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11/12/2019 | FRANCE | N°18-23016

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 11 décembre 2019, 18-23016


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 29 mai 2018), que, suivant acte authentique reçu le 21 février 2006 par M. H... (le notaire), M. et Mme X... (les acquéreurs) ont acquis un terrain à bâtir situé à [...], figurant au cadastre section [...] , sur lequel ils ont entrepris des travaux de construction ; que Mme Q..., propriétaire de la parcelle [...] , a assigné les acquéreurs en référé, en faisant valoir qu'elle se trouvait empêchée, du fait d'un dépôt de terre,

d'exercer le droit de passage attaché à son fonds sur la parcelle [...] , et un...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 29 mai 2018), que, suivant acte authentique reçu le 21 février 2006 par M. H... (le notaire), M. et Mme X... (les acquéreurs) ont acquis un terrain à bâtir situé à [...], figurant au cadastre section [...] , sur lequel ils ont entrepris des travaux de construction ; que Mme Q..., propriétaire de la parcelle [...] , a assigné les acquéreurs en référé, en faisant valoir qu'elle se trouvait empêchée, du fait d'un dépôt de terre, d'exercer le droit de passage attaché à son fonds sur la parcelle [...] , et une expertise a été ordonnée ; qu'un pré-rapport faisant état de l'état d'enclave de la parcelle de Mme Q... a été déposé le 7 septembre 2010 ; qu'un arrêt du 18 novembre 2014 a dit que la parcelle [...] appartenant à Mme Q... bénéficie d'une servitude de passage permanent, permettant l'accès aux voitures et caravanes sur les fonds servants, au nombre desquels figure la parcelle [...] ; que, reprochant au notaire de n'avoir pas mentionné l'existence d'une servitude dans l'acte authentique, les acquéreurs l'ont assigné, par acte du 7 octobre 2015, en responsabilité et indemnisation ;

Attendu que les acquéreurs font grief à l'arrêt de déclarer leur action irrecevable comme tardive, alors, selon le moyen :

1°/ qu'en vertu du principe dispositif, que rappelle l'article 4 du code de procédure civile, les parties ont la maîtrise de l'objet de leurs demandes ; qu'à partir du moment où le demandeur entend obtenir réparation à l'encontre de l'auteur du dommage résultant d'une décision de justice, c'est en considération de ce dommage et de lui seul que les juges du fond doivent raisonner notamment pour faire courir le délai de prescription ; qu'en l'espèce, les acquéreurs sollicitaient la condamnation du notaire à réparer le préjudice né de ce qu'une décision de justice – l'arrêt du 18 novembre 2014 et en tout cas le jugement du 4 juin 2013 – avait consacré l'existence d'une servitude et les contraignait à la respecter ; qu'ayant modifié l'objet de la demande pour considérer qu'elle portait sur le préjudice né d'une situation antérieure, et non sur le préjudice né de la décision de justice, les juges du fond ont méconnu le principe du dispositif et l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ que le préjudice que subit un propriétaire pour être assujetti à une servitude de passage, liée à l'état d'enclave de la parcelle voisine, n'apparaît que du jour où, dès lors qu'il y a contestation, le juge constate l'état d'enclave et consacre l'existence de la servitude ; qu'en l'espèce, l'existence de la servitude a été constatée par un arrêt du 18 novembre 2014 au plus tôt par un jugement du 4 juin 2013 s'il faut tenir compte de la décision de première instance, quand la demande contre le notaire a été formulée le 7 octobre 2014 ; qu'en opposant le délai de cinq ans qui n'était pourtant pas expiré, les juges du fond ont violé les articles 682 et 2224 du code civil ;

3°/ qu'en se fondant sur la date à laquelle les acquéreurs ont pu avoir connaissance d'une éventuelle servitude pour état d'enclave du propriétaire voisin, la configuration des lieux imposant l'existence de cette servitude quand ces circonstances étaient inopérantes, les juges du fond, quels que soient les éléments pouvant laisser présumer l'existence d'une servitude, ont violé les articles 682 et 2224 du code civil ;

Mais attendu que l'arrêt relève, d'abord, que le pré-rapport d'expertise, déposé le 7 septembre 2010, a mis en lumière l'état d'enclave du fonds de Mme Q... et l'existence d'un chemin d'une largeur d'environ quatre mètres traversant diverses propriétés, en particulier celle des acquéreurs, et utilisé par des véhicules dès avant l'année 1978 ; qu'il retient, ensuite, que l'existence d'une servitude, à tout le moins nécessairement due par application de l'article 682 du code civil, grevant leur fonds était ainsi connue des acquéreurs, ou aurait dû l'être au plus tard lorsqu'ils ont reçu le pré-rapport, peu important que l'arrêt du 18 novembre 2014 ait déterminé son origine conventionnelle ; qu'il ajoute, enfin, que les acquéreurs ont adressé leurs observations à l'expert par lettre du 13 septembre 2010 ; qu'ayant ainsi souverainement estimé que le dommage dont se plaignaient les acquéreurs s'était manifesté avant le 13 septembre 2010, la cour d'appel en a exactement déduit, sans modifier l'objet du litige, que leur action engagée le 7 octobre 2015 était prescrite ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. et Mme X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à payer à M. H... la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze décembre deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

.

Moyen produit par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour M. et Mme X....

L'arrêt attaqué encourt la censure ;

EN CE QUE, confirmant le jugement, il a déclaré l'action de M. et Mme X... à l'encontre de M. H... irrecevable comme tardive ;

AUX MOTIFS PROPRES QU' « aux termes de l'article 2224 du Code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que l'ordonnance de référé du 21 juillet 2009 ne suffisait pas à convaincre de l'existence d'une servitude de passage grevant le fonds des époux X..., dans la mesure où cette ordonnance s'est bornée à constater que constituait un trouble manifestement illicite l'entrave apportée à un passage qui était exercé sans contestation de longue date, puisque ce trouble pouvait être constitué même dans le cas où ce passage se serait exercé par simple tolérance ; qu'en revanche, il y a lieu de prendre en considération les observations tirées du rapport de l'expert désigné par cette ordonnance ; que cet expert a, à l'issue de ses opérations conduites contradictoirement à l'égard des époux X... notamment, indiqué dans son pré-rapport clos le 7 septembre 2010 que la parcelle [...] , propriété de Madame Q..., est bordée sur chacun de ses côtés par des parcelles bâties et qu'elle ne dispose d'aucun accès direct à la voie publique, qu'il s'agisse de la [...], de l'[...] ou de l'[...] ; l'état d'enclave de la propriété de Madame Q... était ainsi mis en lumière L'expert a observé qu'il existe toutefois un chemin prenant sa source [...] pour aller rejoindre la parcelle [...] , propriété de Madame Q..., d'une largeur d'environ quatre mètres, traversant diverses propriétés dont celle des époux X... le long de sa limite Est, et qui était utilisé par des véhicules depuis au moins l'année 1978 ; que l'existence d'une servitude, à tout le moins nécessairement due au titre des dispositions de l'article 682 du Code civil, grevant leur fonds était ainsi connue, ou aurait en toute hypothèse du être connue, des époux X... au plus tard lorsque ceux-ci ont reçu communication de ce pré-rapport, peu important que ce ne soit que par l'arrêt de la cour du 18 novembre 2014 qu'il a été dit que cette servitude avait une origine conventionnelle ; qu'or les époux X... ont, comme ils y avaient été invités par l'expert, présenté à celui-ci leurs observations sur le pré-rapport par un courrier de leur avocat daté du 13 septembre 2010, ce dont il résulte donc qu'ils avaient pris connaissance avant cette date de son contenu, et donc des faits leur permettant d'exercer une action en responsabilité extra contractuelle contre Maître H... pour n'avoir pas décelé l'existence de la servitude grevant leur propriété lorsqu'il a rédigé l'acte par lequel ils l'ont acquise ; que dès lors, leur droit d'agir à cette fin était éteint par la prescription au plus tard le 13 septembre 2015 ; que leur demande, formée par assignation du 7 octobre 2015 est en conséquence irrecevable » ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QU' « en l'espèce, les époux X... ont acquis le terrain sur lequel il ont fait édifier une maison par acte notarié du 21 février 2006, date à laquelle ils en ont pris possession ; qu'à compter de décembre 2008, ils y ont emménagé après l'édification d'une maison ; que dès lors, ainsi qu'il résulte de l'exposé du litige dans l'ordonnance de référé du 21 juillet 2009, « Madame Q... qui utilise un droit de passage pour accéder à sa parcelle en a été privé par son obstruction par Monsieur X... », de celui du jugement du tribunal de grande instance de QUIMPER du 4 juin 2013, selon lequel Madame Q... a tenté des démarches amiables auprès des époux X..., de la motivation des conseillers de la Cour d'appel de RENNES selon laquelle «la configuration des lieux, la présence d'un chemin de 4 m de large prenant sa source rue des genêts en passant par la bordure ouest de la parcelle des C..., O..., X... et S... pour rejoindre celle de Madame Q... n'a pu échapper aux époux X... au moment de l'acquisition du terrain », de la condamnation des époux X... à procéder à l'enlèvement de la terre ou de tout autre entrave par l'ordonnance de référé du 21 juillet 2009, du caractère visible de la servitude comme en atteste le rapport d'expertise judiciaire de Madame G..., que les demandeurs ont nécessairement eu connaissance d'un droit de passage sur leur propriété dès 2006, et au moins à compter de décembre 2008 ; que par ailleurs, la teneur du courrier du notaire du 10 novembre 2010 démontre que la question de sa responsabilité au sujet de l'absence de mention de cette servitude dans l'acte de vente, a été évoquée précédemment par les époux X.... Ils ont donc eu connaissance de l'existence de cette servitude, susceptible d'engager la responsabilité du notaire instrumentaire pour l'avoir omise dans l'acte de vente, au moins cinq ans avant la délivrance de l'assignation le 7 octobre 2015, étant précisé que la survenance du dommage est apparue nécessairement, dès que son exercice a été accordé à Madame Q... par une décision de justice, fut-elle provisoire, et non pas à compter de l'arrêt devenu définitif de la Cour l'appel de RENNES ; que leur assignation n'ayant été délivrée que le 7 octobre 2015 à l'encontre de Maître M... H... , notaire, en vue d'engager sa responsabilité professionnelle, l'action est prescrite, peu important qu'une décision définitive sur l'existence d'une servitude conventionnelle ne soit intervenue que le 18 novembre 2014, puisque au surplus, de toute façon, la configuration des lieux imposait l'existence d'une servitude légale en raison de l'enclavement du fonds appartenant à Madame Q..., ce dont les époux X... avaient nécessairement connaissance depuis l'acquisition du terrain, et plus encore lorsqu'ils sont venus habiter les lieux en décembre 2008 » ;

ALORS QUE, premièrement, en vertu du principe dispositif, que rappelle l'article 4 du Code de procédure civile, les parties ont la maitrise de l'objet de leurs demandes ; qu'à partir du moment où le demandeur entend obtenir réparation à l'encontre de l'auteur du dommage résultant d'une décision de justice, c'est en considération de ce dommage et de lui seul que les juges du fond doivent raisonner notamment pour faire courir le délai de prescription ; qu'en l'espèce, M. et Mme X... sollicitaient la condamnation de M. H... à réparer le préjudice né de ce qu'une décision de justice – l'arrêt du 18 novembre 2014 et en tout cas le jugement du 4 juin 2013 – avait consacré l'existence d'une servitude et les contraignait à la respecter ; qu'ayant modifié l'objet de la demande pour considérer qu'elle portait sur le préjudice né d'une situation antérieure, et non sur le préjudice né de la décision de justice, les juges du fond ont méconnu le principe du dispositif et l'article 4 du Code de procédure civile ;

ALORS QUE, deuxièmement, le préjudice que subit un propriétaire pour être assujetti à une servitude de passage, liée à l'état d'enclave de la parcelle voisine, n'apparait que du jour où, dès lors qu'il y a contestation, le juge constate l'état d'enclave et consacre l'existence de la servitude ; qu'en l'espèce, l'existence de la servitude a été constatée par un arrêt du 18 novembre 2014 au plus tô t par un jugement du 4 juin 2013 s'il faut tenir compte de la décision de première instance, quand la demande contre le notaire a été formulée le 7 octobre 2014 ; qu'en opposant le délai de cinq ans qui n'était pourtant pas expiré, les juges du fond ont violé les articles 682 et 2224 du Code civil ;

ET ALORS QUE, troisièmement, en se fondant sur la date à laquelle M. et Mme X... ont pu avoir connaissance d'une éventuelle servitude pour état d'enclave du propriétaire voisin, la configuration des lieux imposant l'existence de cette servitude quand ces circonstances étaient inopérantes, les juges du fond, quels que soient les éléments pouvant laisser présumer l'existence d'une servitude, ont violé les articles 682 et 2224 du Code civil.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 18-23016
Date de la décision : 11/12/2019
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Rennes, 29 mai 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 11 déc. 2019, pourvoi n°18-23016


Composition du Tribunal
Président : Mme Batut (président)
Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Foussard et Froger

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.23016
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