LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
-
M. S... F...,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 7e chambre, en date du 29 octobre 2018, qui, pour provocation à commettre des atteintes volontaires à la vie et à l'intégrité de la personne et diffamation publique envers un particulier, l'a condamné à quatre mois d'emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 26 novembre 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Maréville ;
Sur le rapport de M. le conseiller BONNAL, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, la société civile professionnelle LE GRIEL, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CROIZIER ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29 de la loi du 24 juillet 1881, 1240 du code civil, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;
“en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. S... F... coupable de diffamation publique envers un particulier, statué sur la peine et les intérêts civils,
“1°) alors que la diffamation suppose l'imputation, à l'égard de la partie civile, d'un fait précis attentatoire à son honneur et sa réputation ; que, replacée dans son contexte, l'apposition du nom de M. X... porte-parole d'un mouvement politique d'extrême droite dont l'image est connue et publiée, en légende de la photographie d'un tiers qui se baigne et dont le geste évoque un salut nazi, sans qu'un risque de confusion quant à la personne ne soit constaté, n'impute pas à M. X... d'avoir personnellement effectué un salut hitlérien mais se borne à lui prêter, de manière imagée, une adhésion à une certaine idéologie ; que faute de fait précis qui lui soit personnellement imputé, la diffamation n'est pas constituée ;
“2°) alors que la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au sens de l'article 10 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme ; que la seule apposition du nom d'un porte-parole d'un mouvement politique d'extrême droite dont l'image est connue et publiée, en légende de la photographie d'un tiers qui se baigne et dont le geste évoque un salut nazi, sur un mode satirique (publication qualifiée par l'arrêt de « caricaturale » et « délibérément outrancière »), par un militant antifasciste, dans le cadre d'un débat d'intérêt général et d'une polémique politique sur le caractère xénophobe de l'action « Défend Europe » menée en Méditerranée à laquelle il participe, pour lui imputer, de manière imagée, une adhésion à une certaine idéologie, ne dépasse pas les limites admissibles de la liberté d'expression ; que la cour d'appel a violé l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
“3°) alors qu'en s‘abstenant de s'expliquer sur les éléments produits au titre de la base factuelle de cette imputation, la cour d'appel a violé l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme”.
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que MM. Y... X..., P... Q... et I... B..., membres de l'équipage du navire [...] affrété pendant l'été 2017 dans le cadre d'une campagne dénommée "Defend Europe" qui se proposait de dénoncer le rôle qualifié de néfaste des organisations non gouvernementales oeuvrant au sauvetage des personnes traversant clandestinement la Méditerranée, ont fait citer M. F... du chef de provocation à commettre des atteintes volontaires à la vie et à l'intégrité de la personne, en raison d'un texte mis en ligne par lui sur le réseau Facebook le 13 août 2017 ; que, par le même acte, M. X... a également poursuivi M. F... du chef de diffamation publique envers un particulier, pour avoir partagé, toujours sur le réseau Facebook, le 19 août 2017, un montage photographique mis en ligne par M. D... J... et dont la partie civile soutenait qu'il lui imputait l'exécution d'un salut nazi ; que les premiers juges ont déclaré le prévenu coupable des faits de provocation, mais l'ont relaxé du chef de diffamation publique ; que les parties civiles, le prévenu et le ministère public ont relevé appel de ce jugement ;
Attendu que, pour infirmer le jugement et déclarer le prévenu coupable de diffamation publique envers un particulier, l'arrêt énonce en substance que, quoiqu'il soit admis que l'homme figurant sur le cliché litigieux et qu'on voit faire un salut nazi n'est pas M. X..., la légende de ce cliché le présente comme tel, de sorte que, même dans le contexte de la polémique engagée par M. F... sur l'action du navire [...], la photographie, qui ne s'inscrit pas dans un registre symbolique ou irréaliste, impute à l'intéressé l'exécution d'un salut hitlérien, ce qui constitue une atteinte à son honneur ou à sa considération, l'idéologie national-socialiste étant réprouvée par la loi et la morale ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, dont il résulte qu'un tiers faisant un salut nazi a été expressément présenté comme étant M. X..., ce qui imputait à ce dernier un fait précis, susceptible d'un débat sur la preuve de sa vérité et contraire à son honneur ou à sa considération, la cour d'appel, devant laquelle le prévenu n'a pas invoqué sa bonne foi ni produit d'élément de nature à constituer une base factuelle à cette imputation, a, à bon droit, et malgré le débat d'intérêt général dans le contexte duquel M. F..., militant antifasciste, a partagé cette publication sur le réseau Facebook, jugé que celle-ci excédait les limites admissibles de la liberté d'expression ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 400 euros la somme globale que M. S... F... devra payer à MM. X..., B... et Q... en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept janvier deux mille vingt ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.