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07/01/2020 | FRANCE | N°19-80027

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 07 janvier 2020, 19-80027


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

-
M. K... J..., partie civile,

contre l'arrêt n° 231-206 de la cour d'appel de PAPEETE, chambre correctionnelle, en date du 25 octobre 2018, qui l'a débouté de ses demandes après relaxe de Mme Y... I..., épouse A..., du chef de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 26 novembre 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de pro

cédure pénale : M. Soulard, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsent...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

-
M. K... J..., partie civile,

contre l'arrêt n° 231-206 de la cour d'appel de PAPEETE, chambre correctionnelle, en date du 25 octobre 2018, qui l'a débouté de ses demandes après relaxe de Mme Y... I..., épouse A..., du chef de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 26 novembre 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Mareville ;

Sur le rapport de M. le conseiller BONNAL, les observations de la société civile professionnelle COLIN-STOCLET, la société civile professionnelle L. POULET-ODENT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CROIZIER ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 23, 29, alinéa 1er, 30 et 31 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse, 593 du code de procédure pénale ;

en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a renvoyé Mme A... des fins de la poursuite du chef de diffamation envers un citoyen chargé d'un service ou d'un mandat public temporaire ou permanent et débouté la partie civile de ses demandes ;

1°) alors que le propos contenant l'imputation d'un fait précis ou déterminé, de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne visée, constitue une diffamation, même s'il est présenté sous forme déguisée ou dubitative ou par voie d'insinuation ; qu'il résultait tant des propos poursuivis que du contexte de l'émission tel que constaté par les juges du fond, que Mme A... visait M. L... lorsqu'elle déclarait « ce que j'ai envie de dire, c'est que j'ai en ma possession des dossiers qui me permettent de faire des recours au tribunal y compris au niveau pénal
» « nous avons des suspicions, notamment au niveau du délit de favoritisme, au niveau du délit de prise illégale d'intérêt » ; qu'en retenant, qu'en raison d'une transcription incomplète, les juges étaient dans l'incapacité de déterminer si les propos précités concernaient la partie civile, quand Mme A... avait, par voie d'insinuation, imputé à M. L... un fait infâmant précis, la cour d'appel a violé les textes précités ;

2°) alors que le seul terme de « magouille » renvoie à de tractations douteuses et malhonnêtes ; qu'en utilisant ce terme pour caractériser l'action de M. L..., les propos incriminés induisaient nécessairement que la partie civile avait conduit des tractations douteuses et malhonnêtes pour avantager l'entreprise EDT Engie au détriment des usagers, créant dans l'esprit du public l'idée que celui-ci avait commis un abus dans l'exercice de son mandat, ce qui constituait un fait précis, au moins moralement répréhensible, de nature à porter atteinte à son honneur et à sa considération ; qu'en retenant qu'aucun fait précis portant atteinte à l'honneur ou à la considération n'a été décliné par Mme A... à l'encontre de M. L..., la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

3°) alors que lorsque les propos diffamatoires, procédant par voie d'affirmation ou d'insinuation, sont dépourvus d'une base factuelle suffisante, ils excèdent les limites admissibles de la liberté d'expression et de la polémique politique ; qu'en s'abstenant totalement de vérifier si les propos poursuivis reposaient sur une base factuelle suffisante, seule susceptible de les justifier y compris dans le contexte d'un débat d'intérêt général, la cour d'appel n'a pas légalement justifié son arrêt au regard des textes précités" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que M. L..., vice-président du gouvernement de la Polynésie française, ministre du budget, des finances et des énergies, a fait citer devant le tribunal correctionnel Mme A..., représentante à l'assemblée de cette collectivité d'outre-mer, du chef susvisé, pour avoir tenu le 26 avril 2016, au cours de l'émission « A vous la parole » de la station Radio 1, à laquelle ils participaient tous les deux, les propos suivants : « la façon dont le vice-président me parle aujourd'hui, c'est-à-dire qu'il veut me faire passer pour une imbécile qui dit des âneries, bein c'est exactement de la même manière que l'ancien PDG de l'EDT, M. T... , me traitait. » ; « C'est pactole qui s'élève à plus d'un milliard cinq cent millions de francs par an et qui a financé cet argent ? Bein ce sont les usagers sans le savoir grâce à M. le vice-président qui est ici en face de moi qui a fait un cadeau à EDT NJ [en fait Engie] » ; « j'ai l'impression d'avoir créé, comment dirais-je, un malaise au sein du gouvernement » ; « Qui est le ministre qui a baissé sa culotte devant EDT en retirant le recours en disant que nous on va faire une transaction c'est à dire .... Qui a voulu donner cet argent qui appartient à la population c'est à dire 2 milliards à EDT, cadeau comme ça .... » ; « Vous pouvez dire, tout ce que vous voulez de l'UPLD, mais nous on a jamais baissé notre cuIotte devant EDT NJ et on le fera jamais. » ; « l'ex PDG a tout fait pour me corrompre » ; « j'ai annoncé ça à TNTV le 30 mars et M. le vice-président qui est en face de moi, il a dit qu'il préparerait une plainte pour diffamation contre moi. Bein, je veux lui dire que j'attends toujours » ; « Et bien oui, comme c'est lui qui défend EDT farouchement et hein lui il a annoncé à TNTV qu'il allait déposer plainte contre moi » ; « [EDT] est allée demander la sueur politique de M. K... J... et là où je trouve scandaleux c'est que M. K... J..., comme moi-même, nous avons été élus par la population. Nous n'avons pas été élu par EDT. Pourquoi a-t-il délibérément choisi le camp de EDT, pourquoi ?? » ; « De quel droit, M. K... J... est venu mettre ses pieds dans le Secosud ? Pour donner la concurrence à EDT jusqu'en 2030 ? Voilà ce qui s'est passé et je le dis haut et fort. » ; « Et bien politiquement, M. K... J... a fait un cadeau à EDT. Je vais expliquer : ... » ; « Il a créé un article, le 12 bis. Du coup Secosud ne peut plus acheter à Marama Nui à 12 f le KWH. Donc par ce tour de passe-passe organisé par le VP, Secosud est obligé d'acheter son électricité à 22 F et non plus à 12 F le KW Donc ça fait cinq cent millions de profit à EDT sur le dos des consommateurs du Secosud payés par les habitants de la presqu'île, grâce à M. le vice-président. » ; « Moi j'affirme, j'affirme que le vice-président et EDT ont fait une magouille, pourquoi ?» ; « mais moi je ne tourne pas le dos à la population.. » ; « Non c'est toi qui est manipulé par EDT, Tu tournes le dos à la population, pas moi. Moi je sais qui m'a élu. » ; « ...ça fait presque un mois que j'attends ta plainte. » ; « Tu aboies pour EDT » ; « Tu es pour les intérêts de EDT » ; « Ce que j'ai envie de dire, c'est que j'ai en ma possession des dossiers qui me permettent de faire des recours au tribunal y compris au niveau pénal » ; «...nous avons des suspicions, notamment au niveau du délit de favoritisme, au niveau du délit de prise illégale d'intérêt. » ; « Et bien vous déshonorez notre mandat. Vous déshonorez le mandat des élus avec votre attitude» ; « Il y a le reste qui va arriver et franchement j'aimerais pas être à la place de M. le vice-président. » ; « Par contre, toi avant d'être ministre tu étais prestataire de EDT pas moi. » ; que, déclarée coupable par les juges du premier degré, la prévenue a relevé appel de cette décision, ainsi que la partie civile et le ministère public ;

Attendu que, pour infirmer le jugement et relaxer la prévenue, l'arrêt énonce que les propos poursuivis ont été extraits d'un débat politique dont la transcription complète n'est pas produite, de sorte que la cour d'appel ne peut dire si ceux relatifs à la possession de dossiers pouvant faire l'objet d'un examen au pénal et à des suspicions de favoritisme et de prise illégale d'intérêts visent effectivement le plaignant ; que les juges ajoutent que ces propos, par lesquels la prévenue reproche, certes de manière virulente, à la société EDT de profiter de son monopole de la distribution d'électricité en Polynésie française et de vouloir le conserver et à M. L..., en sa qualité de vice-président du gouvernement, de soutenir cette société, ne caractérisent aucun fait précis portant atteinte à l'honneur ou à la considération de ce dernier, mais constituent une opinion acceptable dans le cadre d'un débat politique, qui doit être protégée en vertu du principe de la liberté d'expression, liberté fondamentale consacrée par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen ;

Qu'elle a souverainement déduit de l'analyse des seuls éléments extrinsèques qui avaient été produits devant elle qu'il n'était pas démontré que la mention de suspicions de faits de favoritisme ou de prise illégale d'intérêts visait la partie civile ;

Qu'elle a exactement apprécié le sens et la portée des propos qui, évoquant en termes imprécis une « magouille », ne comportaient l'imputation d'aucun fait suffisamment précis pour faire l'objet d'un débat sur la preuve de sa vérité ;

Qu'enfin, en l'absence de toute imputation d'un tel fait précis, seule susceptible de caractériser une diffamation, elle n'avait pas à rechercher si les propos reposaient sur une base factuelle suffisante ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme que M. L... devra payer à Mme A... en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept janvier deux mille vingt ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 19-80027
Date de la décision : 07/01/2020
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Papeete, 25 octobre 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 07 jan. 2020, pourvoi n°19-80027


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : SCP Colin-Stoclet, SCP L. Poulet-Odent

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.80027
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