LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
LG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 mars 2020
Cassation
Mme BATUT, président
Arrêt n° 203 F-D
Pourvoi n° W 18-14.673
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 11 MARS 2020
M. E... V..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° W 18-14.673 contre l'arrêt rendu le 27 mars 2018 par la cour d'appel de Rennes (1re chambre), dans le litige l'opposant à Mme W... D..., domiciliée [...] , défenderesse à la cassation.
Mme D... a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Avel, conseiller, les observations de la SCP Delamarre et Jéhannin, avocat de M. V..., de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de Mme D..., après débats en l'audience publique du 4 février 2020 où étaient présents Mme Batut, président, M. Avel, conseiller rapporteur, Mme Kamara, conseiller doyen, et Mme Randouin, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 27 mars 2018), M. V... a vécu, entre 2009 et 2015, dans la maison appartenant à Mme D..., fille de son ancienne concubine, avant d'en être expulsé.
2. Soutenant qu'il avait réalisé à ses frais des travaux dans cette maison, il a assigné Mme D... en indemnisation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. V... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande indemnitaire au titre de l'enrichissement sans cause, alors « que nul ne peut s'enrichir sans cause aux dépens d'autrui ; que la cour d'appel a constaté que Mme D... avait obtenu une autorisation de faire des travaux de rénovation en 2002, que les factures de matériaux, tickets de caisse versés aux débats par M. V... sont datés des années 2002, 2003, 2004, 2006 et 2007, soit de la période où il vivait en concubinage avec Mme X..., mère de Mme D..., et qu'aucune entreprise quelconque n'est intervenue pour la réalisation de ces travaux ; qu'en reprochant à M. V... de n'avoir pas obtenu « l'accord effectif » de la propriétaire des locaux pour la réalisation des travaux, sans rechercher, comme elle y était invitée et comme l'avaient retenu les premiers juges, s'il ne résultait pas de ses propres constations qu'« un accord tacite paraît absolument évident », la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1371 du code civil, en sa rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1371 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
4. Il résulte de ce texte que nul ne peut s'enrichir sans cause au détriment d'autrui.
5. Pour rejeter la demande, l'arrêt retient que, dès lors que M. V... vivait avec la mère de Mme D..., rien ne pouvait empêcher celui-ci d'avoir obtenu l'accord effectif de la propriétaire pour la réalisation des travaux qu'il avait l'intention d'entreprendre.
6. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, s'il ne résultait pas de ses propres constatations l'existence d'un accord tacite de la propriétaire sur la réalisation de travaux par M. V..., la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le second moyen du même pourvoi, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. M. V... fait grief à l'arrêt de le condamner au paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive, alors « que celui qui triomphe, même partiellement dans son action, ne peut être condamné à des dommages-intérêts pour procédure abusive ; qu'ainsi, la cassation à intervenir sur le fondement du premier moyen entraînera la cassation, par voie de conséquence, du chef du dispositif de l'arrêt ayant condamné M. V... au paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive, et ce, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
8. Aux termes de ce texte, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce. Elle s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
9. La cassation sur le premier moyen entraîne l'annulation, par voie de conséquence, des dispositions qui sont critiquées par le second.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal et sur le pourvoi incident éventuel, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée ;
Condamne Mme D... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mars deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Delamarre et Jéhannin, avocat aux Conseils, pour M. V..., demandeur au pourvoi principal
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté M. V... de sa demande en paiement d'une indemnité au titre de l'enrichissement sans cause qu'il a procuré à Mme D... ;
AUX MOTIFS QUE « sur l'enrichissement sans cause : cette action est subordonnée à l'enrichissement d'une partie et à l'appauvrissement corrélatif de l'autre, et à l'absence d'action possible sur un autre fondement de la part de l'appauvri,
que M. V... estime s'être appauvri sans cause, que Mme D... invoque sa faute à avoir réalisé des travaux sans son accord,
que Mme D... a obtenu une autorisation de faire des travaux de rénovation en 2002 ; que les factures de matériaux, tickets de caisse versés aux débats par M. V... sont datés des années 2002, 2003, 2004, 2006 et 2007, soit de la période où il vivait en concubinage avec Mme X..., mère de Mme D... ; qu'aucune entreprise quelconque n'est intervenue pour la réalisation de ces travaux,
que rien ne pouvait, même alors que M. V... vivait avec la mère de Mme D..., empêcher celui-ci d'avoir l'accord effectif de la propriétaire des locaux pour la réalisation de ces travaux ; qu'au surplus, l'absence de cause de l'enrichissement de Mme D... dans de telles circonstances doit être établi,
que M. V... sera débouté de sa demande » ;
1°/ ALORS QUE nul ne peut s'enrichir sans cause aux dépens d'autrui ; que la cour d'appel a constaté que Mme D... avait obtenu une autorisation de faire des travaux de rénovation en 2002, que les factures de matériaux, tickets de caisse versés aux débats par M. V... sont datés des années 2002, 2003, 2004, 2006 et 2007, soit de la période où il vivait en concubinage avec Mme X..., mère de Mme D..., et qu'aucune entreprise quelconque n'est intervenue pour la réalisation de ces travaux ; qu'en reprochant à M. V... de n'avoir pas obtenu « l'accord effectif » de la propriétaire des locaux pour la réalisation des travaux, sans rechercher, comme elle y était invitée et comme l'avaient retenu les premiers juges, s'il ne résultait pas de ses propres constations qu'« un accord tacite paraît absolument évident », la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1371 du code civil, en sa rédaction applicable au litige ;
2°/ ALORS SUBSIDIAIREMENT QUE le fait d'avoir commis une imprudence ou une négligence, à le supposer démontré, ne prive pas de son recours fondé sur l'enrichissement sans cause celui qui, en s'appauvrissant, a enrichi autrui ; qu'en déboutant M. V... de sa demande au titre de l'enrichissement sans cause procuré à Mme D... en raison des travaux de rénovation qu'il a effectués dans la maison de celle-ci au moyen de matériaux qu'il avait achetés lui-même, en retenant qu'il n'aurait pas obtenu « l'accord effectif de la propriétaire des locaux pour la réalisation de ces travaux », cependant que cette circonstance, à la supposer démontrée, n'était pas de nature à faire échec à l'action de in rem verso, la cour d'appel a violé l'article 1371 du code civil en sa rédaction applicable à la cause ;
3°/ ALORS QUE nul ne peut s'enrichir sans cause aux dépens d'autrui ; qu'en se bornant à retenir que « l'absence de cause de l'enrichissement de Mme D... dans de telles circonstances doit être établi », sans s'expliquer sur les conclusions aux termes desquelles l'exposant faisait valoir que l'enrichissement de Mme D... ne reposait sur aucune justification, n'étant pas une contrepartie de la brève occupation des lieux par M. V..., ni justifiée par une intention libérale de celui-ci, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1371 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné M. V... à payer à Mme D... la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
AUX MOTIFS QUE « sur les dommages et intérêts pour procédure abusive ;
que la demande de M. V... sur le fondement de l'enrichissement sans cause était manifestement vouée à l'échec dès lors que par des motifs explicites, la cour avait précisé qu'il n'avait pas d'intérêt légitime à solliciter une expertise et que, pas plus maintenant que lors de l'instance s'étant déroulée en 2013-2015, il ne rapporte les éléments nécessaires au succès de sa demande ; que son action porte préjudice à Mme D... ; que la cour lui allouera la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive » ;
1°/ ALORS QUE celui qui triomphe, même partiellement dans son action, ne peut être condamné à des dommages et intérêts pour procédure abusive ; qu'ainsi, la cassation à intervenir sur le fondement du premier moyen entrainera la cassation, par voie de conséquence, du chef du dispositif de l'arrêt ayant condamné la M. V... au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive, et ce, en application de l'article 624 du Code de procédure civile ;
2°/ ALORS QU'une action en justice ne peut, sauf circonstances particulières, qu'il appartient alors au juge de spécifier, constituer un abus de droit, lorsque sa légitimité a été reconnue par la juridiction du premier degré, malgré l'infirmation dont sa décision a été l'objet en appel ; que les premiers juges avaient fait droit à l'action de in rem verso intentée par M. V... ; qu'en se bornant à affirmer, pour le condamner pour procédure abusive après avoir infirmé le jugement, que son action aurait été « manifestement vouée à l'échec » et qu'il n'aurait pas apporté les éléments nécessaires au succès de sa demande tandis que sa précédente demande tendant à voir ordonner une expertise avait déjà été écartée lors de la procédure de 2013-2015 et que cette action aurait porté préjudice à Mme D..., la cour d'appel a statué par des motifs impropres à caractériser les circonstances particulières de nature à justifier la condamnation pour procédure abusive de l'intimé, en violation de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
3°/ ALORS QU'en toute hypothèse, l'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'est pas constitutive d'une faute ; qu'en se bornant à affirmer, pour condamner M. V... pour procédure abusive après avoir infirmé le jugement, que son action aurait été « manifestement vouée à l'échec » et qu'il n'aurait pas apporté les éléments nécessaires au succès de sa demande tandis que sa précédente demande tendant à voir ordonner une expertise avait déjà été écartée lors de la procédure de 2013-2015 et que cette action aurait porté préjudice à Mme D..., la cour d'appel a statué par des motifs impropres à caractériser une faute de l'intimé ayant fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice, en violation de l'article 1382, devenu 1240, du code civil.