LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
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M. M... P..., partie civile,
contre l'arrêt n° 233-208 de la cour d'appel de PAPEETE, chambre correctionnelle, en date du 25 octobre 2018, qui, dans la procédure suivie contre Mme H... F..., épouse X..., du chef de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 26 novembre 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Maréville ;
Sur le rapport de M. le conseiller BONNAL, les observations de la société civile professionnelle COLIN-STOCLET, la société civile professionnelle L. POULET-ODENT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CROIZIER ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 23, 29, alinéa 1er, 30 et 31 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse, 593 du code de procédure pénale ;
en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé Mme X... des fins de la poursuite du chef de diffamation envers un citoyen chargé d'un service ou d‘un mandat public temporaire ou permanent et débouté la partie civile de ses demandes ;
1°) alors que Mme X... reprochait à M. P..., dans l'article litigieux publié sur Facebook, d'avoir fait approuver par le conseil des ministres, « après qu'il en ait personnellement été le rapporteur », « 6 autres avenants concernant Marama Nui où il est également actionnaire » puis de les avoir signés et fait publier ; qu'en se bornant à approuver l'analyse des premiers juges, qui n'avaient pas examiné le passage susmentionné, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les propos précités, en évoquant des faits susceptibles de revêtir la qualification de prise illégale d'intérêt, ne renfermaient pas l'imputation d'un fait précis portant atteinte à l'honneur ou à la considération d'un citoyen chargé d'un service ou d'un mandat public, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
2°) alors que les propos contenant l'imputation d'un fait précis et déterminé, de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne visée, constituent une diffamation ; que l'article publié par Mme X... imputait à M. P... d'avoir usé de sa position de vice-président de la Polynésie française et de ministre des énergies pour qu'un avenant à la concession de distribution électrique de Tahiti Nord puisse « échapper au contrôle préalable de l'Autorité polynésienne de la concurrence », et d'avoir ainsi aidé une entreprise monopolistique à laquelle il était « tout acquis » à abuser de sa position dominante, quand celle-ci prenait par ailleurs « 1 milliard 500 millions » de FCP de plus dans « la poche des usagers par an » ; qu'en retenant néanmoins qu'aucun fait précis portant atteinte à l'honneur ou à la considération n'avait été décliné par Mme X... à l'encontre de M. P..., l'article mis en ligne étant, selon les juges du fond, l'expression d'une opinion critiquant un choix politique, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
3°) alors que lorsque les propos diffamatoires, procédant par voie d'affirmation ou d'insinuation, sont dépourvus d'une base factuelle suffisante, ils excèdent les limites admissibles de la liberté d'expression et de la polémique politique ; qu'en s'abstenant totalement de vérifier, comme elle y était invitée par des conclusions régulièrement déposées devant elle, si les propos poursuivis reposaient sur une base factuelle suffisante, seule susceptible de les justifier y compris dans le contexte d'un débat d'intérêt général, la cour d'appel n'a pas légalement justifié son arrêt au regard des textes précités" ;
Vu l'article 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
Attendu qu'il appartient à la Cour de cassation de contrôler les appréciations des juges du fond en ce qui concerne les éléments du délit de diffamation tels qu'ils se dégagent des écrits visés dans la citation ; que le caractère légal des imputations diffamatoires se détermine exclusivement par la nature du fait sur lequel elles portent ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme et des pièces de la procédure que M. P..., vice-président du gouvernement de la Polynésie française, ministre du budget, des finances et des énergies, a fait citer devant le tribunal correctionnel Mme X..., représentante à l'assemblée de cette collectivité d'outre-mer, du chef susvisé, pour avoir écrit et mis en ligne, le 2 mai 2016, sur le site "Facebook", un texte contenant les passages suivants : "Comme chez nous, Engie en France fait tout pour éliminer les concurrents afin de conserver son monopole, sauf qu'en Polynésie, il a l'appui total de M. le vice-président ministre des énergies qui a visiblement oublié qu'il a avant tout, été élu pour défendre l'intérêt général collectif de la population : [...] Et que se passe-t-il chez nous avec EDT Engie, qui est une filiale de la multinationale française Engie ? Je rappelle que M. le vice-président du gouvernement et ministre des énergies, a réuni un conseil des ministres le 23 décembre 2015, pour faire approuver par le conseil des ministres, après qu'il en ait personnellement été le rapporteur, 7 avenants dont l'avenant 17 à la concession de distribution électrique de Tahiti Nord entre le pays et EDT, les 6 autres avenants concernant Marama Nui où il est également actionnaire. Ensuite, M. le vice-président a signé les 7 avenants le 24 décembre 2015, le jour du réveillon de noël, et les a fait publier au Journal Officiel de Polynésie Française le 29 décembre 2015. Pourquoi cette précipitation ? : Tout simplement pour échapper au contrôle préalable de l'Autorité polynésienne de la concurrence qui était opérationnelle au 1er janvier 2016. Vous connaissez ce fameux article 12 bis de la concession Tahiti Nord, créé de toutes pièces par le vice-président du gouvernement pour EDT Engie, intitulé "Vente en gros hors du périmètre de la concession" qui vient fausser la concurrence sur Secosud, où une procédure d'appel à candidatures pour la concession de distribution électrique sur Tahiti Sud est actuellement en cours. Et, si vous êtes un peu curieux, je vous invite à lire la convention de distribution électrique de Tahiti Nord qui date de 1960. Vous découvrirez que l'article 12 de cette convention porte sur... "L'éclairage public". Que vient donc faire un article 12 bis intitulé "Vente en gros hors du périmètre de la concession" dans "L'éclairage public" ? Ce n'est que la partie émergée de l'iceberg, avec aussi ces nouveaux tarifs d'électricité annoncés à grand renfort de publicité où EDT Engie s'est bien gardée de répercuter la totalité de la baisse des hydrocarbures (-46 %) sur le prix du kWh (-16 %), en ne répercutant seulement que 3,28 frs (-9 %). Il reste 2,55 F.CFP par kWh de baisse non répercuté sur la facture (-7 %), ce qui donne 1milliard 500 millions de profit d'EDT Engie pris dans la poche des usagers par an. Il y a une solution, elle est aujourd'hui entre les mains du président M. U... B... : c'est de prendre un arrêté en conseil des ministres approuvant un avenant à la concession entre EDT Engie et le pays, baissant le tarif de l'électricité à -2,55 frs. Son vice-président ministre des énergies, tout acquis à EDT Engie, va-t-il s'exécuter ? L'avenir nous le dira." ; que les juges du premier degré ont relaxé la prévenue ; que la partie civile a relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour confirmer le jugement sur les intérêts civils, l'arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, que le texte incriminé ne contient l'imputation d'aucun fait précis à l'encontre de M. P... et ne vise, dans le contexte d'un débat sur l'attribution du marché de la fourniture d'électricité, qu'à critiquer le choix politique fait par celui-ci, en sa qualité de vice-président du gouvernement, de soutenir la société EDT Engie, qui détient le monopole de la fourniture d'électricité en Polynésie française, et constitue une opinion acceptable dans le cadre d'un débat politique, qui doit être protégée en vertu du principe de la liberté d'expression, liberté fondamentale consacrée par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que le fait – imputé par la mention des six avenants conclus avec "Marema Nui" –, pour une personne dépositaire de l'autorité publique ou investie d'un mandat électif public, d'être actionnaire d'une société dont elle a, au moment de l'acte, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement, est susceptible de constituer le délit de prise illégale d'intérêts et que l'imputation de commission d'une infraction pénale porte nécessairement atteinte à l'honneur ou à la considération du responsable public concerné, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en ce qu'il a omis de se prononcer sur le passage relatif aux six avenants conclus avec "Marema Nui", toutes autres dispositions étant expressément maintenues, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de PAPEETE, en date du 25 octobre 2018, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de PAPEETE, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de PAPEETE et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept janvier deux mille vingt ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.