande de sa part et n'a pas, à son égard, autorité de chose jugée.
34. En conséquence, le moyen n'est pas fondé.
Sur le troisième moyen dirigé contre l'arrêt n° 3 rendu le 21 décembre 2017 par la commission d'instruction de la Cour de justice de la République, pris en ses troisième, quatrième et cinquième branches, et sur le quatrième moyen dirigé contre l'arrêt du 30 septembre 2019
Enoncé des moyens
35. Le troisième moyen, en ses troisième, quatrième et cinquième branches, est pris de la violation des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, 4, 6 et 11 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993, 668 du code de procédure pénale.
36. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête aux fins de constatation de la prescription de l'action publique formée par M. R... alors :
« 3°/ qu'en outre, l'examen des comptes de campagne d'un candidat à l'élection présidentielle par le Conseil constitutionnel implique le contrôle de l'origine de l'ensemble des recettes perçues en vue de l'élection, de sorte que, sauf hypothèse d'une fraude, il est exclusif d'une dissimulation, en matière de prescription, s'agissant des éventuelles infractions en lien avec l'origine des fonds ; qu'en l'espèce, les recettes de la campagne de M. R... ont été soumises au contrôle du Conseil constitutionnel, et notamment la somme dont il est aujourd'hui allégué qu'elle serait le produit d'un abus de biens sociaux ; que n'ayant pas contesté que cette somme a fait l'objet d'un contrôle de la part du Conseil constitutionnel, la commission d'instruction ne pouvait fixer à une date ultérieure à la décision de cette autorité le point de départ du délai de prescription du délit de recel sans violer les articles 62 de la Constitution, 8 et 9-1 du code de procédure pénale ;
4°/ qu'au surplus, qu'en rejetant la requête aux fins de constatation de la prescription de l'action publique après avoir relevé qu'au cours des années 2011 et 2015, « M. A..., ancien président du Conseil constitutionnel, et M. F..., ancien membre de cette juridiction, ont déclaré dans les médias que les comptes de campagne de M. R... présentaient de graves irrégularités (D 814, D 1609) », ce dont il ressortait que la décision de validation des comptes de campagne était intervenue malgré l'émission de doutes quant à la provenance de la somme de 10 350 000 francs litigieuse et que les irrégularités poursuivies étaient donc connues depuis 1995, la commission d'instruction a violé les articles 8 et 9-1 du code de procédure pénale ;
5°/ qu'en tout état de cause, le délai de prescription de l'action publique de l'infraction dissimulée court à compter du jour où l'infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique ; que tel est nécessairement le cas lorsque l'infraction a été découverte par une autorité publique soumise à une obligation légale de dénonciation des faits au procureur de la République ; qu'en énonçant, pour rejeter la requête aux fins de constatation de l'action publique après avoir pourtant constaté que le Président de la République, le Conseil constitutionnel, le ministre de la Défense et le procureur général près la Cour des comptes ont eu connaissance d'une possible origine illégale des fonds ayant financé la campagne présidentielle de M. R... en 1995, que le point de départ de la prescription n'est pas le moment où ces autorités publiques ont eu connaissance de faits susceptibles de constituer des infractions, mais le moment où ces derniers ont été portés à la connaissance du procureur de la République qui est seul titulaire de l'action publique, la commission d'instruction a violé les articles 8 et 9-1 du code de procédure pénale. »
37. Le quatrième moyen est pris de la violation des articles 8 et 9-1 du code de procédure pénale.
38. Le moyen critique l'arrêt attaqué pour avoir dit non prescrits les faits de complicité et de recel d'abus de biens sociaux reprochés à M. R... et de l'avoir renvoyé de ces chefs devant la formation de jugement de la Cour de justice de la République alors « qu'ainsi que le constate la décision de renvoi attaquée (p. 251), par un arrêt du 21 décembre 2017, la commission d'instruction de la Cour de justice de la République a rejeté la requête aux fins de constatation de la prescription de l'action publique formée par M. R... après avoir fixé le point de départ du délai de prescription des faits poursuivis devant elle au 21 septembre 2006 et relevé qu'à compter de cette date divers actes de poursuite et d'instruction avaient interrompu le délai de prescription ; que la cassation de cet arrêt actuellement frappé de pourvoi (n° G 18-80.165), qui interviendra sur le fondement du troisième moyen de cassation, entraînera, par voie de conséquence, la cassation de l'arrêt de renvoi en ce qu'il a dit non prescrits les faits de complicité et de recel d'abus de biens sociaux reprochés à M. R... et l'a renvoyé de ces chefs devant la formation de jugement de la Cour de justice de la République. »
Réponse de la Cour
39. Les moyens sont réunis.
40. Pour écarter la prescription des infractions de complicité et de recel d'abus de biens sociaux dont elle était saisie, la commission d'instruction retient notamment que l'existence possible de ces infractions a été dissimulée et que le procureur de la République n'en a eu connaissance que le 21 septembre 2006. Elle ajoute que les révélations de membres du Conseil constitutionnel ne sont intervenues que postérieurement à cette date.
41. En se prononçant ainsi, la commission d'instruction a justifié sa décision pour les motifs suivants.
42. En premier lieu, le contrôle par le Conseil constitutionnel des recettes déclarées par le candidat n'exclut pas la dissimulation de leur origine, de sorte que la validation des comptes est, en l'espèce, sans effet sur le point de départ de la prescription de l'action publique.
43. En second lieu, la date de ce point de départ, appréciée par la commission, correspondait à celle à laquelle les infractions dissimulées étaient apparues dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique, les déclarations ultérieures de membres du Conseil constitutionnel étant, à cet égard, sans incidence.
44. Les moyens doivent en conséquence, être écartés.
Sur le troisième moyen de cassation dirigé contre l'arrêt n° 3 rendu le 21 décembre 2017 par la commission d'instruction de la Cour de justice de la République, pris en sa deuxième branche, et sur le cinquième moyen de cassation, dirigé contre l'arrêt du 30 septembre 2019, pris en ses deux premières branches
Enoncé des moyens
45. Le troisième moyen, en sa deuxième branche, est pris de la violation de l'article 62 de la Constitution.
46. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête aux fins de constatation de la prescription de l'action publique formée par M. R... alors « que, en application de l'article 62 de la Constitution, les décisions rendues par le Conseil constitutionnel s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ; qu'en vertu de ce principe d'autorité absolue de chose jugée, la validation des comptes de campagne d'un candidat à l'élection présidentielle par le Conseil constitutionnel fait obstacle à toute forme de répression pénale portant sur l'origine des recettes ayant fait l'objet de ce contrôle ; qu'en ordonnant néanmoins la poursuite de l'instruction relativement au recel d'une somme qui constituait une recette dans les comptes de campagne de l'exposant et qui, après soumission au Conseil constitutionnel, avait fait l'objet d'une décision de validation publiée le 12 octobre 1995, la commission d'instruction a méconnu le principe précité. »
47. Le cinquième moyen, en ses deux premières branches, est pris de la violation des articles 62 de la Constitution, 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962, L. 52-12 du code électoral et 321-1 du code pénal.
48. Le moyen critique l'arrêt attaqué pour avoir écarté l'exception de chose jugée et ordonné le renvoi de M. R... devant la formation de jugement de la Cour de justice de la République des chefs de complicité et recel d'abus des biens ou du crédit des sociétés DCN-l et Sofresa alors :
« 1°/ qu'en application de l'article 62 de la Constitution, les décisions rendues par le Conseil constitutionnel s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ; qu'en vertu de l'autorité de chose jugée ainsi attachée à ses décisions, la validation des comptes de campagne d'un candidat à l'élection présidentielle par le Conseil constitutionnel fait obstacle à ce que la licéité de l'origine de la provenance des recettes ayant fait l'objet de ce contrôle puisse être postérieurement remise en cause ; que, dès lors, en écartant l'exception de chose jugée et en ordonnant le renvoi devant la formation de jugement de la Cour de justice de la République de M. R... notamment du chef de recel d'abus de biens sociaux pour avoir bénéficié d'une somme d'argent de 10 250 000 francs provenant de ces délits pour financer sa campagne électorale de 1995, lorsque le Conseil constitutionnel a validé les comptes de campagne de ce candidat par une décision du 12 octobre 1995, la commission d'instruction a violé l'article susvisé et les principes ci-dessus énoncés ;
2°/ qu'il résulte de l'article 321-1 du code pénal que le recel exige que les biens dont a bénéficié l'intéressé ait une origine délictueuse ou criminelle ; qu'il résulte par ailleurs des articles 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 et L. 52-12 du code électoral que la décision du Conseil constitutionnel concernant la validation des comptes de campagne d'un candidat à l'élection présidentielle intervient après un examen de l'origine des recettes perçues par celui-ci ; qu'en énonçant, pour écarter l'exception de chose jugée et ordonner le renvoi de M. R... du chef de recel d'une somme de 10 250 000 francs constitutive d'une recette dans ses comptes de campagne, que la nature et l'objet des poursuites pénales dont il faisait l'objet étaient différentes des vérifications qui avaient été opérées par le Conseil constitutionnel, lorsqu'il importait peu que la décision par laquelle celui-ci avait validé ses comptes de campagne soit dépourvue de caractère pénal dès lors qu'elle établissait la licéité de l'origine des recettes, circonstance qui faisait obstacle à la caractérisation dudit recel, la commission d'instruction a violé les textes susvisés, l'article 62 de la Constitution et l'article 23 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993. »
Réponse de la Cour
49. Les moyens sont réunis.
50. Pour rejeter l'autorité de la chose jugée attachée à la décision du Conseil constitutionnel publiée le 12 octobre 1995 (Cons. const., 11 octobre 1995, n° 95-91 PDR), ayant validé les comptes de la campagne présidentielle du demandeur, la commission d'instruction retient que l'exception de chose jugée ne peut être valablement invoquée que lorsqu'il existe une identité de cause, d'objet et de parties entre les deux poursuites et que tel n'est pas le cas en l'espèce.
51. Elle souligne que la décision du Conseil constitutionnel concerne la validation de comptes de campagne et donc l'appréciation du caractère complet des justificatifs apportés aux dépenses et recettes constituant ledit compte mais ne revêt pas un caractère pénal, les poursuites entamées en ce domaine contre M. R... ne remettant pas en cause la décision des juges constitutionnels.
52. En se prononçant ainsi, la commission d'instruction a justifié sa décision.
53. En effet, en premier lieu, la validation des comptes de campagne, à la date de la décision rendue par le Conseil constitutionnel, résultait d'un contrôle juridictionnel et l'autorité de la chose jugée de cette décision ne trouvait à s'appliquer qu'au regard des infractions prévues par l'article L. 113-1 du code électoral, sanctionnant l'absence de respect des obligations visées par ce texte et imposées à un candidat.
54. En second lieu, aucune dénonciation relative à l'existence d'infractions n'est intervenue auprès du ministère public à la suite dudit contrôle.
55. Les moyens doivent en conséquence, être écartés.
Sur le cinquième moyen de cassation dirigé contre l'arrêt du 30 septembre 2019, pris en ses autres branches
56. Le moyen, en ses troisième, quatrième, cinquième et sixième branches, est pris de la violation des articles 6, § 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire du code de procédure pénale, 121-4 121-7 et 321-1 du code pénal.
57. Le moyen critique l'arrêt attaqué pour avoir écarté l'exception de chose jugée et ordonné le renvoi de M. R... devant la formation de jugement de la Cour de justice de la République des chefs de complicité et recel d'abus des biens ou du crédit des sociétés DCN-l et Sofresa alors :
« 3°/ qu'en tout état de cause, la complicité requiert l'accomplissement d'un acte positif ; qu'en énonçant, pour ordonner le renvoi de M. R... du chef de complicité d'abus de biens sociaux par fourniture d'instructions, que s'il n'avait pas été à l'initiative de la constitution du « réseau K » il avait été avisé de son existence, qu'il avait « laissé carte blanche à ses proches » et qu'il ne pouvait raisonnablement soutenir n'avoir jamais recherché à savoir comment sa campagne présidentielle serait financée ni n'avoir jamais eu le moindre le moindre questionnement sur l'origine de fonds (arrêt, p. 264), lorsque ces faits, à les supposés avérés, constituent au mieux de simples inactions qui ne peuvent caractériser des instructions au sens de l'article 121-7 du code pénal, la commission d'instruction a violé ce texte ;
4°/ qu'en outre, en application du principe de la présomption d'innocence, la charge de la preuve d'une infraction repose sur l'accusation ; qu'en retenant, pour ordonner le renvoi de M. R... des chefs de complicité et de recel d'abus de biens sociaux, qu'il n'avait jamais soutenu que M. E... avait eu les mains totalement libres au cours des arbitrages litigieux et qu'il avait nécessairement fixé le mandat des membres de son équipe de campagne, présumant ainsi, sans jamais le démontrer, que ceux-ci avaient agi sur instructions de M. R..., la commission d'instruction a méconnu le principe susvisé et violé les articles 6, § 2, de la Convention européenne et préliminaire du code de procédure pénale ;
5°/ qu'au surplus, nul n'est pénalement responsable que de son fait personnel ; qu'en énonçant, pour renvoyer M. R... devant la formation de jugement de la Cour de justice de la République des chefs de complicité et recel d'abus de biens sociaux, que les charges suffisantes à son encontre d'avoir commis les faits poursuivis découlaient de ce qu'il n'avait jamais soutenu que M. E... avait eu les mains totalement libres lors des arbitrages litigieux ainsi que des actes d'une équipe de campagne dont il avait choisi les membres et nécessairement fixé le mandat, la commission d'instruction, qui n'a pas caractérisé la participation personnelle de M. R... auxdits faits, a méconnu le principe susvisé et les articles 121-1 et 121-4 du code pénal ;
6°/ qu'enfin, la complicité par instructions n'est punissable que si les instructions ont été données en vue de commettre l'infraction principale ; que le mémoire régulièrement déposé soutenait que le sous financement de contrats d'armement et le versement de commissions élevées à des intermédiaires dans le cadre de leur exécution correspondait à une pratique qui n'était ni illégale ni anormale ; qu'en ordonnant le renvoi de M. R... du chef de complicité de ces délits, sans expliquer comment, dans ces conditions, il aurait pu avoir connaissance de ce que les arbitrages litigieux conduiraient au versement de rétro-commissions constitutives d'abus de biens sociaux au préjudice des sociétés DCN-I et Sofresa, la commission d'instruction a violé l'article 121-7 du code pénal. »
Réponse de la Cour
58. Pour dire qu'il existe des charges suffisantes pour renvoyer M. R... devant la formation de jugement de la Cour de justice de la République des chefs de complicité et de recel d'abus de biens sociaux, la commission d'instruction relève, notamment, l'existence d'instructions, qui n'avaient aucunement la nécessité d'être écrites, laissées en particulier à M. E..., s'agissant des arbitrages rendus au bénéfice des membres du « réseau K » et approuvés par I....
59. Elle énonce que M. R... a été avisé par M. H... de l'existence de ce réseau, a laissé carte blanche à ses proches et ne peut soutenir n'avoir jamais cherché à savoir comment sa campagne serait financée, se sachant de surcroît en délicatesse avec son parti, le Rassemblement pour la République (RPR), dont M. Chirac était également le candidat.
60. Elle cite les nombreux témoignages dénonçant le caractère inutile du « réseau K » et retient que les versements des commissions, qui ont emprunté un circuit opaque utilisant des sociétés écrans, ont été anticipés au seul profit de ce réseau.
61. S'agissant du délit de recel d'abus de biens sociaux, les juges ajoutent que, le 21 avril 1995, trois versements en espèces ont été faits sur le compte de l'AFICEB, dont deux de 500 000 francs chacun, pour un montant total de 1 595 340 francs et que, le 26 avril 1995, deux versements ont été faits, l'un de 10 050 000 francs, l'autre de 200 000 francs, soit un total de 10 250 000 francs. Ils retiennent qu'il est démontré que, dans le même temps, des retraits ont été réalisés, sur les comptes suisses de MM. QE... et VV... pour 2 010 000 francs le 6 avril 1995, et 10 050 000 francs le 7 avril 1995, l'un des retraits étant exactement identique au versement réalisé le 26 avril sur le compte de l'AFICEB.
62. La commission ajoute que M. R... ne peut pas raisonnablement soutenir n'avoir jamais eu le moindre questionnement sur l'origine de fonds, spécialement en espèces, venus opportunément équilibrer ses comptes, dans des conditions ayant immédiatement attiré l'attention des rapporteurs du Conseil constitutionnel chargés d'en vérifier la régularité, le lien entre le versement de la somme de 10 250 000 francs et l'abondement des comptes de campagne étant évident, par le rapprochement entre les dates, le montant, l'origine suisse de cette somme et l'absence d'explication cohérente d'une autre origine.
63. En l'état de ces énonciations, procédant de l'appréciation souveraine des faits par la commission, l'arrêt n'encourt pas la censure.
64. En effet, la Cour de cassation, à qui il n'appartient pas d'apprécier la valeur des charges dont la commission a retenu l'existence à l'encontre de la personne mise en examen, n'a d'autre pouvoir que de vérifier si la qualification qui leur a été donnée par l'arrêt attaqué justifie la saisine de la Cour de justice de la République.
65. Le moyen doit en conséquence être écarté.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé le treize mars deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour M. R...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
(sur le pourvoi n° E1880162)
Il est reproché à la décision attaquée d'avoir rejeté la requête de M. R... aux fins de nullité des actes et pièces de la procédure d'instruction de droit commun ;
Aux motifs qu'« il résulte de l'article 68-1 de la Constitution que l'instruction et le jugement des crimes et délits susceptibles d'avoir été commis par les membres du Gouvernement dans l'exercice et pendant la durée de leurs fonctions relève exclusivement de la Cour de justice de la République ; qu'il s'agit là d'une attribution de compétence d'ordre public, mais de droit étroit en ce qu'elle s'applique à la seule personne exerçant des fonctions ministérielles, dont, en outre, elle n'appréhende pas l'ensemble des actes ;
Attendu qu'ainsi, échappent aux prévisions de la loi :
- les auteurs ou complices des mêmes infractions ou d'infractions connexes ;
- les infractions, soit détachables des fonctions ministérielles, soit perpétrées avant que celles-ci aient commencé ou après qu'elles ont pris fin ;
Attendu que, comme on l'a vu plus haut (1-1), les magistrats instructeurs parisiens ont été saisis, contre personne non dénommée – à l'exception du réquisitoire du 5 avril 2012 pris à l'encontre de M. U... J..., mais visant également « tous autres » - et pour la période de 1993 à 2012, sous les qualifications, notamment, d'abus de biens sociaux, complicité et recel, recel et blanchiment aggravés, des infractions en lien avec les contrats de vente d'armement S..., [...] , SLBS, SHOLA et ROH signés en 1994, à l'occasion desquels la DCN-I et la Sofresa auraient versé indûment au « réseau » de M. U... J... des commissions susceptibles d'avoir généré des rétro-commissions au profit, notamment, de M. R..., dont la campagne électorale de 1995 et les activités politiques auraient pu être, pour partie, financées par ce canal ;
Attendu que M. R... a :
- exercé les fonctions de Premier ministre à partir du 29 mars 1993, ses directeurs de cabinet ayant été successivement M. B... E... jusqu'en janvier 1995 puis M. M... V...,
- le 18 janvier 1995, annoncé sa candidature à l'élection présidentielle dont le premier tour a eu lieu le 23 avril 1995,
- le 23 janvier 1995, créé, pour financer sa campagne dont M. B... E... s'est vu confier la direction, l'AFICEB,
- le 11 mai 1995, démissionné de ses fonctions de Premier ministre,
- le 23 mai 1995, créé l'Association pour la réforme (APR) dont le président a été, jusqu'en septembre 2003, M. B... E..., et dont les comptes des exercices 2005 et 2006 ont fait l'objet de réserves de la part des commissaires aux comptes qui les ont certifiés et de la CNCCFP ;
Attendu que seront examinés successivement, au regard du principe et des faits ci-dessus rappelés, les trois catégories d'actes dont le requérant sollicite l'annulation au motif que les juges d'instruction n'auraient pas été compétents pour y procéder ;
3-1-1 -Les investigations relatives au financement de la campagne présidentielle de M. R...
Attendu que sont visées par la requête les investigations sur les meetings (D2096), les comptes de campagne déposés au Conseil constitutionnel et la comptabilité de l'AFICEB (D145, 618, 627, 635, 642, 750, 1591 et 1611), liste à laquelle il convient, comme le suggère le ministère public, d'ajouter les cotes 0384 (scellés AFICEB), D474 (Conseil constitutionnel), D619 à 621 et 749 (archives de Fontainebleau - comptes de campagne) et D3255 (audition portant notamment sur l'AFICEB) ;
Attendu que tout juge d'instruction a le devoir d'instruire sur l'ensemble des faits dont il est saisi et d'en rechercher les auteurs ;
Attendu qu'en l'espèce, les faits poursuivis, à les supposer avérés, relèvent d'un "modus operandi" complexe et ramifié, se déclinant en diverses phases, se déployant en de multiples endroits et mettant en cause une pluralité de personnes ; que les modalités de financement de la campagne présidentielle du requérant, susceptibles de constituer, au moins pour partie, l'aboutissement et, dès lors, l'une des pièces maîtresses d'un processus frauduleux composé d'agissements successifs directement rattachés entre eux (Cass. Crim., 11 octobre 2017, n° 17-80.258), justifiaient des investigations approfondies de la part des magistrats instructeurs ;
Attendu que ces investigations étaient indispensables d'un double point de vue : d'une part, rechercher si la campagne présidentielle avait été alimentée par certains financements occultes ou d'origine suspecte, d'autre part, tirer les conséquences des vérifications entreprises à l'égard, tant de M. R... que des autres personnes susceptibles d'être poursuivies ;
Attendu que dépendait des constatations opérées l'éventualité d'une mise en examen de ces personnes et, s'agissant du requérant, d'une saisine, contre personne dénommée, de la Cour de justice de la République ; qu'il résulte en effet de l'arrêt rendu le 26 juin 1995 par la Cour de cassation (Bulletin criminel, n° 235) « qu'il appartient à tout juge d'apprécier sa propre compétence et qu'aucune dérogation n'est apportée à ce principe, ni par l'article 68-1 de la Constitution, ni par la loi organique du 23 novembre 1993 » ; qu'en conséquence, les magistrats instructeurs étaient, non seulement fondés à procéder aux investigations critiquées, mais se devaient de le faire ne serait-ce, comme l'observe le ministère public, que pour éviter une saisine indue et, dès lors, préjudiciable au requérant, de la Cour de justice de la République ;
Attendu que sont juridiquement inopérants les arguments pris tant de la jurisprudence -obsolète- sur les "privilèges de juridiction", système procédural radicalement différent abrogé par la loi du 4 janvier 1993, que des allégations des parties civiles dans une plainte n'ayant reflété que l'opinion de ses auteurs ; que si les médias, se faisant l'écho de cette plainte, ont alors présenté M. R... « comme le personnage central du volet financier de l'affaire Karachi », il demeure qu'une saisine prématurée - et nécessairement nominative - de la Cour de justice de la République aurait été d'autant plus dommageable qu'elle aurait pu être regardée comme une confirmation de la campagne dont le requérant était l'objet ;
Attendu que les actes sur lesquels porte la requête en nullité sont, au demeurant, tous antérieurs à l'ordonnance de soit communiqué prise le 6 décembre 2013 aux fins de réquisitions sur la compétence de la Cour de justice de la République ; qu'ainsi, les juges d'instruction ont mis fin à leurs investigations concernant M. R... à partir du moment où ils ont estimé que celui-ci pouvait relever de cette juridiction ;
Attendu que la demande d'annulation des pièces relatives au financement de la campagne de M. R... sera donc rejetée ;
3-1-2 -Les investigations relatives à la situation patrimoniale, aux investissements et aux dépenses de M. et Mme R...
Attendu que sont visées par la requête les investigations sur le patrimoine des époux (D2200), sur la villa de Deauville, la propriété de Tourgeville et le chalet de Mérande à Chamonix (D1411, 1498, 2222 à 2229, 2332, 3257 et 3265), les pièces du sous-dossier intitulé "R..." (D2198 à 2229) ou celles relatives au paiement du personnel de maison (D2224, 3263 et 3266), liste à laquelle il convient d'ajouter les cotes D1408 et 1409 (acquisition de la propriété de Tourgeville), 3256 (contrat conclu en 1982 avec "Le conservateur"), 3257 (prêts souscrits pour les acquisitions des villas de Deauville et de Tourgeville, relevés de comptes bancaires 1996-1998), 3258 (investigation sur le prêt souscrit pour l'acquisition du chalet de Mérande), 3259 (transferts à l'étranger du 3 janvier 1996 au 6 février 1997), 3260 à 3262 (déclarations de travaux sur les villas et chalet), 3264 et 3267 (rémunération de deux employées de maison) et les scellés, constitués à partir du dossier fiscal, "BALL/DGFIP/UN" à " [...]/DGFIP /S1X" ;
Attendu, d'une part, qu'il résulte de l'arrêt précité de la Cour de cassation du 26 juin 1995 et de ceux des 16 février et 13 décembre 2000 (Bulletin criminel, n° 72 et n° 375) que les actes accomplis par un membre du Gouvernement dans l'exercice de ses fonctions, au sens de l'article 68-1 de la Constitution, sont "ceux qui ont un rapport direct avec la conduite des affaires de l'Etat relevant de ses attributions, à l'exclusion des comportements concernant la vie privée ou les mandats électifs locaux", ce qui a conduit à éliminer tous les agissements n'ayant "aucun lien direct avec la détermination de la conduite des affaires de l'Etat" ;
Attendu, d'autre part, que les magistrats instructeurs étaient tenus d'informer sur tous les faits dont ils étaient saisis pour la période de 1993 à 2012 (cf. 1-1 ci-dessus) :
Attendu qu'en l'espèce, échappaient donc à la compétence de la Cour de justice de la République :
- par nature, tout enrichissement ou mouvement financier personnels susceptibles d'être appréhendés sous les qualifications respectives de recel ou de blanchiment et, de manière plus générale, tout autre agissement répréhensible détachable de l'exercice des fonctions au sens de l'article 68-1 de la Constitution ;
- tout comportement sanctionné pénalement, quel qu'il soit, susceptible d'être intervenu entre le 11 mai 1995, date de la démission de M. R..., et 2012 ;
Attendu que c'est au regard de ces seuls éléments objectifs qu'il convient d'examiner les investigations faites sur le patrimoine, les investissements et les dépenses personnels des époux R..., les considérations sur ce qui a pu être ou non "envisagé" par les juges d'instruction étant inopérantes du point de vue de la validité de ces actes ;
Attendu qu'il résulte de l'examen de chacune des pièces en cause que les recherches critiquées ont été entreprises sur les biens immobiliers de la famille, sur les valeurs mobilières détenues, enfin, sur les modalités de paiement du personnel de maison ;
3-1-2-1 Les biens immobiliers
Attendu que la famille est -ou a été- propriétaire d'un appartement à Paris, d'une villa à Deauville, acquise en 1978 et revendue en 1998, enfin, du chalet de Mérande à Chamonix et d'une propriété à Tourgeville acquis, respectivement, en 1989 et en 1996 ;
Attendu que les investigations sur le remboursement, intervenu le 5 décembre 1997, du prêt souscrit pour l'achat de la villa de Deauville, sur les conditions d'acquisition, par Mme R..., de la propriété de Tourgeville, ainsi que sur les travaux ayant pu être effectués à Deauville, sur ceux effectivement réalisés à Chamonix en août 1995 et au domicile parisien des époux en 1998 et 2009 sont justifiées en ce qu'elles portent sur des versements opérés durant la période entrant dans la saisine des magistrats instructeurs ; qu'au demeurant, le 9 novembre 2011, M. et Mme R... avaient pris l'initiative d'adresser aux juges d'instruction une lettre précisant les modalités de financement de la propriété de Tourgeville, notamment au regard de la valorisation de leur portefeuille de valeurs mobilières aux 1er janvier 1994, 1995 et 1996 (D1498), lettre dont l'annulation est maintenant sollicitée ;
Attendu, en revanche, que la demande de communication, adressée le 7 mai 2012 à la SNP, "du prêt octroyé par l'UCB (...) en 1989 pour l'acquisition d'un bien immobilier à Chamonix, le chalet de Mérande" (D2227), visant une période antérieure aux faits poursuivis, encourt l'annulation, de même que la réponse, au demeurant négative, de l'établissement bancaire du 25 mai 2012 (03258) ; que devront également être annulés, pour concerner une période non visée à la prévention, les feuillets 6 à 31 du scellé "BALL/DGFIP/UN", le scellé "BALUOGFIP/DEUX", relatifs notamment à l'acquisition de la villa de Deauville, les déclarations d'ISF antérieures à 1993 figurant dans le scellé" BALL/DGFIP/CINQ" et les feuillets 10, 26, 33 - ce dernier détaillant le financement du chalet de Chamonix - du scellé "BALL/DGFIP/SIX" ; que les constatations des 23 novembre 2011 et 26 mai 2012 sur la partie annulée de ces scellés, constitués lors de la consultation du dossier fiscal, devront être cancellées (D2207 et 2221) ;
3-1-2-2 Les valeurs mobilières
Attendu que les investigations sur les ressources du requérant, les comptes bancaires, les placements et les mouvements financiers n'encourent pas l'annulation, pour avoir porté sur les années 1993 à 1998 ;
Attendu qu'en revanche, devront être annulés, dans le scellé "BALL/DGFIP/TROIS" les documents concernant les revenus et les déclarations d'impôts du requérant pour la période antérieure à 1993, les constatations du 26 mai 2012 sur la partie annulée de ce scellé devant, quant à elles, être cancellées (D2207 et 2221) ;
3-1-2-3 Les modalités de paiement du personnel de maison
Attendu qu'il a été procédé à la recherche et à l'audition de certaines employées de maison qui ont notamment indiqué le montant et les modalités de paiement de leur salaire ; que les fiches de paye de deux d'entre elles, salariées, l'une de 1996 à 1997 à Tourgeville, l'autre en 1997 et 1998 à Paris au profit d'un fils des époux R..., toutes deux payées en espèces par ces derniers, ont été découvertes au siège de l'APR (D2224 et 3266) ; qu'à l'évidence, ces investigations relevaient de la compétence des juges d'instruction ; qu'aucune nullité n'est donc encourue de ce chef ; »
Alors que premièrement, il résulte de l'article 68-1 de la Constitution que l'instruction des crimes et délits susceptibles d'avoir été commis par les membres du Gouvernement dans l'exercice et pendant la durée de leurs fonctions relèvent exclusivement de la Cour de justice de la République ; qu'en écartant le moyen pris de la violation de la compétence exclusive de la Cour de justice de la République lorsqu'elle constatait que l'information conduite par les magistrats instructeurs parisiens portait sur des infractions en lien avec des contrats de vente d'armement, à l'occasion desquels la DCN-I et la Sofresa auraient versé indûment au « réseau » de M. U... J... des commissions susceptibles d'avoir généré des rétro-commissions au profit, notamment de M. R..., dont la campagne électorale de 1995 et les activités politiques auraient pu être, pour partie, financées par ce canal (arrêt, pp. 6 et 7), ce dont il ressortait que les actes d'investigation argués de nullité portaient notamment sur des faits susceptibles d'avoir été commis par un premier ministre dans l'exercice de ses fonctions, la commission d'instruction a violé le texte susvisé et les dispositions de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République ;
Alors que deuxièmement, en affirmant, pour écarter la demande d'annulation des investigations relatives au financement de la campagne présidentielle de M. R..., que les faits poursuivis relevaient d'un « modus operandi » complexe et ramifié justifiant des investigations approfondies de la part des magistrats instructeurs qui avaient le devoir d'instruire sur l'ensemble des faits dont ils étaient saisis et d'en identifier les auteurs, lorsque le juge d'instruction n'a le pouvoir d'instruire que sur les faits relevant de sa compétence, ce qui n'était manifestement pas le cas en l'espèce s'agissant des faits relatifs au financement de la campagne de M. R... dont l'instruction relevait de la compétence exclusive de la Cour de justice de la République en application de l'article 68-1 de la Constitution, la commission d'instruction a violé ce texte et les dispositions de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République ;
Alors que troisièmement, en énonçant, pour refuser d'annuler les investigations relatives au financement de la campagne présidentielle, que dépendait des constatations opérées l'éventualité d'une mise en examen de M. R... et des autres personnes susceptibles d'être poursuivies et, s'agissant de celui-ci, d'une saisine de la Cour de justice de la République, lorsque la saisine de cette Cour n'est pas subordonnée à l'existence d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation d'un membre du Gouvernement à la commission d'infractions, sa commission d'instruction ayant précisément pour objet de procéder aux investigations nécessaires et d'apprécier, le cas échéant, la nécessité d'une mise en examen, la commission d'instruction a violé l'article 68-1 de la Constitution et les dispositions de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République ;
Alors que quatrièmement, la compétence de la Cour de justice de la République est d'ordre public ; que, dès lors, en retenant, pour écarter le moyen pris de la violation de la compétence exclusive de cette Cour, que les magistrats instructeurs se devaient de procéder aux investigations critiquées pour éviter une saisine indue et, dès lors, préjudiciable au requérant, de la Cour de justice de la République, la commission d'instruction s'est fondée sur des motifs inopérants et a privé sa décision de base légale au regard des articles 68-1 de la Constitution et des dispositions de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République ;
Alors que cinquièmement, en retenant, pour écarter le moyen pris de la violation de la compétence exclusive de cette Cour, que les investigations critiquées étaient nécessaires pour éviter une saisine indue et, dès lors, préjudiciable au requérant, de la Cour de justice de la République, lorsque la saisine de cette Cour n'est pas en elle-même préjudiciable au membre du Gouvernement visé par le réquisitoire, la commission d'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 68-1 de la Constitution et des dispositions de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République ;
Alors que sixièmement, en énonçant, pour rejeter la demande d'annulation des investigations relatives au financement de la campagne présidentielle, que les juges d'instruction ont mis fin à leurs investigations concernant M. R... à partir du moment où ils ont estimé que celui-ci pouvait relever de la Cour de justice de la République, lorsqu'il lui appartenait de contrôler cette appréciation en vérifiant que les actes critiqués, antérieurs à l'ordonnance de soit-communiqué aux fins de réquisitions sur la compétence de cette Cour, ne relevaient pas de la compétence de cette juridiction, la commission d'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 68-1 de la Constitution et des dispositions de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République ;
Alors que septièmement, il résulte de l'article 68-1 de la Constitution que l'instruction des crimes et délits susceptibles d'avoir été commis par les membres du Gouvernement dans l'exercice et pendant la durée de leurs fonctions relèvent de la Cour de justice de la République ; qu'en affirmant, pour écarter partiellement la demande d'annulation des investigations relatives à la situation patrimoniale, aux investissements et aux dépenses de Mme et M. R..., que tout enrichissement ou mouvement financier personnels susceptibles d'être appréhendés sous les qualifications respectives de recel ou de blanchiment échappait à la compétence de cette Cour, lorsque de tels agissements sont susceptibles d'être en rapport direct avec la conduite des affaires de l'Etat relevant des attributions du membre du Gouvernement mis en cause, la commission d'instruction a violé le texte susvisé et les dispositions de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
(sur le pourvoi n° H 1880164)
Il est reproché à la décision attaquée d'avoir déclaré irrecevable la requête en modification de la composition de la commission d'instruction de la Cour de justice de la République ;
Aux motifs que « selon M. R..., sa requête en annulation de la mise en examen intervenue le 29 mai 2017 devant la présente commission d'instruction ne pourrait être examinée par les mêmes juges, au motif que « c'est un second degré de juridiction qui est demandé », de sorte que la commission devrait être « autrement composée, faute de quoi les exigences liées aux droits de la défense et au droit à un recours effectif ne seraient pas respectées » ;
Attendu qu'une telle demande apparaît irrecevable dès lors qu'elle est formulée hors le cadre des procédures prévues à cet effet, comme la récusation, devant une instance qui n'a pas la maîtrise de sa propre composition, déterminée conformément aux dispositions de l'article 11 de la loi organique du 23 novembre 1993, et dont les membres titulaires ne sauraient se dessaisir au profit des trois membres suppléants sans commettre un excès de pouvoir ;
Attendu, surabondamment, qu'à la supposer recevable, cette demande n'aurait pu prospérer ;
Attendu, en effet, que, d'une part, elle méconnaît les dispositions de la loi organique précitée, déclarée conforme à la Constitution par décision n° 93-327 DC du 19 novembre 1993, qui a :
- attribué à la commission d'instruction le soin d'instruire et de statuer, sur requête ou même d'office, « sur d'éventuelles nullités » (article 23)
de sa propre procédure ;
- institué un second degré de juridiction, le pourvoi porté devant l'assemblée plénière de la Cour de cassation (article 24), dont l'impartialité ne saurait être mise en cause,
- prévu un seul cas où la composition de la chambre d'instruction devrait être modifiée (article 25) : le renvoi, après cassation, « devant celle-ci, composée de membres titulaires ou suppléants autres que ceux qui ont rendu l'arrêt annulé », disposition qui, s'il était fait droit à la demande du requérant, serait rendue inapplicable, ce qui conduirait à un blocage institutionnel ;
Que, d'autre part, en matière de nullités, comme l'a observé dans ses conclusions le premier avocat général de Gouttes (Bulletin d'information, n° 582, 1er août 2003, p. 15), « la Cour de cassation ne se borne pas à exercer un contrôle sur l'arrêt attaqué et sur le respect des formes. Elle a pleine compétence pour examiner toutes les pièces litigieuses de la procédure et elle exerce sur ces pièces un contrôle in concreto portant à la fois sur les éléments de droit et de fait, au même titre que les juges d'appel » ; que tel est le sens de l'arrêt rendu, sur ces conclusions, le 6 juin 2003 par l'assemblée plénière, selon lequel « ne méconnaît pas les garanties de l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme l'arrêt de la Commission d'instruction de la Cour de justice de la République statuant sur la régularité des actes de l'information qu'elle a conduite, en application de l'article 23 de la loi organique du 23 novembre 1993, dès lors qu'elle prononce sous le contrôle de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation ayant, en la matière, pleine compétence pour statuer en fait et en droit » (Gazette du Palais 20 au 22 juin 2004, p. 1940) ;
Attendu qu'ainsi, les arguments du demandeur, s'ils avaient été recevables, auraient été inopérants, toute décision de la chambre d'instruction de la Cour de justice de la République qui a statué, dans la même composition, sur la nullité d'un ou plusieurs des actes qu'elle a effectués étant susceptible de faire l'objet d'un « recours effectif » de plein contentieux, ce qui garantit au mis en examen, outre le respect des droits de la défense, le « droit à un double degré de juridiction » devant un « tribunal impartial » au sens des articles 6-1 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme et 2 du Protocole n° 7, additionnel à cette Convention » ;
Alors que d'une part, l'exigence d'impartialité s'impose aux juridictions d'instruction à l'encontre desquelles le grief peut être invoqué indépendamment de la mise en oeuvre des procédures de récusation ou de renvoi ; qu'en l'espèce, M. R... soutenait que, sauf à méconnaître les droits de la défense et le droit au recours effectif, la régularité de sa mise en examen devait être examinée par la commission d'instruction dans une autre composition que celle qui l'avait décidée ; qu'en énonçant, pour déclarer cette demande irrecevable, que celle-ci avait été « formulée hors le cadre des procédures prévues à cet effet, comme la récusation » (arrêt, p. 5), la commission d'instruction a méconnu le principe susvisé et les articles 6, § 1, de la Convention européenne, 4, 6 et 11 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 ;
Alors que d'autre part, en énonçant, pour déclarer irrecevable la requête en modification de la composition de la commission d'instruction, qu'elle avait été « formulée hors le cadre des procédures prévues à cet effet, comme la récusation » (arrêt, p. 5), lorsque la procédure de récusation n'était pas adaptée à l'objet de la demande formulée tendant au remplacement des trois magistrats composant la commission d'instruction de la Cour de justice de la République qui ne présentaient pas les garanties d'impartialité suffisantes pour apprécier la régularité de la mise en examen qu'ils avaient eux-mêmes prononcée, et qu'aucune disposition de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 ne donne compétence à la chambre criminelle de la Cour de Cassation pour examiner une requête visant la Cour de justice de la République (Crim., 24 février 1999, n° 99-81.367), la commission d'instruction a violé les articles 6, § 1, de la Convention européenne, 4, 6 et 11 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 et 668 du code de procédure pénale ;
Alors qu'en tout état de cause, en déclarant irrecevable la requête en modification de la composition de la commission d'instruction, aux motifs qu'elle avait été « formulée hors le cadre des procédures prévues à cet effet, comme la récusation » (arrêt, p. 5), la commission d'instruction a fait preuve d'un formalisme excessif ayant conduit à priver de substance le droit d'accès à un tribunal et a ainsi méconnu les exigences de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Alors qu'en outre, tout juge dont on peut légitimement craindre un manque d'impartialité doit se déporter ; qu'il résulte des articles 4 et 6 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 que le premier président de la Cour de cassation statue sur la récusation des membres de la commission d'instruction et que le juge récusé est remplacé par son suppléant ; qu'en affirmant, pour déclarer irrecevable la requête en modification de la composition de la commission d'instruction, que cette commission n'avait pas la maîtrise de sa propre composition et que ses membres titulaires ne pouvaient se dessaisir au profit des trois membres suppléants sans commettre un excès de pouvoir, lorsqu'il lui appartenait de saisir le premier président de la Cour de cassation de la contestation qui lui était soumise quant au défaut d'impartialité fonctionnelle de ses membres titulaires, la commission d'instruction a méconnu l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, 4, 6 et 11 de la loi susvisée ;
Alors qu'au surplus, si l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme n'astreint pas les Etats contractants à créer des cours d'appel ou de cassation, un Etat qui se dote de juridictions de cette nature a l'obligation de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d'elles des garanties fondamentales de cette disposition (CEDH, Q... c. France, 9 janvier 2014, n° 71658/10, § 30) ; que l'article 23 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 offre aux membres du Gouvernement mis en examen et à leurs avocats la possibilité de demander à la commission de statuer sur d'éventuelles nullités d'actes de la procédure ; que, dès lors, en retenant que la commission d'instruction pouvait valablement statuer, dans la même composition, sur la régularité de la mise en examen de M. R... qu'elle avait ellemême prononcée dès lors que sa décision était susceptible de faire l'objet d'un recours effectif de plein contentieux devant l'assemblée plénière de la Cour de cassation, lorsque l'exposant avait droit à une juridiction d'appel répondant à l'exigence d'impartialité, la commission d'instruction a violé l'article 6, § 1, de la Convention ;
Alors qu'enfin, si l'assemblée plénière de la Cour de cassation n'annule pas l'arrêt attaqué, elle ne pourra être regardée comme ayant réparé le vice résultant du défaut d'impartialité fonctionnelle des membres de la commission d'instruction de la Cour de justice de la République ayant statué sur la régularité de la mise en examen de M. R... qu'ils avaient eux-mêmes prononcée ; que sa décision consommera alors une violation de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
(sur le pourvoi n° G 18-80.165)
Il est reproché à la décision attaquée d'avoir rejeté la requête aux fins de constatation de la prescription de l'action publique formée par M. R... ;
Aux motifs que « par arrêt du 28 septembre 2016, dont les motifs sont adoptés, la commission d'instruction a considéré que les faits dont elle était saisie n'étaient pas prescrits, à l'exception de ceux concernant un éventuel versement en espèces de 5,5 millions de francs au titre de prestations de sécurité susceptibles d'avoir été effectuées durant la campagne électorale de M. R... ; que pour statuer comme il l'a fait, l'arrêt a retenu qu'en raison du lien de connexité existant entre les infractions objet de l'information n° P06027.9201/2, ouverte le 25 février 2008, celles poursuivies dans le cadre de l'instruction référencée P10167.96027, résultant de la jonction de deux informations ouvertes les 7 septembre et 14 décembre 2010, ainsi que celles objet de la présente procédure, les actes interruptifs de la prescription concernant les premiers délits ont eu le même effet à l'égard des autres ;
Attendu que, pour démontrer que l'action publique est prescrite, les conseils de M. R... soutiennent, premièrement, que les faits reprochés à leur client étaient connus, dès 1995, par le Président de la République, le ministre de la Défense et le Conseil constitutionnel, dès 1999, par le procureur général près la Cour des comptes et, dès 2002, par la société DCN-I qui avait commandé et reçu le rapport T... ; qu'ils en déduisent que la prescription aurait commencé à courir à compter de la connaissance des faits qu'avaient acquise, d'une part, ces autorités publiques, qui étaient tenues de les révéler au ministère public, ou, d'autre part, la société victime des infractions, qui pouvait les dénoncer en portant plainte ; que, deuxièmement, ils font valoir que plusieurs articles de presse, parus entre 1996 et 2002, auraient également fait courir le délai de la prescription en faisant état des faits litigieux ; que, troisièmement, ils soutiennent que les informations contenues dans le rapport T... ne seraient pas plus précises que celles diffusées par la presse et, en tout état de cause, auraient été reprises, courant mai 2002, par certains médias ; que, quatrièmement, ils indiquent que le ministère public avait la possibilité d'agir dès 1998, après que les juges d'instruction chargés de rechercher les circonstances dans lesquelles le Parti républicain avait déposé, courant juin 1996, la somme de 5 millions de francs en espèces dans une banque du Luxembourg, ont entendu des témoins faisant état de rétro-commissions, en faveur de M. R..., provenant du contrat d'armement L... Il (affaire dite du FONDO) ;
Attendu que la requête conteste enfin le lien de connexité retenu par la commission d'instruction dans son précédent arrêt du 28 septembre 2016 sur la prescription ;
3.1 Sur l'information détenue par les autorités publiques
Attendu que le point de départ de la prescription, en matière d'infractions dissimulées, est reporté au jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique ;
Attendu que si le Président de la République, le Conseil constitutionnel, le ministre de la Défense et le procureur général près la Cour des comptes ont eu connaissance d'une possible origine illégale d'une partie des fonds ayant financé la campagne présidentielle de M. R..., force est de constater que ces faits n'ont pas été révélés au procureur de la République ; que, contrairement à ce qui est soutenu dans la requête, le point de départ de la prescription n'est pas le moment où ces autorités publiques ont eu connaissance de faits susceptibles de constituer des infractions, mais le moment où ces derniers ont été portés à la connaissance du procureur de la République ; qu'il résulte, en effet, des articles 31, 40, alinéa 1er, et 41 du code de procédure pénale que ce magistrat est seul titulaire de l'action publique qu'il exerce au nom de la société ;
Attendu que, si l'article 40, alinéa 2, du même code fait obligation à "toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit... d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs", cette obligation, au demeurant dépourvue de sanction, n'a pas pour effet d'investir ces autorités du pouvoir d'exercer l'action publique ; qu'aucun autre texte de loi ne confère un tel pouvoir au Président de République, au ministre de la Défense ou au procureur général près la Cour des comptes ; qu'au demeurant, reconnaître au pouvoir exécutif la possibilité de déclencher l'action publique porterait atteinte au principe de la séparation des pouvoirs ;
Attendu que, comme il a déjà été indiqué dans l'arrêt du 28 septembre 2016, fa décision du Conseil constitutionnel validant les comptes de campagne de M. R..., seul document public émanant de cette juridiction, ne fait état, notamment à propos des recettes déclarées par M. R..., d'aucun fait susceptible de recevoir une qualification pénale (D131) ; que les travaux des rapporteurs du dossier n'ont été connus qu'à partir du moment où ils ont été remis aux juges d'instruction parisiens ; que ce n'est qu'au cours des années 2011 et 2015 que M. A..., ancien président du Conseil constitutionnel, et M. F..., ancien membre de cette juridiction, ont déclaré dans les médias que les comptes de campagne de M. R... présentaient de graves irrégularités (D814, D1609) ;
Attendu que, contrairement à ce qui est soutenu, le rapport établi par M. Y... n'a pas été porté à la connaissance du procureur de la République avant son dépôt dans le cadre de l'information conduite par les juges d'instruction de droit commun ;
Attendu que la prise de connaissance, par les autorités précitées qui n'avaient pas le pouvoir d'exercer l'action publique, de faits qu'aucune d'entre elles n'a dénoncés au procureur de la République, ne peut en conséquence pas avoir eu pour effet de faire courir le délai de prescription ;
3.2 Sur l'absence de plainte de la part de la société DCN-I, victime des infractions poursuivies
Attendu qu'en matière d'abus de biens sociaux, l'action publique peut être mise en mouvement par le ministère public, par la société victime des agissements frauduleux ou, à défaut, par un ou plusieurs associés agissant "ut singuli" ;
Attendu que les faits n'ont jamais été dénoncés au ministère public, comme cela a déjà été rappelé ;
Attendu que la société DCN-I a dissimulé le paiement des commissions en ayant recours à des intermédiaires et à la mise en place d'un double niveau de sociétés écrans situées dans des paradis fiscaux ; que les versements des sommes litigieuses ont été masqués dans la comptabilité sociale sous l'appellation sibylline de "frais techniques" ou "avances sur commissions" ; que ces agissements, quand bien même ils étaient connus de ladite société, dont le capital était détenu, à l'époque, à 99,99 % par l'Etat, n'ont pas été portés à la connaissance du procureur de la République, de sorte que le délai de prescription de l'action publique n'a pas commencé à courir ;
3.3 Sur la parution d'articles de presse
Attendu qu'au soutien de ce moyen, les conseils de M. R... invoquent un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 26 février 2007 ; que c'est plutôt à la conclusion inverse que conduit l'arrêt n° 06-80.200 rendu, en réalité, le 28 février 2007 et constatant que, parmi les abus de biens sociaux poursuivis, il en existait un seul, consistant en un cautionnement donné par la société, qui, dès lors qu'il avait fait "objet d'une publication, n'avait pas été dissimulé, ce qui excluait pour lui un report du point de départ du délai de prescription ; que, de ce point de vue, la parution d'articles de presse ne saurait être assimilée à la publication de l'acte par lequel une société s'est portée caution de l'épouse du dirigeant ;
Attendu que les nouveaux articles versés par M. R... à l'appui de sa requête ne viennent pas modifier l'analyse faite par la commission d'instruction dans son précédent arrêt du 28 septembre 2016 ; qu'il s'agit, dans tous les cas, d'articles de presse peu circonstanciés, souvent rédigés au conditionnel et qui se sont limités à émettre un soupçon ou à envisager une hypothèse ; qu'au regard de la validation des comptes de campagne de M. R... par le Conseil constitutionnel, dans des termes ne laissant supposer l'existence d'aucune infraction pénale, et du silence gardé par les autorités publiques à propos de "enquête à laquelle elles avaient fait procéder, on ne saurait considérer que ces articles de presse aient pu faire courir le délai de prescription de l'action publique pour les délits d'abus de biens sociaux, recel et complicité reprochés à MM. R... et H... ; que, comme l'indique le procureur général près la Cour de justice de la République, "le ministère public ne saurait, par principe, accorder foi à des allégations dont l'inspiration peut avoir de multiples objets, ni ordonner systématiquement des enquêtes sur ces allégations, sous peine de se voir opposer la prescription quand des éléments postérieurs renforçant leur crédit lui seraient parvenus" ;
Attendu, en conséquence, que les informations rapportées par ces articles de presse n'ont pas eu pour effet de faire courir le délai de la prescription ;
3.4 Sur les "révélations" faites au cours de l'instruction de l'affaire dite du FONDO
Attendu, selon la requête, que des investigations menées par les juges d'instruction chargés de rechercher l'origine de la somme de 5 millions de francs déposée en espèces, en juin 1996, par le Parti républicain dans une banque du Luxembourg auraient, dès l'année 1998, fait apparaître l'hypothèse que des rétro-commissions versées à l'occasion du contrat d'armement [...] auraient pu financer la campagne présidentielle de M. R... en 1995 ; qu'il est notamment fait référence à une saisie des cassettes d'enregistrement des deux émissions consacrées à cette affaire par la chaîne Canal plus, aux auditions de MM. J..., E... et C... ; qu'il est soutenu que, dès lors, le ministère public a nécessairement eu connaissance de ces faits et que, faute pour lui d'avoir agi, la prescription était acquise en 2001 ;
Attendu que les auditions de MM. J... et E... ne présentent aucun intérêt au regard de la question de la prescription soulevée ; qu'en effet, si le premier a déclaré avoir assisté, fin 1993, en qualité d'interprète, aux rendez-vous entre, d'une part, M. IO... , d'autre part, M. H... puis M. R..., il a indiqué qu'aucun contrat d'exportation d'armement n'avait été évoqué au cours de ces entretiens (D864/29) ; que l'audition du second a porté exclusivement sur l'utilisation des fonds secrets (D864/33) ;
Attendu que M. C..., réalisateur des deux reportages qui viennent d'être évoqués, a rapporté devant le juge d'instruction qu'une personne, dont il n'a pas voulu donner l'identité, lui avait indiqué que la campagne présidentielle de M. R... avait été financée grâce à des rétro-commissions d'un montant de 95 millions de dollars, tout en précisant que cette personne n'avait pas justifié ces faits autrement qu'en citant le nom de ses différents interlocuteurs de l'époque ; qu'il a terminé sa déposition en indiquant que l'un des intermédiaires du contrat L... Il, M. YM..., serait prêt à s'exprimer sur ces faits (D506) ;
Attendu qu'il ressort de "exploitation par les enquêteurs des deux reportages de M. C... que M. B... E... et son frère, M. DV... E..., étaient respectivement, de 1993 à 1995, directeur de cabinet de M. R... et directeur de cabinet du délégué général pour l'armement ; que M. H..., ministre de la Défense, s'était entouré d'hommes de confiance en la personne de M. QJ... et de M. NS..., ce dernier étant nommé à la tête de la Sofresa, société chargée de verser les commissions dans le cadre des marchés d'armement passés avec l'Arabie Saoudite ; que plusieurs rendez-vous ont eu lieu entre "les homme de M. R...", le cheik IO... , MM. J... et YM... ; qu'une personne se prétendant lésée a déclaré, sous le couvert de l'anonymat, que, sur les 200 millions de dollars de commission payés l'occasion du contrat L... Il, 50 millions avaient été versés au cheik IO... et à des hommes politiques français ; que le second reportage se terminait sur la question de savoir si "une partie de cet argent [était] revenue en France sous forme de rétrocessions illégales pour financer des partis politiques français" (D507) ;
Attendu que le ministère public, qui a accès à toute instruction en cours et qui donne son avis par voie de réquisitions sur l'issue de la procédure après que le dossier lui a été communiqué par le juge d'instruction, a nécessairement eu connaissance des déclarations de M. C... et du procès-verbal d'exploitation des deux reportages ;
Attendu, toutefois, que les informations contenues dans ces deux procès-verbaux sont peu précises et hypothétiques ; que M. YM... n'a pas été entendu par les juges d'instruction en charge de l'affaire dite du Fondo ; qu'il convient de rappeler, encore une fois, qu'au regard de la validation des comptes de campagne de M. R... par le Conseil constitutionnel, le 12 octobre 1995, dans des termes ne laissant supposer l'existence d'aucune infraction pénale, on ne saurait considérer que ces éléments aient pu faire courir le délai de prescription de l'action publique ;
3.5 Sur le rapport T... et la reprise par les médias des informations contenues dans celui-ci
Attendu que la commission d'instruction persiste à considérer que les informations contenues dans le rapport T... sont autrement plus précises par les détails qu'elles contiennent et par la forme rédactionnelle retenue que les articles de presse parus entre 1996 et 2002, lesquels, comme il a déjà été dit, sont, pour le plus grand nombre, rédigés au conditionnel et évoquent le plus souvent des soupçons ou des hypothèses ;
Attendu qu'en effet, l'arrêt du 28 septembre 2016 rappelait qu'au "début de l'année 2006, a été ouverte par le procureur de la République de Paris, sous la référence P 06027.9201/2, une enquête au cours de laquelle, le 21 septembre 2006, ont été saisies dans les locaux de la division nationale de vérification des situations fiscales, qui avait engagé une procédure de redressement à propos des commissions versées dans le contrat K..., estimées excessives au regard du montant de la vente, les pièces d'un dossier intitulé "T...", dont deux notes, élaborées en exécution de la mission éponyme, datées respectivement des 11 septembre et 7 novembre 2002 (D326) ; que la première note mentionne en introduction : "Après de nombreux contacts, tant en Europe qu'au Pakistan, nous parvenons à la conclusion que l'attentat de Karachi du 8 mai 2002 a été réalisé grâce à des complicités au sein de l'armée et au sein des bureaux de soutien aux guérillas islamises de l'ISI. Les personnalités militaires ayant instrumentalisé le groupe islamiste qui a mené à bien l'action poursuivaient un but financier. Il s'agissait d'obtenir le versement de commissions non honorées, et promises par le réseau [...] lors de la signature du contrat de septembre 1994. L'annulation de ces commissions avait été décrétée en 1995, à la suite de l'alternance politique en France, et visait à assécher les réseaux de financement occultes de l'Association pour la Réforme d'P... R.... Le financement singulier de l'acquisition de ces sous-marins par le Pakistan, grâce à un portage ordonné par la famille royale saoudienne, a longtemps laissé supposer un arrangement amiable sur le non-paiement de ces commissions. Les liens entre le président français et les dirigeants saoudiens le permettaient théoriquement. Cependant, la décision du 12 janvier 2002 du président IF... MS... de stopper le financement des guérillas islamistes au Pakistan a rompu cet équilibre, localement, conduisant plusieurs chefs militaires à choisir un mode d'opposition fondée sur la violence politique." ; après avoir fait état (1) des "intermédiaires opérationnels" dans le contrat de vente des sous-marins à l'Etat pakistanais, elle comporte un développement (2) consacré aux "systèmes de rétribution occultes mis en oeuvre et leurs évolutions", selon lequel : "Au Pakistan, JB... QE... a planifié l'enrichissement du clan Bhutto, au terme d'un accord entre les époux. JB... QE... a acheté à son tour l'aval du chef d'état major de la marine, YH... LS..., comme l'ont montré les récentes investigations lancées contre lui à Islamabad (interpellé en 1997 aux Etats-Unis puis extradé vers le Pakistan). Cependant, il ne s'agissait pas d'un simple acte d'enrichissement personnel. Le général LS... se servait de ce type de contrat d'armement pour dégager des crédits afin de financer les guérillas islamistes du Cachemire et de la Zone Tribale, comme l'ont fait la plupart des officiers supérieurs intervenant sur les achats de matériels (ces informations nous ont été confirmées par plusieurs enquêteurs des Nations Unies travaillant au Pakistan et en Afghanistan). Le général LS..., a, en particulier, utilisé ce contrat pour libérer des fonds pour le bureau des affaires afghanes de l'ISI que dirigeait le général OY... FW.... Ce bureau a été en particulier à l'origine du recrutement à Londres, par le poste de l'ambassade, du chef islamiste WG... XJ... DG... (information confirmée par un cadre du Foreign Office qui cite un rapport du MI6). Ce leader religieux est considéré comme un défenseur de la cause islamiste à la solde des militaires et de l'ISI, trahi par la décision de IF... MS... du 12 janvier 2002 qui stoppe le financement et l'appui des mouvements radicaux. L'attentat de Karachi a été perpétré deux jours avant l'ouverture du procès d'XJ... DG.... En France, le réseau [...] a eu pour principale fonction d'assurer le financement de la campagne d'P... R... (c'est VU... QJ... qui a présenté JB... QE... à QM... XO...). Après l'échec de sa candidature, au printemps 1995, ce financement devait être transféré à l'Association pour la réforme, située [...] , destinée à poursuivre le mouvement initié par les balladuriens. Les valises d'argent étaient déposées à la boutique Arij, située au rez-de-chaussée du [...] , avant de monter dans les étages (boutique tenue par la veuve de FA... CV..., marchant d'armes libanais). En septembre 1995, le président de la République a ordonné de cesser toute rémunération du réseau [...]. RJ... PV..., ministre de la Défense, conserve trace d'une visite de l'homme d'affaires proche de l'Elysée, M... OL..., venu pour régler la succession du réseau EI-QE... (M... OL..., cf. affaire de la BRGM. JX... OL... : l'un des leaders sur le marché des accordéons basé à Tulle ; important contributeur des campagnes politiques en Corrèze dans les années 70 et 80). La prise en main par M... OL... a été effective courant 1996, et a abouti à cesser les versements aux balladuriens et aux islamistes de l'ISI. Ce revirement a eu pour conséquence, à plusieurs reprises, l'envoi de messages menaçants à des fonctionnaires français, et émanant de ressortissants libanais" ; dans la troisième partie intitulée "éléments d'analyse sur l'attentat du 8 mai 2002", il est notamment indiqué : "L'attentat lui-même se distingue des autres actions - plus artisanales - entreprises contre des ressortissants occidentaux, notamment dans des lieux de culte. En effet, la déflagration du bus conduisant les agents de la DCN est le résultat d'une planification militaire. Nous avons pu confirmer, par des sources judiciaires et diplomatiques locales, que les dégâts occasionnés résultent du placement d'une mine magnétique sur le bus, à l'endroit précis où la camionnette contenant des explosifs s'est collée au bus. Ce modus operandi plaide pour une participation des correspondants du bureau Afghan de l'ISI. Ce dernier, lâché par le pouvoir politique depuis janvier 2002, recherche ses propres modes de financement et a entrepris de reprendre les "dossiers impayés"" ; que la note du 7 novembre 2002 fait état de ce que "les éléments collectés sur les principaux protagonistes de la vente des sous-marins S... confirment l'analyse produite le 11 septembre 2002" et ajoute : « L'un des principaux intermédiaires pour la France, JB... QE..., était en relations avec des réseaux criminels. Les services de sécurité français le savaient depuis le courant de l'année 1991. Au Pakistan, la découverte des intermédiaires autrefois employés par YH... LS..., chef d'état-major de la marine, indique l'existence d'un double circuit de financement, en faveur des islamistes et en faveur de la partie française. Nous avons identifié un homme d'affaires dénommé KS... VW..., comme le coordinateur des opérations de rétro-commissions entre la France et le Pakistan. VW... travaillait en coopération avec YH... LS... (...). Très présent sur les marchés d'armement, KS... VW... a longtemps possédé un cabinet de conseil juridique établi à Paris. Il est en outre le frère de TA... VW... ex-ambassadeur du Pakistan aux Etats-Unis. Le schéma sommaire de distribution qui a prévalu semblait le suivant : KS... VW... était responsable des rémunérations occultes des décideurs politiques, tandis que l'amiral YH... LS... prenait en charge les versements pour l'armée et les services de soutien aux guérillas islamistes de l'ISI » ;
Attendu qu'il s'agit d'indications précises portant simultanément :
- sur la possible existence d'un double réseau de financement occulte lié au contrat S..., destiné, l'un « aux guérillas islamistes de l'ISI », l'autre au financement de la campagne présidentielle de M. R...,
- sur le lien susceptible d'exister entre, d'un côté, l'interruption, en juillet 1996, du "double circuit de financement en faveur des islamistes et en faveur de la partie française", de l'autre, l'attentat de Karachi ;
Attendu, par ailleurs, que les articles du journal Le Monde des 8 et 10 mai 2002, cités par les conseils de M. R... dans leur requête, ne font état d'aucune des informations du rapport T... relatives à l'existence de rétro-commissions (D326/68, D326/78) ; qu'ils se bornent à informer sur l'attentat lui-même ; que le rapport T... étant resté secret jusqu'à sa saisie en 2006, il n'a été connu des médias et du public que bien plus tard, ce qui explique qu'une information a été ouverte, le 15 juin 2010, notamment pour entrave ;
Attendu, par conséquent, que le point de départ du délai de la prescription doit être maintenu au 21 septembre 2006, date de la saisie de ce rapport dans le cadre de l'enquête préliminaire conduite par le parquet de Paris (procédure n° P 06027.9201/2) ;
3.6 Sur le lien de connexité
Attendu qu'il est soutenu que les règles de la connexité ne sauraient en l'espèce justifier l'interruption de la prescription, la connexité résidant dans la seule personne de la victime des infractions, la société DCN-I ;
Attendu que la commission d'instruction a considéré dans son précédent arrêt qu'il existait des rapports étroits entre les faits objet de trois procédures : celle dans laquelle a été saisi, le 21 septembre 2006, le rapport T... (procédure n° P 06027.9201/2), celle conduite par les juges d'instruction parisiens sur le volet non ministériel du dossier et qui est à l'origine de la saisine de la Cour de justice de la République (procédure n° P 10167.96027) et, enfin, la présente procédure enregistrée sous le n° 01-CI-14 ;
Attendu qu'il résulte de l'article 203 du code de procédure pénale que "les infractions sont connexes soit lorsqu'elles ont été commises en même temps par plusieurs personnes réunies, soit lorsqu'elles ont été commises par différentes personnes, même en différents temps et en divers lieux, mais par suite d'un concert formé à l'avance entre elles, soit lorsque les coupables ont commis les unes pour se procurer les moyens de commettre les autres, pour en faciliter, pour en consommer l'exécution ou pour en assurer l'impunité, soit lorsque des choses enlevées, détournées ou obtenues à l'aide d'un crime ou d'un délit ont été, en tout ou partie, recelées" ; qu'il a été jugé de manière constante, à partir du 6 décembre 1907, que les dispositions légales relatives à la connexité, n'étant pas limitatives, s'étendaient "aux cas dans lesquels il existe entre les faits des rapports étroits, analogues à ceux que la loi a spécialement prévus" (Bulletin criminel, n° 101) ; qu'ainsi, la connexité a été retenue lorsque les faits présentaient une identité d'objet et une communauté de résultats (18 février 1991, Bulletin criminel, n° 85) ;
Attendu que les informations n° P 06027.9201/2, P 10167.96027 et celle ouverte à la Cour de justice de la République ont en commun :
- de porter sur des contrats d'exportation d'armement conclus sous l'égide de la DCN-I,
- de se situer dans le prolongement des commissions versées et des rétrocommissions consenties à l'occasion de ventes à l'étranger d'armes, et notamment de frégates,
- de viser des abus des biens de la même société, la DCN-I,
- de mettre partiellement en jeu les mêmes sociétés intermédiaires, comme la société luxembourgeoise Heine, et les mêmes réseaux de corruption ;
Attendu ainsi que les faits objet de ces trois procédures procèdent d'une même conception, étaient déterminés par la même cause et tendaient au même but ; que peu importe qu'ils aient été commis dans des temps différents ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'ils présentent entre eux de multiples liens de connexité, au sens de l'article 203 du code de procédure pénale, tel qu'interprété par la Cour de cassation ;
Attendu, en conséquence, que les actes accomplis dans le cadre de la procédure n° P 06027.9201/2 ont interrompu le cours de la prescription concernant les infractions poursuivies dans le cadre de la procédure n° P 10167.96027 ; que c'est notamment le cas du réquisitoire introductif du 25 février 2008 qui a fait suite à l'enquête préliminaire initialement diligentée par le ministère public ; que les faits d'abus de biens sociaux, complicité et recel reprochés, au titre des rétrocommissions susceptibles d'avoir alimenté la campagne présidentielle, à MM. R... et H... n'étaient donc pas prescrits le 15 juin 2010, date des constitutions de partie civile qui ont provoqué l'ouverture, pour entrave, faux témoignages, abus de biens sociaux, corruption d'agent public et recel aggravé, de l'information à l'origine de la procédure n° P 10167.96027 ; qu'ensuite, les actes accomplis dans cette dernière procédure ont été interruptifs de la prescription concernant les infractions poursuivies devant la commission d'instruction de la Cour de justice de la République ;
Attendu, par ailleurs, que les juges d'instruction de droit commun étaient compétents pour instruire des faits qui ne concernaient pas des membres du Gouvernement, comme cela est démontré dans l'arrêt n° 1 de ce jour ;
Attendu que, dès lors, les faits dont est saisie la commission d'instruction ne sont pas prescrits, à l'exception de ceux concernant la somme de 5,5 millions de francs susceptible d'avoir été versée en espèces à M. AD..., en charge de la sécurité durant la campagne électorale de M. R..., comme cela ressort de l'arrêt précité, rendu le 28 septembre 2016 ; »
Alors que d'une part, l'exigence d'impartialité objective est méconnue lorsque les appréhensions du justiciable sur le défaut d'impartialité d'une juridiction apparaissent comme objectivement justifiées ; que, par un arrêt du 13 octobre 2017, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a déclaré irrecevable, faute pour M. R... d'avoir eu la qualité de partie à la date de la décision attaquée, le pourvoi qu'il avait formé à l'encontre de l'arrêt rendu le 28 septembre 2016 par la commission d'instruction de la Cour de justice de la République qui, dans la procédure suivie notamment à son encontre des chefs de complicité et recel d'abus de biens sociaux, avait constaté la prescription partielle de l'action publique ; que le 21 décembre 2017, M. R... a déposé une requête aux fins de constatation de la prescription de l'action publique ; qu'en statuant sur cette requête dans la même composition que celle qui avait rendu l'arrêt du 28 septembre 2016, la commission d'instruction a méconnu le principe d'impartialité tel qu'il est garanti par l'article 6, § 1, de la Convention européenne ;
Alors que d'autre part, en application de l'article 62 de la Constitution, les décisions rendues par le Conseil constitutionnel s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ; qu'en vertu de ce principe d'autorité absolue de chose jugée, la validation des comptes de campagne d'un candidat à l'élection présidentielle par le Conseil constitutionnel fait obstacle à toute forme de répression pénale portant sur l'origine des recettes ayant fait l'objet de ce contrôle ; qu'en ordonnant néanmoins la poursuite de l'instruction relativement au recel d'une somme qui constituait une recette dans les comptes de campagne de l'exposant et qui, après soumission au Conseil constitutionnel, avait fait l'objet d'une décision de validation publiée le 12 octobre 1995, la commission d'instruction a méconnu le principe précité ;
Alors qu'en outre, l'examen des comptes de campagne d'un candidat à l'élection présidentielle par le Conseil constitutionnel implique le contrôle de l'origine de l'ensemble des recettes perçues en vue de l'élection, de sorte que, sauf hypothèse d'une fraude, il est exclusif d'une dissimulation, en matière de prescription, s'agissant des éventuelles infractions en lien avec l'origine des fonds ; qu'en l'espèce, les recettes de la campagne de M. R... ont été soumises au contrôle du Conseil constitutionnel, et notamment la somme dont il est aujourd'hui allégué qu'elle serait le produit d'un abus de biens sociaux ; que n'ayant pas contesté que cette somme a fait l'objet d'un contrôle de la part du Conseil constitutionnel, la commission d'instruction ne pouvait fixer à une date ultérieure à la décision de cette autorité le point de départ du délai de prescription du délit de recel sans violer les articles 62 de la Constitution, 8 et 9-1 du code de procédure pénale ;
Alors qu'au surplus, qu'en rejetant la requête aux fins de constatation de la prescription de l'action publique après avoir relevé qu'au cours des années 2011 et 2015, « M. A..., ancien président du Conseil constitutionnel, et M. F..., ancien membre de cette juridiction, ont déclaré dans les médias que les comptes de campagne de M. R... présentaient de graves irrégularités (D 814, D 1609) », ce dont il ressortait que la décision de validation des comptes de campagne était intervenue malgré l'émission de doutes quant à la provenance de la somme de 10 350 000 francs litigieuse et que les irrégularités poursuivies étaient donc connues depuis 1995, la commission d'instruction a violé les articles 8 et 9-1 du code de procédure pénale ;
Alors qu'en tout état de cause, le délai de prescription de l'action publique de l'infraction dissimulée court à compter du jour où l'infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique ; que tel est nécessairement le cas lorsque l'infraction a été découverte par une autorité publique soumise à une obligation légale de dénonciation des faits au procureur de la République ; qu'en énonçant, pour rejeter la requête aux fins de constatation de l'action publique après avoir pourtant constaté que le Président de la République, le Conseil constitutionnel, le ministre de la défense et le procureur général près la Cour des comptes ont eu connaissance d'une possible origine illégale des fonds ayant financé la campagne présidentielle de M. R... en 1995, que le point de départ de la prescription n'est pas le moment où ces autorités publiques ont eu connaissance de faits susceptibles de constituer des infractions, mais le moment où ces derniers ont été portés à la connaissance du procureur de la République qui est seul titulaire de l'action publique, la commission d'instruction a violé les articles 8 et 9-1 du code de procédure pénale.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION :
(sur le pourvoi n° G 19-86. 609)
Il est reproché à la décision attaquée d'avoir dit non prescrits les faits de complicité et de recel d'abus de biens sociaux reprochés à M. R... et de l'avoir renvoyé de ces chefs devant la formation de jugement de la Cour de justice de la République ;
Aux motifs qu'« en lien étroit avec les points qui viennent d'être développés, il sera observé que la validation des comptes de campagne de M. R... par le Conseil constitutionnel, le 12 octobre 1995, si elle a bien évidemment eu un effet sur la prescription du délit de financement illégal d'une campagne électorale, infraction instantanée prévue par l'article L. 113-1 du code électoral et non poursuivie, ne saurait, en revanche, en avoir sur la prescription des délits dissimulés visés au réquisitoire introductif.
Cependant, soulevée dès l'éventualité d'une mise en examen, la question de la prescription de l'action publique relativement aux faits ci-dessus décrits a déjà donné lieu à plusieurs appréciations judiciaires.
Dans le courrier du 18 septembre 2014 précité, les avocats de M. R... ont soutenu que les faits reprochés à leur client étaient prescrits quelle que soit la qualification juridique retenue.
Dans un communiqué transmis à l'agence France-Presse à la suite de sa mise en examen, M. R... a indiqué, au sujet d'un arrêt précédemment rendu, que cette « décision de la commission d'instruction [de la CJR] ne tire aucune conséquence de la validation du compte de campagne par le Conseil constitutionnel en octobre 1995, non plus que de l'ancienneté des faits, vieux de vingt-trois ans ».
Un premier arrêt de la commission d'instruction de la Cour de justice de la République, en date du 28 septembre 2016 (CJR, D3402), à la lecture duquel il est renvoyé pour de plus amples explications, a : "constaté l'extinction de l'action publique par la prescription en ce qui concerne un éventuel versement de 5,5 millions de francs au titre de prestations de sécurité susceptibles d'avoir été effectuées durant la campagne électorale de M. R...", et dit qu'aucun des autres faits dont elle était saisie n'était prescrit.
Un autre arrêt de la commission d'instruction du 21 décembre 2017 (CJR, D3789), à la lecture duquel il est également renvoyé pour de plus amples explications sur les motifs et le dispositif de la décision, a :
- fixé le point de départ du délai de prescription des faits poursuivis devant elle au 21 septembre 2006, date de la saisie du rapport "[...]" dans le cadre de l'enquête préliminaire conduite par le parquet de Paris (procédure n° P06027.920 1/2), qualifiée de connexe à la présente,
- relevé qu'à compter de cette date, divers actes de poursuite et d'instruction avaient interrompu le délai de prescription,
- et constaté par suite, que les faits objet de la présente information n'étaient pas prescrits "à l'exception de ceux concernant la somme de 5,5 millions de francs susceptibles d'avoir été versée en espèces à M. AD..., en charge de la sécurité" (durant la campagne électorale de 1995).
Il peut en effet être rappelé, qu'en cas d'infractions connexes faisant l'objet de procédures distinctes, la chambre criminelle a déjà jugé que :
- un acte interruptif de prescription concernant l'une d'elles a nécessairement le même effet à l'égard de l'autre, même si ces procédures n'ont pas été jointes (Crim., 1er déc. 2004, n° 03-87.883, Bull. crim. n° 304, D. 2005, 797, hypothèse des infractions de détournement de fonds publics et d'abus de biens sociaux),
- lorsque des infractions sont connexes, tout acte interruptif de prescription concernant l'une d'elles a nécessairement le même effet à l'égard des autres, et ce, même en cas de poursuites exercées séparément. Tel est le cas du recel, connexe selon l'article 203 du code de procédure pénale, aux délits originaires (Crim., 19 déc. 1995, n° 95-80.850, Bull. crim. n° 390),
- en matière d'abus de biens sociaux et de recel de ce délit, le caractère non limitatif de l'énumération de l'article 203 relatif à la connexité,
- en cas d'infractions connexes, un acte interruptif de la prescription concernant l'une d'elles a nécessairement le même effet à l'égard de l'autre (Crim., 28 mai 2003, n° 02-85.185, Bull. crim. n° 108 ; Crim., 19 septembre 2006, n° 05-83.536, Bull. crim. n° 228), ce qui justifie qu'en raison du lien de connexité démontré entre les infractions objet de l'information ouverte le 25 février 2008, celles poursuivies dans le cadre de l'instruction référencée P 10167.96027 et celles concernées par la présente procédure, les actes interruptifs de la prescription concernant les premiers délits ont eu le même effet à l'égard des autres.
***
Il convient au surplus de rappeler la règle selon laquelle la prescription de l'action publique ne commence à courir qu'à compter du jour où l'infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique.
Elle a notamment été appliquée en matière d'abus de biens sociaux (Crim., 10 août 1981, n° 80-93.092, Bull. crim. n° 244 ; Crim., 5 mai 1997, n° 96-81.482, Bull. crim. n° 159), de recel d'abus de biens sociaux (Crim., 6 février 1997, n° 96-80.615, Bull. crim. n° 48), de détournements de fonds publics (Crim., 2 décembre 2009, n° 09-81.967, Bull. crim. n° 204).
Cette jurisprudence est toujours valide (par exemple pour l'abus de confiance, Crim., 5 avril 2018, n° 17-83.166, P ; pour détournement de fonds par une personne chargée d'une mission de service public, Crim., 20 avril 2017, n° 16-80.091, P ; pour recel et détournement de fonds publics et par application de l'article 203 du code de procédure pénale, Crim., 28 février 2017, n° 15-81.969, P).
Il doit être précisé que la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, a dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité relative au report du point de départ de la prescription en matière d'abus de confiance et d'abus de biens sociaux, en retenant que, d'une part, la prescription n'était pas constitutionnellement garantie, d'autre part, les règles en la matière étaient "anciennes, connues, constantes et reposent sur des critères précis et objectifs" (Ass. plén., 20 mai 2011, n° 11-90.033, Bull. n° 6).
Par ailleurs, il peut être rappelé que les règles applicables en matière de prescription ont été modifiées par la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 qui a notamment :
- modifié les délais de prescription en matière délictuelle (six ans) et criminelle (vingt ans) ;
- consacré la jurisprudence sur le point de départ de la prescription en matière d'infractions occultes ou dissimulées (article 9-1 du code de procédure pénale), mais en créant des délais butoirs (douze ans pour les délits et trente ans pour les crimes).
L'article 4 de cette loi a enfin prévu : "la présente loi ne peut avoir pour effet de prescrire des infractions qui, au moment de son entrée en vigueur, avaient valablement donné lieu à la mise en mouvement ou à l'exercice de l'action publique à une date à laquelle, en vertu des dispositions législatives alors applicables et conformément à leur interprétation jurisprudentielle, la prescription n'était pas acquise" (V. Notamment, Crim., 9 janvier 2019, n° 17-83.587, NP).
La chambre criminelle (Crim., 28 juin 2017, QPC 17-90.010, P), a refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité concernant l'atteinte au principe d'égalité des citoyens relative à cette dernière disposition.
L'argumentaire développé par la défense au sujet de la prescription de l'action publique sera donc écarté ».
Alors qu'ainsi que le constate la décision de renvoi attaquée (p. 251), par un arrêt du 21 décembre 2017, la commission d'instruction de la Cour de justice de la République a rejeté la requête aux fins de constatation de la prescription de l'action publique formée par M. R... après avoir fixé le point de départ du délai de prescription des faits poursuivis devant elle au 21 septembre 2006 et relevé qu'à compter de cette date divers actes de poursuite et d'instruction avaient interrompu le délai de prescription ; que la cassation de cet arrêt actuellement frappé de pourvoi (n° G 18-80.165), qui interviendra sur le fondement du troisième moyen de cassation, entraînera, par voie de conséquence, la cassation de l'arrêt de renvoi en ce qu'il a dit non prescrits les faits de complicité et de recel d'abus de biens sociaux reprochés à M. R... et l'a renvoyé de ces chefs devant la formation de jugement de la Cour de justice de la République.
CINQUIEME MOYEN DE CASSATION :
(sur le pourvoi n° G 19-86. 609)
Il est reproché à la décision attaquée d'avoir écarté l'exception de chose jugée et ordonné le renvoi de M. R... devant la formation de jugement de la Cour de justice de la République des chefs de complicité et recel d'abus des biens ou du crédit des sociétés DCN-l et Sofresa ;
Aux motifs que « B - Les conséquences de la validation des comptes de campagne par le Conseil constitutionnel.
A plusieurs reprises, M. R... s'est étonné de devoir répondre de la régularité de ses comptes de campagne devant le juge pénal, alors que le juge constitutionnel les avait validés.
Suivant courrier en date du 18 septembre 2014 (CJR, D3318), ses avocats soutenaient notamment que la commission d'instruction de la CJR avait été « saisie en violation du principe de l'autorité de la chose jugée parie Conseil constitutionnel », celui-ci ayant statué sur la régularité du financement de la campagne présidentielle et que : "dès lors qu'une décision du Conseil constitutionnel a approuvé les comptes d'une campagne présidentielle, la validation de ces comptes doit être considérée comme intangible et ne peut plus être remise en cause par quiconque sur des points qui ont fait l'objet de vérifications et de décisions parle Conseil constitutionnel''.
Il sera rappelé que l'article 62 de la Constitution dispose en son dernier alinéa :
« Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ».
Comme un commentateur a pu l'écrire : "il n'existe pas de sanction du non-respect de l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel par les autres juges", ajoutant : "Le Conseil d'Etat et la Cour de cassation se conforment à la chose jugée par le Conseil constitutionnel dans la limite de l'objet et de la cause juridique de la décision rendue par ce dernier. Ils ne s'estiment juridiquement pas liés par ses décisions et, en tout état de cause, pas liés par sa jurisprudence" ("L'autorité des décisions du Conseil constitutionnel : vers de nouveaux équilibres ?", CY... JQ..., Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 30, janvier 2011).
Il s'agit donc d'une autorité relative de la chose jugée par les décisions du Conseil constitutionnel, relative car limitée à leur objet et à leur cause juridique, dont l'une des illustrations est l'arrêt rendu par l'assemblée plénière de la Cour de cassation le 10 octobre 2001, énonçant que :
« si l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel s'attache non seulement au dispositif mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire, ces décisions ne s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives et juridictionnelles qu'en ce qui concerne le texte soumis à l'examen du Conseil » (Ass. Plén., 10 octobre 2001, Bull. civ., Ass. plén., n° 11) (V. "L'autorité des décisions du Conseil constitutionnel vue par la Cour de cassation", KC... UI..., BJ....). On retiendra avec ce dernier commentateur que : "En l'absence d'identité de texte, la chose interprétée par le Conseil constitutionnel sort de la rigoureuse protection offerte par l'autorité de chose jugée".
En effet, l'article 6 du code de procédure pénale pose en principe que l'action publique est éteinte par la chose jugée, disposition déclarée conforme à la Constitution (Cons. const., 18 mars 2015, n° 2014/453/454 et 2015/462).
Il s'en déduit que l'exception d'autorité de la chose jugée ne peut être valablement invoquée que lorsqu'il existe une identité de cause, d'objet et de parties entre les deux poursuites (Crim., 2 avril 1990, n° 88-81.264, Bull. crim., n° 141, D. 1990, somm. 375, obs. Pradel), la chambre criminelle ayant jugé qu'en vertu de l'article 6 du code de procédure pénale et de l'article 4.1 du Protocole n° 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'action publique s'éteint par la chose jugée et un même fait ne peut donner lieu contre le même prévenu à deux actions pénales distinctes (Crim., 19 janvier 2005, n° 04-81.686, Bull. crim. n° 25, RSC 2005, 934, obs. RK...).
Encore faut-il qu'existe cette triple identité de cause, d'objet et de parties.
Tel n'est pas le cas en l'espèce.
La décision du Conseil constitutionnel concerne la validation ou non de comptes de campagne et donc l'appréciation du caractère complet des justificatifs apportés aux dépenses et recettes constituant ledit compte. En aucun cas elle n'a un caractère pénal, ni ne répond à une action pénale. Les poursuites présentement entamées contre M. R... concernent des qualifications pénales, en lien certes avec la tenue de ses comptes de campagne, mais qui ne sont pas en elles-mêmes de nature à remettre en cause la décision des juges constitutionnels.
Ainsi, la nature et l'objet des présentes poursuites étant différentes des vérifications opérées par le Conseil constitutionnel, le principe de l'autorité de la chose jugée ne saurait être invoqué ici.
L'arrêt de la chambre criminelle du 22 février 2000 (n° 97-83.460, Bull. crim. n° 76), cité dans le même courrier du 18 septembre 2014, qui rappelle la décision du juge d'instruction ayant rendu une ordonnance de refus d'informer au motif que le Conseil constitutionnel avait approuvé les comptes de campagne des deux candidats (élections législatives), après y avoir réintégré un certain nombre de dépenses, sans relever d'irrégularités justifiant le rejet, et après avoir refusé de réintégrer au compte de l'un d'entre eux les dépenses signalées par le plaignant comme relevant de l'article L. 113-1-III, du code électoral, rejette le pourvoi sur les seuls motifs que :
- le préjudice moral invoqué par le plaignant, en relation avec le délit de minoration des comptes de campagne, prévu par l'article L. 113-1 du code électoral, n'est pas distinct du préjudice général causé aux intérêts de la société dont seul le ministère public à la charge,
- les faits dénoncés, n'étant pas de nature à avoir une incidence sur le résultat du scrutin, ne sauraient recevoir la qualification pénale prévue par l'article L. 116 du code électoral.
Cet arrêt ne pose donc pas l'interdiction prétendue par les avocats de M. R....
Mais surtout, il doit être observé, au plan factuel, que le Conseil constitutionnel a dû se prononcer dans un temps très proche de la fin de la campagne électorale, en 1995, au vu de documents dont le caractère insatisfaisant a été dénoncé par ses rapporteurs et, plus tard, par deux de ses membres, MM. Roland A..., président du Conseil constitutionnel, et WZ... F... (Voir supra).
Certes, et comme le mentionnent les avocats de M. R... dans le courrier susvisé, le Conseil a pu dire que : "Le rapport présenté devant la section d'instruction du Conseil constitutionnel est couvert par le secret qui s'attache aux délibérations du Conseil constitutionnel ; qu'il ne peut être regardé comme une pièce détachable de ces délibérations ; qu'il ne peut par suite en être donné communication" ; (CC, 10 novembre 1998, Décision n° 97-2113/ 2119/ 2146/ 2154/ 2234/ 2235/ 2242/ 2243A AN).
Pour autant, la réforme du droit des archives, par la loi organique n° 2008-695 du 15 juillet 2008 sur le caractère public des délibérations du Conseil constitutionnel, a rendu accessible les travaux préparatoires des décisions dudit Conseil et en particulier le compte-rendu de ses délibérations. Certaines "Grandes délibérations" ont même été publiées en raison de leur intérêt juridique ("Les grandes délibérations du Conseil constitutionnel, 1958-1983", collectif, BA..., 2009, 473).
Pourra se poser à la juridiction de jugement, si elle est finalement saisie, la question de l'articulation de cette décision de validation des comptes de campagne et de cet accès du public aux comptes-rendus des différentes séances consacrées à l'examen de ces mêmes comptes, à compter de 2020, date à partir de laquelle cet accès sera autorisé.
Ainsi, l'argumentaire développé sur ce point ne semble pas devoir être retenu.
(
)
F - Les qualifications de renvoi.
Les investigations entreprises dans les différentes affaires, qui présentent entre elles des liens de connexité, ont permis, en résumé, d'établir :
- que M. P... R..., alors Premier ministre, qui s'est présenté comme candidat lors de l'élection présidentielle de 1995, avait la responsabilité de mettre en place une association de financement de sa campagne ce qui fut fait avec l'AFICEB, le 23 janvier 1995. Quelle qu'ait été la charge indéniable du cumul de ses fonctions de premier ministre et de candidat en campagne, ce qui pourrait être considéré comme un élément à décharge, il a nécessairement donné son aval à la constitution de l'équipe de campagne et plus encore à la répartition des responsabilités au sein de cette structure. Il a choisi celui de ses proches qui le représenterait devant le Conseil constitutionnel le moment venu. Ainsi s'est-il entouré notamment, de M. B... E..., son directeur de cabinet à I..., devenu son directeur de campagne, de M. DD..., anciennement son suppléant dans le 15ème arrondissement de Paris dont il était le député, devenu le trésorier de l'association, de son neveu M. Francis TC..., conseiller chargé des questions juridiques et culturelles au cabinet, devenu chargé des affaires juridiques de la campagne ;
- que M. TC... a donc été choisi par M. R... pour aller présenter les comptes de campagne devant le Conseil constitutionnel, sans jamais avoir participé aux activités de la cellule trésorerie de l'AFICEB, dont les principaux acteurs étaient M. DD..., Mme EH..., M. EI... (expert-comptable), ni les avoir contactés, eux ou d'autres, avant de se rendre devant le Conseil, à l'exception notoire de M. E..., apparaissant cependant plus qu'incertain sur la nature et la portée des renseignements donnés par celui-ci sur les justificatifs de recettes ou de dépenses ;
- que l'AFICEB a présenté des comptes de campagne qui, certes, ont été validés par le Conseil constitutionnel, ce qui pourrait être considéré comme un élément à décharge, mais comportaient d'importantes lacunes ou imprécisions. Parmi cellesci, les espèces versées au crédit du compte - sans même évoquer d'autres espèces, apparues dans l'enquête et ayant servi à régler, tant des dépenses liées à la campagne que des dépenses personnelles - n'ont représenté, au titre des dons, et par suite vérifiables, qu'un montant de 12 850 euros. En revanche, les sommes suivantes ont été déclarées :
- au titre des collectes d'espèces 2 740 324,00 francs
- au titre des recettes meetings 407 750,00 francs
- au titre de versement espèces SNCF/part. Public 1 431 715,00 francs
- au titre de versement espèces CARRE/ part. Public 163 625,00 francs
- au titre d'un versement espèces du 26 avril 1995 10 250 000,00 francs,
sans que leur origine puisse être clairement déterminée.
- qu'en particulier, la somme de 10 250 000 francs, constituée essentiellement de billets de 100 et 500 francs, et qui représente les trois-quarts (77,5 %) des espèces reçues, a été réceptionnée par l'AFICEB le 25 avril, avant d'être déposée en banque, le 26 avril 1995, soit trois jours après l'échec de M. R... au premier tour de l'élection présidentielle.
- que ni M. R..., ni personne de son entourage n'a pu expliquer de manière cohérente d'où provenait cette somme (puisqu'il a été successivement soutenu qu'elle résultait de la recette du meeting du Bourget, de collectes, de ventes de gadgets lors des meetings, de fonds secrets..., sans qu'aucune de ces versions ne puisse être retenue), ni pourquoi, à la supposer d'origine licite, elle aurait été entreposée à cette hauteur à l'AFICEB, alors que des versements réguliers avaient été précédemment effectués en banque, les plus faibles pour quelques centaines de francs ;
- qu'il est apparu qu'au cours des années 1993 à 1995, des négociations relatives à des contrats de vente d'armement ont eu lieu entre les représentants de l'Etat français et ceux du royaume d'Arabie Saoudite ainsi que du Pakistan, dans le cours desquelles sont intervenus des intermédiaires occultes (MM. IO... , QE..., J...), sans utilité avérée pour l'aboutissement desdits contrats, aux dires de l'immense majorité des professionnels appelés à participer à leur discussion, pour des sommes considérables apparaissant sans rapport avec leur entremise, sommes qui leur ont été remises prioritairement, avant même les règlements attendus des pays bénéficiaires et via l'intervention de structures bancaires off-shore créées pour les besoins de la cause avec l'appui de structures d'Etat ;
- que nombre de hauts fonctionnaires, au sein particulièrement des Directions du Trésor et de celle du Budget, ont marqué leur opposition dans différents écrits au dossier et ont démenti qu'au final la signature de ces contrats ait pu, sur le long terme, être profitable à la France, comme cela a été soutenu par M. H... (nota : CJR, D3643) et M. R... (CJR, D3867) ; qu'il est en effet acquis que les contrats "K... (ROH)" et "S..." se sont soldés chacun par une perte de l'ordre d'un milliard de francs (CJR, D2473, p. 37, D2367, D298, p. 69 et 72, D2475, p. 7) : 1,1 milliard de francs pour "K..." et 1,3 milliard de francs pour "[...]" ;
- que ces sommes ont mis en péril l'équilibre même des opérations et que l'exécution de ces marchés s'étant soldée par des pertes sévères, il convient notamment d'en comprendre la mise en oeuvre comme destinée à faciliter le retour en France d'une partie des sommes versées aux commissionnaires ;
- qu'en résumé, il est ici possible de retenir au sujet desdits contrats :
- que l'un des points communs entre les cinq contrats concernés ("SHOLA", "SLBS", "L... Il", "K...", "S...") est l'intervention, en phase finale des négociations et à la demande du ministre de la Défense, de trois intermédiaires : MM. IO... -décédé-, QE... et J... :
- que l'intervention de ces trois personnes s'est réalisée le 25 octobre 1993, le contrat K... étant signé le 30 janvier 1994, soit trois mois plus tard alors que, dans une note datée du 30 octobre 1993, adressée à M. B... E..., M. NS..., président de la SOFRESA (Société française d'exportation de systèmes avancés), indiquait, à la suite de sa rencontre avec le prince YJ..., que, sauf retournement peu prévisible, le contrat pouvait être conclu très rapidement (CJR, D2612, p. 88) ;
- que les contrats d'armement "SHOLA" et "SLBS" ont été conclus le 30 janvier 1994, soit quelques jours après les signatures des contrats de consultant avec les sociétés de ces trois intermédiaires, intervenues les 17 décembre 1993 et 6 janvier 1994, alors même que, dans une note à M. E..., M. ID..., conseiller technique au cabinet du Premier ministre, écrivait le 5 janvier 1994 que les négociations des contrats "SHOLA" et "SLBS" étaient achevées (CJR, D2612, p. 112) ; que le contrat "L... II" a été signé avec l'Arabie Saoudite le 19 novembre 1994 (CJR, D2473, p. 20).
- que s'agissant du contrat "S...", signé le 21 septembre 1994, avec le Pakistan, plusieurs cadres de DCN-l, de SOFMA ou de Thomson CSF ont déclaré que MM. J... et QE... étaient apparus au dernier moment, alors que les négociations s'étaient étalées entre 1990 et mars 1994 (CJR, D67, p. 3, D103, D2778, D2784, D419, D2987, D1298, [...] , D2984, D2988, [...], D2993, D514, D3478) et que le contrat de consultant a été signé seulement le 12 juillet 1994 entre DCN-l et la société MERCOR FINANCE qui représentait les intérêts des trois intermédiaires, le rapport de la mission d'information de l'Assemblée nationale, déjà cité, concluant également à l'inutilité de l'intervention de ceux-ci dans la conclusion dudit contrat (CJR, D1298, p. 94) ;
- que M. H... a déclaré devant la mission d'information de l'Assemblée nationale, sur les circonstances entourant l'attentat du 8 mai 2002 à Karachi, CJR, D3826, p. 5) avoir été au courant de l'existence de commissions qui n'apparaissaient pas dans le(s) contrat(s), ce que M. R... a de tout temps dénié, bien que dans sa déposition du 24 novembre 2009, devant la mission d'information de l'Assemblée nationale, M. H... ait déclaré (CJR, D3826, p. 3) : "Pour ma part, j'ai toujours informé l'Elysée et I... du nom des intermédiaires", citant expressément le nom de M. J... ;
- que dans la suite des contrats, la SOFRESA a versé des commissions à la société Pilny qui représentait les intérêts du prince YJ..., ministre de la Défense de l'Arabie Saoudite (CJR, D883, p. 2), tandis que la SOFMA a rémunéré le réseau d'Amer VW... qui était proche de Mme PY... , Premier ministre du Pakistan, de son mari, M. PR... JF..., et de l'amiral YH... LS... , chef de la marine pakistanaise (CJR, D203, [...], D453, D2987, D2993), ce qui ne manque pas d'interroger sur l'intérêt que pouvait présenter l'intervention tardive et supplémentairement coûteuse, de MM. IO... , E... et J... ;
- que les cinq contrats d'exportation d'armement en cause se caractérisent par un montant de frais commerciaux exceptionnels (FCE), particulièrement élevés (10,25 % pour [...], 18,24 % pour ROH, 20,3 % pour SHOLA, SLBS et L... II), mais aussi par l'existence de "balourds", c'est-à-dire que les commissions revenante MM. QE... et J... ont été réglées par anticipation et non pas, comme cela est la règle, au furet à mesure des paiements effectués par le client, ce qui a entraîné un sous-financement des contrats dans les premières années d'exécution de ceux-ci ; que les paiements effectués aux autres intermédiaires ont, quant à eux, été échelonnés en fonction des paiements des clients, ce qui laisse apparaître une différence de traitement au profit de MM. QE... et J... ; qu'il est établi que ces derniers ont ainsi reçu :
- dès 1995, 195 MF sur les 210 MF qui leur revenaient à propos du contrat K... quand ce contrat s'exécutait sur 75 mois, les 15 millions restant ayant été versés au cours du premier semestre 1996,
- en 1994 et 1995, 143,8 MF sur les 298,3 MF qui étaient prévus pour les contrats SHOLA et SLBS quand ces contrats s'exécutaient sur 72 mois,
- en février et juin 1995, respectivement, 135 MF et 56 MF, soit 191 MF sur les 225 MF qui étaient prévus et qui correspondaient à 4 % du contrat [...], étant observé que le versement des 135 MF, représentant 60 % de cette commission, est intervenu juste après le paiement par le Pakistan, le 24 janvier 1995, du premier acompte de 540 MF, - en 1995, pour le contrat L... II, 6,53 MF, dont 2,4 MF lors du versement du premier acompte de 10 MF, quand le contrat s'exécutait sur 141 mois.
- qu'il ressort des notes versées au dossier et des témoignages des ministres de l'Economie et du Budget de l'époque, que les directions du Budget, du Trésor et de la DREE (Direction des Relations Economiques Extérieures, service du ministère des Finances) étaient opposées au sous-financement résultant des "balourds" et que les arbitrages de I... n'ont pas retenu leur position (CJR, D1880, D2593, p. 3, D2635, D3427, D3464, D3501, D3512). Ainsi, lors de la réunion interministérielle du 17 décembre 1993, les collaborateurs du Premier ministre ont, contre l'avis du Budget, décidé d'octroyer la garantie de l'Etat à la SOFRANTEM (Société française de vente et Financement de matériels terrestres et maritimes) pour faire face au sous-financement du contrat "ROH" (CJR, D1880). De même, à propos du contrat "[...]", I... a tranché, en juillet 1993, contre l'avis du ministère des Finances en faveur de l'octroi d'un crédit malgré la situation financière délabrée du Pakistan (CJR, D1888, D2065, D2360, D2475, p. 3). Enfin, par son arbitrage du 22 octobre 1994, M. B... E... a validé le sous-financement du contrat "L... II" dans les termes suivants : "Le découvert maximum garanti sur dépenses exigibles, y compris frais financiers, sera de 1 812 millions de francs pour 3 frégates et de 1 542 millions de francs pour 2 frégates" (CJR, D2593, p. 18). Le 22 novembre 1994 (CJR, D2593, p. 42, D2348, D2635), le directeur du Budget a écrit à son ministre que ces problèmes de sous-financement ont été soumis à l'arbitrage du directeur de cabinet du Premier ministre adressé aux seuls chargés de mission auprès du ministre de la Défense et directeur de cabinet du ministre de l'Économie... regrettant qu'« une affaire susceptible d'entraîner un risque budgétaire de cette importance n'ait pas été traitée selon les procédures interministérielles habituelles » ;
- qu'il sera encore retenu que, non seulement MM. QE... et J... ont obtenu le versement anticipé de leurs commissions sans attendre les paiements du client, mais, en outre, ils ont obtenu de M. NS..., président de SOFRESA, que leur règlement soit accéléré. Ainsi, à propos du contrat "[...]". aux termes d'un avenant du 24 janvier 1995, le premier acompte est passé de 50 à 60 %, ce qui faisait que 85 % des commissions devaient être payés en 1995 (CJR, D487, p. 2, p. 3 et p. 14). Ces deux personnes ont effectivement perçu 60 % de leurs commissions (135 MF le 7 février 1995) lors du paiement par le Pakistan du premier acompte (540 MF), c'est-à-dire 25 % du montant de l'acompte. Pour le contrat "K... (ou ROH)", M. NS... a signé deux courriers, en date des 20 et 30 mai 1994, prévoyant le paiement de l'intégralité des commissions en 1995 alors que les paiements du client restaient étalés sur six ans (Scellé n° ODAS ONZE, p. 19). Pour les contrats "SHOLA et SLBS", l'accord du 6 janvier 1994, signé par M. NS..., prévoyait que MM. QE... et J... devaient percevoir 20 % du montant de l'acompte et que l'intégralité de la commission devait être payée lorsque les paiements du client atteindraient 66 % du contrat (Scellé n° ODAS ONZE, p. 103 et suivantes). Un avenant du 10 juin 1994, toujours signé par M. NS..., est venu accélérer les paiements en prévoyant que la rémunération de ces deux intermédiaires devait être payée intégralement sur les cinq premiers versements du client, lesquels ne représentaient plus que 22,6 % du contrat (Scellé n° ODAS ONZE, p. 112 et p. 113). Pour le contrat "L... II", l'accord du 6 janvier 1994, signé par M. NS..., prévoyait que MM. QE... et J... devaient percevoir 20 % du montant de l'acompte versé par le client et que l'intégralité de la commission devait être payée lorsque les paiements du client atteindraient 66 % du montant du contrat (Scellé n° ODAS ONZE, p. 103 et suivantes). Le 17 février 1995, M. NS... a signé un avenant prévoyant un règlement total des commissions dues à MM. QE... et J... lorsque les règlements du client auraient atteint le seuil de 27 % au lieu du seuil de 66 %, prévu dans le contrat initial (Scellé n° ODAS ONZE, p. 47, p. 114 à p. 116). L'intégralité de leur rémunération devait être ainsi payée fin 1998, quand les paiements du client s'échelonnaient jusqu'en 2006 (CJR, D2033).
- qu'enfin, pour que les commissions puissent être payées au réseau QE... /J..., un double écran de sociétés offshore a été mis en place : la DCN-l a viré les fonds au Luxembourg au bénéfice de la société Heine, société de droit luxembourgeois, et en Irlande au bénéfice de la société Marlindoon, société de droit irlandais, lesquelles ont ensuite viré les fonds aux sociétés Formoyl, [...], [...] , Mulderg, Crossley, Riverhill. Au final, ces dernières sociétés ont été débitées au profit de la société Mercor Finance, société de droit panaméen, qui représentait les intérêts de MM. J... et QE... , une société publique (DCN-l) ayant ainsi, non seulement contribué à la mise en place d'un double écran de sociétés offshore, là où la SOFMA et la SOFRESA versaient habituellement directement les commissions aux intermédiaires, mais encore racheté la société luxembourgeoise Heine en novembre 1994 en devenant le bénéficiaire économique (CJR, D198, p. 3). Il ne peut qu'être rappelé que DCN-l était une société contrôlée par l'Etat à 99,99 %, que son conseil d'administration comprenait six administrateurs représentant l'Etat et que le commissaire du Gouvernement auprès de cette société était un contrôleur général des armées, nommé par le ministère de la Défense.
- qu'il ressort des éléments ci-dessus rapportés que les arbitrages ont tous été rendus en faveur du ministère de la Défense, en accord avec I..., l'intervention de ces intermédiaires particuliers n'ayant pu avoir lieu qu'avec l'accord constant de M. X... H..., ministre de la Défense, de M. QJ... , son principal conseiller, et de M. B... E..., directeur de cabinet du Premier ministre, dont le rapport de confiance absolu qui le liait à celui-ci implique qu'il n'a pas pu l'ignorer ;
- qu'il ressort d'aveux, tardifs, mais maintenus, de la part de M. J... et de multiples confirmations tirées de déclarations de témoins et de pièces saisies, que de nombreuses sommes d'argent ou cadeaux sont passés des mains de ce dernier à celles d'hommes impliqués dans les négociations en cause, en particulier M. NS..., PDG de la SOFRESA, choisi par M. H... sans opposition de M. R... à la place du PDG antérieur, à rencontre duquel nul n'a pu émettre de critiques, M. WU..., M. QJ... ;
- que le Parti républicain en forte tension budgétaire, a pu bénéficier, à l'époque, d'arrivées d'espèces traduites notamment par deux sommes de 2 400 000 francs en espèces saisis au siège du Parti le 20 juillet 1995 et de 5 millions de francs en espèces, déposés dans une banque luxembourgeoise le 10 juin 1996, ceci sans omettre sa participation à concurrence de 6 millions de francs à la campagne de M. R... (somme versée par chèque) et les 40 millions de francs dont il a été précédemment question ;
- que les membres de ce parti, à commencer par MM. H... et QJ... ont, à l'époque, engagé d'importantes dépenses personnelles, réglées en espèces, au sujet desquelles ils ont refusé de préciser comment elles avaient été payées ;
- qu'il ressort encore de l'enquête et de l'information, que les 6 et 7 avril 1995, ont été retirés des comptes suisses de M. QE... ou du compte de M. VV... :
- 3 millions de francs (le 6 avril),
- 10.050.000 francs (le 7 avril).
- que, pour ces deux retraits, une instruction dactylographiée a été délivrée par M. VV..., qui l'a signée, en vue de la mise à disposition de 13 millions de francs (somme manifestement destinée à la France), faisant état d'une rentrée à venir du même montant et prévoyant que cette somme pourrait être retirée par M. JV... entre les 7 et 25 avril 1995 ; que le 25 avril est la date qui précède le jour du dépôt de 10 050 000 et de 200 000 francs sur le compte de campagne de M. R..., après que cette somme très importante est arrivée au siège de l'AFICEB ce même 25 avril. Le lien est donc établi entre l'argent en provenance de Suisse et la somme versée sur le compte Crédit du Nord de l'AFICEB ;
- que les faits de détournements de fonds publics, visés au réquisitoire introductif, ne sont pas établis, ni à l'égard des deux mis en examen, ni à celui de toute autre personne ressortissant de la compétence de la Cour de justice de la République.
- qu'il ne peut qu'être, enfin, regretté que des pièces essentielles n'aient pu être retrouvées, notamment les agendas du premier ministre pour les années 1993 à 1995, l'agenda de M. NS... pour 1995, ou que d'autres n'aient pu être obtenues, car toujours couvertes par le secret.
***
Lors de l'audience du 16 septembre 2019, dans le fil des observations faites par ses avocats dans leurs derniers courriers reçus par la commission d'instruction les 5 et 12 septembre 2019, et par leur voix, M. R... a fait valoir qu'il n'était pas démontré qu'il avait ordonné la « mise en place de rétro-commissions en marge des contrats d'armement », plus précisément : « qu'il ait effectivement et personnellement donné des instructions, en vue que soient commis ces prétendus abus de biens sociaux » (cf. page 4 du premier courrier) et encore que n'étant pas démontré, « que le Premier ministre connaissait l'existence d'un système de rétrocommissions, (il ne pouvait) en bénéficier en connaissance de cause » (BJ..., page 14).
En réalité, le positionnement de M. R... est des plus simples. Il a toujours déclaré qu'il ignorait l'existence de rétro-commissions ou que, s'il en avait entendu parler, en aucun cas cela ne concernait les contrats de ventes d'armement concernés par le présent dossier, qui, en tout état de cause, avaient été traités par M. H... et ses proches. Par ailleurs, compte tenu de ses responsabilités politiques majeures, ne s'occupant pas des conditions matérielles et financières d'organisation de sa campagne électorale, il n'avait jamais pu supposer que de tels retours de numéraires aient pu contribuer à équilibrer ses comptes de campagne par ailleurs validés.
A l'issue de l'information, il ne fait aucun doute que MM. IO... , QE... et J... ont constitué un second réseau d'intermédiaires sans utilité pour la conclusion des contrats d'armements concernés. Il est établi qu'ils ont été largement rémunérés, dans des conditions totalement dérogatoires aux règles habituellement pratiquées avec les autres intermédiaires. Un certain nombre de sommes, apparues en particulier en francs français, ne pouvaient être destinées qu'à l'alimentation de la vie politique française ou à la satisfaction d'intérêts privés français, ne serait-ce que parce que les membres du "réseau K" disposaient, pour abriter leurs avoirs, de comptes à l'étranger et non en France. Il est tout aussi certain que la volonté du nouveau président de la République, M. Chirac, d'interrompre à compter de son élection, le processus de rémunération du "réseau K", avait pour finalité essentielle la suppression de toutes ressources de cette sorte pour M. R..., son adversaire de la campagne électorale qui venait de s'achever.
Que M. R... n'ait pas été directement à l'initiative de la constitution du "réseau K" et de ses activités, n'exclut aucunement qu'il ait concouru au rapatriement de sommes d'argent ayant bénéficié à un ou des partis politiques français et à plusieurs personnalités y compris à titre personnel. Il a été avisé par M. H... de l'existence dudit "réseau K". Il a laissé carte blanche à ses proches qui, pour plusieurs d'entre eux, avaient des responsabilités à son cabinet tout en assurant également le bon déroulement de sa campagne pour les élections présidentielles. Il ne peut raisonnablement soutenir n'avoir jamais cherché à savoir comment celle-ci serait financée, se sachant de surcroît en délicatesse avec le RPR, son parti, dont M. Chirac était également le candidat. Il ne peut qu'avoir sciemment accepté l'existence dudit "réseau K", dont il soutient n'avoir pas cherché à connaître l'utilité, et qui, au regard des conditions de la rémunération de ses membres, était par nature, amené à réintroduire en France, une partie des sommes dont ledit réseau avait bénéficié.
De même, alors qu'il admet avoir été avisé par son équipe de campagne des difficultés de financement de cette dernière et avoir eu son attention attirée sur le montant des dépenses engagées, ne peut-il raisonnablement soutenir n'avoir jamais eu le moindre questionnement sur l'origine de fonds, spécialement en espèces, venus opportunément équilibrer ses comptes, dans des conditions ayant de suite attiré l'attention des rapporteurs du Conseil constitutionnel chargés d'en vérifier l'honnêteté. Le lien entre le versement de la somme de 10 250 000 francs et l'abondement des comptes de campagne est évident, par le rapprochement entre les dates, le montant, l'origine suisse de cette somme, l'absence d'explication cohérente d'une autre origine et ne repose en rien, contrairement à ce qu'a pu en dire M. l'avocat général dans son réquisitoire définitif, sur une simple "construction intellectuelle".
Ainsi, des charges suffisantes à rencontre de M. R..., d'avoir commis les faits poursuivis, résultent-elles, des instructions, qui n'avaient aucunement la nécessité d'être écrites, laissées en particulier, en la matière, à M. E..., de chaque arbitrage rendu au bénéfice des membres du "réseau K" approuvé par I..., M. R... n'ayant jamais soutenu que M. E... avait eu les mains totalement libres en la matière, y compris en ne le tenant pas informé des décisions prises, le cas échéant, contre l'avis de divers membres de la haute administration. Elles découlent encore, des actes d'une équipe de campagne dont il avait choisi les membres et nécessairement fixé le mandat, et de la désignation à la surprise de son trésorier, M. DD..., de M. TC..., pour aller devant le Conseil constitutionnel, ce qui ne peut que traduire sa parfaite connaissance d'une irrégularité de ses comptes de campagne.
M. H... qui a comparu à l'audience du 16 septembre 2019, tout en réitérant son souhait de ne plus s'exprimer sur les faits poursuivis, ne peut pour sa part qu'être renvoyé pareillement, dans les termes de sa mise en examen. Il a été au plus près de la négociation des contrats de vente d'armement concernés, dans l'intérêt des industriels français, ce dont il s'est targué, ce qui pourrait être considéré comme un élément à décharge. Il était informé du versement des commissions usuelles. Il a eu connaissance de la mise en place d'un réseau supplémentaire, constitué de MM. IO... , QE... et J..., qu'il connaissait et dont il a, selon ses propres aveux, parlé au Président de la République, comme au Premier ministre. Il a luimême facilité la tâche dudit réseau en nommant à la tête de la SOFRESA, un proche, M. NS..., dont les agissements ont été amplement décrits, de même que ceux de M. QJ... , son plus proche conseiller » ;
Alors que d'une part, en application de l'article 62 de la Constitution, les décisions rendues par le Conseil constitutionnel s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ; qu'en vertu de l'autorité de chose jugée ainsi attachée à ses décisions, la validation des comptes de campagne d'un candidat à l'élection présidentielle par le Conseil constitutionnel fait obstacle à ce que la licéité de l'origine de la provenance des recettes ayant fait l'objet de ce contrôle puisse être postérieurement remise en cause ; que, dès lors, en écartant l'exception de chose jugée et en ordonnant le renvoi devant la formation de jugement de la Cour de justice de la République de M. R... notamment du chef de recel d'abus de biens sociaux pour avoir bénéficié d'une somme d'argent de 10 250 000 francs provenant de ces délits pour financer sa campagne électorale de 1995, lorsque le Conseil constitutionnel a validé les comptes de campagne de ce candidat par une décision du 12 octobre 1995, la commission d'instruction a violé l'article susvisé et les principes ci-dessus énoncés ;
Alors que d'autre part, il résulte de l'article 321-1 du code pénal que le recel exige que les biens dont a bénéficié l'intéressé ait une origine délictueuse ou criminelle ; qu'il résulte par ailleurs des articles 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 et L. 52-12 du code électoral que la décision du Conseil constitutionnel concernant la validation des comptes de campagne d'un candidat à l'élection présidentielle intervient après un examen de l'origine des recettes perçues par celui-ci ; qu'en énonçant, pour écarter l'exception de chose jugée et ordonner le renvoi de M. R... du chef de recel d'une somme de 10 250 000 francs constitutive d'une recette dans ses comptes de campagne, que la nature et l'objet des poursuites pénales dont il faisait l'objet étaient différentes des vérifications qui avaient été opérées par le Conseil constitutionnel, lorsqu'il importait peu que la décision par laquelle celui-ci avait validé ses comptes de campagne soit dépourvue de caractère pénal dès lors qu'elle établissait la licéité de l'origine des recettes, circonstance qui faisait obstacle à la caractérisation dudit recel, la commission d'instruction a violé les textes susvisés, l'article 62 de la Constitution et l'article 23 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 ;
Alors qu'en tout état de cause, la complicité requiert l'accomplissement d'un acte positif ; qu'en énonçant, pour ordonner le renvoi de M. R... du chef de complicité d'abus de biens sociaux par fourniture d'instructions, que s'il n'avait pas été à l'initiative de la constitution du « réseau K » il avait été avisé de son existence, qu'il avait « laissé carte blanche à ses proches » et qu'il ne pouvait raisonnablement soutenir n'avoir jamais recherché à savoir comment sa campagne présidentielle serait financée ni n'avoir jamais eu le moindre le moindre questionnement sur l'origine de fonds (arrêt, p. 264), lorsque ces faits, à les supposés avérés, constituent au mieux de simples inactions qui ne peuvent caractériser des instructions au sens de l'article 121-7 du code pénal, la commission d'instruction a violé ce texte ;
Alors qu'en outre, en application du principe de la présomption d'innocence, la charge de la preuve d'une infraction repose sur l'accusation ; qu'en retenant, pour ordonner le renvoi de M. R... des chefs de complicité et de recel d'abus de biens sociaux, qu'il n'avait jamais soutenu que M. E... avait eu les mains totalement libres au cours des arbitrages litigieux et qu'il avait nécessairement fixé le mandat des membres de son équipe de campagne, présumant ainsi, sans jamais le démontrer, que ceux-ci avaient agi sur instructions de M. R..., la commission d'instruction a méconnu le principe susvisé et violé les articles 6, § 2, de la Convention européenne et préliminaire du code de procédure pénale ;
Alors qu'au surplus, nul n'est pénalement responsable que de son fait personnel ; qu'en énonçant, pour renvoyer M. R... devant la formation de jugement de la Cour de justice de la République des chefs de complicité et recel d'abus de biens sociaux, que les charges suffisantes à son encontre d'avoir commis les faits poursuivis découlaient de ce qu'il n'avait jamais soutenu que M. E... avait eu les mains totalement libres lors des arbitrages litigieux ainsi que des actes d'une équipe de campagne dont il avait choisi les membres et nécessairement fixé le mandat, la commission d'instruction, qui n'a pas caractérisé la participation personnelle de M. R... auxdits faits, a méconnu le principe susvisé et les articles 121-1 et 121-4 du code pénal ;
Alors qu'enfin, la complicité par instructions n'est punissable que si les instructions ont été données en vue de commettre l'infraction principale ; que le mémoire régulièrement déposé soutenait que le sous-financement de contrats d'armement et le versement de commissions élevées à des intermédiaires dans le cadre de leur exécution correspondait à une pratique qui n'était ni illégale ni anormale ; qu'en ordonnant le renvoi de M. R... du chef de complicité de ces délits, sans expliquer comment, dans ces conditions, il aurait pu avoir connaissance de ce que les arbitrages litigieux conduiraient au versement de rétro-commissions constitutives d'abus de biens sociaux au préjudice des sociétés DCN-I et Sofresa, la commission d'instruction a violé l'article 121-7 du code pénal.