LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 27 février 2020
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 141 F-D
Pourvoi n° P 18-19.657
Aide juridictionnelle en défense totale Aide juridictionnelle partielle en défense
au profit de Mme P... X..., épouse L.... au profit de M. U... L....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation près la Cour de cassation
en date du 20 novembre 2018. en date du 13 novembre 2018.
Aide juridictionnelle totale en défense Aide juridictionnelle partielle en défense
au profit de M. W... L.... au profit de Mme B... L..., épouse A....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation près la Cour de cassation
en date du 5 octobre 2018. en date du 5 novembre 2018.
Aide juridictionnelle totale en défense Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme K... L..., épouse T.... au profit de Mme B... L....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation près la Cour de cassation
en date du 5 octobre 2018. en date du 20 novembre 2018.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 FÉVRIER 2020
M. N... E..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° P 18-19.657 contre l'arrêt rendu le 17 avril 2018 par la cour d'appel de Fort-de-France (chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme P... X..., épouse L..., domiciliée [...] ,
2°/ à M. N... L..., domicilié [...] ,
3°/ à M. U... L..., domicilié [...] ,
4°/ à M. W... L..., domicilié [...] ,
5°/ à Mme B... L..., épouse A..., domiciliée [...] ,
6°/ à M. F... L..., domicilié [...] ,
7°/ à Mme K... L..., épouse T..., domiciliée [...] ,
8°/ à Mme B... L..., domiciliée [...] ,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Parneix, conseiller, les observations de la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat de M. E..., de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de Mme P... L..., MM. F... et N... L... et Mme B... L..., de la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de M. U... L..., de la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat de Mme B... L..., de la SCP Piwnica etamp; Molinié, avocat de Mme K... L... et après débats en l'audience publique du 21 janvier 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Parneix, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 17 avril 2018), que Mmes P..., B..., K... et B... L... et MM. N..., U..., W... et F... L... (les consorts L...) sont propriétaires au [...] d'une parcelle cadastrée [...] ; que M. E... est propriétaire de la parcelle contiguë, cadastrée [...] , sur laquelle il a construit une maison d'habitation ; que, soutenant que cet immeuble empiétait sur leur fonds, les consorts L... ont assigné M. E... en suppression de cet empiétement et en dommages et intérêts ;
Sur le premier moyen, ci-après annexé :
Attendu que M. E... fait grief à l'arrêt d'ordonner la suppression de l'empiétement ;
Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel n'a pas opposé à la demande de M. E... la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du 7 juin 2010 ayant ordonné le bornage des parcelles ;
Attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que la limite séparative des parcelles avait été définitivement fixée par ce bornage et que cette limite, qui était conforme au plan cadastral, avait été retenue après que le géomètre-expert eut procédé à des mesures de superficie et à des relevés topographiques et constaté que la maison de M. E... était partiellement édifiée sur le fonds des consorts L..., la cour d'appel, qui n'a pas tranché une question de propriété non soulevée devant elle et a répondu en l'écartant au moyen prétendument délaissé, a souverainement retenu l'existence d'un empiétement dont elle a, à bon droit, ordonné la suppression ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen ci-après annexé :
Attendu que M. E... fait grief à l'arrêt de le condamner à payer une certaine somme aux consorts L... ;
Mais attendu, d'une part, que la cassation n'étant pas prononcée sur le premier moyen, l'annulation par voie de conséquence est devenue sans portée ;
Attendu, d'autre part, qu'en retenant que l'empiétement ainsi caractérisé avait indéniablement causé aux consorts L... un préjudice de jouissance, dont elle a souverainement fixé le montant, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, réfuté les motifs du jugement qui avait écarté l'existence d'un tel préjudice ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. E... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formé par M. E... et le condamne à payer à la SCP Coutard et Munier-Apaire la somme de 1 000 euros, à la SCP Claire Leduc et Solange Vigand la somme de 1 000 euros, à MM. F... et N... L... la somme globale de 1 000 euros, à la SCP Piwnica etamp; Molinier la somme globale de 1 000 euros, à la SCP Matuchansky, Poupot etamp; Valdelièvre la somme de 1 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept février deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat aux Conseils, pour M. E...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir constaté que la maison construite par M. N... E... sur la parcelle située [...] cadastrée [...] empiète sur la parcelle cadastrée [...] appartenant aux consorts L... ; d'avoir condamné M. N... E... à mettre la construction litigieuse à l'alignement de la limite, soit en supprimant la partie qui dépasse la limite séparative, soit en démolissant la construction qui empiète sur la parcelle des consorts L..., cadastrée [...] et d'avoir dit que faute par M. E... de procéder à cette suppression ou démolition dans le délai de six mois à compter de la signification de sa décision, il sera redevable d'une astreinte provisoire de cinquante euros (50 euros) par jour de retard, pendant un délai maximal de 180 jours ;
AUX MOTIFS QU'au soutien de son appel, M. E... fait valoir que l'acte de vente dressé par notaire le 26 novembre 1975 contenait pour précision que la parcelle vendue [...] provenait de la refonte de la parcelle [...] selon document d'arpentage numéro 175 annexé à l'acte et établi en conformité d'un piquetage effectué sur le terrain sur la foi des déclarations des occupants. Il en déduit qu'il n'y pas eu de bornes implantées mais des piquets déplacés depuis lors, ce qui ne permet pas de fixer les limites exactes entre son terrain et celui des consorts L.... Il soutient encore que l'expert ayant conclu à un empied sur le terrain des consorts L... ne s'est basé que sur les documents dont une annexe portant plan cadastral fournis par les consorts L... alors qu'un géomètre concluait pour sa part à l'absence d'empiétement. Pour solliciter la confirmation du jugement entrepris, les consorts L... soulignent que l'empiètement sur leur propriété est caractérisé aux termes du rapport déposé par l'expert le 12 décembre 2008, lequel n'a pas été contesté par l'appelant ; ce d'autant plus qu'un plan dressé en 2005 par le géomètre Toussaint le mettait déjà en évidence. Ils font valoir que ce rapport a été homologué par le Tribunal d'instance par jugement en date du 7 juin 2010, devenu définitif. Aux termes du rapport visé en exorde, l'expert précisait en effet que les deux parcelles étaient bien définies en la matière puisqu'aucun plan d'arpentage n'a été établi préalablement aux ventes. Il précisait que le document d'arpentage n° 368, établi par M... pour la vente à Mme E..., ne semble pas avoir été appliqué puisque les parcelles [...] et [...] n'ont été créées ni sur le cadastre de 1992, ni sur le plan cadastral récent (digitalisé)
, sur lequel figurent plusieurs des nouvelles maisons construites sur les parcelles concernées - dont les deux maisons des enfants : N... E... et N... L.... Ce dernier plan montre le dépassement de la maison de N... E... ». L'expert concluait « après étude des pièces des parties, opérations topographiques : mesures et alignements sur les lieux, application rigoureuse du cadastre du secteur-sur lequel les ventes ont été faites-nous proposons de retenir » une limite des fonds des parties, cette ligne « faisant apparaître un dépassement (confirmé par le plan cadastral actuel) de la maison de N... E... sur le terrain des héritiers L... de deux mètres en façade nord et de deux mètres soixante en façade Sud ». Pour autant, M. E..., sans avoir remis en cause dans un premier temps le rapport d'expertise, soutient qu'il est plus que contestable car il n'a pas tenu compte du tracé effectué en 1991 par un géomètre et dont il ressort que sa maison n'empiète pas sur le terrain voisin contrairement aux conclusions de l'expert déposées en 2008. Toutefois, il sera relevé que ce plan réalisé le 18 juillet 1991 par le géomètre J... est contredit tant par les mesures de l'expert que par le plan cadastral, lequel fait également apparaître des constructions nouvelles et un empiètement de la maison de M. E... non contesté devant le premier juge. M. E... a par ailleurs débuté la construction de sa maison en 1992, ainsi que le premier juge le souligne sans être contredit, soit postérieurement aux constatations et tracé réalisés par le géomètre J.... Il est constant par ailleurs qu'aux termes du document d'arpentage annexé à l'acte de vente de Mme V... veuve E..., il n'existait pas de bornage mais un piquetage rendant les limites des parcelles quelque peu imprécises. Monsieur E... évoque à ce titre, en s'appuyant sur une plainte qu'il a déposée à la gendarmerie le 29 août 2008 au cours de la procédure pendante en vue de la fixation du bornage par la juridiction, la disparition d'une borne placée à la limite des parcelles [...]. Outre qu'aucun document ne vient corroborer le placement contradictoire de cette borne, ces éléments sont contredits par le rapport d'expert procédant à la fixation des limites des parcelles, en conformité avec le cadastre. Ce rapport, non contesté en son temps, a été par ailleurs entériné par une décision du tribunal d'instance, devenue définitive, et fixant les limites des parcelles sans qu'il soit possible à ce stade de le remettre en cause dès lors que l'expert n'aurait pas mesuré également la superficie du terrain des consorts E.... Au contraire, il sera observé que l'expert a repris les mesures après vérification de la superficie du terrain des L... qui « retrouvera ainsi ses 5035 m2 au lieu des 4925 de la détermination du Plan Toussaint » utilisé comme référence et dont les déterminations correspondaient avec les mesures prises par l'expert et a indiqué que conformément à son acte de vente le terrain de Mme V... est de 13 a 66 ca, notant ainsi qu'il a été rappelé ci-avant que les parcelles étaient bien définies par le cadastre. Dès lors, c'est à bon droit que le premier juge a constaté que la maison de M. E... sur la parcelle située [...] cadastrée [...] empiète sur la parcelle cadastrée [...] appartenant aux consorts L... et en a tiré les conséquences, notamment en condamnant M. E... à supprimer cet empiètement. Afin d'assurer l'effectivité de sa décision, c'est également par une juste appréciation des éléments qui lui était soumis qu'il a assorti sa décision d'une astreinte de 50 euros par jour de retard mise à la charge de M. E..., laquelle commencera néanmoins à courir à l'issue d'un délai de six mois à compter de la signification du présent arrêt et pour une durée limitée de six mois ;
1. ALORS QU'un jugement de bornage passé en force de chose jugée ne tranche pas la question de propriété des parcelles en cause et ne fait pas obstacle à l'action en revendication ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, M. N... E... soutenait que sa maison n'empiétait pas sur la parcelle des consorts L... et contestait le rapport d'expertise, comportant en annexe un nouveau plan de bornage, déposé par M. O... le 12 décembre 2008 dans le cadre de l'instance en bornage, et homologué par le jugement de bornage du tribunal d'instance de Fort-de-France du 7 juin 2010, en ce que l'expert avait omis de vérifier la superficie réelle de la parcelle [...] dont feu sa mère, Mme V... veuve E..., était propriétaire, alors qu'il l'avait fait pour la parcelle [...] des consorts L..., les deux parcelles ayant été respectivement acquises sans plan d'arpentage ; que dès lors, en retenant à tort, dès lors que cette décision n'avait pas tranché la question de la propriété, donc de l'empiètement litigieux, que « ce rapport, non contesté en son temps, a été par ailleurs entériné par une décision du tribunal d'instance, devenue définitive, et fixant les limites des parcelles sans qu'il soit possible à ce stade de le remettre en cause dès lors que l'expert n'aurait pas mesuré également la superficie du terrain des consorts E... », la cour d'appel a violé l'ancien article 1351 du code civil, devenu l'article 1355 du code civil ;
2. ALORS QU'en se fondant exclusivement sur les limites définies par l'expert judiciaire dans le cadre de l'instance en bornage où n'avait pas été tranchée la question de la propriété de la parcelle litigieuse, la cour d'appel a violé les articles 544 et 646 du code civil ;
3. ALORS, subsidiairement, QUE dans ses conclusions d'appel, M. E... soutenait qu'« il faut remarquer, comme l'a fait M. O... en page 3 de son rapport, à la lecture des titres de propriétés. Mme V... épouse E... a acheté la première auprès de la SATEC sans aucun plan d'arpentage en 1975. M. Z... I... L..., époux de Mme X..., a été acquéreur en 1979 auprès de la SATEC sans aucun plan d'arpentage. C'est donc l'occupation des parties qui doit être retenue. » ; qu'en ne répondant pas à ce moyen, pourtant de nature à démontrer qu'aucun empiètement ne pouvait être caractérisé dès lors que les parcelles litigieuses avaient été acquises par les parties sans qu'aucun plan d'arpentage définissant leurs limites n'ait été établi, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif sur ce point, d'avoir condamné M. N... E... à verser aux consorts L... la somme de 1.000 euros à titre de dommages-intérêts ;
AUX MOTIFS QUE l'empiètement ainsi caractérisé a indéniablement engendré pour les consorts L... un préjudice de jouissance qui sera exactement indemnisé en l 'état des pièces versées aux débats à hauteur de 1.000 euros ;
1. ALORS QUE par application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation à intervenir des chefs de dispositif constatant l'empiètement de la maison de l'exposant sur la parcelle [...] appartenant aux consorts L... et le condamnant à mettre ladite construction à l'alignement de la limite entraînera, par voie de conséquence, la cassation des dispositions condamnant M. N... E... à payer aux consorts L... des dommages et intérêts en réparation du préjudice de jouissance subi, qui se trouvent dans leur dépendance nécessaire ;
2. ALORS QU' une cour d'appel ne peut infirmer le jugement déféré sans réfuter les motifs retenus par les premiers juges ; que dès lors, en se bornant, en l'espèce, à affirmer que l'empiétement litigieux avait indéniablement engendré pour les consorts L... un préjudice de jouissance, sans réfuter la motivation contraire des premiers juges ayant retenu, pour rejeter la demande d'indemnisation des consorts L..., que « les demandeurs se limitent à évoquer une privation de jouissance sans faire état ou démontrer la réalité d'un préjudice direct et certain qu'il aurait subi du fait de cet empiètement », la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.