LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 29 juin 2018), par jugement du 9 août 2012, le juge des tutelles a placé M. Q... sous tutelle pour une durée de soixante mois, un mandataire judiciaire à la protection des majeurs étant désigné en qualité de tuteur. Lors du renouvellement de la mesure, le même juge a, par ordonnance du 15 juin 2017, dit n'y avoir lieu à audition du majeur protégé et, par jugement du 20 juin 2017, maintenu la mesure de tutelle pour une durée de 120 mois. Par ordonnance du 27 juin 2017, il a fixé la résidence de M. Q... en établissement adapté à son état de santé.
2. Celui-ci a interjeté appel de ces trois décisions.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner à la cassation.
Mais sur le second moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
4. M. Q... fait grief à l'arrêt de confirmer en toutes leurs dispositions les ordonnances des 15 et 27 juin 2017 ainsi que le jugement du 20 juin 2017 du juge des tutelles de Tours, alors « que le juge des tutelles doit entendre la personne contre laquelle une mesure de protection est envisagée ; qu'à titre dérogatoire, il peut, par décision spécialement motivée et sur avis du médecin, décider qu'il n'y a pas lieu de procéder à l'audition de l'intéressé si celle-ci est de nature à porter atteinte à sa santé ou s'il est hors d'état d'exprimer sa volonté ; qu'en prononçant la dispense d'audition de M. Q... aux motifs que sa personnalité paranoïaque hostile et le comportement agressif et violent dont il a pu faire preuve par le passé rendent difficile son audition, et qu'il présentait une agressivité récurrente dans ses propos, motifs impropres à caractériser la circonstance qu'il serait hors d'état d'exprimer sa volonté, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 432 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 432, alinéa 2, du code civil, ensemble l'article 442, alinéa 4, du même code :
5. Selon le premier de ces textes, applicable aux renouvellements des mesures de protection, le juge des tutelles peut, par décision spécialement motivée et sur avis d'un médecin inscrit sur la liste mentionnée à l'article 431 du même code, décider qu'il n'y a pas lieu de procéder à l'audition de la personne protégée ou à protéger si celle-ci est de nature à porter atteinte à sa santé ou si elle est hors d'état d'exprimer sa volonté.
6. Pour confirmer l'ordonnance du juge des tutelles ayant dit n'y avoir lieu de procéder à l'audition de M. Q..., l'arrêt, après l'avoir entendu à l'audience, retient qu'il résulte de l'examen du médecin inscrit que la personnalité paranoïaque hostile de l'intéressé risque de rendre difficile son audition et que les éléments de la procédure établissent qu'il a pu faire preuve d'agressivité et de violences par le passé notamment dans les locaux de l'UDAF.
7. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la circonstance que l'intéressé était hors d'état d'exprimer sa volonté, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
8. Par application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif qui confirme l'ordonnance de dispense d'audition du 15 juin 2017, entraîne, par voie de conséquence, celle du chef de dispositif qui confirme le jugement du 20 juin 2017 ayant maintenu la mesure de tutelle et l'ordonnance du 27 juin 2017 relative au lieu de résidence.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du second moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans, autrement composée ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. Q... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze janvier deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Zribi et Texier, avocat aux Conseils, pour M. Q...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué
D'AVOIR confirmé en toutes leurs dispositions les ordonnances rendues les 15 et 27 juin 2017 ainsi que le jugement rendu le 20 juin 2017, rendus par le juge des tutelles de Tours,
AUX ENONCIATIONS QUE « le 10 avril 2018, le ministère public s'en rapporte sur la demande de contre-expertise » ;
ALORS QUE lorsque le ministère public donne un avis dans une procédure, celui-ci doit être communiqué aux parties ; qu'en relevant que le ministère public, dont il n'est pas mentionné qu'il aurait été présent à l'audience, s'en est rapporté sur la demande de contre-expertise, sans préciser s'il avait rendu un avis écrit également sur le restant du litige, portant également sur la mesure de protection juridique et sur son lieu de résidence, et le cas échéant, si cet avis écrit sur ces points avait été mise à disposition en temps utile de M. Q..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et 16 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
M. Q... fait grief à l'arrêt attaqué :
D'AVOIR confirmé l'ordonnance du 15 juin 2017 ayant dit d'y avoir lieu à procéder à l'audition de M. E... Q..., et confirmé en conséquence en toutes leurs dispositions les décisions rendues le 20 et le 27 juin 2017;
AUX MOTIFS QU'« il convient dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice de procéder à la jonction des procédures N° 17/02859 et n° 17/02764 ; que les appels réguliers en la forme sont recevables ; que l'article 425 du code civil prévoit que toute personne dans l'impossibilité de pouvoir seule à ses intérêts en raison d'une altération, médicalement constaté, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l'expression de sa volonté peut bénéficier d'une mesure de protection juridique ; qu'il résulte de l'examen du prof C... que la personnalité paranoïaque hostile de M. Q... risquait de rendre difficile l'audition ; que les éléments de la procédure établissent en outre que ce dernier a pu faire preuve d'agressivité et de violences par le passé notamment dans les locaux de l'USAF : qu'en conséquence la dispense d'audition ordonnée par le premier juge sur le fondement de l'article 433 alinéa 2 apparaît justifiée et sera confirmée ; qu'il résulte des éléments de la procédure que de manière constante M. Q... s'est soustrait au rendez-vous et rencontres de différents intervenants, et ce depuis 2011, et notamment à la convocation fixée par le Dr A..., à la visite du juge des tutelles, ainsi qu'à la plupart des rencontres fixées avec les deux déléguées de l'USAF en charge de la mesure ; que ces dernières indiquent dans une note de situation du 25 janvier 2017 qu'elles se sont heurtées à l'agressivité récurrente du majeur protégé, mais aussi à sa violence dans ses gestes plusieurs reprises, qu'il a été constaté que son logement était totalement inaccessible en raison de l'encombrement accumulé depuis de très nombreuses années du fait du syndrome de Diogène dont souffre l'intéressé, et que l'état de saleté était véritablement repoussant ; que M. Q... s'est toujours opposé à ce que sa maison soit déblayée, voire même seulement une pièce ; qu'il n'utilisait ni chauffage, ni électricité, ni eau et n'avait vraisemblablement plus accès à des toilettes depuis de nombreuses années ; que s'agissant de son état de santé, il souffre d'une perte majeure d'autonomie et se trouve dans le déni de ses troubles et problèmes de santé ; qu'il semble ne plus avoir aucune famille et se trouver socialement très isolé ; qu'il était opposant à toute mesure et à toute aide, ce qui n'a pas finalement permis la mise en place d'un service de professionnels de maintien à domicile, et ce malgré la mobilisation de la référente APA du conseil départemental ainsi que la validation d'un plan d'aide par la commission ; que lors de ses hospitalisations, M. Q... a également été opposant à l'ensemble des soins proposés ; que le médecin psychiatre du service de la CPU s'est rendu au domicile en compagnie du majeur protégé avec des soignants pour évaluer la possibilité d'un retour, et le constaté a été fait que le retour au domicile n'était pas envisageable compte tenu du problème de cécité de l'intéressé et de l'inadaptabilité du logement ; que le Professeur C... a relevé chez M. Q... une altération des facultés mentales caractérisée par : « déni des troubles, dépendance, quasi-totale, perte majeure d'autonomie, syndrome d'accumulation pathologique (Diogène), personnalité paranoïaque pathologique, baisse majeure de l'acuité visuelle (cécité), isolement social complet, précarité, manque majeur de discernement » ; que l'altération des facultés corporelles est constatée du fait d'un « diabète non pris en charge du fait de la négligence du patient, glaucome sévère induisant une cécité, perte d'autonomie, errance sur la voie publique, précarité, perte de repère sociaux » ; qu'ainsi, les éléments de la procédure permettent de constater que depuis son hospitalisation à la CPU, les soins ont toutefois permis la prise en charge psychiatrique de sa pathologie complexe, jamais traitée du fait de sa négligence ; que M. Q... est totalement dépendant d'une tierce personne pour les actes de la vie courante, et il dispose aujourd'hui d'une prise en charge et de soins indispensables depuis qu'il se trouve en EHPAD ; qu'ainsi la résidence fixée par le juge est appropriée et doit être confirmée ; que l'appelant produit aux débats aucune pièce et notamment aucun élément médical permettant de contredire les constatations des médecins psychiatres inscrits sur la liste établie par le Procureur de la République, qui l'ont déjà examiné par le passé ; qu'une mesure d'instruction par la mise en oeuvre d'un nouvel examen médical apparaît injustifiée en l'absence d'indices suggérant une amélioration de l'altération des facultés personnelles du majeur protégée n'est envisageable selon les données de la science; qu'il convient au surplus de relever que la présentation de M. Q... et les explications qu'il a fournies à l'audience ont permis de conforter amplement les constats du médecin spécialiste et le fait qu'il n'est pas en capacité de gérer seuls ses intérêts ; qu'en conséquence, le jugement entrepris sera confirmée en toutes ses dispositions » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'« il résulte du certificat médical du Dr C..., inscrit sur la liste des médecins établie par le Procureur de la République, en date du 21 mars 2017 que : / M. Q... présente une altération complète de ses facultés mentales et corporelles empêchant la personne de pourvoir seule à ses intérêts du fait de ses troubles psychiques et somatiques, de sa dépendance, du repli social, de sa paranoïa et du déni de ses troubles, laquelle n'est pas susceptible d'amélioration, et que si il reste audible par le Juge des tutelles il est hors d'état d'exprimer sa volonté, sa personnalité paranoïaque hostile risquant de rendre audition difficile ; qu'il apparaît encore de la note de situation du 25 janvier 2017 de l'UDAF, tuteur de celui-ci, que M. Q..., qui exprime systématiquement son opposition à la mesure de tutelle, présente une agressivité récurrente dans ses propos, mais également dans Ses gestes, ayant à plusieurs reprises manifesté des violences tant en s'en prenant à du matériel que physiquement à un responsable ; que dans ces conditions il y a lieu d'ordonner la dispense d'audition de celui-ci à l'occasion de la révision de la mesure de protection et de l'examen de la requête en fixation du lieu de résidence » ;
QUE « par jugement du 09 Août 2012, M. E... Q... a été placé sous le régime de la tutelle ; qu'il est établi par l'ensemble du dossier et plus spécialement par les éléments médicaux que l'état de santé de M. E... Q... ne s'est ni amélioré, ni aggravé ; qu'iI n'est toujours pas possible de pourvoir à ses intérêts par application des règles du droit commun de la représentation, sa situation personnelle n'ayant pas évolué ; qu'eu égard à son état de santé, l'instauration d'une mesure de sauvegarde de justice ou d'une curatelle s'avérerait insuffisante et qu'il a, de ce fait, besoin d'être représenté d'une manière continue dans les actes de la vie civile tant en ce qui concerne l'exercice de ses droits patrimoniaux, que la protection de sa personne ; que par ailleurs, ses facultés de discernement n'excluent pas une certaine lucidité sur le plan électoral, qu'il convient de maintenir son droit de vote ; qu'en vertu des pièces du dossier, et notamment du certificat médical qui établit que l'état de M. E... Q... n'est manifestement pas susceptible de connaître une amélioration, selon les données acquises de la science, il convient de fixer la durée de cette mesure à 120 mois ; qu'il y a lieu de maintenir L'U.D.A.F. D'INDRE ET LOIRE en qualité de mandataire judiciaire de la protection des majeurs conformément à l'article 450 du Code Civil ; que les comptes prévus par l'article 510 du Code Civil devront être remis chaque année au Greffier en chef du Tribunal d'Instance, conformément aux dispositions de l'article 511 du Code Civil ; qu'en raison de l'urgence iI y a lieu d'ordonner l'exécution provisoire de la présente décision » ;
QUE « vu le certificat médical du docteur G..., médecin inscrit sur la liste établie par le Procureur de la République, en date du 08 mars 2017 aux termes duquel son état de santé ne permet plus le retour à domicile, son admission en EHPAD étant nécessaire en raison de l'altération de ses facultés intellectuelles en lien avec des troubles cognitifs et une pathologie psychiatrique chronique compliquée do troubles visuels majeurs avec une quasi cécité totale, et de sa perte d'autonomie ; que vu les notes de situations drossées par I'UDAF, en dates des 10 octobre 2016, 15 mars 2017, dont Il résulte que depuis le 17 février 2017 il a été admis on soins psychiatriques sans consentement qui se poursuivent en raison de ses troubles du comportement et après avoir été retrouvé en errance sur la voie publique, qu'il souffre du syndrome de Diogène au point que son logement présente un état de totale insalubrité et de totale inappropriation à son état de santé actuel aggravé par la cécité dont il est atteint et par son refus systématique de toutes aides de toutes natures, le déni complet de ses troubles et son opposition constante à la mesure de protection, conduisant à sa mise en danger, compte-tenu encore de sa dépendance quasi totale ; que son comportement de violences persistant même dans le service où il est hospitalisé conduit l'équipe soignante à, estimant ne plus pouvoir le soigner et le contenir, exiger sa sortie Imminente ; que l'impossibilité d'un retour à domicile soulignée par l'UDAF, et confirmée par le médecin inscrit, dépourvu d'électricité, d'eau et d'accès à des toilettes, doit dans ses conditions conduire par application des dispositions de l'article 459-2 du Code civil à fixer sa résidence dans un établissement ou en EHPAD approprié à sa situation ; qu'il convient, vu l'urgence, d'ordonner l'exécution provisoire de cette décision » ;
1°) ALORS QUE, juge des tutelles doit entendre la personne contre laquelle une mesure de protection est envisagée ; qu'à titre dérogatoire, il peut, par décision spécialement motivée et sur avis du médecin, décider qu'il n'y a pas lieu de procéder à l'audition de l'intéressé si celle-ci est de nature à porter atteinte à sa santé ou s'il est hors d'état d'exprimer sa volonté ; qu'une telle décision doit donc être spécialement motivée ; qu'en statuant par des motifs succincts affirmant que M. Q... serait hors d'état d'exprimer sa volonté, et tirés de son comportement et sa personnalité, la cour d'appel qui n'a pas respecté l'exigence de motivation spéciale posée par la loi, imposant au juge d'étayer particulièrement sa décision sur la situation de fait permettant de déroger à l'obligation d'entendre la personne, a violé l'article 432 du code civil ;
2°) ALORS QUE, en tout hypothèse, le juge ne saurait se prononcer par voie de simple affirmation ; qu'en affirmant que M. Q... serait hors d'état d'exprimer sa volonté, après avoir relevé qu'il restait audible par le juge des tutelles, et énoncé, par motifs adoptés du jugement du 20 juin 2017, que ses facultés de discernement n'excluaient pas une certaine lucidité sur le plan électoral, justifiant le maintien de son droit de vote, sans expliciter concrètement sa décision sur la possibilité par M. Q... d'exprimer sa volonté, la cour d'appel, qui a statué par voie d'affirmation, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE, le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les pièces du dossier ; que le certificat médical du 21 mars 2017 n'énonçait pas que M. Q... serait hors d'état d'exprimer sa volonté ; qu'en considérant toutefois qu'il résultait de ce certificat médical que M. Q... est hors d'état d'exprimer sa volonté, la cour d'appel a dénaturé le certificat médical du 21 mars 2017 et a ainsi méconnu l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les pièces qui lui sont soumises ;
4°) ALORS QUE, en tout état de cause, le juge des tutelles doit entendre la personne contre laquelle une mesure de protection est envisagée ; qu'à titre dérogatoire, il peut, par décision spécialement motivée et sur avis du médecin, décider qu'il n'y a pas lieu de procéder à l'audition de l'intéressé si celle-ci est de nature à porter atteinte à sa santé ou s'il est hors d'état d'exprimer sa volonté ; qu'en prononçant la dispense d'audition de M. Q... aux motifs que sa personnalité paranoïaque hostile et le comportement agressif et violent dont il a pu faire preuve par le passé rendent difficile son audition, et qu'il présentait une agressivité récurrente dans ses propos, motifs impropres à caractériser la circonstance qu'il serait hors d'état d'exprimer sa volonté, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 432 du code civil.