LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 mars 2020
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 330 F-D
Pourvoi n° V 19-10.421
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. J....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 15 novembre 2018.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 MARS 2020
M. T... J..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° V 19-10.421 contre l'arrêt rendu le 22 février 2018 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section B), dans le litige l'opposant :
1°/ à l'association Ulisse 38, dont le siège est [...] , anciennement dénommée Emploi 38,
2°/ à la communauté de communes de Grenoble, Alpes, Métropole, dont le siège est [...] ,
3°/ à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Isère, dont le siège est [...] ,
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dudit, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de M. J..., de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la communauté de communes de Grenoble, Alpes, Métropole, de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de l'association Ulisse 38, et l'avis de Mme Ceccaldi, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 février 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Dudit, conseiller référendaire rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 22 février 2018), le 14 novembre 2013, M. J... (la victime), salarié de l'association de travail temporaire Emploi 38, devenue l'association Ulisse 38 (l'employeur), mis à la disposition de la communauté de communes Grenoble, Alpes, Métropole (l'entreprise utilisatrice) en qualité de gardien d'une déchetterie, a été percuté par un tractopelle conduit par un de ses collègues de travail alors qu'il se déplaçait sur le site.
2. L'accident ayant été pris en charge au titre de la législation professionnelle, la victime a saisi une juridiction de sécurité sociale d'une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. La victime fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande alors « que la faute inexcusable est caractérisée lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'en déboutant M. J... de ses demandes, après avoir constaté un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, en se fondant sur la circonstance que la présence d'un tractopelle sur le site était habituelle et inhérente à l'activité quotidienne de la déchetterie, de sorte que l'employeur n'aurait pu avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale :
4. Pour débouter la victime de sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, ayant constaté que l'employeur ne justifie pas avoir procédé à l'établissement du document unique d'évaluation des risques, l'arrêt retient essentiellement qu'au vu des témoignages, s'il existe des divergences sur les circonstances exactes de l'accident, il est toutefois établi que la présence du tractopelle sur le site est habituelle, visible et inhérente à l'activité quotidienne de la déchetterie puisqu'il est utilisé pour tasser les déchets à plusieurs reprises dans la journée de sorte que l'employeur ne pouvait du seul fait de cette présence, compte tenu du secteur d'activité, avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, le fait que celui-ci ne voit pas l'engin étant imprévisible.
5. En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à écarter la conscience du danger, alors qu'il ressortait de ses propres constatations la présence habituelle et concomitante de tractopelles et de piétons sur le site, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne l'association Ulisse 38 et la communauté de communes Grenoble, Alpes, Métropole aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère, l'association Ulisse 38 et la communauté de communes Grenoble, Alpes, Métropole, condamne in solidum l'association Ulisse 38 et la communauté de communes Grenoble, Alpes, Métropole à payer à la SCP Rousseau et Tapie la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze mars deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour M. J....
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit que l'accident du travail dont M. J... avait été victime le 14 novembre 2013 ne trouvait pas son origine dans la faute inexcusable de l'établissement Grenoble, Alpes Métropole, entreprise utilisatrice et d'avoir débouté M. J... de l'ensemble de ses demandes ;
Aux motifs qu'en vertu du contrat de travail, l'employeur est tenu envers le salarié d'une obligation de sécurité de résultat ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'en application de l'article R. 4121-1 du code du travail, l'employeur, quelle que soit la taille de l'entreprise et son secteur d'activité, doit établir dans un document unique les résultats de l'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l'article L. 4121-3 du même code ; que l'employeur ne justifie pas avoir procédé à l'établissement du document unique d'évaluation des risques, ce qui caractérise un manquement à son obligation de sécurité ; que néanmoins, il appartient au salarié d'établir que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il a été exposé ; qu'au vu de la déclaration d'accident du travail établie le 15 novembre 2013 par l'employeur, les circonstances de l'accident survenu le 14 novembre 2013 sont les suivantes : « M. J... sortait du local quand un collègue l'appelle pour lui demander le carnet de facture, il marque un temps d'arrêt et le tractopelle passe au même moment en marche avant et lui roule sur les pieds » ; que le rapport d'accident du travail rédigé par la gendarmerie le jour de l'accident mentionne : « Lors de la conduite d'un tractopelle sur le site de la déchetterie, le conducteur roule sur le pied et la jambe d'un employé qui se rendait à une benne de récupération » ; que lors de son audition, M. B..., conducteur du tractopelle, a expliqué qu'il a vu deux de ses collègues dont M. J..., traverser devant son véhicule ; qu'il a effectué un arrêt pour les laisser passer ; que lorsque les deux salariés étaient sur sa droite, il a redémarré et a vu M. J... marcher vers sa roue ; qu'il précise que les déchets sont tassés 5 à 6 fois par jour à l'aide du tractopelle ; que M. J... a déclaré aux services de gendarmerie qu'il a commencé à marcher dans la direction de la benne à cartons lorsque M. F..., son collègue, lui a demandé le carnet de facturation se trouvant dans sa poche ; qu'il s'est dirigé vers lui, lui a tendu le carnet et dans le même temps s'est retrouvé par terre, une roue de tracteur sur ses deux pieds ; qu'il précise qu'il n'a ni entendu ni vu l'arrivée de ce tracteur, que son attention était fixée sur la remise du carnet à M. F... ce qui a pris 95 % voire 99 % de son attention ; que M. F... a indiqué avoir appelé M. J... pour obtenir le carnet de facture et s'est retourné pour parler à un artisan de sorte qu'il n'a pas vu les circonstances de l'accident ; qu'il a entendu un cri et a vu M. J... avec un pied sous la roue d'un tractopelle ; qu'il précise qu'il avait vu et entendu arriver le tracto-pelle de la déchetterie sans se méfier de quoi que ce soit ; que M. D..., usager de la déchetterie, a indiqué qu'il a vu deux personnes qui se trouvaient dans un petit cabanon ; qu'un tractopelle jaune est arrivé et qu'il a vu ces deux personnes traverser devant ce véhicule et que l'une d'elle est restée dessous avec son pied coincé sous une roue avant ; il ajoute qu'il ne sait pas pourquoi cette personne est passée subitement devant l'engin et que pour lui elle a traversé sans faire attention ; qu'au vu de ces éléments, s'il existe des divergences sur les circonstances exactes de l'accident, il est toutefois établi que M. J... n'a pas vu le tractopelle et s'est fait rouler sur le pied ; que la présence du tracto-pelle sur le site est habituelle, visible et inhérente à l'activité quotidienne de la déchetterie puisqu'il est utilisé pour tasser les déchets à plusieurs reprises dans la journée de sorte que l'employeur ne pouvait du seul fait de cette présence, compte tenu du secteur d'activité, avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, le fait que celui-ci ne voit pas l'engin étant imprévisible ; que par ailleurs, M. J... avait reçu plusieurs formations de la part de l'association Emploi 38 notamment une formation dispensée le 11 juillet 2013 intitulée « prévention et sécurité en déchetterie » comprenant l'analyse des risques dus à la circulation au sein de la déchetterie ; qu'aucune anomalie du tracto-pelle en relation avec l'accident n'est alléguée, étant précisé que le véhicule avait fait l'objet d'un contrôle deux mois auparavant et qu'il est établi que le conducteur de cet engin était formé et habilité à le conduire ; que M. J..., à qui incombe la charge de la preuve, ne démontre pas qu'au moment de l'accident, les éléments constitutifs de la faute inexcusable à savoir la conscience du danger encouru et l'absence de mise en place des mesures nécessaires à prévenir le risque étaient réunis ; qu'il sera donc débouté de ses demandes et le jugement confirmé ;
Alors 1°) que la faute inexcusable est caractérisée lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'en déboutant M. J... de ses demandes, après avoir constaté (p. 4) un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, en se fondant sur la circonstance que la présence d'un tractopelle sur le site était habituelle et inhérente à l'activité quotidienne de la déchetterie, de sorte que l'employeur n'aurait pu avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale ;
Alors 2°) que seul un événement présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution, est constitutif d'un cas de force majeure ; que le fait que M. J... n'ait pas vu arriver le tractopelle ne pouvait constituer, en lui-même, un événement imprévisible pour l'employeur ; qu'en se fondant sur cette seule circonstance pour exonérer l'employeur de toute responsabilité, sans caractériser au surplus le caractère irrésistible de l'événement, la cour d'appel a violé l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale ;
Alors 3°) que l'employeur répond de l'absence d'un dispositif de sécurité suffisant dans les voies de circulation et les dégagements destinés aux piétons ; qu'à défaut de s'être prononcée sur les manquements invoqués à ce titre par M. J... dans ses écritures (p. 12 et 13), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.