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17/12/2019 | FRANCE | N°18-86063

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 17 décembre 2019, 18-86063


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- M. Y... S...,
- M. X... G...,
et
- L'agent judiciaire de l'Etat, partie civile,

-
la MACIF, ès qualités d'assureur de M. S...,

- la compagnie Axa France Iard,
Parties intervenantes,

contre l'arrêt de la cour d'appel de POITIERS, chambre correctionnelle, en date du 25 septembre 2018, qui, dans la procédure suivie contre M. Y... S... et contre M. X... G... du chef de blessures involontaires a prononcé sur les intérêts civils ;>
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 5 novembre 2019 où étaient présents dans la f...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- M. Y... S...,
- M. X... G...,
et
- L'agent judiciaire de l'Etat, partie civile,

-
la MACIF, ès qualités d'assureur de M. S...,

- la compagnie Axa France Iard,
Parties intervenantes,

contre l'arrêt de la cour d'appel de POITIERS, chambre correctionnelle, en date du 25 septembre 2018, qui, dans la procédure suivie contre M. Y... S... et contre M. X... G... du chef de blessures involontaires a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 5 novembre 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme Méano, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Lavaud ;

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire MÉANO, les observations de la société civile professionnelle FOUSSARD et FROGER, de la société civile professionnelle CÉLICE, SOLTNER, TEXIDOR et PÉRIER et de la société civile professionnelle BORÉ, SALVE DE BRUNETON et MÉGRET, de la SARL MEIER-BOURDEAU, LÉCUYER et ASSOCIÉS, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général QUINTARD ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 5 mars 2012, le véhicule conduit par Mme C... J..., professeur de français, ayant pour passager M. N... E... , a été percuté par l'ensemble routier conduit par M. X... G..., assuré auprès de la compagnie Axa France Iard, lequel s'était déporté sur la voie de circulation inverse en raison de l'immobilisation sur la chaussée du véhicule appartenant à M. S..., assuré auprès de la Macif ; que Mme J... et M. E... ont été blessés ; que le tribunal correctionnel a déclaré M. G... coupable de blessures involontaires et entièrement responsable du préjudice subi par M. E... et par Mme J..., qui se sont constitués parties civiles ainsi que l'agent judiciaire de l'État, a ordonné des expertises médicales et a alloué aux victimes des indemnités provisionnelles ; que, sur appels des parties civiles, de l'agent judiciaire de l'Etat et de la compagnie Axa, la cour d'appel, par arrêt du 11 septembre 2014, a notamment déclaré coupable M. S... de blessures involontaires sur M. G... et ordonné une nouvelle expertise, évoqué l'affaire et renvoyé les parties à une audience ultérieure sur intérêts civils ; que la Macif ayant été jugée, à l'occasion d'une procédure distincte, tenue de contribuer à la réparation des dommages consécutifs à l'accident de la circulation à concurrence de 30 %, est intervenue volontairement à l'instance ; qu'après dépôt des rapports d'expertise et la fixation des dates de consolidation, au 29 juillet 2015 pour Mme J..., les parties civiles ont demandé l'indemnisation de leurs préjudices, ainsi que l'agent judiciaire de l'État ;

En cet état ;

Sur le moyen unique de cassation, proposé pour l'agent judiciaire de l'État ;

Vu l'article 567-1-1 du code de procédure pénale ;

Attendu que le moyen n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Sur le moyen unique de cassation, proposé pour M. G... et la compagnie Axa, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 1240 du code civil, 388-3 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, ensemble le principe de réparation intégrale du préjudice ;

“en ce que l'arrêt attaqué a condamné in solidum M. G... et son assureur Axa France Iard à payer, d'une part, à M. E... la somme totale de 118 102,52 euros, déduction faite des prestations versées par de la CPAM de l'Aisne et des provisions versées et à l'Agent judiciaire de l'Etat, la somme de 5 980,68 euros, d'autre part, à Mme J..., la somme de 887 578,29 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs, déduction faite du capital net représentatif de la pension civile d'invalidité versée par l'Etat jusqu'à l'âge légal de la retraite, et celle de 323 866,64 euros au titre de l'incidence professionnelle, à l'Agent judiciaire de l'Etat, les sommes de 334 845,63 euros et à compter du 1er janvier 2018 celle de 13 966,10 euros par an au titre de la majoration pour tierce personne, enfin à la MAIF la somme de 18 013,42 euros ;

“1°) alors que, en vertu de l'article 1240 du code civil et du principe de réparation intégrale, l'indemnisation de la perte de ses gains professionnels futurs sur la base d'une rente viagère d'une victime privée de toute activité professionnelle pour l'avenir fait obstacle à une indemnisation supplémentaire au titre de l'incidence professionnelle ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a capitalisé les pertes de gains futurs de Mme J... sur la base d'un euro de rente viagère ; qu'en allouant 323 866,64 euros à la victime au titre de l'incidence professionnelle après avoir relevé son inactivité professionnelle totale, la cour d'appel, qui a indemnisé deux fois le même préjudice, a violé le principe de réparation intégrale du préjudice ;

“2°) alors que la pension civile d'invalidité est attribuée aux fonctionnaires de façon définitive et ne prend donc pas fin à l'âge légal du départ à la retraite, mais est de nature viagère ; que, dans ses conclusions régulièrement déposées et de ce chef délaissées, Axa France Iard faisait valoir que la pension civile d'invalidité est de nature viagère et qu'il convenait, en conséquence, de déduire des pertes de gains professionnels futurs son montant capitalisé dans son intégralité et non celui capitalisé jusqu'à l'âge légal de la retraite ; que la cour d'appel s'est pourtant contentée, sans répondre aux moyens péremptoires soulevés par Axa, de déduire, à compter du 5 mars 2015 et jusqu'à l'âge légal de son départ en retraite, soit le 5 novembre 2048, le capital net de 221 172,96 euros représentatif de la pension civile d'invalidité des sommes allouées au titre de la perte de gains professionnels futurs ; qu'en statuant ainsi, sans répondre aux moyens péremptoires de nature à influer sur la solution du litige, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs et a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

“3°) alors qu'en fixant le montant de l'incidence professionnelle en considération d'un revenu espéré viager de 8 500 euros, sans rechercher si le placement de Mme J... en retraite n'aurait pas, en tout état de cause, conduit à minorer son revenu, et donc à diminuer l'incidence professionnelle de l'accident, la cour n'a pas légalement justifié sa décision ;

“4°) alors, enfin que, subsidiairement, l'intervention volontaire ou forcée de l'assureur à l'instance pénale n'a d'autre effet que de lui rendre opposable la décision rendue sur les intérêts civils ; qu'en retenant que M. G... et son assureur Axa France Iard seront condamnés in solidum à payer diverses sommes à M. N... E... , à Mme J..., à la MAIF et à l'Agent Judiciaire de l'Etat, quand elle ne pouvait que déclarer sa décision opposable à l'assureur, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée de l'article 388-3 du code de procédure pénale”.

Sur le moyen unique du pourvoi proposé pour M. S... et de la Macif pris de la violation des articles 1382, devenu 1240 du code civil, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble le principe de la réparation intégrale ;

“en ce que la cour d'appel a constaté qu'en exécution du jugement définitif du 19 décembre 2017 rendu par le tribunal de grande instance de Poitiers, la Macif, en qualité d'assureur de M. S..., est tenue de contribuer à la réparation des dommages consécutifs à l'accident de la circulation survenu le 5 mars 2012 à concurrence de 30 %, fixé à 323 866,64 euros le montant de l'incidence professionnelle de Mme J... et condamné in solidum M. G... et la société Axa France à payer à l'ATMPO, ès qualités de tuteur de M. J..., la somme totale de 1 621 430,45 euros, déduction faite des prestations versées par les tiers-payeurs et des provisions, et à compter du 10 janvier 2018, une rente viagère d'un montant annuel de 98 211,82 euros après déduction de la majoration pour tierce personne versée par l'État, payable trimestriellement, indexée selon les dispositions prévues à l'article 43 de la loi du 5 juillet 1985, et suspendue en cas d'hospitalisation à partir du 30e jour ;

“alors que l'indemnisation de la perte de ses gains professionnels futurs sur la base d'une rente viagère d'une victime privée de toute activité professionnelle pour l'avenir fait obstacle à une indemnisation supplémentaire au titre de l'incidence professionnelle ; qu'en allouant à Mme J... une somme totale de 323 866,64 euros au titre de l'incidence professionnelle, quand elle lui avait par ailleurs alloué, au titre des pertes de gains professionnels futurs, une somme de 887 578,29 euros, correspondant à une perte totale et viagère de revenus résultant d'une impossibilité d'exercer la moindre activité professionnelle, la cour d'appel a violé les textes et principes susvisés”.

Les moyens étant réunis ;

Sur le moyen unique proposé pour M. G... et la compagnie Axa, pris en ses deuxième et troisième branches ;

Vu l'article 567-1-1 du code de procédure pénale ;

Attendu que les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Sur le moyen unique du pourvoi proposé pour M. S... et la Macif et sur le moyen unique proposé pour M. G... et la compagnie Axa, pris en sa première branche ;

Attendu que pour fixer à 323.866,64 euros l'incidence professionnelle, l'arrêt retient que la mise à la retraite anticipée de Mme J..., à l'âge de 29 ans, l'a empêchée d'évoluer professionnellement, notamment en se présentant à nouveau au concours de l'agrégation de lettres modernes, et de voir en conséquence ses revenus progresser, ainsi que de s'épanouir dans l'exercice du métier qu'elle avait choisi ; que les juges ajoutent qu'en sus de l'indemnisation de sa perte de gains professionnels futurs, calculée à partir du traitement perçu par elle avant l'accident, Mme J... est fondée à se prévaloir d'une perte de chance d'évolution de carrière et de droits supérieurs à la retraite, calculée par référence au traitement minimum de 2 500 euros versé à un enseignant en fin de carrière ; que la cour d'appel en déduit que la différence entre le revenu antérieur et celui espéré étant de 600 euros (2 500 euros - 1 900 euros), et la probabilité de progression professionnelle étant évaluée à 90 %, il lui sera alloué à ce titre une indemnité de 303 866,64 euros, outre 20 000 euros en réparation du préjudice lié à son inactivité professionnelle totale ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a réparé au titre de l'incidence professionnelle la perte de chance d'une progression professionnelle et le renoncement définitif à toute activité professionnelle, préjudice distinct de celui réparé au titre de la perte de gains professionnels futurs calculée, de façon viagère, au vu de son ancien salaire et de la pension civile d'invalidité concédée par l'État, a justifié sa décision sans méconnaître aucun des textes visés au moyen ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Mais sur le moyen unique proposé pour M. G... et la compagnie Axa, pris en sa quatrième branche ;

Vu l'article 388-3 du code de procédure pénale ;

Attendu qu'il résulte de ce texte que l'intervention volontaire ou forcée de l'assureur à l'instance pénale ne saurait avoir d'autre effet que de lui rendre opposable la décision rendue sur les intérêts civils ;

Attendu que la cour d'appel a condamné la compagnie Axa in solidum avec son assuré, M. G..., à payer les indemnités dues à Mme J..., à M. E... , à l'agent judiciaire de l'État et à la MAIF ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'elle ne pouvait que déclarer sa décision opposable à l'assureur, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;

Sur la demande présentée par Mme J... et M. E... , défendeurs aux pourvois, au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Attendu que les dispositions de ce texte sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu'il soit total ou partiel ; que la fixation du préjudice corporel et des sommes devant être versées aux parties civiles à titre de dommages et intérêts étant devenus définitifs, par suite du rejet des moyens de cassation des demandeurs aux pourvois y afférents, il y a lieu de faire partiellement droit à la demande de ces parties civiles ;

Par ces motifs :

Sur les pourvois formés par M. S... et la Macif et par l'agent judiciaire de l'État :

Les REJETTE ;

Sur le pourvoi formé par la compagnie Axa France Iard et M. G... :

CASSE et ANNULE, par voie de retranchement, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Poitiers, en date du 25 septembre 2018, en ses seules dispositions relatives à la condamnation de la compagnie Axa France Iard in solidum avec son assuré, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Dit l'arrêt sus-visé opposable à la compagnie Axa France Iard ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

FIXE à 1 200 euros la somme que M. G... et la compagnie Axa d'une part, M. S... et la Macif, d'autre part, et l'agent judiciaire de l'Etat devront payer aux parties représentées par la SCP Meier-Bourdeau-Lecuyer, avocat à la Cour au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale pour les demandes formulées par les autres parties ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Poitiers et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-sept décembre deux mille dix-neuf ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 18-86063
Date de la décision : 17/12/2019
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Poitiers, 25 septembre 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 17 déc. 2019, pourvoi n°18-86063


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Foussard et Froger

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.86063
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