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19/12/2019 | FRANCE | N°18-25113

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 3, 19 décembre 2019, 18-25113


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Dijon, 10 juillet 2018), que, par acte notarié dressé le 7 juillet 1982, a été instituée au profit de la parcelle cadastrée [...], propriété indivise de MM. G..., R..., K... et N... L... et de Mme S... L..., une servitude de passage, d'une largeur de huit mètres, grevant les parcelles cadastrées [...] et [...] dont sont, respectiveme

nt, propriétaires M. R... L... et sa fille B... ; que Mme B... L... et M. P... o...

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Dijon, 10 juillet 2018), que, par acte notarié dressé le 7 juillet 1982, a été instituée au profit de la parcelle cadastrée [...], propriété indivise de MM. G..., R..., K... et N... L... et de Mme S... L..., une servitude de passage, d'une largeur de huit mètres, grevant les parcelles cadastrées [...] et [...] dont sont, respectivement, propriétaires M. R... L... et sa fille B... ; que Mme B... L... et M. P... ont fait construire une maison d'habitation sur la parcelle cadastrée [...] en exécution d'un permis de construire délivré le 22 février 2007 ; que M. K... L... a assigné en référé Mme B... L..., ainsi que M. R... L... dont la parcelle est bordée d'une haie, en suppression des constructions, plantations et équipements empiétant sur l'assiette de la servitude ; qu'en appel, M. P... a été assigné en intervention forcée ;

Attendu que, pour ordonner la démolition de la construction, l'arrêt retient que, du fait de l'empiétement, le passage est réduit de moitié à hauteur du garage et qu'un déplacement de l'assiette de la servitude ne peut être imposé au propriétaire du fonds dominant que dans les conditions prévues à l'article 701, dernier alinéa, du code civil ;

Qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la mesure de démolition n'était pas disproportionnée au regard du droit au respect du domicile de Mme L... et de M. P..., la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il ordonne la démolition de la construction édifiée par Mme L... et M. P..., l'arrêt rendu le 10 juillet 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne M. K... L... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf décembre deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat aux Conseils, pour Mme L..., M. R... L... et M. P....

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'ordonnance frappée d'appel en ce qu'elle a dit M. K... L... bien-fondé en ses demandes, condamné M. R... L... et sa fille B... à démolir toute construction, enlever tout meuble, défricher toutes plantations empiétant sur l'assiette de la servitude de passage, prononcé leur condamnation aux dépens incluant les frais de la mesure d'instruction qu'a réalisée M. I... et rappelé le caractère exécutoire par provision de la décision et, d'avoir étendu cette obligation à M. H... P... et d'avoir assorti les démolitions, enlèvements et défrichements ordonnés d'un délai de 6 mois dès signification du présent arrêt sous astreinte provisoire de 50 € par jour de retard pendant un an ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE le 7 juillet 1982, M. R... L... a acquis de son père prénommé N... une parcelle [...] dans la commune de Charnay-les-Mâcon, en concédant au vendeur un droit de passage « sur une largeur de 8 mètres tout le long de la limite Ouest de cette parcelle » pour permettre d'accéder à celle cadastrée B 96 ; qu'avec son épouse, il a donné le 29 octobre 2005 en avancement d'hoirie à sa fille B... un terrain [...] constitué par une partie de celui anciennement [...], le surplus de ce dernier étant identifié [...] ; que depuis le 8 janvier 1989, M. K... L... est propriétaire en indivision du fonds B 96 devenu AN 14 ; que chargé le 5 avril 2016 d'une mesure d'instruction, M. I... a mesuré les largeurs les moins importantes du passage en limite Ouest des parcelles [...] et [...], soit respectivement 2,90 m à partir d'une haie et 4,05 m depuis une descente d'eaux pluviales d'un garage, les plus importantes étant de 7,72 m ; qu'il a dressé un plan des lieux qui permet de visualiser ces empiètements et ceux d'autres végétaux, d'une bordurette et de quelques biens meubles ; qu'au sujet des mesures demandées pour remise en état, sont sans emport les contestations concernant l'absence d'une proposition de médiation, l'inopposabilité de la décision de première instance à M. H... P... (dont l'intervention forcée devant la cour est accueillie), le permis de construire qu'il a obtenu avec Mme B... L... le 22 février 2007, l'existence « depuis environ 30 ans » de la haie implantée sur le fonds de M. R... L..., alors qu'il s'agit au cas présent d'apprécier si ces mesures s'imposent afin de faire cesser un trouble manifestement illicite ; que contrairement à ce qui est soutenu par Mme B... L..., M. H... P... et M. R... L..., le trouble résultant d'une diminution de la largeur prévue au titre pour la servitude de passage considérée est manifestement illicite, M. K... L... s'opposant à cette modification et étant en droit de le faire en sa qualité de propriétaire indivis du fonds dominant, sans devoir justifier d'une gêne de jouissance ; que les empiètements ci-avant rappelés ne sont pas minimes ; que n'est aucunement prouvée l'actualité, contestée par M. K... L..., d'un projet de réalisation d'un Pôle santé communal emportant suppression de la servitude ; qu'un déplacement de celle-ci ne peut être imposé par M. R... L... et sa fille B... au titre du dernier alinéa de l'article 701 du code civil, tandis qu'ayant porté atteinte à la servitude sans accord de M. K... L..., ils n'établissent nullement que soit remplie en l'espèce la condition d'une assignation de l'endroit d'exercice « devenue » pour eux plus onéreuse ; qu'ainsi, s'imposent les mesures prises par le premier juge, lesquelles sont confirmées sauf à modifier leur délai d'exécution et en ajoutant une astreinte, tel que fixé dans les dispositions qui suivent ; que sera étendue à M. H... P... l'obligation de démolir ; que les dépens de première instance, comprenant les frais de la mesure d'instruction réalisée par M. I..., resteront à la charge in solidum de M. R... L... et de sa fille B..., lesquels supporteront dans les mêmes conditions de solidarité ceux du second degré de juridiction ; que si l'équité ne commandait pas condamnation devant le premier juge en application de l'article 700 du code de procédure civile, les appelants dont le recours infondé a généré des frais irrépétibles pour M. K... L... devront équitablement l'en indemniser in solidum à hauteur de 1.500 € ; qu'il y a lieu de rejeter les prétentions dirigées contre M. K... L..., n'étant pas fautive son action en justice à laquelle il a été fait droit ;

AUX MOTIFS REPUTES ADOPTES QU' en l'espèce, force est de constater que l'examen dudit rapport d'expertise judiciaire est univoque en ce que M. I... constate bien que la servitude dont bénéficie M. K... L... sur les parcelles litigieuses est bien de 8 mètres ; que de façon tout aussi indiscutable, l'expert indique que : 1) concernant la parcelle [...] propriété de M. et Mme R... L..., la largeur subsistante de la servitude la moins importante est de 2,90 mètres entre une bordurette bois longeant la limite Ouest et une haie ancienne de la parcelle [...] ; 2) concernant la parcelle [...] propriété de Mme B... L..., la largeur subsistante au sol, la moins importante est de 4,05 mètres entre une bordurette bois longeant la limite Ouest et une descente d'eaux pluviales situées vers l'angle Sud-Ouest du garage de la maison d'habitation édifiée sur cette parcelle ; 3) les largeurs subsistantes les plus importantes sont de 7,72 mètres et se situent dans la cour des parcelles [...] [...] er [...] entre une bordurette bois longeant la limite Ouest et la limite d'emprise de la servitude à 8 mètres de la limite de la propriété ; que les défendeurs ne contestent aucunement l'existence de cette servitude de 8 mètres, ni même l'existence, sur leurs parcelles, de biens immeubles ou meubles empiétant sur ladite servitude ; qu'aucun argument n'est avancé qui pourrait constituer une contestation sérieuse dans un sens jurisprudentiel acceptable ; qu'en effet, pour autant que fussent compréhensibles les propos développés par les défendeurs sur la motivation profonde de la présente action, force est de constater que ceux-ci ne constituent pas des arguments juridiques susceptibles de remettre en cause le droit pour M. K... L... de disposer d'une servitude de 8 mètres sans que rien ne puisse tendre à en diminuer l'usage ou à le rendre plus incommode ; qu'or, comme le constate M. I..., nombre d'éléments meubles et immeubles présents sur les parcelles obèrent cette servitude et M. K... L... est tout à fait fondé à demander la remise en état de sa servitude dont il bénéficie conventionnellement ; qu'en conséquence de quoi, il convient de faire droit aux demandes de M. K... L... à l'exception du délai de mise à exécution sollicité qui sera rallongé et à l'exclusion de toute condamnation à une astreinte qui n'est pas suffisamment étayée ni justifiée dans le cas d'espèce ;

ALORS QUE toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile ; que les mesures de démolition d'une maison d'habitation construite illégalement sur l'assiette d'une servitude de passage caractérisent une ingérence dans le droit au respect du domicile de l'occupant, protégé par l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que les intéressés ont bénéficié d'un examen de la proportionnalité de l'ingérence conforme aux exigences de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en confirmant la décision des premiers juges et en ordonnant la démolition du domicile de Mme L... et de M. H... P..., sans rechercher, comme il le lui était demandé (cf. prod. n°8 p. 15), si les mesures ordonnées étaient proportionnées au regard du droit au respect de leur domicile et si l'atteinte ne pouvait pas être évitée par le déplacement de la servitude sur la façade Est du fonds servant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des stipulations de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les dispositions de l'article 809 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 18-25113
Date de la décision : 19/12/2019
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Civile

Analyses

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 8 - Respect du domicile - Atteinte - Caractérisation - Construction empiétant sur une servitude conventionnelle de passage - Démolition - Recherche nécessaire

SERVITUDE - Servitude conventionnelle - Passage - Assiette - Atteinte - Sanction - Caractérisation - Portée

Un immeuble d'habitation construit par le propriétaire d'un fonds grevé d'une servitude conventionnelle de passage empiétant sur l'assiette de cette servitude, prive sa décision de base légale la cour d'appel qui ordonne la démolition de l'immeuble sans rechercher, comme il le lui était demandé, si cette mesure n'est pas disproportionnée au regard du droit au respect du domicile protégé par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales


Références :

article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

Décision attaquée : Cour d'appel de Dijon, 10 juillet 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 3e, 19 déc. 2019, pourvoi n°18-25113, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : M. Chauvin
Avocat(s) : SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Didier et Pinet

Origine de la décision
Date de l'import : 24/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.25113
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