LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 27 février 2020
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 188 F-D
Pourvoi n° M 18-22.967
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 FÉVRIER 2020
1°/ Mme FC... Q..., domiciliée [...] ou encore [...],
2°/ Mme X... Q..., domiciliée [...] ,
3°/ Mme XJ... Q... épouse E..., domiciliée [...] ,
4°/ Mme MX... Q..., épouse B..., domiciliée [...] ,
5°/ M. O... Q..., domicilié [...] ,
6°/ Mme T... Q..., épouse JF... , domiciliée [...] ,
7°/ Mme H... JT..., domiciliée [...] ,
8°/ Mme D... JT..., épouse K..., domiciliée [...] ,
9°/ M. Y... JT..., domicilié [...] ,
ont formé le pourvoi n° M 18-22.967 contre l'arrêt rendu le 6 février 2018 par la cour d'appel de Fort-de-France (chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme W... IX..., épouse F..., domiciliée [...] ,
2°/ à M. GJ... IX..., domicilié [...] ,
3°/ à Mme G... IX..., domiciliée [...] ,
4°/ à M. GK... IX..., domicilié [...] ,
5°/ à Mme J... IX..., domiciliée [...] ,
6°/ à Mme R... IX..., domiciliée [...] ,
7°/ à Mme N... IX..., domiciliée [...] ,
8°/ à M. I... IX..., domicilié [...] ,
9°/ à Mme M... IX..., épouse AL..., domiciliée [...] , ou encore [...] ,
10°/ à M. C... IX..., domicilié [...] ,
11°/ à M. S... surnommé P... IX..., domicilié [...] ,
12°/ à M. FJ... IX..., domicilié [...] ,
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Béghin, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat des consorts Q... et JT..., de la SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot, avocat des consorts IX..., après débats en l'audience publique du 4 février 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Béghin, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 6 février 2018), que Mmes W..., G... et J... IX... et MM. GJ... et GK... IX..., venant aux droits d'MY... MK..., Mmes R..., N... et M... FC... IX... et MM. I..., C..., S... et FJ... IX..., venant aux droits de GL... MK... (les consorts IX...), ont assigné Mmes XJ..., MX..., FC..., T... et X... Q..., M. O... Q..., Mme D... JT... et MM. H... et Y... JT..., venant aux droits d'YC... BZ... (les consorts Q... et JT...), en annulation de deux actes authentiques de notoriété constatant une prescription acquisitive, dressés les 10 août 1994 et 23 avril 1996 ;
Sur le moyen relevé d'office, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile :
Vu les articles 1317 et 1353 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Attendu que, pour accueillir la demande en annulation des actes de notoriété, l'arrêt retient que la valeur de ces actes, antagonistes en ce qu'ils désignent, l'un, MY... et GL... MK..., l'autre, EK... et YC... BZ..., propriétaires de mêmes parcelles, a été anéantie par un jugement du 26 novembre 2002 confirmé par un arrêt du 7 décembre 2007 ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la nullité d'un acte de notoriété acquisitive ne saurait résulter de son absence de valeur probante, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur les deuxième et troisième moyens, réunis :
Vu les articles 70 et 567 du code de procédure civile, ensemble l'article 1351, devenu 1355, du code civil ;
Attendu que, pour déclarer irrecevable la demande des consorts Q... et JT... en revendication des parcelles visées par l'acte de notoriété du 23 avril 1996, l'arrêt retient que cette demande, outre qu'elle n'a pas été soumise au premier juge, est équivalente à la revendication des consorts BZ..., aux droits desquels ils agissent, qui a été rejetée par jugement du 26 novembre 2002 ;
Qu'en statuant ainsi, alors, d'une part, que ce jugement a été frappé d'appel et que, devant les juges du second degré l'ayant confirmé, les consorts BZ... ont uniquement demandé qu'il leur soit donné acte de leur revendication de trois des parcelles comprises dans l'acte de notoriété du 23 avril 1996, et d'autre part, que la demande en revendication des consorts Q... et JT... était reconventionnelle, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre ;
Condamne les consorts IX... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les consorts IX... et les condamne à payer aux consorts Q... et JT... la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept février deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour les consorts Q... et JT....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt infirmatif attaqué encourt la censure ;
EN CE QU' il a dit nulle et de nul effet la notoriété prescriptive et acquisitive du 23 avril 1996 établie par Me RL... concernant les parcelles [...] , [...], [...], [...], [...], [...] et [...] ;
AUX MOTIFS QUE « l'acte de notoriété du 10 août 1994 vise à établir propriété de Mmes MY... MK... et GL... MK... sur différentes parcelles situées sur la commune du [...] par l'effet de la prescription acquisitive ; que celui du 23 avril 1996 tend à la même fin, sur les mêmes parcelles à l'exception de deux d'entre d'elles, au profit de M. EK... BZ... et Mme YC... BZ... ; que le jugement du 26 novembre 2002 a rejeté : la demande en revendication de ces parcelles présentée par les ayants droit de Mmes MY... MK... et GL... MK... qui était notamment fondée sur l'acte de notoriété du 10 août 1994, la demande en revendication présentée par M. LS... BZ..., venant aux droits de EK... BZ..., et par Mme YC... BZ..., fondée notamment sur l'acte de notoriété du 23 avril 1996 ; que dans son arrêt du 7 décembre 2007, la cour d'appel a confirmé ce jugement en considérant notamment l'existence d'une propriété indivise de l'ensemble des parties ; qu'il en résulte que la valeur des deux actes de notoriété, antagonistes en ce qu'ils désignent les consorts MK... d'une part, les consorts BZ... d'autre part, comme seuls propriétaires, a été réduite à néant par les deux décisions judiciaires ; que pour autant, alors que l'annulation de l'acte du août 1994 et l'inopposabilité de celui du 23 avril 1996, lui étaient demandées, le tribunal ne s'est pas formellement prononcé à ce sujet ; aucun motif spécifique ne vient en effet au soutien du rejet global des demandes ; que la demande des consorts IX..., venant aux droits de MY... MK... et GL... MK... ne se heurtent donc pas à l'autorité de la chose jugée sur ces points précis ; qu'elle est également bien fondée, contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, car non seulement les deux actes sont incompatibles mais encore ils attestent l'un et l'autre de droits qui ont été reconnus judiciairement non établis ; qu'ils ne peuvent donc subsister comme titres de propriété non conformes à la réalité de la situation juridique immobilière ; qu'il y a donc lieu à infirmation du jugement déféré et annulation des deux actes de notoriété » ;
ALORS QUE, premièrement, un acte de notoriété, constatant des actes de possession révélant une prescription trentenaire, ne peut être annulé au motif qu'un autre acte de notoriété a constaté une possession trentenaire au profit d'une autre partie ; qu'en pareille hypothèse, il appartient seulement au juge de déterminer si les actes de possession, que constate l'acte notarié contesté, peuvent ou non fonder une acquisition par l'effet de la prescription trentenaire ; qu'en annulant l'acte de notoriété du 23 avril 1996, les juges du fond ont violé les articles 12 du Code de procédure civile, 544 du Code civil, 2258 nouveau, 2272 nouveau [2279 ancien] du Code civil ;
ALORS QUE, deuxièmement, seules les énonciations du dispositif d'une décision de justice ont un caractère décisoire ; qu'en dehors des demandes relatives aux titres, ou encore à l'expulsion, les consorts G... se bornaient lors de la procédure ayant abouti à l'arrêt du 7 décembre 2007 (p. 6) à demander d'être déclarés seuls propriétaires du terrain litigieux ; que cette demande ayant été rejetée, l'arrêt du 7 décembre 2007 ne consacrait aucune situation juridique incompatible avec la possession attestée par l'acte de notoriété du 23 avril 1996 ; qu'à cet égard, l'arrêt attaqué a été rendu en violation de l'article 480 du Code de procédure civile, ensemble l'article 1355 nouveau [1351 ancien] du Code civil ;
ET ALORS QUE, troisièmement, à l'occasion de la procédure ayant abouti à l'arrêt du 7 décembre 2007 (p. 7 et 8), si M. LS... BZ..., ayant droit de M. EK... BZ..., étranger à la présente procédure, sollicitait la réformation du jugement en ce qu'il n'avait pas reconnu sa qualité de propriétaire, les consorts Q..., ayants droit de Mme YC... BZ..., se bornaient à contester la possession des consorts G..., à solliciter l'infirmation du jugement en tant qu'il avait considéré comme inopérante la notoriété du 23 avril 1996, à demander à la Cour d'appel de leur donner acte d'une revendication portant sur les parcelles [...] , [...] et [...] et subsidiairement à constater l'existence d'un lien héréditaire ; qu'à aucun moment les consorts Q... n'ont invité la Cour d'appel à dire qu'ils avaient possédé les terrains pendant trente ans et qu'ils pouvaient invoquer la prescription trentenaire ; qu'ainsi, faute d'une demande en ce sens, il était exclu que l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt du 7 novembre 2007 puisse, à raison de la situation qu'il consacre, justifier l'annulation de l'acte de notoriété du 23 avril 1996 à l'égard des consorts Q... ; qu'à cet égard également, l'arrêt attaqué a été rendu en violation de l'article 480 du Code de procédure civile, ensemble l'article 1355 nouveau [1351 ancien]
du Code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt infirmatif attaqué encourt la censure ;
EN CE QU' il a déclaré irrecevable la demande reconventionnelle des consorts Q... aux fins de les voir dire propriétaires exclusifs des parcelles [...], [...], [...], [...], [...], [...] et [...] situées sur la commune de [...] ;
AUX MOTIFS QU' « outre qu'elle n'a pas été soumise au premier juge, la demande des intimés tendant à les voir déclarer propriétaires exclusifs des parcelles cadastrées [...] , [...], [...], [...], [...], [...] et [...], est irrecevable car la demande en revendication, équivalente à la leur, des consorts BZ... aux droits desquels ils agissent, a déjà été rejetée par le jugement du 26 novembre 2002 » ;
ALORS QUE, premièrement, lorsqu'une demande nouvelle émane d'une partie qui avait la qualité de défendeur en première instance, seul l'article 567 du Code de procédure civile, à l'exclusion des articles 564 à 566, est applicable ; qu'au regard de l'article 567, une demande nouvelle est recevable dès lors qu'elle présente un lien suffisant avec les demandes formulées en première instance ; qu'en écartant la demande des consorts Q... comme nouvelle sans s'expliquer sur ce lien suffisant, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 70 et 567 du Code de procédure civile ;
ET ALORS QUE, deuxièmement, à partir du moment où le juge d'appel constate qu'une demande est irrecevable comme nouvelle, il lui est interdit, faute de pouvoir juridictionnel à l'égard de cette demande, de se prononcer sur la recevabilité de la demande pour une cause distincte de sa nouveauté ; qu'ayant constaté en l'espèce que la demande reconventionnelle était nouvelle, la Cour d'appel était privée de tout pouvoir à l'égard de cette demande et qu'en s'arrogeant le pouvoir de déterminer si elle n'était pas irrecevable à raison d'une précédente décision, les juges du fond ont commis un excès de pouvoir.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt infirmatif attaqué encourt la censure ;
EN CE QU' il a déclaré irrecevable la demande reconventionnelle des consorts Q... aux fins de les voir dire propriétaires exclusifs des parcelles [...], [...], [...], [...], [...], [...] et [...] situées sur la commune de [...] ;
AUX MOTIFS QU' « outre qu'elle n'a pas été soumise au premier juge, la demande des intimés tendant à les voir déclarer propriétaires exclusifs des parcelles cadastrées [...] , [...], [...], [...], [...], [...] et [...], est irrecevable car la demande en revendication, équivalente à la leur, des consorts BZ... aux droits desquels ils agissent, a déjà été rejetée par le jugement du 26 novembre 2002 » ;
ALORS QUE, premièrement, en cas d'appel, et sauf si l'acte d'appel précise que l'appel est partiel, l'effet dévolutif remet en cause l'entier litige, sachant que les parties peuvent modifier leurs prétentions et formuler des demandes autres que celles formulées en première instance ; qu'en pareil cas, si le dispositif de l'arrêt s'approprie le dispositif du jugement, notamment en ce qu'il rejette les demandes, le rejet tel qu'il résulte de l'arrêt ne peut concerner que les demandes formées en cause d'appel ; qu'en l'espèce, si Mme YC... BZ... a demandé en première instance, en 2002, de faire constater l'acquisition d'un droit de propriété exclusif par l'effet de la possession, en cause d'appel, les consorts Q..., ayants droit de Mme YC... BZ..., se sont bornés à contester la demande des consorts G..., à solliciter l'infirmation du jugement en tant qu'il a considéré comme inopérante la notoriété des consorts Q..., à leur donner acte d'une revendication portant sur trois parcelles : [...], [...] et [...], et à constater l'existence d'une souche héréditaire du chef de Mme DM... (arrêt du 7 décembre 2007, p. 7 et 8) ; qu'ainsi, la confirmation du dispositif du jugement en tant qu'il rejette les demandes n'a pu concerner, dans l'arrêt du 7 décembre 2007, que les demandes formées par les consorts Q... en cause d'appel ; qu'il était dès lors exclu que les juges du fond, aux termes de l'arrêt attaqué, puissent opposer l'autorité de chose jugée attachée au jugement du 26 novembre 2002 ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé l'article 480 du Code de procédure civile, ensemble l'article 1355 nouveau [1351 ancien] du Code civil ;
ALORS QUE, deuxièmement, lorsqu'un arrêt use d'une formule générale, telle que « rejette les demandes », le sens de cette formule doit être compris en considération des motifs de l'arrêt ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt du 7 décembre 2007, que si l'arrêt a rejeté les demandes, il ne s'est pas prononcé, dans ses motifs (p. 8 à 10 et sp. p.10) sur le caractère inopérant de l'acte de notoriété du 23 avril 1996 et en tout cas sur une revendication visant à faire constater une propriété exclusive à raison d'actes de possession ; qu'en effet, lorsque la possession est évoquée, l'arrêt du 7 décembre 2007 ne vise que la possession de Mmes MY... et GL... MK... ou la possession des consorts G... (p.10) ; qu'ainsi, l'arrêt du 7 décembre 2007 ne s'est pas prononcée sur l'acte de notoriété du 23 avril 1996 ou la revendication d'une propriété exclusive fondée sur la possession des consorts BZ... ; que sous cet angle et à supposer que l'arrêt se soit référé à l'arrêt du 7 décembre 2007, l'arrêt attaqué doit être regardé comme rendu en violation de l'article 480 du Code de procédure civile, ensemble de l'article 1355 nouveau [1351 ancien] du Code civil.