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22/01/2020 | FRANCE | N°19-86755

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 22 janvier 2020, 19-86755


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° S 19-86.755 F-D

N° 26

CK
22 JANVIER 2020

REJET

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 JANVIER 2020

M. N... U... a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Toulouse, en date du 1er octobre 2019, qui, dans l'information suivie con

tre lui des chefs d'abus de confiance, faux et usage, a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction rejetant sa demande de ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° S 19-86.755 F-D

N° 26

CK
22 JANVIER 2020

REJET

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 JANVIER 2020

M. N... U... a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Toulouse, en date du 1er octobre 2019, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'abus de confiance, faux et usage, a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction rejetant sa demande de mainlevée du contrôle judiciaire.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de Mme Drai, conseiller, les observations de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de M. N... U..., et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 janvier 2020 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Drai, conseiller rapporteur, M. Moreau, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée, en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. A la suite de la plainte de M. V... contre son associé M. U..., adressée au procureur de la République de Toulouse, pour des malversations ou irrégularités commises dans la gestion de l'étude d'huissier de justice, et d'une inspection de la chambre des huissiers intervenue en 2014, une enquête préliminaire a été diligentée puis une information ouverte des chefs d'abus de confiance, faux et usage.

3. Le juge d'instruction a procédé à des investigations aux fins d'identifier les victimes potentielles des infractions et le montant des préjudices. M. U... a contesté l'ensemble des faits.

4. Le 31 mai 2018, le juge d'instruction a notifié l'avis de fin d'information et transmis le dossier au règlement au procureur de la République qui, par réquisitoire supplétif du 5 décembre 2018, a demandé qu'il soit procédé à une expertise comptable et financière, à la mise en examen supplétive de M. U... aux fins de retenir la circonstance aggravante d'officier ministériel et à son interrogatoire.

5. Antérieurement, une procédure disciplinaire avait été engagée par la chambre de discipline des huissiers de justice et par M. V.... Par arrêt du 28 novembre 2018, la cour d'appel de Toulouse a dit que les griefs retenus constituaient de la part de M. U... des manquements aux règles professionnelles et des violations graves et répétées à la probité, à l'honneur et à la délicatesse de la profession d'huissier de justice, et l'a condamné à l'interdiction d'exercer ladite profession pendant dix-huit mois, cette durée prenant en compte la durée de la suspension temporaire ordonnée le 13 août 2015.

6. Le 19 février 2016, M. U... a été placé sous contrôle judiciaire par le juge d'instruction, avec, notamment, l'interdiction de se rendre dans les locaux de la SCP [...] et celle de se livrer à la profession d'huissier.

7. Par arrêt du 12 février 2019, la chambre de l'instruction a ordonné, sur appel d'une ordonnance du juge d'instruction, la mainlevée de l'interdiction professionnelle et de celle de se rendre à l'étude d'huissier de justice et maintenu uniquement l'interdiction de procéder à tous actes de gestion administrative et financière au sein de la SCP.

8. Par courrier du 14 juin 2019, l'avocat de M. U... a sollicité du juge d'instruction qu'il rende une ordonnance de non-lieu et ordonne la mainlevée du contrôle judiciaire, motif pris de la durée excessive de l'instruction et de l'atteinte disproportionnée aux droits et libertés de son client. Par ordonnance du 16 juillet 2019, le juge d'instruction a rejeté les demandes au motif que l'expertise comptable et financière ordonnée par le juge des référés n'avait pas été rendue et que cet élément était nécessaire avant d'ordonner, le cas échéant, d'autres expertises.

9. Le 22 juillet 2019, l'avocat de M. U... a déposé une nouvelle demande de mainlevée du contrôle judiciaire au regard de la durée excessive de l'instruction. Par ordonnance du 1er août 2019, le juge d'instruction l'a rejetée motif pris de l'absence d'élément nouveau depuis, notamment, l'arrêt de la chambre de l'instruction du 12 février 2019. M. U... a relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

10. Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'ordonnance de rejet de mainlevée totale du contrôle judiciaire de M. U..., alors que les dispositions combinées des articles 137, 138 12° et 179 du code de procédure pénale en ce qu'elles ne prévoient pas que la durée de l'interdiction d'exercer une activité professionnelle prononcée dans le cadre du contrôle judiciaire s'impute sur la peine d'interdiction d'exercer susceptible d'être prononcée par la juridiction de jugement et/ou sur la sanction susceptible d'être prononcée par les instances disciplinaires, lesquelles n'ont aucune obligation légale d'en tenir compte, portent atteinte aux droits et aux libertés que la Constitution garantit et, en particulier, aux principes de nécessité et de proportionnalité de la loi pénale, à la liberté d'entreprendre et au droit au respect des biens mais aussi au principe de la présomption d'innocence et à l'exigence de clarté et de prévisibilité de la loi pénale prévus par l'article 1er, 2, 4, 7, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

11. Par arrêt distinct de ce jour, la Cour de cassation a déclaré irrecevable la question prioritaire de constitutionnalité. Il en résulte que le moyen est devenu sans objet.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

12. Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'ordonnance de rejet de mainlevée totale du contrôle judiciaire de M. U... ;

1°) alors que les principes de nécessité et de proportionnalité ainsi que de la présomption d'innocence exigent de ne pas imposer au mis en examen de mesures de contrainte dépassant la rigueur nécessaire ; que la chambre de l'instruction ne pouvait, sans porter une atteinte excessive à ces principes prévus aux articles 6, § 2 et 7, de la Convention européenne des droits de l'homme, rejeter la demande de mainlevée totale de l'interdiction d'exercer de Me U..., huissier de justice, imposée par son contrôle judiciaire depuis février 2016 pour une durée indéterminée, si ce n'est celle de l'instruction, et qui ne s'imputera pas sur la durée de la peine ou de la sanction disciplinaire, susceptibles d'être prononcées ultérieurement ;

2°) alors que, et en tout état de cause, l'exigence de clarté et de prévisibilité de la loi pénale impose au législateur de définir avec une netteté suffisante les circonstances, l'étendue et les modalités d'exercice du pouvoir d'ingérence ; qu'a méconnu cette exigence résultant des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, la chambre de l'instruction qui, en confirmant le rejet de la demande de mainlevée totale du contrôle judiciaire de M. U..., sur le fondement des articles 137 alinéa 2, 138 12° et 179 du code de procédure pénale, a placé l'exposant dans l'impossibilité de prévoir et de connaître tant la durée que les modalités de l'interdiction d'exercer son activité professionnelle".

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

13. Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'ordonnance de rejet de mainlevée totale du contrôle judiciaire de M. U... ;

1°) alors que n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a méconnu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ainsi que préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction qui avait, à l'occasion d'un arrêt en date du 12 février 2019, jugé que l'interdiction d'exercer imposée au mis en examen depuis février 2016 avait excédé le délai raisonnable en soulignant l'inertie du dossier et ses faibles enjeux financiers, tout en maintenant, par la décision attaquée, cette interdiction en le privant des prérogatives essentielles de son activité professionnelle ;

2°) alors que, et en toute hypothèse, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 138 12°, 591 et 593 du Code de procédure pénale, la chambre de l'instruction qui n'a pas répondu à l'articulation essentielle du mémoire soulignant que l'interdiction d'exercer plaçait le mis en examen dans une situation de déséquilibre « insoutenable au regard du droit des sociétés, injuste sur le plan matériel et insupportable psychologiquement, et d'autant plus illogique que les faits pour lesquels M. U... est mis en examen sont antérieurs à l'arrivée de M. V... dans la SCP".

Réponse de la Cour

14. Les moyens sont réunis.

15. Pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction rejetant la demande de mainlevée du contrôle judiciaire, l'arrêt relève que, s'il est exact que le ministère public a pris un réquisitoire supplétif le 5 décembre 2018, soit le lendemain d'une demande de mainlevée du contrôle judiciaire présentée par la personne mise en examen et sept mois après l'avis de fin d'information, et que le dossier n'a pas substantiellement progressé depuis, aucune irrégularité de la procédure n'en résulte dès lors qu'il ne peut être reproché au juge d'instruction d'attendre les résultats de l'expertise civile des comptes de la SCP, avant d'ordonner éventuellement l'expertise pénale réclamée par le parquet, laquelle est susceptible de faire double emploi.

16. Les juges ajoutent que la durée de la procédure, supérieure à trois ans, ne peut être considérée comme manifestement excessive, au regard de la complexité des faits, de la superposition de diverses procédures, et de l'exercice systématique des voies de recours par M. U... qui maintient son attitude de dénégation.

17. Les juges relèvent que l'argument du caractère raisonnable et de la durée maximale de la mesure d'interdiction professionnelle dans le cadre d'un contrôle judiciaire ne peut être retenu, au motif que celle-ci est dorénavant levée et que le contrôle judiciaire, tel qu'il est maintenu, a pour but d'éviter le renouvellement des infractions.

18. La chambre de l'instruction relève enfin que des provisions sur bénéfices sont régulièrement versées à M. U... et que la chambre départementale des huissiers de justice exerce un contrôle rapproché sur la comptabilité, de sorte que le risque invoqué par lui d'une appropriation abusive des recettes ou de dépenses excessives semble maîtrisé. Les juges retiennent enfin que M. V... a informé précisément la chambre des huissiers du système mis en place pour que M. U... puisse exercer son activité professionnelle sans être handicapé par l'interdiction de gérer.

19. Les juges en concluent que le maintien du contrôle judiciaire dans sa forme actuelle, qui ne pénalise M. U... ni dans son activité professionnelle ni dans ses revenus, apparaît toujours comme une mesure appropriée.

20. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision sans méconnaître le principe de la présomption d'innocence et la durée raisonnable de la procédure et de l'interdiction professionnelle subsistante.

21. En effet, en premier lieu, la chambre de l'instruction a, faisant usage de son pouvoir souverain d'appréciation, estimé que le maintien de cette interdiction était nécessaire dans l'intérêt même de l'étude et appliqué le principe de proportionnalité en constatant que, par l'arrêt du 12 février 2019, une mainlevée partielle du contrôle judiciaire avait restitué à M. U... le pouvoir d'accomplir les actes relevant de son office.

22. En deuxième lieu, M. U... ne peut se faire un grief de l'impossibilité de connaître la durée et les modalités de l'interdiction encore en cours, l'arrêt ayant précisément rappelé lesdites modalités fixées par la décision du 12 février 2019 et leur durée liée au retour de l'expertise en cours.

23. En troisième lieu, la chambre de l'instruction a, par des motifs exempts d'insuffisance, répondu aux arguments soutenus, dans la mesure où elle a relevé qu'avait été pris en compte le délai raisonnable pour ordonner une mainlevée partielle du contrôle judiciaire et que les mesures prises avaient eu pour but d'éviter de mettre en péril la SCP.

24. Dès lors, les moyens doivent être écartés.

25. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux janvier deux mille vingt.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 19-86755
Date de la décision : 22/01/2020
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Chambre de l'instruction de la cour d'appel de Toulouse, 01 octobre 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 22 jan. 2020, pourvoi n°19-86755


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.86755
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