La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/02/2020 | FRANCE | N°18-25430

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 06 février 2020, 18-25430


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 6 février 2020

Cassation partielle

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 162 F-D

Pourvoi n° P 18-25.430

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 FÉVRIER 2020

La société P..., société à responsabilité limitée,

dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° P 18-25.430 contre l'arrêt rendu le 10 septembre 2018 par la cour d'appel de Nancy (1re chambre civile...

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 6 février 2020

Cassation partielle

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 162 F-D

Pourvoi n° P 18-25.430

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 FÉVRIER 2020

La société P..., société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° P 18-25.430 contre l'arrêt rendu le 10 septembre 2018 par la cour d'appel de Nancy (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à la société AXA assurances IARD, société anonyme, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Besson, conseiller, les observations de la SCP Didier et Pinet, avocat de la société P..., de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société AXA assurances IARD, après débats en l'audience publique du 8 janvier 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Besson, conseiller rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, et Mme Cos, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué, Z... P... est décédé le [...] dans un accident de la circulation impliquant un véhicule conduit par M. E..., qui était assuré auprès de la société Axa assistance France assurances, devenue Axa assurances IARD (l'assureur). La société d'exploitation forestière P..., qu'Z... P... avait créée avec son fils, M. O... P..., a assigné l'assureur en indemnisation du préjudice économique qui serait résulté pour elle des pertes subies à raison de l'indisponibilité professionnelle de M. O... P... qui avait dû, à la suite du décès de son père, s'occuper de sa mère, en situation de handicap et dépendante ;

Examen du moyen unique

Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

2. La société P... fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande indemnitaire contre l'assureur, alors « qu'il est interdit au juge de dénaturer les documents de la cause ; qu'en l'espèce, il résulte clairement de l'attestation de l'expert-comptable U... du 5 juillet 2017 que le chiffres d'affaires de 11 437 025 euros réalisé en 2012 par la SARL P... caractérisait une chute substantielle des ventes par rapport aux autres exercices, son chiffre d'affaires étant de 1 837 683 euros en 2011 et s'établissant respectivement à 1 965 943 euros en 2013 et à 2 035 955 euros en 2014 ; qu'en affirmant, pour juger que la baisse du chiffres d'affaires de la SARL P... en 2012 pouvait avoir d'autres causes de nature conjoncturelle, que son chiffre d'affaires avait de nouveau baissé deux ans après l'accident pour s'élever à la somme de 1 134 512 euros en 2014 alors qu'il avait augmenté en 2013 pour atteindre un total de 1 965 943 euros, quand le chiffre d'affaires pour l'exercice 2014 était de 2 035 955 euros, la cour d'appel a dénaturé l'attestation de M. U... en violation du principe susvisé, ensemble l'article 1192 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'interdiction faite au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

3. Pour débouter la société P... de sa demande de dommages-intérêts, l'arrêt retient qu'il résulte des données communiquées par l'expert-comptable de cette société que la baisse du chiffre d'affaires et surtout du résultat d'exploitation de celle-ci est susceptible d'avoir de multiples causes de nature conjoncturelle de sorte que l'existence d'un lien de causalité direct et exclusif entre les résultats enregistrés au titre de l'année 2012 et le manque de disponibilité de M. O... P... pour s'occuper de son entreprise à la suite du décès de son père est alléguée sans être démontrée, en relevant notamment que le résultat d'exploitation est devenu à nouveau positif après l'accident pour atteindre la somme de 53 873 euros, et que le chiffre d'affaires a de nouveau baissé en 2014 pour s'élever à la somme de 1 134 512 euros alors qu'il avait augmenté en 2013 pour atteindre un total de 1 965 943 euros.

4. En statuant ainsi, en affirmant que le chiffre d'affaires de la société P... avait de nouveau baissé deux ans après l'accident pour s'élever à la somme de 1 134 512 euros en 2014, quand l'attestation de l'expert-comptable de la société P... mentionne que le chiffre d'affaires pour l'exercice 2014 s'élevait à 2 035 955 euros, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ce document.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute la société P... de sa demande d'indemnisation de son préjudice, l'arrêt rendu le 10 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;

Condamne la société AXA assurances IARD aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société AXA assurances IARD et la condamne à payer la somme de 3 000 euros à la société P... ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six février deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils, pour la société P...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la SARL P... de sa demande indemnitaire contre la société Axa Assurances Iard ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE la société appelante fait valoir que le décès de M. Z... P... est intervenu à une période de l'année qui correspond à celle durant laquelle ont lieu les achats de parcelles de bois auprès de l'ONF dans le cadre des adjudications organisées par cet organisme, et que l'impossibilité où s'est trouvé M. O... P..., à la suite de ce décès, d'étudier les parcelles mises en vente et de participer aux adjudications, a eu pour conséquence une perte de chiffre d'affaires d'un montant de 778.480 € pour l'année 2012 ; que M. A..., responsable des achats de bois au sein de la scierie Vosges Bois Développement, et M. L..., chef du service bois à l'agence Vosges Ouest, attestent, l'un que M. O... P... est seul pour effectuer l'estimation des bois en forêt, et pour préparer les achats de bois lors des ventes organisées par l'ONF, l'autre que l'impossibilité pour un acheteur potentiel de participer aux ventes de bois proposées en début d'année civile peut avoir des conséquences directes sur le fonctionnement de son entreprise ; qu'en ce qui concerne l'impossibilité où s'est trouvé M. O... P..., aux mois de février et mars 2012, du fait du décès de son père, d'effectuer des visites de parcelles de bois, Mme F... P..., née C..., certifie qu'en raison du décès de son beau-père, qui s'occupait de son épouse dépendante et handicapée, son mari a dû le remplacer de sorte qu'il a perdu toute disponibilité pour s'occuper des affaires de la société qu'il dirigeait ; que, sur ce point, M. L... atteste que l'ONF a constaté, dans les départements de Meurthe-et-Moselle et des Vosges, une très forte baisse des achats (en montant et en volume) de la société P..., à [...], lors des ventes publiques par adjudication durant les quatre premiers mois de l'année 2012 (baisse de 75 % par rapport à la même période en 2011) ; que M. T... indique encore qu'à la suite du décès de son père, et de la prise en charge de sa mère, O... P... n'a pu réaliser ses achats de bois, ce qui a généré une forte baisse du chiffre d'affaires de la société en 2012 par rapport à l'année précédente ; qu'il résulte des données communiquées par M. U..., expert-comptable, que le chiffre d'affaires réalisé par la société P... est passé de 1.837.683 € en 2011, à 1.143.725 € en 2012, soit un résultat d'exploitation s'élevant successivement à - 548 €, puis à - 35.959 €, et qu'il a augmenté en 2013 pour atteindre la somme de 1.965.943 €, le résultat d'exploitation étant alors positif puisque s'élevant à 53.873 € ; que, cependant, il ressort de ces mêmes données que des disparités importantes se sont produites d'une année sur l'autre à d'autres époques ; qu'en effet, après avoir été constamment supérieur à deux millions d'euros entre 2001 et 2008, le chiffre d'affaires est retombé brutalement à 1.600.139 € en 2009, et 1.679.190 € en 2010, pour remonter à 1.837.683 € en 2011 ; que, par ailleurs, ainsi que l'a relevé le tribunal, le résultat d'exploitation s'est révélé négatif en 2009 à hauteur de – 109.428 € alors qu'il l'était également en 2008 dans une moindre mesure, soit – 1.173 € ; qu'il convient également de relever que le résultat d'exploitation est devenu à nouveau positif après l'accident pour atteindre la somme de 53.873 €, et que le chiffre d'affaires a de nouveau baissé en 2014 pour s'élever à la somme de 1.134.512 € alors qu'il avait augmenté en 2013 pour atteindre un total de 1.965.943 € ; qu'il résulte de ces éléments que la baisse du chiffre d'affaires et surtout du résultat d'exploitation est susceptible d'avoir de multiples causes de nature conjoncturelles de sorte que l'existence d'un lien de causalité direct et exclusif entre les résultats enregistrés au titre de l'année 2012 et le manque de disponibilité de M. O... P... pour s'occuper de son entreprise à la suite du décès de son père étant alléguée sans être démontrée, le jugement mérite d'être confirmé en ce qu'il a débouté la société P... de sa demande en réparation de son préjudice économique ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'en droit, l'indemnisation de la diminution ou la perte des revenus professionnels de la victime par ricochet peut intervenir sur le fondement du préjudice de perte de revenus lorsque le décès de la victime entraîne cette baisse ou cette perte ; que c'est notamment l'hypothèse du décès brutal qui engendre, chez les proches un traumatisme justifiant un arrêt de l'activité professionnelle ; qu'en l'espèce, l'expert-comptable de la SARL P... atteste du montant du chiffre d'affaires annuel de la société entre 2001 et juillet 2014, ainsi que du montant des résultats d'exploitation ; que, pour constater une baisse d'activité, il convient de s'intéresser aux résultats d'exploitation ; que celui de l'année 2012 est négatif, puisqu'il est évalué à - 35.959 € ; que, toutefois la SARL P... a déjà connu des résultats d'exploitation négatifs, notamment en 2009, puisqu'il avait alors été évalué à - 109.428 €, soit une baisse bien plus importante que celle de 2012 ; que les résultats de la SARL P... sont donc fluctuants, comme toute activité économique et les variations peuvent être liées à différents facteurs tels que le coût des matières premières, des transports sans hausse du prix de vente et une baisse de la demande conjoncturelle ;
que la SARL P... ne produit aucune pièce justificative permettant d'expliquer les différentes baisses du résultat d'exploitation susvisées, et notamment aucun élément du dossier ne permet de constater un arrêt d'activité professionnelle par M. O... P..., et donc d'établir un lien de causalité entre les résultats pour l'année 2012 et le décès d'Z... P... ; que, compte tenu de ses éléments, il apparaît que le préjudice de la SARL P... n'est pas direct ; que, dans ces conditions, la demande de la SARL P... au titre du préjudice économique subi sera rejetée ;

1°) ALORS QUE l'auteur d'un accident doit en réparer toutes les conséquences dommageables sans perte ni profit pour la victime ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté, d'une part, que l'absence de disponibilité professionnelle de M. O... P..., qui s'est occupé de sa mère dans les mois qui ont suivi l'accident de la circulation ayant causé la mort de son père, était établie, d'autre part, qu'il était le seul au sein de la SARL P... à pouvoir effectuer les estimations de bois en forêt et à préparer les achats de bois lors des ventes organisées par l'ONF, de troisième part, que n'ayant pu réaliser ces opérations, il en est résulté une très forte baisse des achats de bois pour la SARL P... au cours de cette même période ; qu'en affirmant, pour débouter la SARL P... de sa demande, qu'elle avait succombé à la charge de la preuve d'un rapport de causalité direct et exclusif entre la chute drastique de son activité du fait de l'indisponibilité de son gérant et l'accident de la circulation du [...] dès lors que la baisse du résultat d'exploitation pour 2012 pouvait avoir de multiples causes de nature conjoncturelle quand il résulte de ses propres constatations que cette chute d'activité constituait, au moins pour partie, un préjudice résultant de cet accident, la cour d'appel, qui a refusé d'indemniser un préjudice dont elle a constaté l'existence, a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil et le principe de réparation intégrale du préjudice ;

2°) ALORS, en toute hypothèse, QUE l'auteur d'un accident doit en réparer toutes les conséquences dommageables sans perte ni profit pour la victime ; qu'en l'espèce, l'expert-comptable de la SARL P... a attesté que les achats de bois de la SARL P... avaient chutés de façon drastique à 668.000 € en 2012 par rapport aux autres exercices où ils s'établissaient à 1.274.000 € en 2011, 1.291.000 € en 2013, 1.428.000 € en 2014, 1.650.000 € en 2015 et 1.658.000 € en 2016 et que les ventes réalisées à hauteur de 1.144.000 € en 2012 étaient en net recul par rapport aux autres exercices, soit 1.838.000 € en 2011, 1.966.000 € en 2013, 2.036.000 € en 2014, 2.227.000 € en 2015 et 2.110.000 € en 2016 (pièce n° 29) ; qu'en se bornant à affirmer, pour débouter la SARL P... de sa demande indemnitaire, que la baisse du chiffre d'affaires et surtout du résultat d'exploitation pour l'année 2012 étaient susceptibles d'avoir de multiples causes de nature conjoncturelles sans rechercher si le retentissement professionnel invoqué par la SARL P... n'était pas néanmoins caractérisé alors qu'elle produisait aux débats une attestation comptable certifiant que l'effondrement de son activité d'achat-vente de bois ne s'est manifestée qu'au cours de l'exercice 2012, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil et du principe de réparation intégrale du préjudice ;

3°) ALORS QU'il est interdit au juge de dénaturer les documents de la cause ; qu'en l'espèce, il résulte clairement de l'attestation de l'expert-comptable U... du 5 juillet 2017 que le chiffres d'affaires de 1.143.7025 € réalisé en 2012 par la SARL P... caractérisait une chute substantielle des ventes par rapport aux autres exercices, son chiffre d'affaires étant de 1.837.683 € en 2011 et s'établissant respectivement à 1.965.943 € en 2013 et à 2.035.955 € en 2014 (pièce n° 1) ; qu'en affirmant, pour juger que la baisse du chiffres d'affaires de la SARL P... en 2012 pouvait avoir d'autres causes de nature conjoncturelle, que son chiffre d'affaires avait de nouveau baissé deux ans après l'accident pour s'élever à la somme de 1.134.512 € en 2014 alors qu'il avait augmenté en 2013 pour atteindre un total de 1.965.943 €, quand le chiffre d'affaires pour l'exercice 2014 était de 2.035.955 €, la cour d'appel a dénaturé l'attestation de M. U... en violation du principe susvisé, ensemble l'article 1192 du code civil ;

4°) ALORS, en toute hypothèse, QUE tout jugement doit être motivé à peine de nullité, l'insuffisance de motifs équivalant à leur absence ; qu'en affirmant que le chiffre d'affaires de la SARL P... pour l'exercice 2014 était de 1.134.512 € sans préciser les éléments de preuve sur lesquelles elle se fondait, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 18-25430
Date de la décision : 06/02/2020
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Nancy, 10 septembre 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 06 fév. 2020, pourvoi n°18-25430


Composition du Tribunal
Président : M. Pireyre (président)
Avocat(s) : SCP Didier et Pinet, SCP L. Poulet-Odent

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:18.25430
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award