LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 22 janvier 2020
Rejet
Mme BATUT, président
Arrêt n° 68 F-D
Pourvoi n° K 18-24.645
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 22 JANVIER 2020
1°/ Mme O... Q..., épouse I...,
2°/ M. J... I...,
domiciliés tous deux [...],
ont formé le pourvoi n° K 18-24.645 contre l'arrêt rendu le 6 septembre 2018 par la cour d'appel de Bordeaux (2e chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Jura 20, société civile immobilière,
2°/ à la société Agestys, société par actions simplifiée,
ayant toutes deux leur siège [...] ,
3°/ à la société Assurance du crédit mutuel vie, société anonyme, dont le siège est [...] ,
4°/ à la société Banque CIC Est, société anonyme, dont le siège est [...] ,
5°/ à la société Groupe Solis, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Le Gall, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. et Mme I..., de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de la société Groupe Solis, après débats en l'audience publique du 10 décembre 2019 où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Le Gall, conseiller référendaire rapporteur, Mme Kamara, conseiller doyen, et Mme Randouin, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à M. et Mme I... du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre les sociétés Jura 20, Agestys, Assurance du crédit mutuel vie et Banque CIC Est.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 6 septembre 2018), le 19 novembre 2009, à la suite d'un démarchage par la société Solis finance, devenue Groupe Solis (l'intermédiaire), M. et Mme I... ont acquis de la société Jura 20 (le vendeur), en l'état futur d'achèvement, un appartement soumis à un dispositif de défiscalisation, financé par un prêt consenti par la société Banque CIC Est (la banque), lequel était garanti par une assurance souscrite auprès de la société Assurance du crédit mutuel vie (l'assureur), la gestion du bien, livré le 28 décembre 2009, étant confiée à la société Agestys (le gestionnaire).
3. Les 14, 16 et 18 avril 2014, M. et Mme I... ont assigné le vendeur, l'intermédiaire, le gestionnaire, la banque et l'assureur en annulation du contrat de vente et en résolution du contrat de prêt et du contrat d'assurance, ainsi que du contrat de gestion du bien.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. M. et Mme I... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors « que l'intermédiaire chargé de la commercialisation d'un bien immobilier dans le cadre d'une opération de placement est dans l'obligation d'informer les acquéreurs éventuels des caractéristiques de l'investissement proposé et du dispositif de défiscalisation envisagé ; que les acquéreurs ont fait valoir en l'espèce que l'intermédiaire avait manqué à son obligation d'information en ne leur précisant pas que le bénéfice du dispositif de défiscalisation était conditionné par la mise en location du bien dans un délai de douze mois à compter de la date d'achèvement de l'immeuble ; qu'en ne recherchant pas, comme il le lui était demandé, si les acquéreurs avaient bénéficié d'une information sur ce point, et en leur opposant, par des motifs inopérants, qu'ils auraient contribué à cette situation [de vacance locative] en refusant de diminuer le montant du loyer exigé" et que la conclusion d'un contrat d'assurance garantissant le non-paiement de loyers permet en outre de constater que les époux I... ont été parfaitement informés du risque d'absence de tout locataire de leur bien immobilier", la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1147 ancien, devenu 1231-1, du code civil. »
Réponse de la Cour
5. En estimant, par une appréciation souveraine des éléments qui lui étaient soumis, que la simulation remise par l'intermédiaire immobilier aux acquéreurs leur avait permis d'être pleinement informés des modalités de l'opération projetée et que la souscription d'un contrat d'assurance garantissant le non-paiement de loyers établissait que les acquéreurs avaient été parfaitement informés du risque d'absence de tout locataire de leur bien immobilier, la cour d'appel, procédant à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. et Mme I... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux janvier deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. et Mme I...
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR rejeté la demande en responsabilité formée par les acquéreurs d'un bien immobilier (les époux I...) contre leur intermédiaire chargée de la commercialisation de ce bien, (la société Solis) ;
AUX MOTIFS QUE « les époux I... prétendent que la S.A.R.L Solis a manqué à son obligation de conseil et estiment subir un préjudice tiré de la perte de chance de ‘n'avoir pas été mis en mesure de ne pas s'engager dans l'investissement immobilier'.
Comme l'observe avec raison la décision attaquée, le groupe Solis a agi sur mandat reçu de la SCI Jura 20 qui lui a fourni les grilles et le matériel nécessaires à la commercialisation des lots de copropriété.
La simulation de 23 pages réalisée par la S.A.R.L Solis en présence des futurs acquéreurs du bien immobilier contient des éléments financiers qui correspondent à ceux retenus lors de l'opération finalement réalisée, à l'exception toutefois du prix de vente de l'appartement qui résulte seul d'une négociation entre les futurs acquéreurs et la SCI Jura 20. Les époux I... ont donc été pleinement informés des modalités de l'opération projetée et n'ont pas été victimes d'une présentation tronquée ou incomplète de l'investissement.
Les acquéreurs soulèvent également la perte financière résultant de l'importante diminution de la valeur de l'appartement.
Pour apprécier la diminution de la valeur du bien acquis en l'état futur d'achèvement, il convient de se placer à la date du terme de l'opération envisagée afin d'envisager dans sa globalité l'investissement réalisé, notamment en tenant compte du montant des loyers perçus et de l'accroissement du patrimoine des acquéreurs.
En outre, la fluctuation des prix du marché de l'immobilier constitue un élément qui doit être nécessairement pris en considération. Les estimations des deux agences immobilières mandatées par les époux I... pour attester la diminution de la valeur du bien ne fournissent qu'une simple indication à une date déterminée. La valeur de l'immeuble est nécessairement susceptible d'évolution dans les années à venir. L'existence de cet aléa, inhérent à toute opération immobilière, ne peut avoir été masquée aux futurs acquéreurs.
La perte alléguée de la valeur du bien immobilier acquis en VEFA n'est donc pas suffisamment établie.
Si l'administration fiscale a effectivement refusé aux époux I... le bénéfice de l'avantage résultant du dispositif ‘Scellier', c'est en raison de la tardiveté de la mise en location du bien dans la mesure où l'entrée dans les lieux du premier locataire est intervenue plus d'une année après la date de réception. Or, la S.A.R.L. Solis ne disposait pas d'un mandat de gestion de l'appartement et n'avait donc pas obligation de rechercher un preneur. Elle ne saurait en conséquence voir sa responsabilité contractuelle engagée. Il en est de même de sa responsabilité délictuelle en l'absence de toute commission d'une faute de sa part à l'origine du préjudice subi par les acquéreurs. Ces derniers apparaissent d'ailleurs avoir en partie contribué à cette situation en refusant de diminuer le montant du loyer exigé, nonobstant les demandes en ce sens de la SAS Agestys. La baisse de la somme réclamée aurait en effet nécessairement accéléré l'occupation de leur bien par un locataire.
Les charges locatives et autres taxes imposées aux propriétaires de biens immobiliers sont inhérentes à l'opération projetée et ne sauraient constituer un préjudice financier subi par les acquéreurs d'un bien immobilier. Il en est de même de la souscription d'un contrat d'assurance garantissant le non-paiement de loyers dans la mesure où la conclusion de ce type de contrat n'est que facultative et résulte d'une démarche volontaire des propriétaires. Sa conclusion permet en outre de constater que les époux I... ont été parfaitement informés du risque d'absence de tout locataire de leur bien immobilier.
S'agissant du prêt bancaire et du coût de l'assurance décès-invalidité, aucun élément ne permet de considérer que la S.A.R.L. Solis a manqué à son devoir de conseil dans la mesure où lesdits contrats ont été indépendamment souscrits par les acquéreurs sans intervention de sa part dans le choix de l'établissement bancaire et les conditions financières du Crédit octroyé.
En l'absence de démonstration d'un manquement de la S.A.R.L. Solis dans son obligation de conseil et d'information des époux I..., il convient de rejeter la demande d'indemnisation présentée à son encontre » (arrêt attaqué, p. 8 et 9) ;
ALORS QUE l'intermédiaire chargé de la commercialisation d'un bien immobilier dans le cadre d'une opération de placement est dans l'obligation d'informer les acquéreurs éventuels des caractéristiques de l'investissement proposé et du dispositif de défiscalisation envisagé ; que les acquéreurs ont fait valoir en l'espèce que l'intermédiaire avait manqué à son obligation de d'information en ne leur précisant pas que le bénéfice du dispositif de défiscalisation était conditionné par la mise en location du bien dans un délai de douze mois à compter de la date d'achèvement de l'immeuble ; qu'en ne recherchant pas, comme il le lui était demandé (conclusions d'appel des exposants, p. 28), si les acquéreurs avaient bénéficié d'une information sur ce point, et en leur opposant, par des motifs inopérants, qu'ils auraient « contribué à cette situation [de vacance locative] en refusant de diminuer le montant du loyer exigé » (p. 8, dernier alinéa) et que la conclusion d'un contrat d'assurance garantissant le non-paiement de loyers « permet en outre de constater que les époux I... ont été parfaitement informés du risque d'absence de tout locataire de leur bien immobilier » (p. 9, al. 2), la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1147 ancien, devenu 1231-1, du code civil.