LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 février 2020
Cassation partielle
Mme BATUT, président
Arrêt n° 120 F-D
Pourvoi n° D 18-26.847
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 5 FÉVRIER 2020
[...] , représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité [...], a formé le pourvoi n° D 18-26.847 contre le jugement rendu le 31 octobre 2018 par le tribunal d'instance de Bonneville, dans le litige l'opposant :
1°/ à M. Q... D...,
2°/ à Mme G... D...,
tous deux domiciliés [...] ,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Serrier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la commune de Saint-Gervais-les-Bains, de Me Balat, avocat de M. et Mme D..., après débats en l'audience publique du 7 janvier 2020 où étaient présents Mme Batut, président, M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Kamara, conseiller doyen, et Mme Randouin, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal d'instance de Bonneville, 31 octobre 2018), rendu en dernier ressort, courant novembre 2016, M. et Mme D..., propriétaires d'un bien immobilier situé dans la commune de Saint-Gervais-les-Bains (la commune) ont effectué des travaux de remise en état d'une canalisation d'alimentation en eau potable, à la suite d'une fuite.
2. Soutenant qu'il appartenait à la commune de prendre en charge le coût de ces travaux, ils l'ont assignée en paiement.
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. La commune fait grief au jugement de la condamner à payer à M. et Mme D... la somme de 2 579,50 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 2017, alors « que les dispositions d'un règlement du service public de l'eau, ayant un caractère réglementaire, sont exécutoires et opposables de plein droit dès leur publication et leur transmission au représentant de l'Etat ; qu'en considérant que le règlement du service public de l'eau serait inopposable à M. et Mme D... faute de démonstration de ce que celui qui leur avait été adressé le 4 juillet 2016 était en vigueur, après avoir constaté qu'une délibération de son conseil municipal du 30 juin 1998 modifiant ce règlement, avait été régulièrement transmise au représentant de l'Etat et publiée le 1er juillet 1998, le tribunal d'instance a violé les articles L. 2131-1 et L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales, dans leur version applicable à l'espèce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 2131-1 et L. 2131-2, 1°, du code général des collectivités territoriales, dans leur rédaction issue de la loi n° 96-142 du 21 février 1996 :
4. Pour déclarer inopposable à M. et Mme D... le règlement local du service public de l'eau et condamner la commune au paiement des travaux effectués par ceux-ci, après avoir constaté que la commune justifie avoir procédé à l'approbation dudit règlement par délibération du conseil municipal du 30 juin 1982, modifié par délibération du 30 juin 1998, réceptionnée en sous-préfecture le 1er juillet 1998 et publiée le même jour, le jugement retient que la commune a adressé le 4 juillet 2016 à M. et Mme D... un règlement daté de mai 1996, dont il n'est pas fait mention dans les délibérations du conseil municipal, et que celle-ci ne démontre pas que ce règlement était celui en vigueur au moment où la fuite est apparue.
5. En statuant ainsi, alors que les dispositions du règlement du service public de l'eau modifié le 30 juin 1998, ayant un caractère réglementaire, étaient exécutoires de plein droit dès leur publication et leur transmission au représentant de l'Etat dans le département, le tribunal d'instance a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la commune de Saint-Gervais-les-Bains à payer à M. et Mme D... la somme de 2 579,50 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 2017, le jugement rendu le 31 octobre 2018, entre les parties, par le tribunal d'instance de Bonneville ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire d'Annecy ;
Condamne M. et Mme D... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq février deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour la commune de Saint-Gervais-les-Bains.
Il est fait grief au jugement attaqué d'avoir condamné la commune de Saint Gervais les Bains à payer à M. Q... D... et à Mme G... D... la somme de 2.579,50 € outre intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 2017 ;
d'une part aux motifs que « sur l'inopposabilité du règlement du service public de l'eau aux époux D... : aux termes des alinéas 1er et 2ème de l'article L. 2224-12 du code général des collectivités territoriales, les communes et les groupements de collectivités territoriales, après avis de la commission consultative des services publics locaux, établissent, pour chaque service d'eau ou d'assainissement dont ils sont responsables, un règlement de service définissant, en fonction des conditions locales, les prestations assurées par le service ainsi que les obligations respectives de l'exploitant, des abonnés, des usagers et des propriétaires ; l'exploitant remet à chaque abonné le règlement de service ou le lui adresse par courrier postal ou électronique ; le paiement de la première facture suivant la diffusion du règlement de service ou de sa mise à jour vaut accusé de réception par l'abonné ; le règlement est tenu à la disposition des usagers ; l'article 1353 du code civil dispose que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ; il ressort des pièces versées aux débats que, si la commune de Saint Gervais justifie avoir procédé par la production d'un extrait du registre des délibérations du conseil municipal lors de sa séance du 30 juin 1982, à l'approbation du règlement du service de l'eau établi par la commission municipale, puis modifié l'article 15 du règlement d'assainissement relatif aux caractéristiques du branchement lors de sa séance du 30 juin 1998, cette dernière décision ayant été réceptionnée en sous-préfecture le 1er juillet 1998 et publiée à la même date, elle n'apporte aucune explication s'agissant de la date du mois de mai 1996 portée sur le règlement du service public de l'eau comme sur le règlement du service public d'assainissement, alors que le procès-verbal établi à l'issue de la séance du 30 juin 1998 fait état d'un « nouveau règlement local de l'assainissement » dont l'application a été approuvée le 13 mai 1992 ; il n'est fait, en outre, nulle mention d'un règlement du service public d'assainissement approuvé en 1996, de sorte qu'elle ne permet pas de mettre le tribunal en mesure d'apprécier si une nouvelle délibération du conseil municipal approuvant un règlement du service public d'assainissement et un règlement du service public de l'eau, a été prise entre le mois de mai 1992 et le mois de juin 1998 ; la défenderesse ne démontre pas que le règlement du service public de l'eau daté de mai 1996 qu'elle a adressé aux requérants le 4 juillet 2016 était effectivement celui en vigueur au moment où la fuite est apparue, de sorte que ledit règlement sera inopposable aux époux D... » ;
alors 1°/ que les dispositions d'un règlement du service public de l'eau, ayant un caractère réglementaire, sont exécutoires et opposables de plein droit dès leur publication et leur transmission au représentant de l'Etat ; qu'en considérant que le règlement du service public de l'eau serait inopposable aux époux D... faute de démonstration de ce que celui qui leur avait été adressé le 4 juillet 2016 était en vigueur, après avoir constaté qu'une délibération de son conseil municipal du 30 juin 1998 modifiant ce règlement, avait été régulièrement transmise au représentant de l'Etat et publiée le 1er juillet 1998, le tribunal a violé les articles L. 2131-1 et L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales, dans leur version applicable à l'espèce ;
alors 2°/ qu'il appartient au juge de faire respecter, et de respecter lui-même le principe de la contradiction ; qu'en fondant sa décision sur l'article L. 2224-12 du code général des collectivités territoriales qui n'était invoqué par aucune des parties et sans inviter ces dernières à présenter leurs observations sur l'applicabilité et la portée de ce texte, le tribunal a violé l'article 16 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
alors 3°/ qu' en faisant application de l'article L. 2224-12 du code général des collectivités territoriales dans sa version issue de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006, non applicable au moment de la modification du règlement du service public de l'eau par délibération du conseil municipal du 30 juin 1998, le tribunal a violé ce texte par fausse application.
alors 4°/ que les dispositions du règlement du service public de l'eau que les époux D... dataient de mai 1996 et dont ils contestaient l'opposabilité étaient strictement identiques à celles issues de la délibération de juin 1998 régulièrement réceptionnée en sous-préfecture et publiée ; qu'en considérant que l'exposante n'aurait pas démontré que le règlement du service public de l'eau daté de mai 1996 qu'elle aurait adressé aux époux D... était en vigueur au moment où la fuite est apparue, le tribunal s'est prononcé par des motifs inopérants, privant ainsi sa décision de base légale au regard des articles L. 2131-1 et L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales ;
alors 5°/ qu'en considérant, pour estimer que la commune n'aurait pas démontré que le règlement du service public de l'eau adressé aux époux D... le 4 juillet 2016 était en vigueur au jour de l'apparition de la fuite, que la commune avait « modifié l'article 15 du règlement d'assainissement » mais n'apporterait « aucune explication s'agissant de la date du mois de mai 1996 portée (
) sur le règlement du service public d'assainissement, alors que le procès-verbal établi à l'issue de la séance du 30 juin 1998 fait état d'un « nouveau règlement local de l'assainissement » dont l'application a été approuvée le 13 mai 1992 ; qu'il n'est fait, en outre, nulle mention d'un règlement du service public d'assainissement approuvé en 1996, de sorte qu'elle [la commune] ne permet pas de mettre le tribunal en mesure d'apprécier si une nouvelle délibération du conseil municipal approuvant un règlement du service public d'assainissement (
) a été prise entre le mois de mai 1992 et le mois de juin 1998 », le tribunal s'est prononcé par des motifs concernant le règlement du service public d'assainissement, inopérants dans un litige portant uniquement sur le règlement du service public de l'eau et a privé sa décision de base légale au regard des articles L 2131-1 et L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales, dans leur version applicable à l'espèce ;
alors 6°/ que les époux D... ont produit au débat un règlement du service public de l'eau (pièce n° 11) et le courrier électronique que leur avait adressé la commune le 4 juillet 2016 (pièce n° 2) portant mention de deux pièces jointes, mais ils n'ont pas produit ces pièces jointes ; qu'en se fondant sur l'affirmation selon laquelle le règlement du service public de l'eau adressé par la commune aux époux D... le 4 juillet 2016 porterait la date de mai 1996, sans en justifier ni viser le document sur lequel, éventuellement, il s'appuyait, le tribunal a violé l'article 455 du code de procédure civile;
d'autre part aux motifs que : « Sur l'origine de la fuite de la canalisation : l'article 1353 du code civil dispose que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. Il résulte des observations de M. T... A... portées sur la facture n° 2017200 du 17 novembre 2016 qu'il est intervenu notamment « pour la réparation en urgence du branchement d'eau potable comportant le sciage des enrobés (
), le terrassement, la recherche du branchement (
), la mise en place de pièces de raccordement et le remblai (
) ; qu'une tranchée a été pratiquée « dans le parking » pour la pose de tuyaux ; qu'il a réalisé la « réfection d'enrobés à chaud ». Il est manifeste que la fuite ne pouvait être localisée « sous la dalle (du) garage » comme le soutient la défenderesse qui, d'ailleurs, ne produit aucun document attestant de cette allégation, alors pourtant qu'elle a dépêché un technicien sur les lieux du sinistre le 5 juillet 2016 tel qu'il ressort du courriel du service des eaux de la commune de Saint Gervais les Bains en date du 4 juillet 2016. Le droit positif consacre le principe de la responsabilité du gestionnaire du service en cas de fuite dite « avant compteur ». S'il est avéré qu'une partie de la conduite d'eau concernée par un dommage, bien que située avant l'unité de comptage, se trouve à l'intérieur d'une propriété privée, la collectivité en charge de la distribution d'eau potable dispose du pouvoir de contrôler l'intégralité de son réseau, puisque la loi du 29 décembre 1892 relative aux dommages causés à la propriété privée par l'exécution de travaux publics prévoit que les agents de l'administration sont habilités à pénétrer dans les propriétés privées pour y exécuter les opérations nécessaires à l'étude des projets de travaux publics en vertu d'un arrêté préfectoral indiquant les communes de réalisation des études, y compris dans les propriétés closes sous réserve d'une notification préalable, et prévoyant l'indemnisation en cas d'éventuels dommages. En l'espèce, il est établi que le compteur d'eau des requérants est situé dans le garage de leur propriété ; que, eu égard aux lieux où les travaux de remise en état ont été effectués, situation corroborée par un schéma réalisé par la SARL [...] , exerçant une activité de terrassement et de travaux publics, la fuite est survenue « avant compteur » ; que les époux D... justifient s'être acquittés du paiement de la somme de 2.579,50 € TTC. La commune de Saint Gervais les Bains sera donc condamnée à payer aux époux D... la somme de 2.579,50 € en remboursement des travaux de réfection de la canalisation endommagée, outre intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 2017, date de l'assignation valant mise en demeure » ;
alors 7°/ qu' il appartient au juge de faire respecter, et de respecter lui-même le principe de la contradiction ; qu'en se référant d'office à la loi du 29 décembre 1892 relative aux dommages causés à la propriété privée par l'exécution des travaux publics qu'aucune des parties n'invoquait, sans les inviter à débattre contradictoirement du moyen ainsi relevé, le tribunal a violé l'article 16 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
alors 8°/ qu'en s'abstenant de répondre au moyen tiré de ce que les époux D... étaient propriétaires du branchement particulier siège de la fuite litigieuse, qu'ils avaient construit et financé sans bénéficier d'une servitude de passage, le tribunal a violé l'article 455 du code de procédure civile.